Élie le Tishbite

27.
La croissance des saints

La santé, la force, la croissance d’un enfant nouveau-né dépendent jusques à un certain point des premiers soins qu’il reçoit : ses membres sont encore tendres et flexibles, et si parfois une légère pression suffit pour faire disparaître une difformité, une pression légère peut aussi altérer un corps sain et bien constitué. Il en est de même de l’enfant selon l’esprit, dont la santé est pour ainsi dire entre les mains de ceux qui le soignent immédiatement après sa régénération. Combien n’y a-t-il pas de fidèles qui sont toute leur vie malades ou faibles, infirmes et difformes par suite d’une première éducation qui a été mal dirigée ?

Au milieu de nous existe un parti chrétien qui, ne saisissant pas et ne voulant pas saisir dans le sens apostolique la doctrine du péché et du Rédempteur, n’a aucune part au glorieux privilège d’amener au Berger de nouvelles brebis. Ces gens là ne sont point des instruments de conversion entre les mains du Seigneur ; jamais la glace des cœurs ne fond à leur parole, jamais les ossements desséchés ne reprennent vie à leur prédication. Et cependant leur société, jalouse des progrès d’autrui, ne cherche qu’à s’étendre et s’agrandir. Mais elle ne peut le faire qu’à la façon de cet oiseau singulier qui dépose ses œufs dans des nids qu’il n’a pas construits ? Elle laisse à d’autres le soin d’éveiller et de convertir. Elle commence son œuvre non dans les lieux où tout est mort, mais dans ceux où s’est déjà versé le fleuve de la vie nouvelle, et elle craint peu, au contraire de saint Paul, de se glorifier dans le travail d’autrui (2 Corinthiens 10.15). Elle est stérile, et ne sait qu’élever les enfants que d’autres ont donnés à l’église. Fuyez, mes frères, l’influence d’une secte qui, au lieu de vous conduire en plein air au sommet de Golgotha, vous emprisonne dans ses écoles, tous y fait respirer une atmosphère corrompue, vous enchaîne avec ses règles. Elle altère ce qu’elle tente de former ; elle a déjà rendu malades parmi nous plusieurs plantes vertes et fraîches, indignement tronçonné de jeunes arbres pleins de sève et de force.

Mais ce ne sont pas là les seuls malades, les seuls infirmes qu’il y ait dans notre église. Plusieurs ont perdu le goût spirituel ; ils préfèrent une jolie chaumière dans un parc royal, aux voûtes solennelles d’un dôme qui s’élance vers le ciel ; ils aiment mieux regarder ce qui se passe dans une des rues de Londres, que contempler du sommet d’un des monts qui bordent le Rhin, le fleuve majestueux et sa belle vallée. D’autres ont l’ouïe lourde et l’intelligence paresseuse ; une anecdote édifiante leur fait plaisir, mais les grands événements du règne de Dieu les touchent fort peu ; un sermon qui traitera de quelqu’une de ces expériences intérieures qui se répètent tous les jours, éveillera certainement toute leur attention, mais c’est aussi là l’extrême limite de ce qui les intéresse en matières religieuses, et on leur exposerait des vues nouvelles sur les plus importantes doctrines de l’évangile, ou sur de difficiles et mystérieuses portions des Ecritures, qu’ils n’y prêteraient qu’une oreille distraite. Chez des troisièmes, c’est la vie spirituelle tout entière qui est malade ; autrefois elle était pleine de force et féconde, elle débordait sur tous les domaines de l’existence terrestre, et maintenant comprimée entre les étroites digues de certaines expressions et formules devenues stéréotypes, elle ressemble plutôt à un fossé stagnant qu’à un fleuve dont les eaux se renouvellent sans cesse et qui s’ouvre et se creuse lui même son lit. Une quatrième classe… mais où nous arrêterions-nous si nous voulions passer en revue toutes les classes de malades qui se trouvent parmi nous ! Elles sont assez nombreuses pour que je puisse compter sur toute votre attention, si je prends occasion du texte d’aujourd’hui pour vous tracer la vraie figure du chrétien, et vous indiquer ce qui seul mérite le nom d’une vie intérieure forte et saine.

2 Rois 2.16-18

16  Et ils lui dirent : « Voici, il y a parmi tes serviteurs cinquante hommes vaillants ; nous te prions qu’ils s’en aillent chercher ton maître, peut-être l’Esprit du Seigneur l’a-t-il jeté sur quelque montagne ou dans quelque vallée. » Mais il leur dit : « N’y envoyez point. » 17 Mais ils le pressèrent tellement qu’il en était honteux, et qu’il dit : « Envoyez-y. » Et ils envoyèrent ces cinquante hommes, qui le cherchèrent pendant trois jours, mais ils ne le trouvèrent point. 18 Et ils retournèrent vers Élisée, qui était demeuré à Jérico, et il leur dit : « Ne vous avais-je pas bien dit que vous n’y alliez point. »

Le texte d’aujourd’hui ne semble pas aussi riche et fécond que les précédents. Il a d’ailleurs plusieurs points obscurs qu’il est au moins difficile d’éclaircir. Cependant nous espérons que l’étude de ce récit ne sera point sans fruits pour vous. Nous examinerons d’abord le fait historique, et nous en prendrons ensuite occasion de vous présenter de sérieuses réflexions sur la croissance des régénérés.

I

L’image des cieux ouverts empreinte dans son âme émue, Élisée s’éloignait de la rive du Jourdain. Il était transporté en esprit dans les lieux célestes, et il s’avança vers les fils des prophètes, le visage comme resplendissant de la gloire divine qu’il avait vue, le cœur tout occupé de cet admirable amour de Dieu qui s’était dévoilé à lui dans l’ascension de son maître.

Élisée qui était un héraut de la miséricorde de Jéhova comme Élie ne l’avait point été, et qui avait reçu une double part de l’Esprit qui reposait sur Élie, était plus grand que son prédécesseur, et les disciples auraient pu, auraient dû reconnaître sa supériorité. Mais ils ne paraissent point l’avoir entrevue dans les premiers moments de leur tristesse, quelque sincères que fussent d’ailleurs le respect et l’amour qu’ils lui portaient, et ils ne pensaient pas même qu’Élie fût réellement remplacé par le laboureur d’Abel Mehola. C’est qu’en effet l’homme comprend difficilement la véritable grandeur, qui est toute intérieure ; et le sérieux d’Élie, sa majesté imposante et vraiment royale, sa taille élevée, sa voix puissante parlaient bien plus aux sens et au cœur naturel, que la douceur et la simplicité d’Élisée, que son humilité et sa bonté, que son front chauve et sans doute sa stature moins haute que celle de son devancier. Élie donnait à connaître la gloire de l’homme à qui Dieu fait part de ses grâces ; Élisée, la grandeur de la grâce divine dans la faiblesse de l’homme. L’œuvre du Tishbite était apparente, éclatante : il brisait les autels de Bahal, il confessait partout à voix haute le nom de Jehova ; tandis que le champ d’Élisée était la vie intérieure et cachée, et que son but principal était d’éveiller dans les cœurs le besoin de se donner tout entier à Dieu. Comment nous étonnerions-nous donc de voir les fils des prophètes ne pas apprécier dès l’abord la vraie grandeur de celui que Dieu leur accordait à la place de leur ancien maître ? C’est par les mêmes causes que les disciples de notre Seigneur eurent tant de peine à se persuader que Jésus était supérieur au héraut du désert avec son manteau de poils de chameau et sa ceinture de cuir. Jean vivant dans la solitude et jeûnant leur paraissait posséder les caractères d’un envoyé de Dieu bien plus que ne le faisait l’ami des péagers ; car le premier avait dans sa personne et dans toute sa vie quelque chose qui commandait le respect. Chez Jean, l’homme était comme environné d’une certaine auréole. Sa vie d’anachorète parlait à l’imagination ; elle devait plaire à tous ceux qui n’étaient point encore francs de tout désir de se sauver par leur propre justice, elle répondait à leurs besoins et leur semblait le plus haut degré de sainteté auquel on pût atteindre. C’était une vie nettement distincte du monde ; c’était un certain ensemble d’actions et de sentiments qui était limité, c’était une sainteté qui à ses propres yeux comme aux yeux des autres était bouclée et achevée, c’était enfin des œuvres qu’on pouvait compter et additionner. Jésus-Christ au contraire n’avait extérieurement rien qui le distinguât des autres hommes, il vivait au milieu d’eux et en apparence comme eux. Et le royaume qu’il annonçait, devait être tout intérieur ; il n’exigeait de ses disciples que le sacrifice invisible du cœur ; l’œuvre à laquelle il les appelait, était de croire, de recevoir et prendre ; loin de les environner d’une gloire humaine, il ne leur laissait que des yeux baissés, un cœur contrit, une sainte confusion de toutes les grâces qu’il leur donnait. Il n’y avait là rien qui pût le recommander au cœur naturel et à la propre justice ; l’homme devait préférer Jean-Baptiste. De là l’opiniâtre attachement de plusieurs au précurseur ; de là la peine qu’il eut à détourner ses disciples de lui, et à les envoyer à celui duquel il se sentait indigne de délier les souliers.

A peine les fils des prophètes sont-ils arrivés à Jérico, qu’ils font à Élisée une demande qui nous prouve quel vide le départ de leur maître avait laissé dans leur cœur. « Voici, lui disent-ils avec vivacité et sans doute non sans beaucoup de larmes, il y a parmi tes serviteurs cinquante homme vaillants, nous te prions qu’ils s’en aillent chercher ton maître ; peut-être l’Esprit de l’Eternel l’a-t-il enlevé et l’a-t-il jeté sur quelque montagne ou dans quelque vallée. » Ces mots ont quelque chose d’énigmatique. Que veulent les disciples ? Chercher leur maître. Mais ne savaient-ils pas par une révélation divine qu’aujourd’hui il leur serait enlevé ? Sans doute ils le savaient ; mais ils ignoraient certainement de quelle manière l’enlèvement aurait lieu. Dieu, se disaient-ils, ne l’aurait-il point transporté d’abord dans quelque lieu solitaire pour le faire monter plus tard de là dans les cieux ? Ou peut-être Dieu n’a-t-il pris à lui que son âme, et trouverait-on dans le désert sa dépouille mortelle, ainsi que dans la même contrée sur le mont Pisga l’âme de Moïse s’est détachée, par un baiser de Jehova, de son corps qui a été enseveli par le Seigneur lui-même dans une vallée inconnue ? Telles étaient, pensons-nous, les suppositions que faisaient les disciples d’Élie. Mais quoique il en soit, leur demande leur était dictée par cet amour qui auprès du cercueil même de celui qu’on chérissait, fait douter de son départ, et qui, lorsque le doute devient impossible, s’attache à son ombre, à sa dépouille. Ils envisageaient leur perte comme irréparable, et quelle que fût leur vénération pour Élisée, la pensée ne leur venait pas qu’il comblât alors déjà tout le vide que faisait Élie.

Élisée aurait pu sans doute redresser leur erreur, et leur donner à entendre de quelle haute mission il était chargé auprès d’eux. Il aurait pu leur dire : « Je vous apporte des messages tels que vous n’en avez jamais entendu de pareils de la bouche d’Élie. Les récits que je vous ferai de l’amour de Dieu pour les enfants des hommes, vous rempliront d’admiration et de joie, le monde n’en a jamais ouï de semblables. Jamais vos pères n’ont plongé aussi loin leurs regards dans le cœur de Jehova, que vous le ferez à l’ouïe des secrets que je porte pour vous dans mon sein. » Mais Élisée ne songe en aucune manière à se relever aux yeux des disciples ; il est bien au dessus de notre petite susceptibilité qui se blesse au vif au plus petit manque d’égards. Élisée voit avec la joie la plus pure l’amour intime et la vénération des disciples pour le père qui les a quittés. La sagesse lui ordonnait de taire ce dont il avait été le témoin dans le désert, et d’attendre un moment plus favorable pour publier ces mystères inouïs, et nul sentiment de vanité ni d’envie qui l’eût porté à rompre son silence, ne s’éleva dans son cœur.

Mais pourquoi Élisée ne racontait-il pas aux disciples l’enlèvement d’Élie ? Il avait certainement pour cela de bonnes et excellentes raisons, que nous ne pouvons toutefois indiquer avec une pleine certitude. Un prudent économe fait plus que de conserver intacts les biens qui lui ont été confiés, et que de les distribuer scrupuleusement à d’autres ; il ne les répartit pas à l’aventure entre eux tous, et il a égard à la capacité et aux besoins de chacun d’eux. Ainsi Élisée sentait peut-être que ces mystères agiraient bien plus puissamment et salutairement sur les cœurs des disciples, s’il ne les leur révélait qu’après les y avoir préparés en leur parlant en général des vraies et ravissantes relations de Jehova à ses enfants, ou s’il attendait quelqu’une de ces heures de contrition et d’humiliation dans lesquelles l’âme oppressée saisit de toutes ses forces la grâce divine, qui se manifeste à elle dans toute sa splendeur. Quoiqu’il en soit, Élisée sentait que l’heure n’était pas venue ; et il se tut. Mais les disciples le pressaient de consentir au départ des cinquante frères. Il résistait et refusait, et comme ils continuaient leurs prières, il finit par en être honteux, dit le texte, par être embarrassé et ne savoir que leur répondre. Enfin il céda, et plutôt que de trahir avant le temps son secret, il les laissa partir. Aucun dommage d’ailleurs ne pouvait résulter pour eux de s’être convaincus par eux-mêmes que ni le maître ni sa dépouille mortelle ne se trouvaient sur la terre. « Envoyez donc, » dit enfin Élisée, et les cinquante disciples se mirent en route. Pendant trois jours entiers ils parcoururent les montagnes. Dans chaque vallée, derrière chaque groupe de térébinthes, ils s’attendaient à découvrir le prophète, ou du moins son corps, peut-être tout glorifié. Mais leurs espérances étaient continuellement trompées. Au soir du troisième jour ils revinrent abattus, fatigués à Jérico, et Élisée leur dit avec douceur, mais non sans les faire rougir à leur tour : « Ne vous avais-je pas bien dit de n’y point aller ? »

Nous aussi, nous sommes parfois forcés d’abandonner à leur déraison nos chers enfants, et de les laisser faire selon leur manière de voir, pour que l’expérience les instruise et les rende sages. Quand, par exemple, ils ne veulent pas croire ce que nous leur enseignons de la justice de Dieu qui, en Jésus-Christ, est tout près d’eux et à leur portée, et qu’ils persistent à ne pas vouloir la saisir là où elle se trouve et à la chercher au fond de leur propre cœur, que nous reste-t-il à faire si ce n’est de leur dire avec Élisée : « Allez donc et faites et travaillez. » Mais après s’être tourmentés en vain pour satisfaire une loi qui les condamne toujours, ils comprennent enfin qu’ils ont pris une route où il n’y a que ruine, et « ces hommes vaillants » ne tardent pas à revenir à nous les genoux tremblants et la conscience agitée, et nous les recevons avec la parole d’Élisée : « Ne vous avions-nous pas dit de n’y point aller ? » Toutefois leur défaite n’est point pour eux un malheur ; c’est alors seulement que Christ leur deviendra précieux, et l’évangile une bonne nouvelle.

II

Il est évident, mes frères, qu’Élisée ne jugeait pas les fils des prophètes suffisamment préparés pour recevoir la nouvelle qu’il devait leur annoncer. Quoique enfants de Dieu, quoique déjà participants de la grâce divine, ils étaient néanmoins susceptibles d’un plus grand développement spirituel, ou plutôt, ils ne devaient pas rester stationnaires au degré où ils se trouvaient alors, il fallait qu’ils grandissent davantage, et que leur éducation se prolongeât encore. A ce propos je veux vous entretenir aujourd’hui d’un point sur lequel, à ce qu’il paraît, peu de chrétiens ont des notions saines : de cette croissance des enfants de Dieu, dont l’Ecriture parle si souvent, du développement des régénérés quant à l’homme intérieur, ou, en d’autres termes, de ce qu’est dans sa pureté la vie évangélique, la vie de la foi, et comment elle se manifeste.

Je ne connais aucun passage de l’Ecriture qui nous trace un tableau plus net et plus complet d’une semblable vie, que celui de saint Paul Philippiens 3.12-14 : « Non que j’aie déjà atteint le but, ou que je sois déjà parvenu à la perfection ; mais je fais mes efforts pour la saisir, après ou parce que Jésus-Christ aussi m’a saisi. Mes frères, je ne me persuade pas d’avoir saisi le but. Mais ce que je fais, c’est qu’oubliant les choses qui sont derrière moi, et m’avançant vers celles qui sont devant moi, je cours vers le but, vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ. » Voilà, mes frères, des paroles qui vous enseigneront ce que c’est que d’être sain quant à l’homme intérieur. Celui qui est ainsi sain, dit d’abord avec Paul : « Non que j’aie déjà saisi le but. » En second lieu, il s’avance avec Paul vers le but. En troisième lieu, il a été saisi par Christ ; et enfin il court, lui aussi, vers le prix de la vocation céleste. Tels sont les principaux caractères d’une vie chrétienne, intègre et saine. Examinons les de plus près.

Partout où il y a vie et santé, il y a croissance, mouvement, progrès et développement. Une plante qui ne pousse plus de jets ni de bourgeons, est morte ou malade. L’arbre même qui a atteint le terme de sa croissance, ne reste pas ce qu’il est ; s’il ne peut plus s’élever ni s’étendre davantage parce qu’il a rempli la mesure qui lui est assignée, au moins dans ces limites se couvre-t-il chaque année de feuilles, de fleurs et de fruits nouveaux. Il n’offre point toujours à nos regards le même aspect, il se renouvelle ; chaque printemps il se revêt d’une fraîche parure de feuilles, sur laquelle nos yeux reposent avec plaisir, et qui nous atteste que la sève qui circule dans toutes ses branches est toujours jeune et abondante. Or il en est du règne de la grâce comme de celui de la nature. Dans le jardin de Dieu toute plante saine se développe continuellement. « Renouvelez-vous chaque jour en esprit, » nous crie l’Ecriture. Ce qui reste stationnaire est malade ou mort.

« Non que j’aie déjà saisi le but et que je sois arrivé à la perfection. » Quelles paroles, mes frères ! D’où nous arrivent-elles ! Qui les prononce ? Un novice dans la foi, sans doute ; un homme qui n’est pas encore certain de son état de grâce, ou quelqu’un même qui n’a pas encore traversé la porte étroite ? Non, ces paroles sont celles d’un homme qui était parvenu dans le chemin de la vie chrétienne à une élévation où nul ne se trouve parmi nous. Celui qui les prononce, c’est ce même apôtre qui pouvait dire de lui : « Je vis, mais non pas moi ; c’est Christ qui vit en moi ; » c’est ce héros qui savait en qui il avait cru, et qui s’écriait : « Qui me séparera de l’amour de Dieu ? » c’est le saint dans le cœur duquel Christ avait pris vie et forme (Galates 4.19), comme en aucun autre après lui, et qui ne péchait ni contre la modestie ni contre la vérité quand il disait : « Soyez tous mes imitateurs, et regardez à ceux qui se conduisent suivant le modèle que vous avez en nous. » C’est l’homme qui formait la plus brillante des constellations au firmament de la jeune église de Christ. Et c’est lui qui confesse ici ouvertement qu’il n’est point encore arrivé à la perfection ; et il répète avec plus de force sa pensée : « Je ne me persuade point que j’ai déjà saisi le but. » Vous êtes surpris, et non sans raison. Mais comprenez bien l’apôtre. Paul ne parle point ici de ce qu’il est en Christ devant Dieu ; quand il le fait, il tient un tout autre langage : « Qui m’accusera ? dit-il alors, qui me condamnera ? Nous sommes justifiés par la foi. Par un seul sacrifice il nous a pour toujours élevés à la perfection. » Il se sait parfait en sa Caution, et c’est cette certitude qui est la vraie source de sa joie, de son courage, de sa paix. Mais ici l’apôtre n’a en vue que son propre cœur, sa vie intérieure, et à cet égard il avoue sans détour « qu’il ne se voit pas encore au terme. »

Vous me demanderez peut-être ce que cet aveu a donc de si étrange, et quel est l’homme qui en regardant à sa vie se croira arrivé à la perfection ? Une semblable question vous condamnerait les premiers ; car il est précisément parmi nos chrétiens un grand nombre qui se croient parvenus au terme. Preuve incontestable d’une maladie spirituelle. Pour ne parler d’abord que de la connaissance de l’évangile, combien n’y en a-t-il pas d’entre vous qui possèdent fort bien les vérités exposées dans notre catéchisme, et les passages principaux par lesquels elles se prouvent, et qui en outre ont toute une petite collection de consolantes promesses de l’Ecriture, de beaux versets de cantiques et de sentences pieuses. Nous les rencontrons fréquemment s’avançant sur l’océan de la vie dans leurs nacelles ainsi chargées de précieux trésors, et nous leur souhaitons un heureux voyage ; mais après une année nous rencontrons de nouveau ces gens, et ils sont exactement ce qu’ils étaient naguère. Nous les visitons deux ans après, et nous ne découvrons pas en eux le plus petit changement. Les années se succèdent, et l’arbre n’a pas poussé une seule branche nouvelle ; les printemps se multiplient, et jamais de feuilles récentes. Toujours les mêmes phrases, sur tous les points les mêmes jugements ; l’horizon ne s’est point agrandi, le trésor des idées évangéliques ne s’est point accru, les profondeurs de l’Ecriture restent toujours inexplorées. Le cercle étroit dans lequel vous tournez depuis des années, n’a été franchi d’aucun côté. — Mais, dites-vous, qu’avons-nous besoin de plus de connaissances que celles que nous possédons ? — Mes frères, votre excuse témoigne contre vous. Vous le voyez ; vous avez bouclé le procès-verbal de vos connaissances, vous vous croyez à cet égard réellement au but. Mais vous prouvez vous-mêmes ainsi votre état de langueur et la paralysie de votre esprit. Car si l’homme intérieur était en bonne santé, vous diriez avec Paul : « Je n’ai point atteint le but. » Vous reconnaîtriez combien vos connaissances sont défectueuses, vous pressentiriez tous les trésors qui sont pour vous cachés dans l’Ecriture, vous la sonderiez avec un intérêt croissant, et l’on vous entendrait de temps en temps vous écrier avec joie : « Oh ! quels magnifiques passages j’ai trouvés dans le Testament de notre Sauveur ! Sous quel jour tout nouveau se présente à moi telle vérité ! Quelles ravissantes perspectives se sont dévoilées à mes regards sur l’œuvre de Christ, ses mérites, sa médiation, son sacerdoce, ses promesses ! » Nous vous verrions alors parés de feuilles nouvelles et nous dirions : « L’arbre croit, l’homme vit et se développe ; ses idées se redressent selon la règle biblique ; comme il a pénétré plus avant dans les mystères de l’évangile ! » Et plus vous croîtriez en connaissances, et plus aussi vous reconnaîtriez que la mine d’or et de diamants est inépuisable, et que vous n’êtes point parvenus au but, en même temps que vous seriez animés d’un désir toujours plus vif d’accroître par votre travail vos saintes richesses, et de faire pour votre instruction et votre consolation de nouvelles découvertes dans les saintes Ecritures.

Il est chez le chrétien un état qui est plus fâcheux et malheureusement plus fréquent encore que l’absence de tous progrès en connaissance religieuse : c’est la stagnation de la vie spirituelle. On dit : « Mes péchés me sont pardonnés, en tel temps j’en ai reçu l’assurance, et les dons de Dieu sont irrévocables. » On mène une vie soi-disant chrétienne, on tient son culte domestique régulièrement et l’on se croit arrivé au but. Que vous le soyez devant Dieu en Christ, c’est possible ; mais que vous le soyez dans votre vie, j’en doute, puisque Paul déclare le contraire de lui. Chez l’homme sain spirituellement, la vie intérieure se développe constamment. L’enfant céleste ne doit pas rester toujours dans ses langes, la nouvelle créature aspire à la force de l’âge mûr ; sous la merveilleuse influence de cet Esprit qui étendait ses ailes sur les eaux (Genèse 1.2), s’opère dans l’âme un travail constant de croissance et de floraison. Ce vif amour de la fiancée devient en s’épanouissant la douce et inaltérable fidélité de l’épouse. La foi arrivée à sa majorité entre dans la pleine possession de son héritage, et fait un libre usage de ses privilèges évangéliques. L’homme nouveau saisit avec plus de confiance et de force les promesses évangéliques. Sa timidité enfantine dans son commerce avec Dieu fait place à une joyeuse assurance qui tient toujours ouvertes les portes des cieux. L’âme qui vivait en Christ, apprend à demeurer invariablement en lui comme dans son élément. Elle se forme de plus en plus à l’art de se contempler non dans sa propre image, mais dans celle du Représentant. Une foule de pensées mesquines et de scrupules, ou de résolutions légales, qui tenaient comme enchaîné le nourrisson de la grâce divine, tombent successivement, et cèdent la place à des vues plus larges et plus hautes. L’arbre se pare de jour en jour de feuilles et de fleurs nouvelles, et tel que le phénix qui renaît de ses cendres, l’âme se dégage peu à peu de ses chaînes, sort de sa léthargie, et s’offre à nos regards plus libre, plus simple, plus joyeuse, plus forte, tout entière au Seigneur.

Un vrai chrétien, avons-nous dit, tend au même but que Paul. Et quel est ce but ? L’apôtre nous l’apprend dans ces mots : « Je regarde toutes choses comme des ordures, pourvu que je gagne Christ et que je sois trouvé en lui, ayant, continue-t-il, non la justice qui vient de la loi, mais celle qui vient de la foi en Christ, savoir la justice qui vient de Dieu par la foi. » — « Mais, direz-vous, comment Paul pouvait-il tendre à cette justice et ne la pas posséder ? »– Mes frères, votre étonnement prouve que Vous n’êtes pas d’accord avec l’apôtre. Apprenez donc de lui que la justice de la foi est le but du chrétien, non seulement à l’entrée de sa carrière, mais aussi pendant toute sa course. Car il s’agit ici d’autre chose que d’en posséder la connaissance dogmatique, il faut s’approprier d’une manière vivante et continue cette justice de la foi et apprendre à s’en réjouir ; il faut avoir dans le fond de son cœur le sentiment habituel que malgré toutes ses faiblesses on est en Christ déjà sanctifié, consommé et autant aimé du Père que Christ lui-même ; et ce n’est pas là chose facile. Ou ne connaissez-vous pas les mille obstacles qui nous barrent le chemin quand nous voulons arriver à cet état spirituel ? N’avez-vous jamais observé combien le cœur naturel répugne à confesser que de lui-même il ne vaut rien, et à ne fonder sa justice que sur le mérite d’autrui ? N’avez-vous pas éprouvé souvent un grand désir de retourner sur le domaine de l’ancienne alliance des œuvres ? Et ne trouvez-vous pas en vous cet esprit légal qui ne vous permet de saisir toutes les consolations qui sont en Christ, qu’à la condition que vous ayez auparavant atteint tel ou tel degré de sanctification ? Ne savez-vous pas quelle influence exercent sur nous une foule de préjugés, d’opinions mondaines, de systèmes humains que nous suçons avec le lait maternel ? Ignorez-vous ce que c’est que de ne pouvoir point croire par excès de joie comme le faisaient les apôtres (Luc 24.41) ? Ignorez-vous ces objections de la raison qui trouve dangereux de se croire consommé en Christ, et qui voit dans cette croyance une fatale présomption, une vraie folie ? Mes frères, on ne saurait dire tous les ennemis qu’on doit terrasser avec l’épée de la parole, avant de parvenir à comprendre par le cœur tout ce que Christ est pour nous, à saisir Christ, et, une fois saisi, à le retenir et à s’attacher fortement à lui. Mais s’il est vrai, ainsi que nous en avons nous-mêmes fait déjà l’expérience dans des courts moments de bénédiction et de grâce, s’il est vrai que ce n’est que dans le sentiment clair et vivant de tout ce que nous sommes en Christ, que se trouvent la source de notre joie, celle de notre force, et même celle de toute notre sanctification, nous devons tendre de toutes nos forces et par dessus toutes choses à remplir notre cœur de ce salutaire et divin sentiment. Nous reconnaîtrons alors facilement ce qu’a d’erroné et d’anti-évangélique l’opinion, que le but des efforts du chrétien doit changer après que l’on a reçu la certitude du pardon, et que désormais il s’agit non plus de saisir la justice qui vient de la foi, mais d’élever l’édifice d’une prétendue justice de la vie nouvelle. Nous saurons que nous devons après notre pardon, non point chercher avant tout à nous purifier, nous améliorer et nous parer, mais uniquement apprendre à nous transporter par la foi dans la sainteté qui nous est déjà acquise et à conserver vivants dans notre cœur et toujours présents à nous avec les mérites de Jésus-Christ. Car nous sentons que c’est là non seulement le chemin le plus court, mais l’unique chemin pour triompher du péché et pour enflammer le cœur d’un saint et infatigable zèle pour la gloire de Dieu.

L’homme sain spirituellement, et c’est ici son troisième caractère, « est saisi par Christ » selon l’expression de l’apôtre. Paul n’entend pas ici seulement le moment de sa conversion, il parle au présent et d’un état permanent dans lequel il est saisi par Christ. Combien j’en connais, parmi nos chrétiens, qui semblent n’avoir qu’une idée fort imparfaite de ce que Paul a ici en vue ! Ils se poussent vers Christ, mais ils ne sont pas emportés par lui. Ils font marcher à coups de fouet leur personne au trône de la grâce, mais ils n’y sont pas involontairement entraînés. Le levier qui met en mouvement vers Jésus ces âmes lourdes, c’est la pensée toute froide que sans lui elles seraient perdues, et non l’instinct enflammé d’un cœur touché par de divins attraits. Qu’on ne nous dise pas qu’elles ont une foi saine et vivante. Elles ne sont pas saisies par Christ, attirées à lui comme le fer par l’aimant, magiquement ravies par sa beauté, élevées puissamment à lui par un ressort intime. Quand la foi est ce qu’elle doit être, Christ est la mer, et nos sentiments les ruisseaux qui s’y versent sans relâche ; il est le soleil de printemps qui fait germer et fleurir du sol de l’âme renouvelée une grande abondance de vœux, de pensées et de sentiments qui ne se rapportent qu’à lui. Jamais on ne se rassasie de Christ ; on veut toujours le posséder plus complètement. On ne peut jouir de sa présence sans aspirer après des grâces plus intimes ; et dans le moment du plus grand ravissement, le cœur est prêt à dire encore avec Moïse : « Je te prie, fais-moi voir ta gloire. » Voilà ce qui se passe dans le cœur d’un fidèle spirituellement sain ; et c’est dans ce sens qu’il est saisi par Christ.

Ainsi saisi par Christ, Paul court vers le but, vers le prix excellent, qui est le sentiment de sa justice pleine et complète en Christ. Et comment s’efforce-t-il d’atteindre ce terme ? « C’est en oubliant ce qui est derrière lui, en s’avançant vers ce qui est devant lui. » Voilà son secret : il oublie certaines choses et en poursuit d’autres. Et qu’oublie-t-il ? Ce sont d’abord, comme il nous le dit lui-même, divers privilèges charnels. « Au huitième jour, dit-il, j’ai été circoncis, » et non comme un prosélyte dans un âge avancé. « Je suis de la tribu de Benjamin, » de Rachel donc, et non d’une des deux esclaves. « Je suis Hébreu, descendu d’Hébreux » de père et de mère, nul de mes ancêtres ne fut un gentil. « D’après la loi, j’étais pharisien, » j’étais membre de la secte la plus considérée et la plus sévère. « A l’égard du zèle, j’avais persécuté l’église, » tant était grand mon zèle pour les commandements de mes pères. « A l’égard de la justice de la loi, j’étais sans reproche » aux yeux du peuple entier. « Mais ce qui m’était un gain, » ajoute-t-il, ce qui pouvait me procurer de grands avantages, « je l’ai regardé comme une perte à cause de Christ, et même je regarde tout comme une perte au prix de l’excellente connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, et je regarde tout comme des ordures pourvu que je gagne Christ et que je sois trouvé en lui. » Ainsi il s’oublie d’abord lui-même, puis il oublie tout ce qu’il était de nature, tout ce qu’il avait acquis et désirait acquérir par ses propres forces. Il s’efforce d’autant plus de bannir de son souvenir ces diverses choses, qu’elles ont un plus grand prix aux yeux du monde, et qu’elles pourraient plus facilement l’engager à se confier en lui-même, et affaiblir son désir d’être trouvé en Christ. Il ne veut pas se connaître lui-même selon la chair. Il a attaché à la croix toute sa vie antérieure, éloigné de ses regards ses précédents privilèges comme autant d’ordures. Il ne veut être à ses yeux qu’un pauvre pécheur, et tandis que vous, vous avez de la joie à découvrir dans votre vie passée quelque preuve que vous n’étiez pas au nombre des plus grands coupables, Paul est peiné quand son vieil homme surprend quelque part un roseau sur lequel s’appuyer. Il est occupé non à remettre sur le trône son moi, mais à l’anéantir. Car il ne redoute pas la vue de sa misère, il sait que la grâce la surmonte mille fois ; ce qu’il redoute, ce sont les séduisants fantômes de ses apparentes vertus et bonnes œuvres, parce qu’il est fermement résolu de ne jamais ouvrir son cœur à une autre consolation qu’à celle d’être trouvé en Christ, d’être en lui juste et parfait.

Mais il ne veut pas non plus fixer ses regards sur ses péchés : il a un plus beau spectacle à contempler que ces ordures, et il sait que s’arrêter à regretter ses fautes ne peut qu’abattre les forces et qu’ôter le courage, tandis que la pleine confiance au Seigneur et en sa grâce est la force de l’homme et lui donne des ailes pour le service de son Dieu. — Mais il oublie plus encore ; il écarte même toutes les joies qu’il a déjà goûtées dans la communion du Seigneur, toutes les victoires qu’il a déjà remportées ; il ne veut pas que rien l’entrave et le retienne, dans les efforts qu’il fait pour s’identifier toujours plus par la foi avec Christ et s’approprier la gloire qu’il possède en son Sauveur. Plusieurs parmi vous se sont embarrassés dans les souvenirs de leur vie nouvelle, ils ne savent que regretter les temps plus beaux de leur passé, que vanter l’âge d’or de leur premier amour, et les jours de rafraîchissement où leur fut donnée l’assurance de leur pardon ; semblables à des vieillards qui n’attendent plus rien de leur avenir, et dont le cœur ne se réchauffe plus quelque peu que lorsque le passé, se levant de nouveau pour leur âme, éclaire de quelques pâles rayons leur atmosphère glacée. Oh combien Paul diffère de ces gens là ! « Que me fait le passé ? Pourquoi douter de l’avenir ? Mes beaux jours sont non point derrière moi, mais devant moi ; j’aperçois des montagnes plus brillantes et plus belles qu’aucune de celles que j’ai déjà traversées ; je pressens des joies plus grandes encore que celles du premier amour ; je n’ai vu que l’aurore de ma gloire, j’attends le lever du soleil ; je n’ai fait que goûter de la source qui est Christ, je veux y boire à longs traits, m’y plonger tout entier. En avant vers le but d’une paix inaltérable ! J’oublie le passé, je cours vers l’avenir, vers la perfection. »

Telle était la disposition d’esprit du grand apôtre ; et telle sera aussi la vôtre sous peine d’être malades spirituellement. Que celui qui a dit : « Je suis le Seigneur ton médecin, » nous soit favorable, et qu’après nous avoir pardonné nos iniquités, il guérisse aussi nos infirmités ! Qu’il écarte tout ce qui entrave le libre développement de notre vie spirituelle ! Qu’il nous transplante de la terre aride d’une fausse légalité auprès des eaux vives de son évangile, et qu’au souffle vivifiant de sa bouche il nous fasse croître et fleurir, et devenir une église qui n’ait ni taches, ni rides, ni rien de semblable, mais qui soit sainte et irrépréhensible dans la charité, et qui soit dans tous ses membres intimement unie à Celui qui est le chef, à Christ ! Amen.

*

Note du traducteur

Nous ne traduisons pas le sermon huitième de ce volume, qui a pour titre la lettre de malédiction, et pour texte 2 Chroniques 21.12-15. Ce n’est pas que l’exorde ne soit d’une grande beauté : Krummacher, faisant allusion à Matthieu 8.23-27, y représente le temps sous la figure d’un océan toujours agité dont les eaux sortent sans cesse de l’éternité et se versent sans cesse dans l’éternité, qui a ses abîmes et ses écueils, ses tempêtes et ses calmes plats, et qui n’a que deux ports : l’un à l’occident l’enfer, l’autre à l’orient la cité du Roi de gloire. Sur cet océan navigue le monde dans mille élégantes gondoles ; l’air retentit de toutes parts de l’antique refrain : « Mangeons et buvons et réjouissons-nous, car les heures s’enfuient. » Sur tous les pavillons se lit la même divise : Jouissance ; l’intérêt et l’égoïsme sont les vents qui enflent les voiles ; pour mât, au lieu de la croix un arbre de liberté ; pour boussole, au lieu de la parole de vérité, une affiche de théâtre et un journal ; tous les entretiens ne roulent que sur les plaisirs et la politique, tous les raisonnements sont athées ; « la religion de tous c’est de n’en point avoir, la foi chrétienne était bonne pour le moyen-âge, Jésus a été l’un des devanciers de nos sages modernes, l’unique loi est celle que l’homme se donne ; la moralité consiste à faire ce qu’exigent tes convenances, la sagesse à s’oublier soi-même au milieu de distractions continuelles. » Dans les têtes, la plus étrange confusion d’idées ; dans les cœurs, un vide affreux, un froid glacial ; d’ailleurs la plus complète sécurité ; et cependant ce pilote qui excelle dans l’art de faire passer le temps d’une manière agréable, c’est le prince de l’enfer qui tourne la proue vers le couchant. Mais au milieu de ces nacelles d’un monde aveugle navigue un autre vaisseau qui n’a point été construit sur les chantiers de la terre, et qui avance au souffle d’autres vents que de ceux d’ici-bas. Son nom est l’Élu ; son symbole, la croix ; sa devise, Christ est tout en tous ; sa boussole, une parole venue du ciel. C’est le vaisseau qui cingle vers l’orient. Le gouvernail est entre les mains de Celui à qui obéissent les vents et la mer. Heureux sont les passagers de cette arche nouvelle !

Si le sermon répondait à l’exorde, nous n’aurions pas hésité à le traduire ; mais il n’en est pas ainsi. Dans la première partie, Krummacher examine d’où vient la lettre écrite par Élie, huit ans après son ascension, à Joram roi de Juda ; et oubliant ici qu’il s’agit non d’un mort ordinaire, mais d’un homme qui a été enlevé avec son corps dans les cieux et qui se trouve par cela seul dans une situation tout exceptionnelle, il discute la question des relations qui peuvent exister entre les vivants et les morts. Pour établir la réalité de ces relations, il cite des passages des Ecritures, qui prouvent uniquement que la Bible n’en nie pas la possibilité, et le témoignage d’hommes pieux, dont la valeur ne peut se discuter dans un sermon. Il cite ensuite les deux explications qu’on a données de cette lettre d’Élie : l’une, qu’Élie l’aurait écrite avant son ascension et confiée aux fils des prophètes ou à Élisée, pour qu’ils la remissent en son temps à son adresse : c’était un moyen de donner aux menaces contenues dans cette missive une force tout extraordinaire, et de maintenir vivante dans le cœur des Hébreux la mémoire d’Élie. L’autre explication est, qu’Élie a réellement écrit cette lettre au temps où elle devait être remise, et qu’elle est venue du ciel ; et c’est à cette dernière que se range Krummacher ; il la trouve seule en harmonie avec le caractère de grandeur que porte tout ce qui nous est raconté d’Élie, et il cherche à l’étayer en rappelant que les premières tables de la loi avaient été écrites par Jéhova lui-même ou à son ordre par les saints anges. Il aurait pu ajouter que cette intervention d’un habitant des cieux dans les affaires de la terre étonne peu d’un homme qui, tel qu’Élie, n’est point descendu dans le sépulcre, et qu’elle prépare bien à son apparition sur le Thabor. — Dans la seconde partie, Krummacher raconte brièvement les vies de Josaphat, d’Asa et de Joram en explication de la prophétie. — Enfin, comme son texte lui a fourni peu de réflexions pratiques, il a recours à la lettre volante de Zacharie 5.1-4, qui est la figure de la fausse religion du monde, et qu’il explique en attaquant avec sa vigueur et son originalité bien connues les doctrines antichrétiennes qui ont maintenant cours en Allemagne.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant