Histoire de la restauration du protestantisme en France

Notice sur les manuscrits d’Antoine Court

Les manuscrits d’Antoine Court n’étaient pas inconnus. On savait que cette belle collection se trouvait à la bibliothèque de Genève, et plus d’un auteur, qui l’avait rapidement parcourue, en avait déjà vanté l’intérêt et la richesse. On y puisait peu cependant. Il semblait qu’on la louait d’autant plus qu’on en connaissait moins les détails. Ce fut la Société de l’Histoire du Protestantisme français qui, dès ses débuts, appela sérieusement sur ces manuscrits l’attention du monde savant. En 1854, sur sa demande, Eugène Haag donna dans le Bulletin des renseignements curieux sur quelques points obscurs. En 1861 enfin, M. Francis Wadington publia l’inventaire sommaire de tous les papiers d’Antoine Court conservés à Genève.

[V. Bulletin, t. I, p. 133 et 237 ; t. II, p. 225 ; t. X, p. 80. — Nous renvoyons à ce travail sérieux, bien fait, et aussi complet qu’il peut l’être dans ses minces proportions, ceux de nos lecteurs qui voudraient se rendre compte de la richesse et de la variété de cette collection.]

Depuis lors, plusieurs écrivains se sont engagés dans la lecture de cette vaste collection, ceux-ci pour y élucider quelque épisode obscur de l’histoire du protestantisme, ceux-là pour rechercher quelque curieux mémoire, et aucun n’en est revenu sans rapporter une riche moisson de découvertes.

[Pour ne citer que deux faits, c’est de là, par exemple, qu’ont été extraits le récit des souffrances de Blanche Gamond, publié par M. Th. Claparède, et les mémoires de Bombonnoux et du baron d’Aygaliers, publiés par M. Frostérus… Nous ne parlons pas naturellement de toutes les pièces qu’en a tirées le Bulletin, et qu’il a disséminées dans ses vingt et un volumes de documents inédits.]

Nous avons dit ailleurs (tome I ch. vii) comment Antoine Court avait peu à peu ramassé et réuni cette innombrable quantité de documents ; il nous reste à en faire un relevé succinct.

La collection des « papiers Court » comprend cent seize volumes reliés (gros in-4°), deux paquets de pièces non classées, un cahier assez épais et un carton rempli de papiers ayant appartenu à Court de Gébelin. Elle est divisée en cinquante séries.

Ces cent dix-huit volumes sont assez bien classés et dans un ordre convenable. Ils contiennent l’histoire complète et intime du protestantisme français au dix-huitième siècle, et il en est peu qui n’offrent un réel intérêt. Parmi les plus importants, nous citerons ceux qui sont compris dans les séries 5, 12, 13, 17, 29, 30, 31, 32, 46, 48 et 50, — mais surtout et avant tout ; les séries 1 et 7. C’est là que sont déposées par ordre de date et conservées dans un ordre parfait les minutes de toutes les lettres d’Antoine Court ; c’est là que sont réunies les réponses de tous ses correspondants depuis 1718 jusqu’à 1755. Antoine Court, on le sait, classait avec beaucoup de soin toutes les lettres qu’il recevait, et prenait copie de toutes les siennes. Telles il les avait arrangées, telles elles sont encore. Il y a peu de lacunes dans cette vaste correspondance, et c’est, presque jour par jour, qu’on peut y suivre les événements de sa vie, et l’histoire des églises réformées de France.

Un petit problème se pose ici cependant. Dans la série n° 1, le volume I, le volume XVIII et l’année 1752 manquent complètement. Perte très malheureuse ! car ce dernier volume contenait certainement de précieux détails sur la grande émigration. Il y a plus. Les lettres adressées à Antoine Court ne vont que de 1718 à 1755, et ses réponses de 1720 à la même date. Or, il a commencé son ministère en 1715, et il n’est mort qu’en 1760. Que sont donc devenus 1° les lettres où se trouvaient relatés les faits de 1715 à 1718, 2° les lettres de 1752, 3° celles de 1755 à 1760, 4° les volumes I et XVIII de la série n° 1 ?

Il est aisé de répondre à la première question. Dans les premiers temps, Antoine Court, jeune encore et au début de son ministère, ne conservait ni les lettres qu’il recevait ni celles qu’il écrivait, lettres d’ailleurs en petit nombre. Il n’y ajoutait aucune importance. Il ne gardait, et sans beaucoup de soin, que les papiers auxquels l’intérêt du moment donnait quelque valeur. On les possède encore. Il les réunit plus tard et les plaça sans ordre dans le reste de sa collection. Ce ne fut que trois années après, en 1718, qu’il comprit l’importance de ces lettres écrites au jour le jour et qu’il les conserva. On ne peut donc rechercher ce qui n’a jamais existé.

Il n’en est pas de même des volumes I et XVIII, des deux volumes où sont relatés les événements de 1752, et de ceux enfin qui allaient de 1755 à 1760.

Pour les quatre premiers, nous sommes disposé à croire qu’ils furent égarés, après la mort d’Antoine Court, de la façon suivante. Lorsque Court de Gébelin partit pour Paris, il mit en dépôt à la Bibliothèque de Genève, par l’entremise de M. de Végobre, la plupart des manuscrits de son père, mais il en laissa quelques-uns à son ami Charles de Loïs (Louis de Chéseaux ?). A sa mort, la Bibliothèque acheta bien les manuscrits laissés en dépôt, mais elle ne put probablement, malgré les stipulations de l’achat, entrer en possession de ceux que Charles de Loïs possédait. C’est ainsi que furent distraits de la collection ces quatre volumes, égarés aujourd’hui, qui laissent une déplorable lacune dans la correspondance.

[Le 19 mars 1785, deux mois après la mort de Court de Gébelin, les directeurs de la Bibliothèque proposèrent « d’acquérir ceux des manuscrits de feu M. Court père, qui se sont trouvés dans l’hoirie de M. Court de Gébelin son fils. Comme ces manuscrits contiennent beaucoup de choses relatives à l’histoire des églises réformées de France, l’avis fut de consacrer 15 louis d’or à cette acquisition. » Assistaient à cette séance : Binet, Scholarque, de Lescale, Vernet, Perdriau, Sarrasin, Diodati, Sénebier, de Lubières, de Tournes. — La sœur de Court de Gébelin, Pauline Solier, (V. tome II, chap. xiii) accepta l’offre des directeurs, et voici son reçu : « Je soussigné, ai reçu de M. le pasteur de Lescale, en sa qualité de recteur de l’Académie

de Genève, quinze louis neufs, que messieurs les directeurs de la Bibliothèque publique de cette ville ont bien voulu me donner pour acquérir à ladite Bibliothèque la propriété des divers livres, mémoires et manuscrits relatifs principalement aux protestants de France et provenant de feu mon père et de feu mon frère, lesquels livres, mémoires et manuscrits avaient été mis en dépôt par mon dit frère et par M. de Végobre dans ladite Bibliothèque, à laquelle je m’engage de faire parvenir, s’il m’est possible, les deux volumes que mon frère retira à Paris, ainsi que ceux qui peuvent être restés entre les mains de M. Charles de Loïs, à qui mon frère avait confié tous ses effets en quittant Lausanne. En foi de quoi, j’ai signé à Genève, le 1er juin 1785. Pauline Solier. »]

Quant aux autres, voici ce que nous supposons. En 1755, Court vit subitement mourir sa femme et cette mort lui causa une vive douleur. Découragé, il remit peu à peu à son fils Court de Gébelin le soin des églises de France. Court de Gébelin dépouilla l’immense correspondance, fit les réponses, remplaça insensiblement son père, mais il était lui-même accablé de travaux, étant professeur au séminaire de Lausanne et ramassant déjà des matériaux pour son grand ouvrage : le Monde primitifa. Selon toutes les probabilités, il ne classa plus les lettres qu’il recevait, et ne prit pas copie de celles qu’il envoyait. D’un côté, les unes s’entassèrent, de l’autre, il ne resta pas trace des siennes. En 1760, son père mourut. Il lui succéda comme représentant des églises et vint bientôt s’établir à Paris. Il quitta à Genève tous les papiers classés de son père ; il emporta ceux qui n’étaient pas en ordre, et dont il pouvait avoir besoin, puisqu’ils concernaient les dernières années. Mais il avait à mener de front ses intérêts propres et ceux des églises, son Monde primitif et les délicates négociations pour obtenir la tolérance. Pouvant à peine suffire à la tâche, il laissa les lettres de ses correspondants s’amonceler, et continua à ne pas écrire les minutes des siennes. Le désordre s’accrut. C’est au milieu de ses mille affaires, de ses soucis et de ses embarras pécuniaires, que la mort vint le surprendre. La Bibliothèque de Genève ne put ainsi acheter ni les lettres de 1755 à 1760 qu’il avait emportées, ni celles qu’il avait reçues pendant son séjour à Paris. Or, que devinrent-elles ? Rabaut Saint-Etienne, dans une lettre du 8 août 1784, écrit : « M. de Beaulieu, président du Musée, travaillant à ranger les papiers de M. de Gébelin, a mis de côté ceux des pasteurs du royaume ; ils seront adressés à M. Moulinié à Lyon, pour les distribuer ; sans cette précaution, ils auraient passé dans les mains du ministère. » On ne sait si Moulinié les reçut. Peut-être furent-ils classés par liasses et expédiés aux provinces d’où ils étaient venusb. Peut-être encore furent-ils vendus et dispersés. Quoi qu’il en ait été, les lettres de 1755 à 1760 furent égarées avec les autres papiers de l’agence protestante.

a – C’est ainsi que les lettres de Court qu’il nous a conservées pour les années 1753, 1754, 1755, sont très rares. Elles ne forment qu’un seul volume !

b – Ne serait-ce pas une de ces liasses qu’a découverte récemment M. Arnaud ? (V. Bullet., t. XXI, p. 151.) Nous serions assez disposé à le croire.

Cette perte est très grande et irréparable. Là, pour ne citer que deux faits, devaient se trouver tous les renseignements relatifs au premier agent des églises, Lecointe de Marcillac, et les lettres assurément échangées entre Antoine Court et Voltaire, pendant le séjour de ce dernier à Lausanne.

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