Préparation évangélique

LIVRE III

CHAPITRE XIV
UN ARGUMENT PUISSANT CONTRE LES INTERPRÉTATIONS ALLÉGORIQUES, C’EST QUE LES AUTEURS CONTREDISENT LEUR PROPRE DOCTRINE PAR LEUR CONDUITE

Nous ne les voyons pas moins en effet, ces sages, à la philosophie si imposante et si féconde, aux contemplations si élevées sur les phénomènes du ciel et ceux de la nature ; nous ne les voyons pas moins, dis-je, tombant comme de ces hautes régions se précipiter dans la fange avec la multitude, et se mêler à toutes les erreurs superstitieuses du polythéisme, sacrifier aux idoles de bois, se prosterner devant elles avec le vulgaire, conciliant par-là du crédit à ces doctrines auxquelles ils paraissaient souscrire, augmentant et fortifiant les opinions populaires sur les fables dont les dieux étaient l’objet. Faut-il donc une vue bien perçante pour s’apercevoir que chez eux toutes ces prétendues interprétations se bornaient à de belles paroles ; que ces admirables génies cherchaient à déguiser sous un faux semblant de vérité des infamies et des turpitudes ; mais que dans la réalité leurs œuvres confirmaient les erreurs mythologiques et les superstitions populaires. Et comment aurait-il pu en être autrement, puisque dans leurs écrits nous voyons les dieux eux-mêmes appuyer de leur approbation les récits que la fable créait sur leur compte ? Voyez en effet comment Apollon, dans un hymne que lui-même a composé en son honneur, consacre le fait de sa naissance dans l’île de Délos. Puis voyez Esculape, reconnaissant qu’il est né à Tricca ; Mercure s’avouant le fils de Maïa. Nous en trouvons le témoignage dans le traité de Porphyre sur la Philosophie des oracles, où il rapporte textuellement les oracles suivants :

« Ô Dieu ! les délices des mortels, sortis du chaste sein d’une mère sacrée. »

Puis il ajoute :

« Dès que les douleurs de son enfantement divin eurent saisi Latone, douleurs cruelles causées par le double fruit qui s’agitait dans son sein, la terre s’arrêta, l’air devint immobile, l’île resta silencieuse, les flots se firent calmes : alors tu parus à la lumière, divin Lycoris, Phébus armé d’un arc, génie qui inspires tes prophètes sur le trépied sacré. »

Écoutez maintenant Esculape parler de lui-même :

« Je suis le dieu qui naquit à Tricca, Esculape, habile dans la médecine, roi de la sagesse, moi que ma mère enfanta à Phébus : mais pourquoi demander mon origine ? »

Et Mercure :

« Me voici, moi que tu invoques, Mercure, fils de Jupiter et de Maïa : j’ai quitté, pour venir, le séjour du roi des astres. »

Il n’y a pas jusqu’à la forme de leurs corps dont ils ne nous aient eux-mêmes tracé les traits. Ainsi, par exemple, voici la peinture que Pan nous fait de lui-même par la voix de son oracle :

« Fils d’une mortelle, j’adresse mes vœux à Pan, être divin et immortel, au dieu à la double corne, au double pied, à la forme de bélier, à ce dieu de la volupté. »

Voilà ce que nous trouvons dans Porphyre, dans sa théologie mystérieuse fondée sur les oracles. Ainsi ne cherchez plus dans le dieu Pan l’emblème de l’univers : car le voilà devenu un être divin, existant réellement sous une forme dont il nous a fait lui-même la description dans son oracle. Jamais en effet ce que nous venons de rapporter ne pourra s’attribuer au monde ou a l’univers. Aussi, c’est cette divinité telle que nous venons de la voir décrite, et non pas l’univers, que les hommes ont représentée dans la statue dont les formes ont été puisées dans cet oracle. Et Mercure, comment en faire une allégorie du principe créateur et modérateur de toutes choses, quand il se donne lui-même pour le fils de Maïa, fille d’Atlas, confirmant ainsi de son propre témoignage, non pas le sens allégorique inventé par les philosophes naturalistes, mais bien la fable populaire concernant son origine ? Et Esculape, comment sera-t-il le soleil, lui qui place sa naissance à Tricca, et qui confesse qu’il est né du sein d’une femme ? Et d’ailleurs s’il est le soleil, il sera à la fois le soleil et le fils du soleil ; car dans le système des allégories, Phébus, père d’Esculape, n’est autre chose que le soleil. N’est-ce pas une assertion capable d’exciter la risée, que de le faire naître du soleil et d’une femme mortelle ? Et son père, le soleil, dont on fait Apollon, comment peut-il être né dans l’île de Délos d’une femme nommée Latone ? Et ici, observez en passant de combien d’hommes nés de femmes mortelles les Grecs ont fait des dieux, et vous aurez d’avance une raison à opposer aux blasphèmes qu’ils voudraient se permettre contre la naissance de notre Sauveur.

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