Histoire de la restauration du protestantisme en France

8. Requête des religionnaires au Régent (1716)

Ecrite d’Alais en Sévaines, ce 16 juillet 1716.

Monseigneur et Souverain Prince,

On se flatoit en France qu’après la mort du Roi les Religionnaires trouveroient du soulagement tant sur ce qui concerne la Religion que sur bien d’autres pésents fardeaux a eux imposés. En effet, il sembloit paroitre un grand soulagement par raport aux reclamations du puple qui ne savoit par ou exprimer la joye excessive qu’il avoit et qu’il a en effet de voir un si digne Prince, couronné de hautes vertus et d’une sy grande naissence, qui aloit être leur m(aître) absolu et leur pere commun par le pouvoir de la Régence a luy légitimement due. C’était alors que presque tout le monde croyoit avoir liberté de leur religion, ou du moins que, s’ils n’avoient un exercice public et permis de l’ordre du souverain, qu’à tout le moins on les laisserait libres entre eux de prier a leur manière, de s’assembler ou de ne pas s’assembler en ne fesant tort ny mal à quy que ce soit.

Cette esperance avoit noury plusieurs personnes pendant tout le temps que V. A. R. a gardé le silence, mais lorsquelle a bien voulu s’en expliquer, et qu’on a vu que c’étoit tout autrement, c’est alors qu’on a cessé de se flatter, et malgré le penchant que chacun a a aimer et a vouloir professer la Religion, ils vous ont voué une prompte obéissance ; je suis très assuré qu’on ne vous dira pas autrement. Mais, Monseigneur, qu’il vous plaise de considérer la perte commune du Royaume par rapport à la desertion des Religionnaires aux pays étrangers, les sommes d’argent qu’ils y ont fait passer, et le nombre des familles qui l’a suivi. Il y a longtemps que personne n’avoit daigné sortir de France a cause de leurs belles espérances, mais a présent qu’on vous voit expliquer différemment de leurs pretentions, on n’a plus rien a espérer, on ne se flate plus. Ainsi, Monseigneur, chacun fait son possible pour sortir sa conscience de prison ; l’un s’en va aujourd’hui et l’autre demain. Depuis que l’on sait votre intention, plusieurs ont formé leur dessein. Ce pauvre peuple affligé ne travaille pour la plus part qu’a chercher de moyens pour ramasser de l’argent pour se retirer. Chacun joue son role, le mieux qu’il peut, pour en avoir. Les uns atendent d’être payés de certaines dettes, les autres atendent la récolte des denrées, et les autres vont chercher à faire un établissement attendant l’occasion de venir quérir leurs familles. J’ai resolu d’en avertir V. A. R. non par autre motif que celui de la charité et du zele que j’ai toujours eu pour le bien de l’Etat, étant bien persuadé qu’on ne vous avertit pas de cela, a cause que ceci n’eclatte que fort peu, parce que rarement s’en va-t-il deux familles à la fois du même endroit. Cependant, ces frequentes saignées, quoi que douces et légères, ne laissent pas d’affoiblir le malade, au lieu que selon toute aparence il ne tardera pas longtemps a le nombre en venir plus grand.

L’exactitude que Mgr le Duc de Roquelaure et Mgr de Rouillé ont fait paroître a exécutter vos ordres et les porter eux mêmes presque dans toutes nos villes et en plusieurs villages, les publiant au peuple, avec cette belle éloquence si ordinaire a ces Seigneurs, nous ote tout espoir de jamais plus recouvrer liberté. Nous n’avons pu que le croire, et en étant entièrement persuadés plusieurs ont formé le dessein de chercher leur liberté ailleurs, excepté de ceux qui, par un pur attachement aux biens de cette vie, font la résolution de rester en France et prendre l’habit de temporiseur. Mais de quelle manière qu’on se l’imagine, ces premiers sont avec eux, et ces derniers aussi raport a leur hipocrisie.

Enfin, Monseigneur, je me regarderais comme le plus heureux du monde si je pouvois être sur de vous représenter ces choses, sans motiver votre mépris ni votre colère. Je prie V. A. R. de me rendre justice et de vouloir connoitre mon intention toute vouée au bien public. Je ne suis pas si stupide que je ne connoisse bien en moi une effronterie trop grande, mais l’eloge de V. I. et R. P. par ceux qui en savent faire le portrait, m’obligea passer par-dessus toutes sortes de raisonnements.

L’on vous représente comme le Hercule de lumières, comme la vertu et la justice même, doué de toutes sortes de grandes qualités ; l’on ne fait pas difficulté de croire que vous pardonnerez les défauts d’un infirme, et que vous écouterez les raisons de tous vos sujets, et que en temps et en lieux V. A. R. leur rendra la justice qui leur est due. Sur ces considerations, j’ai cru pouvoir vous prier de la part de plusieurs de vos peuples, que puisqu’il n’est pas vôtre plaisir qu’ils fassent profession de leur religion sous quel pretexte que ce soit, que du moins vous ayez la charité de les regarder comme des fidèles sujets, sans les différencier des Catholiques, et sans les charger de logements de troupes, et de toute sorte de contributions, ainsi qu’on a accoutumé de faire depuis plus de trente ans.

Nous sommes tous nés dans un même climat, nous avons tous humé le même air, nous avons le cœur également français ; prenez donc a pitié, Monseigneur, notre longue souffrance. Jetez vos yeux de compassion sur tant de miserables qui plutot se feroient trainer sur la clée que de vous être infidèles. La souffrance a été assez rude et assez longue ; il est temps de nous regarder a pitié pour ne pas nous charger plus que les autres sujets ; et d’ailleurs que, par se bienfait qui ne vous put produire que mille louanges et mille bénédictions, plusieurs et peut-être tous ceux qui ont projette de se retirer de France, voyant cette généreuse libéralité, changeront de sentiments, tout ira mieux dans l’ordre, plusieurs murmures finiront, tous les gens un peu elevés feront leurs efforts pour faire connoitre a la petite populace la force de leur devoir. Tout le monde est persuadé que s’il vous étoit bien connu de la manière qu’on nous a traités et qu’on nous traite encore, que V. A. R. y remédierait. L’on vous en prie, Monseigneur, d’une manière a fendre le cœur le plus dur. Ha ! plut à Dieu que l’echo de la Providence fit retentir les plaintes de ces pauvres gens jusques a vos oreilles, avec les bénédictions qu’on vous souhaite et que toutes leurs intentions vous fussent bien connues ! Personne ne douterait nullement de votre protection, nous ne serions plus regardés d’œil d’iniquité, en un mot, nous ne serions plus en abomination aux Puissances, nous n’aurions plus besoin de lamanter ny de vous crier grace et miséricorde, vous sauriez nos desseins et notre bonne volonté, et, connaissant nos bons cœurs, vous n’auriez nulle peine a nous accorder vos faveurs, V. A. R. ne nous ne regarderait plus indigne. Nous prions le Seigneur qu’il vous en veuille éclaircir par sa grace, et qu’il vous fasse toucher au vif le tort qu’on nous a fait. C’est une grace toute particulière que je demande a mon créateur, et a V. A. R. celle de me permettre de lui souhaiter toutes les bénédictions du ciel et le plaisir de voir ses desseins accomplir et qu’elle ne soit point fachée qu’avec un profond respect et une entière soumission à sa volonté, je me dise d’un cœur le plus sincère du monde, de votre Haute et Royale Grandeur le plus humble, fidele serviteur et sujet.

P. S. J’ai omis de dire qu’à mes précédentes j’avois employé tous mes soins pour déguiser mon caractère, j’ai agi a celle ci sans aucun fard, et je voudrais du fonds de mon ame avoir le bien d’être propre pour donner ma vie, s’il étoit besoin, pour l’honneur de votre service, que, après ce que je dois à mon Dieu, serait le plus grand de mes desirs, non pas pour la gloire ni par aucune vanité mondaine, a dessein de me tirer de la poussière, mais pour vous offrir un serviteur qui sans doute est l’un des plus sincères et des plus fidèles homme du monde. Les suites vous en convaincrait, si vous ordonnez la moindre perquisition pour savoir qui vous a adressé celle ici dattée du jour cy dessus, en m’assurant de votre part de ne rien craindre.

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