Histoire des Protestants de France – Tome 1

1.8.
Le roi Henri II. – Exécutions à Paris. – Edit de Châteaubriant. – Spoliations. – Projet d’établir l’Inquisition en France. – Attaque d’une assemblée de réformés dans la rue Saint-Jacques. – Odieuses calomnies. – Nouveaux supplices. – Intervention des Etats protestants.

Dans un siècle plus éclairé, les grands progrès de la Réforme eussent bientôt amené une transaction. Malheureusement les esprits n’y étaient pas mûrs, et nul ne comprenait qu’il pût y avoir deux religions dans le même Etat.

François Ier, assiégé de femmes et de prêtres, était mort en 1547, peu regretté des catholiques, qui lui reprochaient de n’avoir pas assez fait pour l’Église, et encore moins des réformés, qui l’accusaient de les avoir cruellement persécutés. Son fils Henri II, qui lui succéda, était âgé de vingt-neuf ans. Il avait un naturel doux, une physionomie ouverte, une parole abondante et facile, de la grâce dans les manières ; mais il manquait de toutes les hautes qualités d’un roi. Mal instruit des affaires, et incapable de s’y livrer avec suite, il passait le meilleur de son temps à se divertir avec les familiers de sa cour. Le gouvernement tomba aux mains des favoris et des favorites, Anne de Montmorency, le duc François de Guise, le maréchal de Saint-André, Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois ; et c’est sous son règne que commencèrent les grandes factions qui couvrirent la France de ruines et de sang.

Henri II, de concert avec sa femme italienne, Catherine de Médicis, ouvrit la cour aux arts magiques et aux sortilèges. De là, des actes de honteuse crédulité chez les uns, et de froide impiété chez les autres. « Deux grands péchés, dit un vieil historien, se glissèrent en France sous le règne de ce prince, à savoir, l’athéisme et la magie[b]. »

[b] Jean de Serres, Recueil de choses mémorables, etc., p. 64.

Aux fêtes du couronnement de la reine, en 1549, Henri II déploya beaucoup de magnificence. Et comme la volupté et le sang ont des affinités naturelles, il voulut joindre à la pompe des tournois le spectacle du supplice de quatre luthériens.

L’un d’eux était un pauvre tailleur, ou couturier, qu’on avait mis en prison pour avoir travaillé dans les jours détendus, et prononcé de mauvais propos contre l’Église de Rome. Le roi, ayant exprimé le désir d’interroger par passe-temps quelqu’un des hérétiques, le cardinal de Lorraine fit amener devant lui ce couturier, supposant qu’il ne saurait dire aucune parole de bon sens. Il y fut trompé. Le couturier tint tête au roi et aux prêtres avec une grande présence d’esprit. La favorite Diane de Poitiers, selon le récit de Crespin, « en voulut dire aussi sa râtelée, mais elle trouva son couturier qui lui tailla son drap autrement qu’elle n’attendait. Car celui-ci, ne pouvant endurer une arrogance tant démesurée en celle qu’il connaissait être cause de persécutions si cruelles, lui dit : Contentez-vous, madame, d’avoir infecté la France, sans mêler votre venin et ordure en chose tant sainte et sacrée comme est la vraie religion et la vérité de notre Seigneur Jésus-Christ » (p. 189).

Henri II fut si irrité de sa hardiesse qu’il résolut de le voir brûler vif. Il vint donc se placer à une fenêtre en face du bûcher. Le pauvre couturier, l’ayant reconnu, tourna sur lui un regard si ferme, si fixe, empreint de tant de calme et de courage, que le roi ne put soutenir cette muette, mais terrible accusation. Il s’éloigna, effrayé, bouleversé jusqu’au fond de l’âme, et crut voir pendant plusieurs nuits se dresser à son chevet la sinistre image de la victime. Il fit serment de ne plus assister à ces affreux supplices, et tint parole. Un prince plus véritablement chrétien les eût abolis.

Loin de se calmer, la persécution s’aggrava. En 1551 parut le fameux édit de Châteaubriant qui attribuait tout ensemble aux juges séculiers et aux juges ecclésiastiques la connaissance du crime d’hérésie, de sorte que, par un complet renversement de toute justice, les accusés, absous devant un tribunal, pouvaient être condamnés devant un autre. Il y avait défense expresse d’intercéder pour eux, et les arrêts devaient être exécutés nonobstant appel. Le tiers des biens des condamnés appartenait aux délateurs. Le roi confisquait pour lui-même les propriétés de ceux qui se réfugiaient hors de France. Il était interdit d’envoyer de l’argent ou des lettres aux fugitifs. On imposa enfin aux suspects l’obligation de présenter un certificat d’orthodoxie catholique. Cette législation atroce fut copiée par les hommes de la Terreur, mais avec des adoucissements.

Il se commit des bassesses infâmes. Tel favori, telle courtisane, pour le prix des plus honteux services, obtint les dépouilles d’une famille, ou même d’un canton tout entier. On se disputait, on se partageait en plein soleil, à la face du pays, les propriétés des victimes. On dénonçait, et au besoin l’on inventait des hérétiques pour avoir plus de biens à confisquer, et beaucoup d’abbayes ou de maisons nobles y arrondirent leurs domaines, comme elles l’ont encore fait plus tard à la révocation de l’édit de Nantes. Elles ont perdu depuis ces propriétés si mal acquises : les jugements de Dieu s’exécutent en leur jour.

Ce n’était pas même assez de l’édit de Châteaubriant. Le pape Paul IV, le cardinal de Lorraine, la Sorbonne, une foule de prêtres demandaient que la France devînt une terre d’inquisition. La bulle en fut expédiée en 1557 et le roi la confirma par un édit. Mais en vain força-t-il la main au parlement dans un lit de justice : les magistrats laïques temporisèrent, ajournèrent, et au milieu de tant de hontes, celle-là du moins fut épargnée à la France.

Exaspéré de ces retards, le fougueux Paul IV, dont la tête était, dit-on, dérangée par l’âge, fulmina une bulle où il déclarait que tous ceux qui tomberaient dans l’hérésie, prélats, princes, rois même et empereurs, seraient déchus de leurs bénéfices, dignités, états et empires, lesquels il livrait au premier occupant catholique, sans qu’il fût même au pouvoir du saint-siège de les restituer. Paul IV confondait les temps : sous le pontificat de Grégoire VII ou d’Innocent III, une pareille bulle aurait mis l’Europe en feu ; sous le sien, ce n’était qu’un acte de folie.

Mais à défaut de l’Inquisition, la Sorbonne et le clergé avaient fait de la haine contre les hérétiques le premier, le plus saint des devoirs, et ne négligeaient rien pour souffler dans les âmes un fanatisme implacable. On en put voir les effets dans l’affaire de la rue Saint-Jacques, au commencement du mois de septembre 1557.

La bataille de Saint-Quentin venait d’être perdue. Des armes avaient été distribuées au peuple avec ordre de se tenir prêt à tout événement. Chacun craignait de voir l’Espagnol aux portes de Paris, et dans la commune terreur, on s’accusait d’avoir été trop doux envers les hérétiques. « Nous n’avons pas assez vengé l’honneur de Dieu, et Dieu se venge sur nous, disaient à la fois les hommes du peuple et les gens d’église. Ainsi, quand Rome fut attaquée par les Barbares, les païens s’accusaient d’avoir trop ménagé les chrétiens. Ainsi, quand Paris fut menacé en 1792, après la prise de Verdun, on s’accusa d’avoir trop épargné le clergé et l’aristocratie, et l’on fit les journées de septembre. Les arguments des passions sont toujours les mêmes.

Trois à quatre cents fidèles étaient réunis, le soir, pour célébrer la Cène, dans une maison de la rue Saint-Jacques, derrière la Sorbonne. On y comptait beaucoup de gentilshommes et de gens de loi. Les dames et demoiselles appartenaient, excepté quatre ou cinq, à des famille nobles ; il y en avait plusieurs de la cour.

Des bacheliers ou docteurs en théologie, logés à la Sorbonne, avaient fait le guet et donnèrent le signal d’alarme. Craignant que l’assemblée ne se séparât avant qu’ils fussent en force, ils avaient entassé un grand amas de pierres pour assommer ceux qui sortiraient. En effet vers l’heure de minuit, le service achevé, les fidèles ouvrirent la porte ; mais à peine sur le seuil, ils furent assaillis d’une grêle de pierres accompagnée d’effroyables vociférations, et contraints de rentrer.

A ce tumulte tout le quartier s’éveille. On crie aux armes. Des rumeurs sinistres agitent la foule. « Est-ce l’Espagnol qui a surpris la ville ? — Non, pas encore, disent les uns, mais ce sont des scélérats qui ont vendu le royaume à l’ennemi. — Non, répondent les autres, ce sont ces luthériens, ces hérétiques damnés qui se réjouissent des malheurs de la France. Mort, mort aux hérétiques ! » La rue se remplit d’hommes armés de hallebardes, de piques, de javelines, d’arquebuses, de tout ce qui leur est tombé sous la main.

Les fidèles, craignant d’être massacrés sur l’heure, tombent à genoux, et supplient Dieu de leur venir en aide. Puis ils se mettent à délibérer sur ce qu’ils ont à faire. Se barricader jusqu’à l’arrivée des sergents, c’était se dévouer à une mort presque certaine. Se frayer un passage à travers cette multitude furieuse n’était guère moins dangereux. Les plus hardis s’y décident pourtant, assurés que le seul moyen d’arrêter leurs adversaires est de faire bonne contenance. Les gentilshommes tirent leur épée et marchent en tête ; les autres suivent. Ils traversent la foule au milieu d’une grêle de pierres et sous les piques des assaillants. Mais la nuit les favorise : ils en sont quittes pour des blessures. Un seul tomba ; il fut foulé aux pieds et tellement mutilé qu’il n’offrait plus de forme humaine.

Que vont devenir, cependant, ceux qui n’ont pas osé sortir ? Ce sont presque tous des femmes et des enfants. Ils veulent fuir par les jardins, mais toutes les issues sont gardées. A la pointe du jour ils essaient de descendre dans la rue, mais ils sont battus et refoulés. Les femmes, comptant sur la pitié que leur faiblesse commande, se présentent aux fenêtres, et implorent à mains jointes la compassion des misérables qui commençaient à forcer les portes, mais il n’y avait plus d’entrailles dans ce ramas de forcenés. Et déjà, remettant leur vie à Dieu, elles se préparaient à mourir, lorsque, sur le matin, arriva le lieutenant-civil avec une troupe de sergents.

Il s’enquiert de ce qui s’est fait, et en apprenant que la réunion s’est passée à lire la Bible, à célébrer la Cène, à prier pour le roi et pour la prospérité du royaume, il en est si touché que des larmes lui en viennent aux yeux. Pourtant il doit s’acquitter de sa charge. Il fait d’abord sortir les hommes liés deux à deux ; on les insulte, on les frappe, surtout ceux qui par leur barbe ou par leurs robes longues semblaient être des prédicants. Il veut garder les femmes dans la maison ; mais le peuple menace d’y mettre le feu. Elles sortent à leur tour. On les accable de lâches outrages, leurs vêtements sont mis en pièces, leurs cheveux arrachés, et elles arrivent à la prison du Châtelet, le visage couvert de boue et de sang. On y enferma cent vingt à cent quarante victimes.

Des propos exécrables étaient colportés contre les nouveaux croyants, dans les chaires, dans les confessionnaux, dans les collèges, sur les marchés, à la cour même. On n’y avait pas mis de frais d’invention ; c’étaient mot pour mot les vieilles calomnies des païens contre les assemblées des premiers chrétiens. On accusait les hérétiques de ne pas croire en Dieu, d’immoler de petits enfants, d’éteindre les lumières… Je n’achève pas : relisez l’histoire de l’Église primitive.

Et comme il faut, ce semble, que dans les affaires humaines le ridicule prenne toujours place à côté du tragique, un certain évêque d’Avranches distribua dans tout Paris un libelle où, comparant le son des cloches du service catholique à celui des arquebuses qui avaient interrompu le culte luthérien, il débitait une suite d’antithèses : « Les cloches sonnent, et les arquebuses tonnent ; celles-là ont un son doux, et celles-ci un son épouvantable ; celles-là ouvrent les cieux, celles-ci ouvrent les enfers… » Et le prélat bouffon en concluait que le catholicisme a tous les signes de la véritable Église.

Les réformés publièrent des apologies qu’ils firent jeter secrètement jusque dans la chambre du roi. Mais ils sollicitèrent en vain une enquête sérieuse. Leurs ennemis n’en voulaient point ; ils jugeaient plus commode d’applaudir aux bandes de misérables qui, s’attroupant chaque jour sur les places destinées aux exécutions capitales, demandaient à grands cris le sang des hérétiques.

Avant la fin de septembre, trois prisonniers furent mis en chapelle ; un vieillard, un jeune homme et une femme, Mme de Graveron, de la famille de Luns, en Périgord. Elle n’avait que vingt-trois ans, et était veuve depuis quelques mois. Au moment d’aller au supplice elle quitta ses habits de deuil, et revêtit, dit Crespin, le chaperon de velours et autres accoutrements de fête, comme pour recevoir cet heureux triomphe.

Après ces trois victimes, quatre autres furent encore immolées. Pendant ce temps, l’Europe protestante s’était émue à la voix de Calvin et de Farel. Les cantons suisses, le comte Palatin, l’Electeur de Saxe, le duc de Wurtemberg, le marquis de Brandebourg intercédèrent pour les prisonniers. Henri II avait besoin de l’appui des protestants, et fit grâce. Tout dans cette affaire devait donc être honteux, tout, jusqu’à l’acte d’amnistie arraché à un roi de France par l’intervention de l’étranger.

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