Guerre des Juifs - Flavius Josèphe

LIVRE 1
Depuis le soulèvement des Macchabées jusqu'à la mort d'Hérode (167–4 av. J.-C)

CHAPITRE 11
Guerre civile. Cassius en Syrie ; ses exactions. Antipater assassiné par Malichos. Hérode tire vengeance de Malichos.

Guerre civile. Cassius en Syrie ; ses exactions.

1.[1] A cette époque éclata entre les Romains la grande guerre, après que Brutus et Cassius eurent assassiné César, qui avait occupé le pouvoir pendant trois ans et sept mois[2]. Une profonde agitation suivit ce meurtre ; les citoyens les plus considérables se divisèrent ; chacun, suivant ses espérances particulières, embrassait le parti qu'il croyait avantageux. Cassius, pour sa part, se rendit en Syrie afin d'y prendre le commandement des armées réunies autour d'Apamée. Là il réconcilia Bassus avec Murcus et les légions séparées, fit lever le siège d'Apamée, et, se mettant lui-même à la tète des troupes, parcourut les villes en levant des tributs avec des exigences qui dépassaient leurs ressources.

[1] Section 1 à 4 Ant., XIV, 2-4 (§ 281).

[2] Trois ans et six mois d'après Ant., § 270. Si l'on compte depuis Pharsale (9 août 48) jusqu'au 15 mars 44 ; le chiffre de 7 mois est plus exact.

2. Les juifs reçurent l'ordre de fournir une somme de sept cents talents. Antipater, craignant les menaces de Cassius, chargea ses fils et quelques-uns de ses familiers, entre autres Malichos, qui le haïssait, de lever promptement cet argent, chacun pour sa position, — à tel point les talonnait la nécessité ! Ce fut Hérode qui, le premier, apaisa Cassius, en lui apportant de Galilée sa contribution, une somme de cent talents ; il devint par là son intime ami ; quant aux autres, Cassius leur reprocha leur lenteur et fit retomber sa colère sur les villes mêmes. Après avoir réduit en servitude Gophna, Emmaüs et deux autres villes de moindre importance[3], il s'avançait dans le dessein de mettre à mort Malichos pour sa négligence à fournir le tribut, mais Antipater[4] prévînt la perte de Malichos et la ruine des autres villes en calmant Cassius par le don de cent talents.

[3] Lydda et Thamna (Ant., § 275).

[4] Hyrcan, d'après Ant., § 2-6 ; Antipater n'aurait servi que d'intermédiaire.

3. Cependant, après le départ de Cassius, Malichos, loin de savoir gré à Antipater de ce service, machina un complot contre celui qui l'avait sauvé à plusieurs reprises, brûlant de supprimer l'homme qui s'opposait à ses injustices. Antipater, craignant la force et la scélératesse de ce personnage, passa le Jourdain pour rassembler une armée et déjouer le complot. Malichos, quoique pris sur le fait, sut à force d'impudence gagner les fils d'Antipater : Phasaël, gouverneur de Jérusalem et Hérode, commandant de l'arsenal, ensorcelés par ses excuses et ses serments, consentirent à lui servir de médiateurs auprès de leur père. Une fois de plus Antipater le sauva, en apaisant Murcus, gouverneur de Syrie, qui voulait mettre à mort Malichos comme factieux.

4. Quand le jeune César et Aubine ouvrirent les hostilités contre Cassius et Brutus, Cassius et Murcus levèrent une armée en Syrie, et comme Hérode paraissait leur avoir rendu de grands services dans cette opération, ils le nommèrent alors procurateur de la Syrie entière[5] en lui donnant de l'infanterie et de la cavalerie ; Cassius lui promit même, une fois la guerre terminée, de le nommer roi de Judée. La puissance du fils et ses brillantes espérances amenèrent la perte du père. Car Malichos, inquiet pour l'avenir, corrompit à prix d'argent un des échansons royaux et fit donner du poison à Antipater. Victime de l'iniquité de Malichos, Antipater mourut en sortant de table[6]. C'était un homme plein d'énergie dans la conduite des affaires, qui fit recouvrer à Hyrcan son royaume et le garda pour lui.

[5] De la Coelé-Syrie seulement, d'après Ant., § 280, ce qui est plus vraisemblable. Aux troupes confiées à Hérode, le texte d'Ant. ajoute des navires.

[6] Printemps 43 av. J.-C.

Hérode tire vengeance de Malichos.

5.[7] Malichos, voyant le peuple irrité par le soupçon du crime, l'apaisa par ses dénégations et, pour affermir son pouvoir, leva une troupe de soldats. En effet, il pensait bien qu'Hérode ne se tiendrait pas en repos ; celui-ci parut bientôt à la tête d'une armée pour venger son père. Cependant Phasaël conseilla à son frère de ne pas attaquer ouvertement leur ennemi, dans la crainte d'exciter des séditions parmi la multitude. Hérode accepta donc pour le moment la justification de Malichos et consentit à l'absoudre du soupçon ; puis il célébra avec une pompe éclatante les funérailles de son père[8].

[7] Sections 5-8 Ant., XIV, 11, 4, (§ 282) à 6.

[8] D'après Ant., § 284, c'est Phasaël qui s'occupe de ce soin.

6. Il se rendit ensuite à Samarie, troublée par la sédition et y rétablit l'ordre ; puis il revint passer les fêtes à Jérusalem, suivi de ses soldats. Hyrcan, à l'instigation de Malichos, qui craignait l'entrée de ces troupes, le prévint par un message et lui défendit d'introduire des étrangers parmi le peuple qui se sanctifiait. Mais Hérode, dédaignant le prétexte et l'auteur de l'ordre, entra de nuit dans la ville. Là-dessus Malichos se présenta encore une fois auprès de lui pour pleurer Antipater. Hérode lui répondit en dissimulant, tout en ayant peine à contenir sa colère. En même temps il adressa à Cassius des lettres où il déplorait la mort de son père ; Cassius, qui haïssait d'ailleurs Malichos, lui répondit en l'engageant à poursuivre le meurtrier ; bien plus, il manda secrètement à ses tribuns de prêter leur concours à Hérode pour une juste entreprise.

7. Quand Cassius se fut emparé de Laodicée et vit arriver de tous les côtés les principaux du pays portant des présents et des couronnes, Hérode jugea le moment venu pour sa vengeance. Malichos avait conçu des soupçons ; arrivé à Tyr, il résolut de faire échapper secrètement son fils, qu'on gardait alors en otage dans cette ville, et lui-même se disposa à fuir en Judée. Le désespoir le poussa même à de plus vastes desseins ; il rêvait de soulever la nation contre les Romains, pendant que Cassius serait occupé à la guerre contre Antoine, et se flattait d'arriver à la royauté, dès qu'il aurait sans peine renversé Hyrcan.

8. Mais la destinée se rit de ses espérances. En effet, Hérode, devinant son intention, l'invita a souper avec Hyrcan ; ensuite il appela un[9] de ses serviteurs qui se trouvait là et l'envoya, en apparence pour préparer le festin, en réalité pour prévenir les tribuns de disposer une embuscade. Ceux-ci, se rappelant les ordres de Cassius, sortirent en armes sur le rivage de la mer, devant la ville ; là ils entourèrent Malichos et le criblèrent de blessures mortelles. Saisi d'épouvante à cette nouvelle, Hyrcan tomba d'abord évanoui ; quand il revint à lui, non sans peine, il demanda à Hérode qui avait tué Malichos. Un des tribuns lui répondit : « Ordre de Cassius ». « Alors, répondit-il, Cassius m'a sauvé ainsi que ma patrie, puisqu'il a mis à mort celui qui tramait notre perte ». Hyrcan parlait il ainsi du fond du cœur, ou acceptait-il par crainte le fait accompli, c'est un point douteux. Quoi qu'il en soit, c'est ainsi qu'Hérode se vengea de Malichos.

[9] Quelques mss. ont τινάς « quelques-uns de ses serviteurs ».

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