Préparation évangélique

LIVRE XIV

CHAPITRE XI
DE LA GÉOMÉTRIE, DE L’ASTRONOMIE ET DU CALCUL. TIRÉ DES APOMNEMONEUMATA DE XÉNOPHON (Apomnem. de Xénophon, I. 4, c. 7.)

« Il enseignait jusqu’à quel point il convient à un homme bien élevé d’être versé dans chacune des sciences ; par exemple en géométrie, on doit en apprendre assez, disait-il, pour se mettre en état, s’il en est besoin, de mesurer le terrain avec exactitude, soit acquéreur, soit comme vendeur, ou pour diviser, ou pour faire voir qu’on s’est acquitté d’une tache imposée : de cette manière cette science s’apprendra facilement, et celui qui y appliquera son intelligente connaîtra la surface que contient cette terre et se retirera, en ayant lui-même appris la manière de mesurer. Mais il réprouvait l’usage de la géométrie portée jusqu’à la description des figures (διαγράμματα) qu’on a peine à comprendre (les coniques). Il ne voyait pas, disait-il, à quoi cela pouvait être utile, et cependant il n’était pas étranger à ces études : il les trouvait tout au plus bonnes à user la vie des hommes et à détourner d’autres enseignements beaucoup plus utiles. Il engageait aussi à acquérir une teinture d’astronomie, seulement assez pour pouvoir connaître l’heure pendant la nuit, l’époque du mois et de l’année, dans le but d’entreprendre un voyage, une navigation, une garde de nuit ou toute autre action qui s’exécute d’après le mouvement déterminé de la nuit, du mois ou de l’an. Il est bon, pour ces choses, d’avoir des signes certains qui nous fassent connaître les divisions du temps susdites : mais cela s’apprend facilement des observateurs nocturnes, des pilotes de navires, et d’un grand nombre d’individus qui ont la nécessité de le connaître. Voilà jusqu’à quel degré il voulait qu’on apprît l’astronomie. Quant à perdre son temps pour pouvoir distinguer les étoiles qui ne sont pas comprises dans notre révolution périodique, de celles qui sont errantes ou vagues, pour connaître leur distance de la terre ou leur mouvement circulaire, et en rechercher les causes ; il en dissuadait de toutes ses forces ; car il ne voyait aucune utilité à de telles choses ; et toutefois il n’était pas dénué de connaissances en ce genre. Tout cela, ajoutait-il, ne peut qu’user la vie de l’homme et porter obstacle à bien des emplois utiles de son temps.

« Il défendait donc de se livrer à une recherche générale de la manière dont Dieu a combiné les mouvements célestes ; car il pensait qu’il était impossible aux hommes de le découvrir, et jugeait que ce ne serait pas payer les Dieux de reconnaissance, de rechercher ce qu’ils n’ont pas voulu nous manifester. De plus on courrait le risque de délirer, en méditant sur ces matières ; non moins que le fit Anaxagore, qui tirait sa plus grande gloire de la manière, dont il avait rendu compte du mécanisme employé par les Dieux. Car en disant que le feu et le soleil étaient une même chose, il méconnaissait que les hommes peuvent considérer le feu aisément, tandis qu’il leur est interdit de regarder le soleil ; que lorsqu’ils sont exposés à l’action des rayons solaires, ils prennent une teinte plus noire : ce que ne produit pas le feu : il ne pouvait pas méconnaître que, de toutes les plantes qui végètent sur la terre, aucune ne saurait prospérer sans sa chaleur ; tandis que le feu détruit tous les corps échauffés par lui. En disant que le soleil est une pierre de feu, il ignorait que la pierre, même dans le feu, ne jette aucun éclat et ne tarde pas à se détruire ; au lieu que le soleil étant de tous les corps le plus lumineux, garde en tout temps son intégrité de substance. Il recommandait aussi d’apprendre les calculs, de même que les autres sciences, en prescrivant de se garder de toute application sans utilité ; car, en toutes choses, il ne s’exerçait lui-même qu’à ce qui pouvait être utile, et ne démontrait à ses disciples que ce qui était compris dans cette limite. »

C’est ainsi que Xénophon s’exprime dans le traité des entretiens mémorables de Socrate. Le même, parlant de Platon dans sa lettre à Eschine et de ceux qui se vantent de connaître le système du monde, s’exprime dans le même sens.

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