Conférences sur le Fils de l’homme

IV
Le Ressuscité

Si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine.

(1 Corinthiens 15.17)

Nous avons laissé le Fils de l’homme expirant sur l’instrument de son supplice. Après la mort, les funérailles. Un homme riche, qui avait connu Jésus, obtint du gouverneur l’autorisation de prendre soin du corps. On le descendit aussitôt de la croix, on l’enveloppa d’un linceul, on le transporta dans un sépulcre neuf, et on scella sur lui la pierre qui devait le recouvrir jusqu’à la fin des temps.

Est-ce là tout ?

Les historiens à qui nous devons ces détails, sont unanimes à nous raconter comment, le surlendemain, quelques personnes étant venues au sépulcre, trouvèrent la pierre renversée et le corps disparu. En même temps, celui qui avait été mort se montrait vivant à ses anciens disciples. Dans plusieurs apparitions successives, il se faisait reconnaître d’eux, mangeant avec eux, leur donnant ses plaies à toucher. Il les quittait enfin, après leur avoir dit : Vous me servirez de témoins tant à Jérusalem que dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre.

On vit alors se répandre cette poignée d’hommes simples, sans crédit, sans éloquence, sans prestige d’aucune sorte, qui devaient, par quelques paroles sorties de leur bouche, faire éclore le règne de Christ et changer la face du monde. Ils n’ont qu’un texte à leurs discours : Jésus est ressuscité, et nous en sommes témoins. C’est là ce qu’ils prêchent à Jérusalem, à Corinthe, à Rome ; c’est là ce qu’ils annoncent aux Gentils comme aux Juifs, aux esprits les plus raffinés comme aux plus grossiers barbares. C’est là le mot nouveau, le mot créateur de leur apostolat. C’est là ce qui en fit l’originalité, la force, mais il faut le reconnaître aussi, dans certains cas, le scandale.

Suivons saint Paul dans la métropole de la culture antique, à Athènes. Il nous fournira sans doute, l’occasion d’admirer son tact infini et son exquise urbanité, au milieu des concitoyens du sage Socrate et du divin Platon, mais il ne changera rien pour eux au fond même de son enseignement. Conduit à l’Aréopage, appelé à développer la doctrine qu’il apporte, devant la plus polie et la plus docte assemblée de l’univers, il y proclamera que Dieu a donné une preuve certaine de l’auguste mission du Fils de l’homme sur la terre, en le ressuscitant des morts. Jusque là on l’écoute avec curiosité, avec faveur même, mais aussitôt qu’il en vient à parler d’un mort ressuscité, on l’interrompt. Les uns se moquent, et les autres lui disent : Nous t’entendrons là-dessus une autre fois.

Mes frères, ces Athéniens sont aujourd’hui dans l’Église, et je ne crois pas m’aventurer au-delà des limites de la stricte vraisemblance, en présumant qu’il s’en trouve jusque dans cette assemblée. — Le grand et profond débat qui agite la pensée chrétienne dans les jours où nous sommes, tend, avec une logique irrésistible, à se concentrer toujours davantage sur le fait même qui a servi de base à la prédication apostolique. Il y a dans nos troupeaux, une catégorie nombreuse d’esprits cultivés, curieux, se piquant de bon sens plus que de profondeur, qui prêteraient volontiers une oreille attentive à l’enseignement chrétien, à condition qu’on le débarrassât de tout ce qui le distingue d’une philosophie de bon ton, et en particulier du récit de la résurrection de Jésus-Christ. Il y a, d’autre part, parmi les docteurs chargés d’enseigner le christianisme, une nouvelle école d’écrivains de mérite, se faisant gloire de leurs sympathiques relations avec les représentants les plus admirés de la littérature philosophique contemporaine et de la science à la mode, qui, les uns nient ouvertement, les autres rejettent simplement dans l’ombre, le fait miraculeux que l’Église chrétienne a considéré jusqu’ici, à tort ou à raison, comme la base fondamentale de sa foi et de ses espérances. Hâtons-nous de le déclarer : il n’y a pas ici de railleurs ni d’impies ; il n’y a pas même, dans les intentions du moins, d’adversaires. On veut être chrétien, on veut demeurer chrétien, mais on demande : Faut-il donc pour cela croire à la résurrection ? Ne peut-on pas se passer de croire i la résurrection ?

La situation ainsi définie, a certainement un avantage. Elle est parfaitement claire. Mais d’autre part, il est impossible de se dissimuler, qu’elle vient se résumer tout entière en une question de la plus extrême gravité. Veuillez en effet considérer, et cela préalablement à toute discussion, que si le christianisme a été introduit dans le monde, par la prédication de la résurrection de Jésus-Christ ; s’il s’est, au moment de sa première expansion et de sa première ferveur, presque exclusivement formulé dans la foi à la résurrection de Jésus-Christ ; s’il n’a nulle part jusqu’ici existé, indépendamment de la foi à la résurrection de Jésus-Christ, points de faits qui ne sauraient être contestés, on peut à bon droit se demander si, la foi à la résurrection de Jésus-Christ venant à disparaître, le christianisme lui-même, ou ce qu’on a jusqu’à présent désigné sous ce nom, ne disparaîtrait pas en fait avec elle. — C’est là, me direz-vous, une question d’expérience. — Je ne le nie pas. Dieu veuille seulement que jamais elle ne se résolve par cette voie-là. En attendant, nous allons essayer de la soumettre à l’épreuve du raisonnement.

La résurrection de moins, que reste-t-il de l’enseignement chrétien ? — Jésus-Christ, direz-vous, son admirable figure, son admirable histoire, son admirable parole, qui en feront toujours un personnage unique, et en possession d’un exclusif empire sur les cœurs et sur les consciences.

Je crois qu’en parlant ainsi, on obéit encore sans s’en douter, et par une heureuse inconséquence, au prestige incomparable que le Jésus ressuscité exerce depuis dix-huit siècles sur cette portion de l’humanité qui invoque son nom. Vous n’empêcherez pas qu’on n’en ait pas connu d’autre jusqu’à ce jour, et que celui qu’on a connu jusqu’ici ne soit une puissance établie, qu’il serait insensé de méconnaître et avec laquelle, quoiqu’on fasse, il faut toujours compter. Mais ce prestige même ne le doit nullement grandir à vos yeux, car ce n’est après tout qu’un prestige de mensonge, une inconcevable surprise de l’opinion, une immense auréole d’illusion à dissiper. Ne nous laissons donc pas trop prévenir en sa faveur. Et, simple mortel, puisque vous le réduisez là, gardons-nous de lui appliquer d’autres mesures que celles qui conviennent à de simples mortels.

Je prends sa parole : un fait me frappe d’entrée. Il avait prédit sa résurrection. C’est le contre-poids dont il accompagnait toujours la prédiction de sa mort violente, quand il l’annonçait à ses disciples : Le Fils de l’homme, leur disait-il, sera livré entre les mains des méchants qui le feront mourir, mais il ressuscitera le troisième jour. Est-ce un imposteur qui les trompe ? Est-ce un enthousiaste qui se trompe lui-même ? Dans l’un et l’autre cas ce n’est déjà plus le personnage exclusivement admirable que vous pensiez conserver.

Comment lui-même est-il entré en possession de cette foi à sa résurrection ! Je n’ai pas à vous l’expliquer. Le fait est qu’il y croyait, comme il croyait à la tragique catastrophe qui devait si promptement, en apparence, anéantir l’espoir de ses premiers efforts. Je ne le conclus pas seulement de quelques paroles détachées, quelque précises qu’elles soient ; je le conclus de tout l’ensemble de son enseignement et de tout l’ensemble de sa conduite. C’est un fait auquel on n’est pas assez attentif, en effet. Jésus ne parle et n’agit nullement, pendant sa courte carrière, comme un homme qui ait du temps devant lui, mais bien invariablement comme un homme dont les jours sont comptés. Les prévisions de la vieillesse, même celles de l’âge mûr, lui sont aussi étrangères, pour le moins, que la prévision d’une mort prochaine l’est d’ordinaire au commun des mortels. Mais d’autre part, jamais il ne parle et jamais il n’agit comme un homme pour qui la mort soit un terme, toujours comme un homme pour qui la mort est un point de départ. Il construit sa vie sur sa mort, il en attend tout, il y rapporte tout, il y renvoie tout. Ce qui est la disparition des autres sera sa grande, sa vraie manifestation à lui. Il se comporte toujours en victime du lendemain, en un mot, mais ne se comporte pas moins en ressuscité du surlendemain. Or, vous représentez-vous que tout cela ait eu pour but de tromper ? De tromper qui ? — Tout le monde ? — Dans quel intérêt ? — Nous tombons dans l’absurde.

Mais alors, que nous reste-t-il à faire de lui, sinon un esprit ébloui, un sublime rêveur marchant, dans la plus naïve illusion, au devant de la plus colossale déception qui fût jamais ? — Qu’est-ce que la vie, mes frères, à la sinistre clarté des prévisions de la mort ? Un jeu d’enfants qui construisent des châteaux de sable au bord de la mer, pour les voir démolir par la lame. Nous ouvrons nos yeux à la lumière, notre esprit à la science, notre cœur à l’amour ; nous devenons, pour un jour, le centre des choses ; nous nous formons un idéal, nous allons y toucher… un peu plus tôt, un peu plus tard, arrive la vague du Grand Océan qui passe son niveau et remet tout en poussière. « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais… » Catastrophe, contradiction, mystère ! — Je promène mon regard sur la brève carrière du Fils de l’homme, si monumentale dans ses étroites limites, et je n’y vois plus qu’un exemple, entre tous mémorable, de ces renversements capricieux. A quoi bon cette conception idéalement belle de l’existence ? A quoi bon ce luxe de sainteté, de souffrances, de sagesse, de grandeur ? A quoi bon, surtout, ce rêve sublime d’une résurrection qui devait couronner si merveilleusement son œuvre et assurer son règne ? Tout cela pour s’évanouir à son tour dans les impénétrables ténèbres de l’impénétrable avenir ! Tout cela pour échouer sur les rivages de l’inconnu, ni plus ni moins obscurément que la dernière des créatures humaines ! Oh ! mélancolique dénouement d’un si éclatant début ! A toutes nos expériences, déjà si décevantes, il en ajoute une qui les dépasse toutes et qui proclame, pour la millième fois, mais cette fois avec un retentissement suprême, l’inexorable arrêt de notre néant : — Il y eut un homme plus grand, plus sage que tous les autres, un homme sans erreur et sans péché, un homme, par les pensées de son esprit, les sentiments de son cœur et les exemples de sa vie, digne de porter la couronne dans le royaume de ses semblables et d’exercer sur eux un empire universel d’amour, d’admiration, d’adoration ; il y eut un homme unique entre les hommes, enfin, il y eut un homme parfait… il y eut un homme !… et cet homme-là, devant la mort, a fait son naufrage et disparu, comme nous ferons un jour le nôtre pour disparaître à notre tour. Je sais quelqu’un qui remporte ici une victoire, mais ce n’est pas lui. La mort l’attache finalement à son char comme un illustre captif, et il n’aura servi, après tous les autres, qu’à relever de toute sa grandeur, la sinistre majesté du Roi des Epouvantements, en lui fournissant le plus splendide ornement de son triomphe.

Tel Christ, tel christianisme.

Retranchez de nos convictions la foi en un Sauveur ressuscité, que reste-t-il ? — La foi à l’immortalité ? — Hélas ! Elle n’était pas déjà si solidement assise. Vous lui portez un coup dont, je le crains, elle ne se relèvera pas. La foi à l’immortalité, vague expression de ce besoin de vivre qui est au fond de l’âme humaine, qui a fait l’objet d’une espérance, d’une présomption chez quelques rares génies, la foi à l’immortalité s’est si profondément identifiée partout où le nom de Jésus-Christ a été proclamé, avec la foi en la résurrection de Jésus-Christ, que lui ôter cet appui, c’est lui ôter tout appui.

Il est vrai que Jésus a parlé de l’avenir avec un accent de certitude et d’autorité que nul n’avait osé prendre avant lui. Mais que me font ses affirmations, démenties par sa propre défaite ? Que sait-il, après tout, que montre-t-il, ou que démontre-t-il de plus que les autres ? Ah ! s’il s’est trompé si grossièrement lui-même dans ses prévisions de triomphe et de résurrection, qui me garantit qu’il ne se soit pas trompé pareillement dans ses prétendues révélations du ciel et de la maison du Père qui est au ciel ? Il a beau dire, la mort est là, pour lui comme pour nous, avec son voile de mystère et ses abîmes ténébreux. Devant cette impénétrable et muette inconnue, je puis admirer sa confiance, je me sens plus attiré, je l’avoue, par le doute si sincère d’un Socrate, qui, s’entretenant avec ses amis des chances probables d’une immortalité, prolongeait à dessein son discours afin de s’enivrer lui-même, comme il disait, des espérances qu’il tirait de son propre fond. Malgré lui, après lui, la question reste entière dans ses mêmes termes. Il faut encore raisonner, toujours raisonner, creuser son esprit, analyser l’infini, s’enivrer d’espérance ou de désespoir, regarder dans le gouffre jusqu’à l’illusion ou jusqu’au vertige.

Consultez vos savants, vous qui mettez la science dans le sanctuaire. Demandez-leur ce qu’ils ont appris de la poussière de leurs livres et de la fumée de leurs veilles. Ils vous répondront que le problème de la destinée humaine n’a fait pour eux aucun pas depuis Socrate, qui ne lui avait fait faire aucun pas sur ses devanciers. Puis, traduisez cette conclusion devant le tribunal du bon sens populaire. Croyez-vous qu’il dira : Depuis que la raison se consume en efforts pour percer le voile de l’avenir, elle n’a rien découvert ni rien démontré ; donc, il devient de jour en jour plus vraisemblable qu’il y a pour l’homme une immortalité ? Non certes ! il dira, vous le savez bien : Donc cela devient de plus en plus improbable, et dans le doute, le plus sûr est de s’abstenir. Mauvais raisonnement, j’en demeure d’accord, car dans une pareille matière, n’y eut-il qu’une chance contre mille, on devrait encore jouer sur cette chance. Mais dites, si vous l’osez, que ce raisonnement n’est pas celui qui se formule avec une irrécusable spontanéité dans le fond des cœurs ! Ne savez-vous donc pas que la terre est là, que les passions sont là, que mille spécieux prétextes, et mille excuses complaisantes sont là ? Ne savez-vous pas que la convoitise a aussi sa logique, trop souvent triomphante de l’évidence elle-même, combien plus de l’incertitude démontrée ?

Et si vous m’enlevez cette base, ne sentez-vous pas que tout s’ébranle en attendant peut-être que tout s’écroule avec elle ? S’il faut voir vaciller dans les régions de l’avenir les grandes lignes de la conviction chrétienne, ne les sentez-vous pas à bien plus forte raison, par un inévitable contrecoup, se briser et s’évanouir dans la région provisoire d’un présent qui ne sait plus ce qu’il lui reste à prévoir ? J’en appelle à la promptitude et à la justesse de votre esprit, pour saisir comme au vol ces vastes traînées de conséquences que le temps me manque à dérouler devant vos yeux. — Le christianisme est la religion du Dieu personnel : mais, ce Dieu personnel, comment le retiendrez-vous désormais ? Ne vous semble-t-il pas le voir perdre pied sur terre et remonter peu à peu dans les hauteurs de je ne sais quelles ténèbres sourdes et muettes, où toute figure vivante se décompose, se trouble et disparaît ? — Le christianisme est la religion de la réconciliation : de la réconciliation de qui, avec qui, par quel moyen, désormais ? Réconciliation !… vain mot qui n’a plus de sens, à moins qu’il ne signifie, comme on commence à le faire entendre, le désillusionnement d’une âme qui croyait avoir encore besoin d’une réconciliation, parce qu’elle croyait encore aller tomber après la mort entre les mains d’un Dieu vivant. — Le christianisme est la religion de l’amour et du dévouement : que devient l’amour d’un Dieu qui se glace et s’en va ? Ne le sentez-vous pas qui se glace déjà, pour s’en aller bientôt tout à fait avec son objet lui-même ? — Que devient ce faisceau d’affections spirituelles, qui n’avait pour lien que l’amour du Dieu qui est amour ? — Que devient le sacrifice de soi-même ? — Quel sens prend cette parole : Perdre sa vie pour la retrouver, qui résume à elle seule toute l’essence pratique du christianisme ?

Je sais bien que dans le monde de l’esprit, pas mieux que dans celui de la matière, la nuit ne succède au jour sans crépuscule. Longtemps encore une lumière diffuse éclaire nos campagnes, après que le soleil a disparu de l’horizon. Et si par impossible, la foi au Christ ressuscité devait disparaître aujourd’hui de la chrétienté, ce n’est pas demain que la chrétienté subirait les extrêmes conséquences de ce deuil irréparable. Nos enfants, nos petits-enfants, nos arrière-petits-enfants peut-être, se souviendraient encore de la lumière qui nous éclaire et dont ils recueilleraient avec anxiété les derniers reflets expirants. — Mais que cela ne vous fasse pas illusion, cette ouverture fermée sur le monde à venir… c’est la nuit ! Cette brèche une fois relevée au mur de notre prison… c’est la mort qui a ressaisi sa proie ! Elle nous maîtrise de nouveau, nous serre, nous étouffe de son étreinte inexorable dans ce sombre cachot, disons mieux, dans ce cercueil de plomb qui s’appelle la terre.

Un Christ sans résurrection ! Un christianisme sans ressuscité !… Savons-nous bien ce que c’est ?

La Providence a quelquefois des enseignements d’autant plus admirables, qu’elle semble les faire jaillir à point nommé des rapprochements les plus inattendus. Dans les jours même où notre monde privilégié de l’Occident voit, à l’ombre de la science, se répandre des doutes sur le fait et sur l’importance de la résurrection de Jésus-Christ. Dieu (qui est aussi le maître de la science, mes frères, et la conduit dans ses plus audacieuses recherches comme dans ses plus fières conquêtes, avec la patience éclairée d’un père qui fait épeler leur leçon mot après mot à ses enfants), Dieu, dis-je, a jugé opportun de tourner les regards de cette même science vers les profondeurs ténébreuses de l’Orient, pour lui faire découvrir et mettre en pleine lumière la touchante, la noble, mais amèrement triste figure d’un homme qu’on a quelquefois comparé à Jésus-Christ, et qui ferait presque le pendant de Jésus-Christ, en effet, à la réserve de sa résurrection et des clartés infinies que projette en tous sens ce véritable point de lumière. — Connaissez-vous l’histoire de Boudha Cakyamouni ?

C’était un fils unique de roi, né pour les grandeurs, au sein des grandeurs. Beau, sage, adoré des siens, il avait reçu en partage l’âme la plus tendre et la plus généreuse. De bonne heure il se sentit si profondément affecté par le spectacle des maux qui travaillent l’humanité, qu’il conçût et mûrit en lui-même la pensée de se dévouer au relèvement de ses semblables. Il quitta donc la maison de son père, renonça au trône dont il était l’héritier, et se dépouilla de tout pour étudier, en les partageant, les misères qu’il se proposait de soulager. Bien vite son regard s’arrêta sur cette suprême calamité de la mort, dans laquelle toutes les autres semblent se résumer et se confondre comme dans leur centre mystérieux. Il s’efforça d’en sonder les profondeurs et de lui arracher ses secrets. Il lui demanda un Dieu ; il lui demanda une espérance ; il lui demanda une loi ; il lui demanda quelque chose enfin pour l’âme humaine. Mais elle lui répondit : Il n’y a rien ! — En conséquence, il conclut que la souveraine sagesse consiste à s’affranchir de tout pour se rendre égal à rien. Lui-même, il alla de ses mains déterrer un mort, lui enleva son suaire et s’en fit un manteau.

Pendant des années, retiré dans des lieux inaccessibles, il se livra à l’étrange occupation d’étouffer en lui-même tout désir, toute volonté, toute affection, tout souvenir, toute crainte, toute espérance, et jusqu’au sentiment intime de sa propre existence. Quand il crut enfin y être parvenu, il réunit quelques disciples, les initia aux procédés de contemplation par lesquels il arrivait graduellement jusqu’à se donner à lui-même le vertige de l’anéantissement. Puis, avec eux, dans le cours d’une vie admirable de renoncement, de douceur, de persévérance, il parcourut le monde prêchant et évangélisant. Il avait trouvé, il propagea cette célèbre doctrine du néant, qui pèse encore aujourd’hui sur trois cent millions de créatures humaines, et qui n’est pas autre chose, mes frères, que la mort, la mort elle-même s’emparant du cerveau de l’homme, pour s’y loger à l’état d’idée fixe.

Quand, après cela, je relis cette parole de saint Paul : Si Christ n’est pas ressuscité, notre foi est vaine, un frémissement s’empare de moi. Je regarde !… et il me semble voir ces épaisses ténèbres se lever de là-bas pour recommencer de nouveau la conquête du monde ; et notre foi, notre chère, notre précieuse, notre sainte foi, notre foi bien-aimée, lâcher pied peu à peu, reculer lentement, pour s’évanouir à la fin devant les ombres victorieuses du trépas. Notre foi ! notre foi ! la paix de nos mourants, le relèvement de nos désolés, notre foi serait-elle donc destinée à périr ? A Dieu ne plaise ! mes frères. Mais au frisson qui a couru dans vos veines, vous avez senti, je m’assure, que nous débattons aujourd’hui le véritable point vital. — Ah ! n’avons-nous pas tous déjà donné trop de gages à la mort ?… Rappelez-vous !… C’est de nos femmes et de nos enfants qu’il s’agit ! Nous combattons pour nos foyers ! — En avant ! à l’ennemi ! Il est temps de nous mesurer avec lui.

Qu’avez-vous à objecter à la doctrine de nos saints livres ? Quels sont vos motifs pour douter de la résurrection de Jésus-Christ ?

En réponse à cette provocation, je crois voir apparaître, en premier lieu, la grande et grave figure de la science. Elle a le front chargé de pensées et les bras chargés de livres. — Nous avons examiné les récits qui rapportent le prétendu fait de la résurrection de Jésus-Christ, nous dit-elle, et nous avons trouvé que l’authenticité de ces récits est douteuse. Ils peuvent être d’une date de quelques années postérieure à celle que leur assigne votre tradition, ce qui jette un premier discrédit sur leur valeur historique. De plus, nous avons reconnu que ces récits ne sont pas strictement identiques. Ils mentionnent des détails divers, même des détails qui paraissent se contredire sur plus d’un point. Nous avons conclu de tout cela, que vos récits pourraient, à la rigueur, n’être que l’expression tardivement rédigée de légendes et de mythes qui se seraient graduellement formés dans l’esprit naïf des premiers chrétiens. Quoiqu’il en soit, il y a là un problème historique des plus encombrés, des plus compliqués, des plus difficiles. Nous examinons, nous comparons, nous critiquons. La pioche à la main, nous déblayons le terrain. Plus tard nous amasserons des matériaux. Et si jamais il nous arrive de construire un solide édifice….

Vos arrières-neveux nous devront cet ombrage.

– Merci ! — Jusque là nous estimons qu’il est sage de suspendre tout jugement.

Rassurez-vous, mes frères, je ne me propose point de vous donner le spectacle d’une passe d’armes scientifique. Cette redoutable figure qu’on vient d’évoquer devant nous, soit-disant pour engager la lutte, n’est qu’un épouvantail. Nous n’avons rien à démêler avec elle. Laissons la science attaquer et se défendre sur le terrain de la science. Elle trouvera là ses pareils pour lui tenir tête. Aux livres, ce sont des livres qu’il faut pour adversaires. Grâces à Dieu ! il s’en fait, et le combat n’est pas encore près de cesser faute de combattants. Qu’il nous suffise d’apprendre que de ce côté-là les nouvelles sont bonnes, après tout. Les triomphes de la vérité n’appartiennent pas toujours à ceux qui font le plus de bruit.

Figures à part, la question qui nous occupe n’est aucunement une question d’érudition ; c’est une pure question de bon sens, de jugement, parfaitement à la portée des pauvres laïques comme nous, mes frères. Remarquez bien, en effet, qu’il s’agit, pour les besoins de notre étude ; du fait pur et simple, du fait réduit à sa plus élémentaire expression : Jésus-Christ est-il ressuscité, oui ou non ? — Or, le fait repose sur une évidence, entièrement, mais entièrement à l’abri des atteintes de la science, et cela de l’aveu de la science elle-même, et de la science la plus avancée. N’oubliez pas que la résurrection de Jésus-Christ était prêchée, en effet, bien avant la rédaction de ces textes sacrés, dont on discute la date et dont on épluche les détails. Les lettres écrites par les apôtres, et qui n’étaient qu’une des formes de leur prédication, en font foi, et prennent ici une valeur apologétique irréfragable. Bossuet avait déjà relevé cette considération. Les seules Épîtres de saint Paul, dit-il avec un suprême bon sens, « les seules Epîtres de saint Paul, si vives, si originales, si fort du temps, des affaires et des mouvements qui étaient alors, et enfin, d’un caractère si marqué, ces Epîtres, dis-je, reçues par les Églises auxquelles elles étaient adressées et de là communiquées aux autres Églises, suffiraient pour convaincre les esprits bien faits, que tout est sincère et original dans les écritures que les apôtres nous ont laissées. » Cela est vrai d’une manière générale, mais combien particulièrement, pour ce qui touche le point particulier de la résurrection de Jésus-Christ !

Dans le nombre des Epîtres du grand apôtre, j’en prends une seule, jusqu’ici absolument incontestée, la première aux Corinthiens. Je l’ouvre au quinzième chapitre, et voici ce que j’y lis : Paul rappelle à ses lecteurs le ministère qu’il avait exercé au milieu d’eux et l’enseignement par lequel il les avait amenés à la foi. Je vous ai enseigné avant- toutes choses, leur dit-il, ce que j’avais aussi reçu : savoir que Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures, et qu’il a été enseveli et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures, et qu’il a été vu de Céphas, ensuite des douze ; qu’après cela, il a été vu de plus de cinq cents frères en une seule fois, dont la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont morts. Depuis, il se fit voir à Jacques, et ensuite à tous les apôtres. Et après tous, il m’est aussi apparu comme à un avorton. Que dites-vous de ce passage, détaché entre cent autres que j’aurais pu choisir indifféremment ? Ne trouvez-vous pas dans ces paroles, écrites vingt ans après l’événement, par un témoin oculaire, invoquant le témoignage de plus de cinq cents autres témoins oculaires à lui connus, ne trouvez-vous pas, dis-je, dans ces paroles, la confirmation la plus simple, la plus naïve et la moins discutable, de tout ce que nous rapporte le livre des Actes sur la prédication des premiers apôtres ? Cela est si évident, mes frères, que tout le monde en tombe d’accord. — « Voici toute la prédication des apôtres, » dit un des écrivains les plus savants, mais aussi les plus avancés dans la voie des négations, « Voici toute la prédication des apôtres, le livre des Actes nous l’a conservée sous sa forme élémentaire et naïve : — Vous avez tué le Christ, disent les disciples aux Juifs, mais Dieu l’a tiré du tombeau pour l’élever au ciel. » — Vous l’entendez, c’est là toute la prédication des apôtres !

N’ai-je pas raison de vous dire, après un pareil aveu de la science, que nous pouvons fort bien ici, pour un moment, nous passer de la science et la prier poliment de se retirer. Elle nous a mis elle-même en possession d’une donnée indiscutable dont nous saurons fort bien sans elle, apprécier la valeur et tirer les conclusions. Il ne faut pour cela qu’un peu d’attention et de rectitude, toutes choses dans lesquelles le dernier membre du troupeau, un marchand, un homme du monde, sont aussi capables et aussi compétents que le critique le plus consommé, ou le plus profond philosophe. Allez, savants, à vos affaires et laissez-nous aux nôtres. Nous vous rappellerons si nous avons besoin de vous. Mais par dessus tout, ne venez pas nous jeter aux yeux, la poudre de vos bibliothèques, car nous nous sentons très nettement en face d’une de ces choses que Dieu, dans sa sagesse, a jugé bon de rendre évidentes avant tout à la droiture et à l’honnêteté, dont nous avons autant que vous.

Il s’agit pour nous, en définitive, de constater l’évidence historique d’un fait. Afin de rendre notre enquête aussi impartiale que possible, ne nous préoccupons pour le moment, ni du caractère surnaturel, ni du caractère religieux du fait qu’il s’agit de constater. Débarrassons notre jugement de toute prévention, de quelque nature qu’elle soit. Nous sommes en face d’un événement des temps passés, qui n’intéresse pas plus notre personnage et n’engage pas plus notre responsabilité, que telle bataille célèbre ou tel illustre haut fait de l’antiquité.

Toute certitude historique repose sur deux bases, qui sont : le témoignage d’une part, de l’autre le rapport de l’événement à la trame de l’histoire contemporaine. Ainsi, vous croyez que Jules-César a été assassiné dans le sénat de Rome, au moment où il allait s’emparer du pouvoir absolu. Pourquoi ? D’abord, parce que vous savez que les historiens qui nous ont rapporté cette fin tragique ont pu en tenir le récit de témoins oculaires, dont vous n’avez pas de motifs pour suspecter la sincérité. Ensuite, parce que cette mort violente et prématurée s’enchaîne si naturellement à toute la trame de l’histoire contemporaine, et se lie si étroitement à tout ce qui l’a suivie comme à tout ce qui l’a précédée, que vous vous trouveriez en face d’une véritable énigme si, par impossible, vous veniez à apprendre purement et simplement que César n’a point été assassiné. — Demander d’un fait accompli d’autres preuves que celles-là, serait proprement absurde. Mais en retour, quand ces deux preuves se rencontrent avec un certain degré d’autorité, elles se corroborent mutuellement, et produisent dans l’esprit, une conviction d’évidence qui met, d’ordinaire, l’événement au-dessus de toute discussion.

Or, appliquez cette double enquête au fait de la résurrection de Jésus-Christ.

Avons-nous ici des témoins dignes de foi ? — Poser la question, c’est la résoudre. Rappelez-vous le passage de saint Paul, que je vous citais tout à l’heure. « Il faut, dit Pascal, que les apôtres aient été ou trompés ou trompeurs. »

Trompés ? — quand cinq cents personnes, — mettez-en douze seulement, — quand douze personnes, saines de corps et d’esprit, dans les conditions de la plus froide observation, que dis-je ? sous l’empire de la préoccupation la plus contradictoire à l’événement, quand ces douze personnes vous disent qu’elles ont vu, et non seulement cela, mais qu’elles ont entendu, et non seulement cela, mais qu’elles ont touché ; quand elles accompagnent leur témoignage de récits tels que ceux de la conversion de Thomas ou du relèvement de Simon-Pierre, si elles ne disent pas vrai, c’est qu’elles mentent !

Trompeurs ? — Mes frères, vous les connaissez, vous les avez vus à l’œuvre, ce sont vos frères, vos amis. Mettez la main sur votre conscience. Leur donneriez-vous un démenti ? Ah ! le sénat romain tout entier, nous attestant la mort de César, ne vaudrait pas pour la gravité du caractère, un seul de ces hommes, à la fois si candides et si éprouvés, qui s’appellent Simon-Pierre, saint Jean, saint Jacques, qui poussent la sincérité jusqu’à nous raconter leurs doutes avant de nous raconter leur foi, et qui prennent soin de nous informer eux-mêmes de leurs petitesses et de leurs préjugés, avant de nous rendre témoins de leur grandeur et de leur héroïsme. D’ailleurs, suspecter leur bonne foi, n’est-ce pas insulter à leur martyre ? On en rougit, vraiment. « J’en crois, dit encore ici Pascal, des témoins qui se font égorger. » Direz-vous que le martyre n’est pas toujours une bonne raison de la vérité d’une doctrine ? Je le dis comme vous. On donne sa vie pour l’erreur comme pour la vérité, quand on a pris l’erreur pour la vérité. Mais il s’agit ici de toute autre chose que de la vérité d’une doctrine ; il s’agit purement et simplement de la sincérité d’un témoignage, il s’agit de savoir si les apôtres sont morts en flagrant délit d’imposture, il s’agit de savoir s’ils ont enduré tous les labeurs de l’apostolat et tous les supplices du martyre pour l’absurde entêtement de répéter envers et contre tous, et toute leur vie durant, qu’ils avaient vu de leurs yeux ce qu’ils n’avaient point vu ; il s’agit de savoir si Paul avait menti toute sa vie, quand il disait, dans la prévision de son dernier supplice : Je suis livré en cause pour la résurrection, mais je ne fais cas de rien, pourvu que j’achève avec joie ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur ; il s’agit de savoir si tous ensemble formaient la résolution de mentir toute leur vie, quand menacés de la mort pour leur témoignage, ils répondaient par la bouche de saint Pierre au Sanhédrin qui ne leur demandait que de se taire : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, et nous lui sommes témoins de ces choses. »

Je le demande à tout homme sincère, à tout esprit bien fait, y a-t-il dans l’histoire de l’humanité, un second fait attesté comme la résurrection de Jésus-Christ ?

Mais, nous l’avons dit, le témoignage même le plus digne de foi, n’est pas la seule condition de l’évidence historique. Un fait, quelque fidèlement rapporté que nous puissions le supposer, n’acquiert le plus haut degré de confirmation que lorsqu’il nous apparaît si étroitement lié à tout ce qui le précède et à tout ce qui le suit, qu’il en soit l’explication la plus naturelle et la plus concordante. Les matériaux de l’histoire sont comme les matériaux d’un édifice. Ils se supportent et se supposent réciproquement, de telle façon que l’un venant à manquer, tous les autres s’en ressentent : ils réclament l’absent. C’est encore un témoignage, si vous le voulez ; à côté du témoignage libre et intelligent des hommes, c’est le témoignage aveugle et nécessaire des choses. Après la preuve, c’est la contre-épreuve. Or l’événement qui nous occupe a-t-il reçu cette confirmation ? Tient-il sa place dans l’histoire comme un anneau dans une chaîne ? S’accorde-t-il à ce qui le précède et à ce qui le suit ?

Ne puis-je pas dire encore ici que poser la question, c’est la résoudre ? La place de la résurrection de Jésus-Christ dans la série des événements qui l’accompagnent ! mais c’est la place de la clef dans une voûte ; mais c’est une place telle, que tout se soutient avec elle dans un équilibre parfait et que tout demeure en suspens si vous l’ôtez.

Soit que vous considériez les prophéties de l’Ancien Testament, leurs paradoxes étranges, leurs inexplicables contradictions, cette mystérieuse antithèse d’un serviteur de l’Eternel tour à tour retranché de la terre des vivants, et prolongeant ses jours ; jouissant du travail de son âme, après avoir mis son âme en oblation pour le péché ; enlevé, par la force de l’angoisse et de la condamnation pour fonder ensuite le règne universel de la justice et de la paix ; — soit que vous considériez la vie même du Fils de l’homme, cette étonnante confiance dans la puissance de sa mort pour en faire triompher tous les plans, cette incompréhensible préoccupation, qui lui fait invariablement ajourner l’avènement de sa gloire et l’accomplissement de ses promesses, au lendemain de son apparente défaite, par une réelle descente au sépulcre ; — soit que vous considériez la défaillance définitive des disciples, et leur définitif relèvement dans le court espace de ces trois jours, qui semblent porter à eux seuls tout le poids de la destinée ; ou le prodige de l’établissement du Christianisme, par la simple proclamation du Fils de l’homme déclaré Fils de Dieu en puissance par sa résurrection d’entre les morts : — sans ce fait royal et primordial, chacun de ces faits ne devient-il pas un problème, et chacune de ces rangées de faits une rangée de problèmes insolubles. Supprimez la résurrection de Jésus-Christ : vous avez décapité l’histoire, et je ne dis pas seulement l’histoire contemporaine, mais en vérité, l’histoire universelle aussi.

Je n’en finirais pas, vous le sentez, si je voulais entrer dans le détail de cette démonstration. C’est du travail pour vos loisirs. Je ne relève qu’un seul point à titre d’exemple, et pour vous faire toucher au doigt la valeur de cet ordre de considérations. Je demande comment vous expliquerez la foi des premiers prédicateurs de l’Evangile, si vous enlevez à cette foi, la base du fait même qu’elle proclame. Vous ne m’accuserez pas d’exagérer les termes du problème par un artifice de déclamation : j’emprunte à un contradicteur, à l’un des hommes égarés le plus loin, dans les voies perdues de la science négative, mais aussi les plus sincères, les plus sérieux, les plus profondément respectables dans son égarement mêmea, l’exposition que voici :

a – Scherer.

« Qu’on se représente, si l’on peut, l’état d’esprit dans lequel dut être jetée la petite troupe des croyants au soir du supplice de leur maître au lendemain de la crucifixion. Quel coup ! Quel naufrage des illusions ! Ils avaient placé tout leur espoir dans le doux prédicateur de la Galilée. Jésus s’était donné pour le Messie et ils avaient naïvement cru à ses déclarations. Ils étaient persuadés que leur maître ferait tôt ou tard reconnaître son caractère, et qu’il serait porté avec acclamation sur le trône. Ils voyaient en lui un monarque caché, l’héritier des magnifiques promesses de Dieu. Encore quelques semaines, un peu de patience, et ils assisteront aux merveilles des derniers temps. Eux-mêmes participeront aux honneurs.… Et bien ! non, tout cela n’était qu’un rêve ! Le moment critique est venu, et Jésus a succombé. Au lieu d’un trône, il a trouvé le supplice. Il est mort. Vous l’entendez, mort, celui qui devait vivre éternellement. Il a péri sur une croix comme le dernier des criminels, celui qui devait régner dans une gloire plus qu’humaine. Mais c’est peu, qu’il soit mort. Ses promesses ont péri avec lui. Pauvres disciples ! Il vous avait trompés ! Heureux, encore, si vous n’aviez perdu que le chef de la famille, l’ami, le maître vénéré. Mais vous n’avez pas même la consolation de le poursuivre de votre admiration ; vous êtes réduits à douter de lui, vous êtes condamnés à le regarder comme un insensé, qui sait ? comme un imposteur ! »

« Trois jours se passent, jours de trouble, d’une honte dont rien ne donnera jamais l’idée. Trois jours se passent, et tout est changé ! Ces mêmes hommes, hier encore confondus et désespérés, doutant du Christ, de Dieu, d’eux-mêmes, ces mêmes hommes ont tout retrouvé. Ils croient de nouveau et plus que jamais. Ils triomphent. Rien désormais ne pourra les ébranler. Et cette conviction qu’ils portent en eux, ils sauront la faire partager. Ecoute, ô monde ! Tu a vas entendre l’accent d’une persuasion si indomptable, qu’il faudra bien que tu finisses par y céder et par te soumettre. »

« Tel avait été le lendemain de la crucifixion, et tel en fut le surlendemain. Que s’était-il donc passé entre ces deux moments ?… » Ici le bon sens se sépare de notre auteur, et répond avec nous : — La Résurrection, le fait réel, palpable, dûment constaté, l’éclatant miracle de la Résurrection. — Que mettrez-vous à la place ? — Ecoutez : Je cite de nouveau. « Il paraît que le tombeau dans lequel le corps de Jésus avait été déposé fut trouvé vide.… Ce sépulcre vide devint comme un trait de lumière pour les disciples. » — En bon français : Ils rêvèrent debout et ils crurent ! Ils rêvèrent… et « rien désormais ne pourra les ébranler ! » Ils rêvèrent… « Ecoute, ô monde. Tu vas entendre l’accent d’une persuasion si indomptable, qu’il faudra bien que tu finisses par y céder ! » — Dans ces esprits « confondus, désespérés, doutant du Christ, de Dieu, d’eux-mêmes.… » un trait de lumière devant un tombeau vide !… et « ils ont tout retrouvé. Ils croient de nouveau plus que jamais. Ils triomphent ! » — C’est ce trait de lumière qui les conduira à la conquête du monde ! — C’est ce trait de lumière, qui ne s’éteindra pas dans des flots de sang ! — C’est ce trait de lumière qui balaiera les temples des faux dieux, qui fera trembler les rois sur leurs trônes, qui changera le cours de l’histoire, décidera de la destinée des nations, jugera le monde et renouvellera la face des choses ! — C’est ce trait de lumière, enfin, qui traversera les siècles et parcourra l’univers d’orient en occident, élevant l’homme jusqu’au ciel, et laissant tomber sur la terre, comme le moindre de ses bienfaits, la merveille si vantée de la civilisation moderne ? — Que vous semble de ce trait de lumière, mes frères ?

J’ai vu l’astre du jour, arrivé au terme de sa carrière, descendre à l’horizon pour se coucher dans son sépulcre séculaire. La nature qui le contemple, y paraît aussitôt comme entraînée avec lui. Des ombres immenses se répandent sur sa face inanimée, engloutissent bientôt les plus hauts sommets des plus hautes montagnes, et vont rendre visibles les ténèbres elles-mêmes, dans les profondeurs de « ces espaces inconnus, dont le silence éternel effraie la penséeb. » En même temps, sur la terre, toute vie semble tarie dans sa source. L’homme lui-même s’engourdit et s’endort. C’est la nuit, sœur de la mort, où personne ne peut plus rien faire. — Mais voici bientôt sur le versant opposé de l’abîme, une première cime qui se dore, puis une autre, puis une autre… Que se passe-t-il là-bas ? Voyez dans le lointain ces escadrons de lumière, qui descendent en grossissant sur le flanc des montagnes, fondent dans les vallées, s’y répandent comme un flot ; puis tout à coup, jusqu’aux extrémités de la terre, envoient leurs rapides messagers pour faire retentir en tout lieu cet appel : Réveillez-vous, réveillez-vous, vous qui dormez, et vous levez d’entre les morts ! La terre ouvre les yeux, tous les bruits recommencent, l’homme sort de sa demeure, les oiseaux chantent, la création sur toute la ligne entonne de nouveau l’hymne joyeux de la vie… Qu’est-il donc survenu ? — Rien ! vous dis-je… Peut-être un rêve de lumière, dans votre esprit, pendant que vous dormiez.… Tout ce que vous voudrez enfin.… excepté le lever du soleil ! Je dis, mes frères, que la résurrection de Jésus-Christ, déjà attestée par des témoins dignes de toute confiance, est en outre ce qui explique le mieux, l’enchaînement historique des circonstances au milieu desquelles elle se produit. Je dis, en conséquence, qu’elle réunit au plus haut degré les deux seules conditions qui établissent pour l’esprit l’évidence d’un fait du passé. Je dis enfin, que s’il s’agissait de tout autre événement du genre de ceux dont se composent les annales de l’humanité, nous tiendrions pour un esprit fermé, obstiné et désespérément revêche, quiconque se refuserait à cette conclusion.

b – Pascal.

Pourquoi donc ne voulez-vous pas croire à la résurrection de Jésus-Christ ? — Parce qu’il s’agit d’un événement surnaturel. Ah ! voilà le grand mot enfin prononcé : Surnaturel ! Quand on a dit ce mot-là, on n’écoute plus rien, on a répondu à tout. Je le crois vraiment bien, c’est une fin de non recevoir qu’on oppose à toute démonstration, qu’on jette même au besoin à la face de l’évidence. — Encore faut-il se rendre compte de ce qu’on fait, quand on manie de pareilles armes.

Y a-t-il ou non, un ordre surnaturel par delà ce que nous appelons, dans le bégaiement de notre ignorance, l’ordre naturel ? Ce n’est rien moins que la plus grave de toutes les questions que l’esprit de l’homme ait agitées, depuis qu’il y a un esprit de l’homme pour agiter des questions, car c’est ici la question même de la religion. Qui dit religion dit relation, relation entre qui ? je vous prie, si ce n’est entre l’ordre inférieur et dépendant de la nature, et cet ordre supérieur et souverain que l’esprit conçoit au-dessus de la nature. Cet ordre supérieur est-il une réalité, objet possible d’une religion quelconque ? Se prête-t-il à de libres interférences avec les faits de l’ordre naturel, condition indispensable de toute religion déterminée ? Ce sont là des débats dans lesquels je ne m’engagerai pas. Le cerveau des métaphysiciens s’y est usé, tandis que l’humanité dans son ensemble unanime, se prononçait pour une affirmative qui a son autorité. Je dirai seulement pour consoler ceux qui ne reculent pas devant l’admission d’un fait surnaturel, qu’ils sont en bonne, et docte, et ferme compagnie. Il y à de grands esprits, n’en doutez pas, dans le nombre de ceux qui reconnaissent au Père des esprits le pouvoir d’opérer des miracles, ce qui signifie des choses admirables, même la résurrection de son Fils. — Y a-t-il, d’autre part, des esprits tellement grands, des génies tellement profonds, qu’ils se soient démontré à eux-mêmes l’immobilité nécessaire du très Haut, qu’ils aient réduit le Créateur des mondes à n’être plus, comme on l’a dit, que le « serviteur contemplatif des œuvres de sa droite ? » C’est possible. Après tout, il ne s’agit ici ni de grands esprits ni de profonds génies ; il s’agit de nous, mes frères, qui appartenons tout simplement à la bonne moyenne des êtres pensants. Si nos raisons ne sont pas extraordinairement profondes, ce sont les nôtres, cependant, et à ce titre, les seules qu’ils nous convienne d’examiner et de peser attentivement. Quelles sont-elles ? Pourquoi disons-nous que l’admission d’un fait surnaturel, tel que la résurrection de Jésus-Christ, nous répugne ?

Nous le disons par infirmité de foi, de foi au sens le plus vulgaire de ce mot, de foi à tout ce qui s’élève au-dessus du terre à terre, de foi à l’invisible, de foi proprement. Enfermés dans la prison de nos cinq sens, nous faisons de ce que nous voyons ou touchons, la mesure de ce qui est. Nous prenons notre infiniment petite, notre microscopique expérience de tous les jours, pour la norme des choses. Nous appelons cela le bon sens… Oui ! si c’est le bon, celui qui mène droit en bas. C’est ce bon sens que Vinet appelle quelque part, « l’inspirateur des moments les plus vulgaires de la vie, et le génie des parties les plus lourdes de la société. » C’est le bon sens du charbonnier, enfin, si vous voulez. On parle de la foi du charbonnier. Croyez-vous donc qu’il n’ait pas aussi son incrédulité, le charbonnier ? Allez lui dire que la terre tourne autour du soleil : il lèvera les épaules. Ne voit-il pas le contraire ? Allez lui raconter qu’à trois mille lieues d’ici, il y a des gens qui se promènent avec le ciel sous leur tête et la terre sur leurs pieds : il se fâchera probablement, et vous demandera si vous le prenez pour un niais. — Nous sommes tous plus ou moins entachés de ce vice, mes frères ; nous ne voulons croire que ce que nous pouvons voir… Eh bien ! soit. Seulement, il faut aller jusqu’au bout. Et prenez garde qu’il ne vous arrive ici de couler le moucheron en avalant le chameau…

Vous n’avez pas vu la résurrection de Jésus-Christ. Ni moi non plus. Donc, nous n’y croirons pas. Voilà qui est dit. Mais, d’autre part, il est entendu que nous croyons ce que nous voyons. Or, je m’en vais maintenant vous dire la chose que je vois et que nous voyons ensemble de nos deux yeux. Regardez bien.

Jésus a conçu un plan. Il en a entrepris l’exécution, et cette exécution a été couronnée du plus éclatant succès. Afin de vous rendre cette grande chose plus sensible, j’en emprunte le développement à un illustre orateur. C’est Bourdaloue qui parle, citant à son tour saint Augustin. — « Quand Jésus-Christ, à l’âge de trente ans, après une vie obscure et cachée, voulut enfin se manifester au monde et y vint prêcher une loi toute nouvelle, que prétendait-il ? La chose étonnante ! Il ne s’agissait pas moins que de faire un monde tout nouveau ; que d’abolir des superstitions plus anciennes que la mémoire des hommes, à qui les peuples tenaient tout leur bonheur attaché, qu’ils conservaient comme l’héritage de leurs pères, pour lesquelles ils combattaient avec plus d’ardeur que pour leurs propres vies, dont ils faisaient les fondements de leurs républiques et de leurs états. Il fallait les faire renoncer à des erreurs, que l’usage presque de tous les siècles avait autorisées ; qui se trouvaient appuyées de l’exemple de toutes les nations, qui favorisaient tous les intérêts de la nature, et dont la possession ne pouvait être troublée sans troubler presque l’univers. Voilà ce qu’il fallait ruiner. Mais qu’était-il question d’établir ? Une loi austère et incommode, une foi aveugle, une religion contraire à toutes les inclinations de la chair. Quelle entreprise ! Et que fallait-il pour en venir à bout ? Il fallait s’exposer à avoir toutes les puissances de la terre pour ennemies, la sagesse des politiques, l’autorité des souverains, la cruauté des tyrans, le zèle des idolâtres, l’impiété des athées. »

« Si donc, demande là-dessus saint Augustin, Jésus-Christ, avant de faire sa première démarche et d’en venir à l’exécution de cette grande affaire, en eût communiqué avec un des philosophes de ce temps-là, homme de sens et de conseil, et qu’il se fut ouvert à lui, déclarant en outre qu’il ne voulait user d’aucun des moyens que fournit la prudence humaine et ne faisait aucun fond ni sur le crédit, ni sur les richesses, ni sur la doctrine, ni sur l’éloquence ; ce philosophe n’eût-il pas traité cette entreprise de chimère et de folie ? Voilà cependant ce qui s’est fait, et c’est la merveille que nous contemplons ! »

Qu’est-ce à dire maintenant ? — Seul dans le secret de sa pensée, avec une habileté surhumaine et une puissance de prévision qui confond, il a réussi à faire crouler toutes les anciennes superstitions indulgentes et naïves que l’humanité s’était données à elle-même, et qui abritaient complaisamment à la fois ses aspirations, ses inclinations et ses vices, pour leur en substituer une autre, calculée avec un art infini, s’emparant cette fois des âmes, les façonnant à son gré, les attirant d’abord comme une séduction, pour les maîtriser ensuite comme un joug. — Il a réussi à faire croire en un Dieu vivant, libre et saint, dont les décrets bizarres et capricieux doivent être de tous adorés comme les arrêts indiscutables de la sagesse même, et dont il faut bénir encore la bonté dans les derniers abîmes de la détresse et de la souffrance. — Il a réussi à faire croire en une vie à venir, inaugurée par un jugement terrible, conduisant à des éternités de joies ou à des éternités de peines, à laquelle, par conséquent, tout doit être ici-bas immolé. — Il a réussi à imposer une vie de renoncement et de sacrifices aussi contraires à la nature, pour le moins, que tous les prodiges appelés miracles. — Il a réussi à commander pour sa personne même un respect inouï, à se faire attribuer un pouvoir surnaturel, et jusqu’à se faire adorer à la suite d’une prétendue résurrection. — Enfin, pour l’établissement de cette doctrine, il a fait couler le sang, des flots de sang, des fleuves de sang, et quel sang ?… le sang de ses disciples, mes frères !

Mais un Dieu vivant, mais une vie à venir, mais une rétribution, mais une résurrection : tout cela ce sont des choses qui ne se voient pas, qui ne se sont jamais vues, de vains fantômes, par conséquent, sur lesquels il faut souffler aussi pour les faire disparaître avec le reste. Vous ne pouvez croire que ce que vous pouvez voir ! Que voyez-vous maintenant dans le succès de l’entreprise de Jésus-Christ ? Vous n’y pouvez voir qu’une seule chose désormais : Vous n’y pouvez voir que la plus colossale et surtout la plus cruelle mystification. L’humanité est victime de l’entreprise la plus ténébreuse, conduite avec la perfidie la plus consommée. Elle se débat sous l’étreinte de je ne sais quelle puissance du dehors, d’un véritable vampire, qui s’est attaché à son âme pour la dévorer ; c’est un rêve qui l’obsède, qu’elle ne peut plus dissiper et auquel en attendant, dans sa naïve illusion, elle sacrifie tout. Oh ! que ne lui a-t-elle pas déjà sacrifié !

Je ne sais quelle impression cette vue (car c’est bien ici la vue, encore une fois, la vue elle-même, la vraie vue, la vue de la vue), je ne sais quelle impression cette vue produit sur votre esprit. Quant à moi, prêtant l’oreille à cette parole dont la naïve profondeur me déchire : Si nous n’avons d’espérance en Christ que pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes, je me retourne involontairement vers la figure de Jésus-Christ, et je la vois se revêtir insensiblement d’une grandeur nouvelle égale à la première, mais qui cette fois me glace et m’épouvante. Ce n’est pas un imposteur que j’ai devant mes yeux… c’est le génie.… qui sait ? peut-être le Dieu de l’Imposture. — Ah ! n’a-t-il pas fait assez de victimes ? Réveillez-vous, vous qu’il séduit encore. Je mets devant vos yeux les soupirs, les larmes, le sang qu’il a déjà arrachés à tant de millions de nos frères, et levant l’étendard d’une sainte révolte, avec vous je m’écrie : S’il en est temps encore, écrasons l’infâme !

Vous ne voulez pas du surnaturel de la lumière ? Fort de cette évidence qui place l’âme humaine devant Jésus-Christ, dans l’alternative d’une haine absolue ou d’une totale adoration, je vous saisis, je vous entraîne, et ne vous permets plus de vous arrêter que dans le surnaturel des ténèbres !

Vous vous récriez, je le sais. Vous me redemandez comme votre bien que je vous enlève, maints lambeaux de la doctrine de Jésus-Christ, de sa morale, de son œuvre, que vous prétendez conserver, quoiqu’ils ne subsistent plus devant le principe qui vous fait rejeter sa résurrection. — Vous ne voulez pas croire ce que vous n’avez pas vu : mais cependant vous voulez bien croire en un Dieu personnel que vous n’avez jamais vu. — Vous ne voulez pas croire ce que vous n’avez pas vu : mais cependant vous voulez bien croire en une vie à venir que personne ici-bas n’a jamais vue. — Vous ne voulez pas croire ce que vous n’avez pas vu : mais cependant vous voulez bien croire en un plan de sagesse et de bonté, contredit tous les jours par ce que vous avez vu. — Vous voulez croire toutes ces choses, et vous arguez de son caractère surnaturel pour contester un fait, surnaturel il est vrai comme tout le reste, mais dont en raison même de son importance capitale en regard de tout le reste, Dieu a voulu qu’à l’exclusion de tout le reste, il vous fût attesté par les témoins les plus dignes de foi, et ne vous arrivât qu’étayé sur les bases de la certitude historique la plus convaincante !… Oh ! la rare, l’admirable, la sublime inconséquence !

Qui sait, qui sait s’il ne faudrait pas dire ici que vous ne voulez pas croire, précisément parce que vous avez peur de trop voir, ou de trop bien voir ? En tout cas, il est impossible que vous ayez échappé à cette impression qui transperce l’âme comme une épée : — Si Christ est ressuscité… Dieu ! c’est Dieu ! Je l’ai vu ! Il a passé ! Il était là ! — Oui, mes frères, si Christ est ressuscité, Dieu est là, il est en Christ, il a regardé, il a éclairé, j’ai presque dit il a jugé la terre ! — Si Christ est ressuscité, la mort n’est plus qu’un voile, l’homme revit derrière, l’avenir l’attend, plus de doutes, plus d’incertitudes, partant plus d’excuses ! — Si Christ est ressuscité, toutes les paroles de Christ ressuscitent avec lui. Elles éclatent en véritables paroles de vie en dehors et au-dessus du temps. Passent les cieux et la terre ! les paroles de Christ ne passeront plus désormais ! — Si Christ est ressuscité, enfin, c’est le monde invisible tout entier qui s’éclaire ; c’est, après l’obscure clarté des étoiles, l’éclat du soleil qui resplendit soudain !

Or, nous n’aimons pas la trop grande lumière pour nos âmes. Le demi-jour nous convient. Un peu de clarté pour l’hôte invisible qui se souvient en nous de l’immortalité, mais un peu de ténèbres aussi, pour le vulgaire habitant de la terre, qui veut jouir à son gré de la vie pendant qu’il la tient ! — Un peu de clarté pour les prudentes prévisions du lendemain ; mais aussi un peu de ténèbres, pour les pressantes convoitises d’aujourd’hui ! — Il y a quelqu’un en nous qui mourrait dans des ténèbres absolues ; mais il y a quelqu’un aussi en nous qui mourrait dans la complète lumière. Et si nous ne voulons pas que notre âme périsse, nous ne le voulons pas non plus… du péché ! — Je l’ai nommé ! le péché ! c’est-à-dire la convoitise des yeux, la convoitise de la chair, l’orgueil de la vie, l’amour du monde frivole ou grossier, délicat ou vulgaire ; le péché, c’est-à-dire la terre, le temps, le moi, le présent siècle vivant en nous ; le péché, c’est-à-dire l’intérêt, l’ambition, la paresse, l’esclavage de l’habitude ou l’esclavage de l’opinion. Le péché ! Voilà ce qui ferme nos yeux à l’évidence et notre cœur aux plus touchants appels ; voilà ce qui jette incessamment des ombres sur les points trop brillants de la vérité ; ce qui tantôt rabaisse l’auguste figure du Christ, tantôt la relègue dans des hauteurs inaccessibles, toujours l’écarté, l’efface, travaille à la rendre insaisissable, de peur d’être saisi par elle. — Voilà ce qui, après avoir tenté vainement dans le cours des siècles de lui enlever tour à tour la couronne de sa divinité et l’humble chaussure de son humanité, se ravise aujourd’hui et concentre tous ses efforts sur le point précis de sa résurrection, sentant très bien que, lui contester cette gloire à la fois divine et humaine, c’est mettre à bas tout le reste. Le péché, le péché, notre vieux séducteur, voilà l’ennemi que je cherchais depuis longtemps. Je le découvre à la fin, je le vois, je le reconnais.

Mais devant cet adversaire bien armé, maintenant que je l’ai démasqué, je vous l’avouerai, mes frères, je me sens tout à coup comme frappé d’impuissance, toutes mes forces s’écoulent, toutes mes ressources s’épuisent ; il n’y a plus ni raisonnements dans mon esprit, ni ressort dans mes facultés, plus de paroles, plus d’accents, mes bras tombent, et je me déclare vaincu ! — Et quand, au lieu du faible champion de la vérité qui après avoir combattu selon ses forces, vous fait ici l’aveu de sa défaillance, vous auriez devant vous, dans cette chaire, un des maîtres de la parole, que dis-je ? le génie même de la parole, arrivé à ce point, en face de cette dernière rencontre, il faudrait bien qu’il rendît aussi les armes et commençât franchement sa retraite. Quand le péché est dans la place, mes frères, il n’y a pas d’homme, il n’y a pas d’ange, il n’y a pas de puissance au ciel ni sur la terre, capable de convaincre une raison et de persuader un cœur l’un et l’autre si bien gardés. Dieu seul alors peut continuer la lutte, Dieu seul peut remporter la victoire. Nous parlions de surnaturel. Ah ! c’est ici surtout qu’il en faut ! Mais je crois au surnaturel, mes frères, j’y crois de toute mon âme. Et c’est pourquoi j’ai demandé à mon Dieu de prendre en main sa cause, et de remporter Lui-même, ici, sur vous, cette victoire, à laquelle je savais bien d’avance qu’il me faudrait renoncer.

Que ne puis-je, seulement, dans mon impuissance avouée et démontrée, vous donner encore une idée des ineffables privilèges qui vous attendent dans la foi en un Sauveur mort, pour vos offenses et ressuscité pour votre justification ? — Ah ! s’il fallait à nos âmes perdues un Esprit de régénération, il ne fallait pas moins ensuite à nos âmes régénérées une assurance de résurrection. Il leur fallait un guide, pour traverser les étroits défilés de la mort. Ce guide, je vous l’ai présenté. Mais qu’il est bien choisi ! Qu’il est bien celui que nos cœurs eussent demandé ! Admirez la sagesse infinie et l’infinie bonté de Dieu dans cet adorable prodige de sa puissance infinie ! Combien n’était-il pas naturel, combien n’était-il pas dans l’ordre que le Fils de l’homme, le Saint et le Juste, l’Homme de douleurs, le héros, la victime, celui qui s’est plongé dans les ténèbres de la condamnation volontairement, par sainteté, par amour, pour en sonder les gouffres et en affronter les terreurs à notre place, combien n’était-il pas divinement sage, que Celui-là fût aussi pour nous le réel initiateur aux évidences de l’immortalité ? N’est-ce pas au Prince de la vie, au second Adam, venu pour expier les misères du premier, en s’enfonçant avec lui dans les régions de la mort, qu’il appartenait d’y retrouver pour lui le sentier perdu de la vie ? Nous trouvons cela si juste, si conséquent, si naturel (je répète à dessein ce mot-là) que nous ne comprendrions pas qu’il en pût être autrement. En contemplant sa mort, nous attendions déjà sa résurrection. En contemplant sa résurrection, nous attendons maintenant la nôtre, comme si déjà nous la voyions. Nous qui sommes vivifiés avec Christ, ne nous sentons-nous pas aussi ressuscités avec lui, comme dit saint Paul ?

Ah ! si, en nous réconciliant avec la mort, il ne nous réconciliait par cela même avec la vie, qui nous empêcherait de soupirer tous les jours et de toutes les forces de nos âmes, après l’heure bénie de notre délogement ? — Oh ! Là-bas ! là-bas ! de l’autre côté !… Ici nous donnons notre vie, là-bas nous la retrouverons. Ici nous semons avec larmes, là-bas nous moissonnerons avec chant de triomphe. Ici nous nous séparons sur des tombes, là-bas nous nous reverrons dans des lieux de délices. Ici nous portons des croix, là-bas nous recevrons des couronnes de gloire ! Ici nous mourons tous les jours avec Christ, là-bas nous régnerons éternellement avec lui ! — Et qu’est-ce donc qui nous sépare encore dans ce triste ici, de ce là-bas, tant et tant désirable ? C’est bien ce qu’il y avait une fois de plus effrayant et de plus épouvantable. Mais que tout est changé désormais !

Il existait jadis un cap fameux réputé le terme fatal de la navigation des mers. De tous ceux que les vents ou les courants avaient poussés dans ses eaux, nul n’avait reparu, disait-on. C’était l’effroi des marins. On l’appelait le cap des Tempêtes ! — Le premier, un hardi navigateur osa doubler résolument l’obstacle… Il avait ouvert la route des Indes-Orientales, conquis pour son pays les richesses du monde, et changé le cap des Tempêtes en cap de Bonne-Espérance !

Dans ce grand, dans ce beau, dans ce glorieux voyage de la bienheureuse éternité, où nous sommes tous engagés, mes frères, il y a aussi quelque part un promontoire sinistre à doubler. Mais donnons-lui désormais son vrai nom. Christ a débaptisé la mort le jour où, dans la mort elle-même, il nous a mis en évidence la vie et l’immortalité !

Amen !

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