Histoire de la restauration du protestantisme en France

9. Lettre de Pictet à Mademoiselle Simart, sur les Inspirés

Comme j’ai fait, Mademoiselle, un petit ouvrage sur ces pretendus Inspirés, qui s’imprime actuellement, ma lettre ne sera pas aussi longue quelle l’aurait été, parce que vous verrez dans mon petit livre ce que je pense sur cette matière. Je serai bien faché qu’on put me reprocher de ne pas reconnaître l’esprit de Dieu quand il se manifeste, mais je ne veux pas aussi attribuer à l’esprit de Dieu ce qui ne me parait pas digne de lui. Je conviens que ce que vous voyez est extraordinaire, mais il ne faut pas croire que tout ce qui est extraordinaire procède de l’esprit de Dieu. Il y a eu des temps ou une certaine folie saisissait certaine personne qui leur faisait faire mille choses surprenantes. Je conviens que toutes les bonnes choses que ces gens disent sont tirées de la parole de Dieu, qui est l’ouvrage du S. Esprit, mais il ne s’ensuit pas que ceux qui les disent soient inspirés ; cela signifie seulement qu’ils ont une heureuse mémoire pour retenir ce qu’ils ont apris. Aussi vous avez sagement remarqué qu’ils disent bien quand ils scavent bien, qu’ils disent mal quand ils ne le scavent pas, preuve évidente que c’est là l’effet de leur mémoire et non du S. Esprit, car si c’était le S. Esprit, ils diraient toujours bien. Il n’est pas surprenant qu’il y ait des gens qui se plaisent à entendre la parole de Dieu et a la lire ; c’est une grâce de l’esprit de Dieu qui fait qu’ils trouvent leur délice dans ces livres sacrés, mais il ne s’ensuit pas que ces gens soient inspirés.

On peut aisément concevoir que de gens qui ont entendu parler d’Inspirés, qui ont regardé comme de personnes inspirées ceux qui exhortaient les autres à la repentance, s’imaginent être inspirés eux même et que leur imagination échauffée a pu causer des mouvements extraordinaires, semblables a une extase, on a bien veu d’autres effets de l’imagination aussi étranges.

Je conçois aisément qu’une papiste, qui entendit dire de belles et bonnes choses dans une assemblée qu’elle ne croyait point entendre, aye connu de l’horreur pour la religion Romaine. Dieu ayant donné l’efficace à la parole qu’elle avait entendue dans l’assemblée, c’est un effet de la grâce de Dieu, mais il ne s’ensuit pas qu’elle aye été inspirée ; plusieurs papistes ont été ainsy convertis sans être inspirés, comme l’on prétend qu’il y en ait. Quand on entend la pure parole de Dieu et qu’on va ensuite à la messe on y trouve une grande différence, on est etonné que les hommes ayent si fort corrompu les vérités celestes.

Il ne faut pas s’étonner si cette fille, qui avait entendu ces prétendus Inspirés, parle comme si c’etait Dieu qui leur disait : mon enfant ! ou a qui l’on l’avait dit, ait eu l’imagination frapée et ainsi echauffée.

Cette fille avait pu entendre de gens qui disaient que c’etait une grande folie de courrir après les richesses, que Dieu ferait bien voir la vanité de ces choses et qu’il chatierait les hommes, mais il ne fallait pas etre inspiré pour deviner cela. Plusieurs personnes qui ne se croyent pas inspirées ont tenu le même langage. Dieu fait si souvent de telles menasses aux hommes qu’on n’en scaurait douter. On peut predire des malheurs aux pécheurs aussi corrompus qu’il y en a aujourd’hui, et etre assuré qu’ils arriveront. Il y a longtemps que nous denonçons le jugement de ce Dieu aux hommes et nous voyons avec douleur l’accomplissement de ces menasses.

Tout ce que cette fille dit de bon a été dit plusieurs fois.

Ces grands mouvements, ces convulsions peuvent etre l’effet d’une imagination trop émue qui cause de grands bouleversements dans le corps.

Pour juger si ce qu’elle dit des peuples de langages inconnus qui doivent arriver et massacrer tout procede de l’esprit, il faut attendre l’evenement. Ainsi, Mademoiselle, pour ne faire aucune demarche dans cette affaire, ne vous hâtez pas d’attribuer au S. Esprit ce qui peut etre de cause naturelle.

Ne dites pas non plus que ces gens sont poussés par le Démon, car quoique le Démon pourrait faire toutes ces choses, afin de tourner en ridicule notre religion, cependant il n’est pas toujours nécessaire de le faire intervenir partout.

Defiez-vous un peu de ce qu’on vous dit, car on pourrait vous tromper, et même de votre jugement, car quand on est avec des gens qui ont ces pensées d’inspiration, tout ce qu’on voit faire surprend et etonne.

Proffitez de toutes les exhortations qu’on fait à la repentance. Elles sont toujours salutaires. Mais ne croyez pas légèrement que ceux, qui font des choses que vous n’avez point vues, sont inspirés.

Je ne vois pas pourquoy Dieu inspirerait (plutôt) une servante papiste autrefois bigotte que d’autres personnes pieuses.

Je ne vois pas non plus pourquoy des gens, qui vous annoncent la parole de Dieu, comme vous l’a annoncée M. Court qui m’a remis votre lettre, ne seraient pas plutôt des Inspirés que des gens qui parlent a batton rompu. Rien n’est si dangereux que de donner dans ces visions. Dès qu’on se croit inspiré, on prend tout ce qu’on débite pour des doctrines du S. Esprit. Quels desordres n’ont pas causé en tout temps ces sortes de gens, mais vous verrez cela dans mon livre d’une maniere plus étendue.

Je suis de tout mon cœur et avec une parfaite estime, Mademoiselle, votre très humble et obeissant serviteur.

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