Les épîtres de Paul

5.
Conclusion

Nos deux lettres se distinguent de toutes les autres par la prépondérance des matières eschatologiques. On ne peut pas conclure de là que dans l’enseignement même de Paul à Thessalonique cet élément eût dominé. Cette conclusion ne serait pas solide, puisque, tout en traitant si spécialement de cette matière dans ses deux lettres, Paul rappelle à ses lecteurs les instructions générales, soit religieuses, soit morales, qu’il leur a données de bouche (1 Thessaloniciens 4.1, 2, 6, 14 ; 2 Thessaloniciens 2.13-15). Le fait signalé prouve uniquement que ce côté de l’enseignement chrétien était celui qui avait particulièrement frappé les esprits, soit ceux des fidèles, soit même ceux des adversaires (Actes 17.7). Ce fut tout naturellement sur ce sujet mystérieux que surgirent les discussions qui furent rapportées à Paul et auxquelles se rapportent ses lettres.

Quant à lui-même, nous nous demandons ce qu’il pensait de sa propre survivance jusqu’au moment du retour de Christ. Il me paraît que M. Farrar a répondu avec une grande sagesse à cette question (Tome I, p. 602-605). « Si, pense-t-il, on eût interrogé Paul sur la question de savoir s’il vivrait jusqu’au retour de Christ, il eût répondu au commencement de son ministère : Je ne le sais pas positivement, mais je l’espère. Plus tard il eût dit, sans doute : Je l’ignore, mais mon espérance est moindre ; du reste je n’y attache pas une grande importance, puisque si je meurs auparavant, je suis assuré que ce sera pour être avec Christ. J’avais cru précédemment à un développement plus rapide de l’Antichrist et à la destruction plus prompte de celui qui le retient ; maintenant je m’attache à l’union spirituelle avec Christ plus qu’à l’attente de son apparition visible. Faites comme moi : Veillez ! » Ce qui prouve que ce langage n’est pas éloigné de répondre à la réalité, c’est le fait que dans une seule et même épître, la 1re aux Corinthiens, Paul se range tantôt parmi les vivants qui seront transmués : « Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés » (15.51), tantôt parmi ceux qui mourront et ressusciteront : « Dieu nous ressuscitera aussi (comme Jésus) par son pouvoir » (6.14) ; comparez aussi 2 Corinthiens 4.14 : « Celui qui a ressuscité le Seigneur Jésus, nous ressuscitera aussi par Jésus. » On voit par là, comme le dit M. Farrar, que ce pronom nous a un sens générique et signifie dans la pensée de l’apôtre : « Ceux d’entre nous, chrétiens, qui vivront ou ceux qui seront morts. » Nous devons constater seulement que, comme Jésus lui-même, il ignorait le moment de cette fin, tout en différant de lui en ce qu’il la voyait beaucoup plus rapprochée qu’elle ne l’a été. Mais nous pouvons constater aussi qu’il n’a laissé cette attente exercer aucune influence sur la manière dont il comprenait l’accomplissement des obligations de la vie terrestre et journalièrea. Il ne lui a accordé d’autre influence que celle de maintenir toujours tendu le ressort de la vigilance et de la prière.

a – Pas même dans le chapitre 7 de la 1re aux Corinthiens.

S’il y a homogénéité entre nos deux épîtres sur la matière traitée, il y a contraste entre les aspects sous lesquels le sujet est présenté. Dans toutes deux c’est la fin de l’économie actuelle, mais dans l’une sous son côté ténébreux, l’extrême du mal, dans l’autre sous son côté lumineux, l’apparition et la victoire finale du bien.

L’esprit du siècle dans lequel nous vivons se partage entre deux courants opposés, l’un qui voit courir le monde à l’abîme et se hâter vers l’anéantissement ; l’autre qui le voit marchant de progrès en progrès vers un état toujours plus parfait. L’intuition de Paul réunit ces vues contraires, en assignant à chacune sa place dans l’avenir de l’humanité. Dépassant l’attente du plus noir pessimiste, elle fait apparaître dans le tableau de l’universelle apostasie et de l’homme de péché l’apogée du mal ; dépassant l’espérance la plus optimiste, elle nous fait contempler dans le retour du meilleur des êtres qui ait passé sur la terre et qui est maintenant élevé à la souveraine puissance, la réalisation de la vie parfaite et de la destruction de tout mal.

C’est ainsi que dans ces deux courtes lettres, tout en répondant aux besoins les plus temporaires et les plus locaux, l’apôtre déploie à nos yeux des intuitions propres à nous servir encore de boussole dix-huit siècles après lui.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant