Théologie de l’Ancien Testament

§ 226. Suite du même sujet.

Le peuple de Dieu ne peut périr ; Jérusalem se relèvera de ses ruines plus peuplée et plus belle. Mais comment les choses se passeront-elles pour les Israélites individuellement ? En effet, d’une part, le juste vivra par sa foi ; il sera rendu à chacun selon ses œuvres (Ézéchiel ch. 18), et au jour du jugement tous les hommes qui gémissent de tout le mal qui se commet à Jérusalem, recevront sur le front une marque, grâce à laquelle ils seront épargnés, comme Loth le fut lors de la destruction de Sodome (Ézéchiel 9.4-6). Mais, d’un autre côté, le même prophète voit (Ézéchiel 21.3 et sq.) l’épée du Seigneur consumer indifféremment les bons et les méchants. La contradiction saute aux yeux. Et d’ailleurs, comment un Dieu juste peut-il dire : « Je retrancherai du milieu de toi le juste et le méchant ? » (v. 8.) Je veux bien que le juste est retiré avant que le mal arrive (Ésaïe 57.1), et qu’un Josias, par exemple, est recueilli en paix dans le sépulcre de ses pères, afin que ses yeux ne voient pas le mal que Dieu va faire venir sur son royaume (2 Rois 22.20). Mais pour que la fidélité et la justice de Dieu soient complote ment mises à l’abri de tout soupçon, il faut plus que cela ; il faut que les justes qui sont morts avant que Dieu ait paru dans son règne, aient part à la gloire et à la félicité du royaume qu’ils ont attendu, de la cité permanente dont ils ont fait profession d’être bourgeois.

Il le faut, et Ésaïe ch. 26, Ézéchiel ch. 37 et Daniel ch. 12, vont répondre à cette exigence de notre cœur et de notre foi.

Le premier de ces grands prophètes, après avoir annoncé (Ésaïe 25.8) que dans le temps du salut Dieu engloutira la mort pour jamais, du moins en faveur de l’Israël de l’avenir, fait dans Ésaïe 26.19, un pas de plus et s’écrie : « Puissent tes morts (les cadavres du peuple de Dieu), revivre et mon corps mort se relever ! » Et ce vœu se change bientôt en un cri de victoire : « Réveillez-vous et vous, réjouissez avec chant de triomphe, vous habitants de la poussière, car de même que la rosée ranime l’herbe, ainsi la force vivifiante de Dieu ranime les morts, et la terre jettera dehors les trépassés. » Toutefois cela n’aura pas lieu tout à fait encore, v. 20 : « Va, mon peuple, entre dans tes cabinets jusqu’à ce que l’indignation soit passée. Au jour du jugement dernier, l’Éternel sortira de son lieu, v. 21, et alors la terre ne cachera plus ceux qu’on aura mis à mort », car ils seront justifiés et ils pourront recevoir une vie nouvelle.

[Ces הרוגים (Harougim), ces tués sont les mêmes que les« morts de Dieu » du v. 18. Jusqu’alors Dieu n’aura point vengé leur mort et n’aura fait aucune différence entre leur sang et celui des plus grands malfaiteurs. Voici le sens des versets qui précèdent ceux dont nous venons d’exposer le contenu : dans Ésaïe 26.8-12, Esaïe, parlant au nom des justes, exprime le vœu que le jour du jugement brille bientôt sur la terre, afin que les pécheurs puissent se convaincre de Ia grandeur de l’Éternel et de l’excellence du salut qu’il réserve aux siens. Puis au v. 13 : le peuple a eu jadis d’autres maîtres, il a servi d’autres dieux. Mais cette génération infidèle est jugée, elle ne s’en relèvera pas (v. 14). Maintenant, l’Éternel a de nouveau accru la nation (v. 15), mais quels qu’aient été les châtiments qu’il lui a infligés, le plein salut n’est point encore arrive ; les habitants de la terre se refusent à être amenés a une vie nouvelle, à être arrachés au royaume des morts (v. 18). C’est à ce verset que se L’attache immédiatement le v. 19, où le mot מתיכ.ֻ, tes morts, signifie les corps morts des fidèles par opposition aux morts de la race adultère. — יפלו Ippelou, au v. 18, et תפיל, Tappil. au v. 19, signifient proprement accoucher avant le terme ; נפל, Néphel est un avortement, ou un accouchement où l’enfant doit être tiré péniblement du sein de sa mère. Il aurait fallu de la force pour arracher les morts au sépulcre ; cette force, le peuple en a manqué.]

Il est impossible, après le v. 14, de prendre cette résurrection au figuré et de n’y voir que le relèvement temporel du peuple longtemps humilié par ses ennemis. Ezéchiel a eu sa magnifique vision des ossements desséchés dans un temps où le peuple était si fort découragé, v. 11, que la délivrance que le prophète lui avait déjà annoncée Ésaïe 26.8 et sq., lui paraissait absolument impossible. Il s’agissait donc de ranimer la foi des malheureux Israélites. On connaît ce solennel dialogue : « Fils de l’homme, ces os revivront-ils ? — Éternel, Tu le sais ! (Tu m’adresses une question qui dépasse l’entendement humain.) — Prophétise sur ces os-ci et dis-leur : Os secs, écoutez la parole de l’Éternel ! » Ezéchiel prophétise ; il se fait un bruit, puis un tremblementk ; les os se rapprochent les uns des autres, se recouvrent de nerfs et de chair ; l’Esprit de vie souffle des quatre points cardinaux sur ces corps inanimés ; ils reprennent vie, se relèvent et forment une fort grande armée. — C’était toute la maison d’Israël, Juda aussi bien qu’Ephraïm (v. 15). « Ils disaient : C’en est fait de nous ! » Point du tout : « Mon peuple, je vais ouvrir vos sépulcres, je vous en tirerai et je vous ferai entrer dans la terre d’Israël. » — Cette vision doit-elle s’entendre proprement ou figurément ? — faut-il y voir la résurrection des morts ou bien le relèvement politique et religieux d’Israël ?

k – Un tremblement de terre, d’après Hitzig et Kliefoth. Dans les Septante : σεισμός. Mais rien n’indique que ce soit le même tremblement de terre que celui qui contribue a la défaite de Gog (Ézéchiel 38.19).

[Nous disons politique et religieux, car d’après Ézéchiel 36.27 ; 37.21, il n’y a pas pour Israël de restauration sans réformation. — Pendant très longtemps on s’en est tenu au sens symbolique. Dans ces derniers temps, Hitzig et Kliofoth sont revenus au sens propre.]

Si l’on adopte le sens propre, alors les versets 11 à 14 ne sont pas l’explication, mais seulement l’application de la vision ; ce sont des paroles d’encouragement adressées à Israël et ayant pour texte la vision elle-même. Mais, si l’on prend ces quatre versets dans leur sens le plus naturel, il n’est guère possible d’y voir autre chose que l’explication de la vision. « Ces os sont toute la maison d’Israël », elle-même elle dit : « Nos os sont devenus secs. » Voici qui est évidemment symbolique. De quel droit donc prendre au sens propre le v. 12 : « J’ouvre vos sépulcres et je vous en retire ? » Mais, tout en nous déclarant sans hésitation pour le sens figuré, nous nous empressons d’ajouter que cette vision n’en est pas moins fort importante au point de vue du développement de la doctrine de la résurrection. Tertullien a fort bien dit à propos du passage même qui nous occupe : « On ne peut pas prendre dans le néant son terme de comparaison ; impossible d’avoir recours à une chose qui n’existe pas, pour en faire comprendre une qui existel. » Dieu peut faire revivre ce qui est mort, bien que la chose paraisse incroyable à l’homme ; telle est la pensée qui est au fond de ce chapitre ; de là à la résurrection des corps, il n’y a qu’un pas ; mais, encore un coup, ce pas n’est pas fait dans Ézéchiel 37.

l – De vacuo similitudo non competit ; de nullo parabola non convenit.

Il l’est dans Daniel ch. 12. La résurrection des morts y est annoncée d’une manière positive. Le prophète commence par parler d’un temps d’angoisse tel qu’il n’y en aura jamais eu depuis le commencement du monde. Dans ce même temps, tous ceux dont les noms se trouveront inscrits dans le livre de vie seront sauvés. Beaucoup se réveilleront du milieu de ceux qui dorment dans la poudre de la terre, les uns pour la vie éternelle, les autres pour des opprobres et une infamie éternelle, et ceux qui auront été intelligents brilleront comme la splendeur de l’étendue, et ceux qui en auront amené beaucoup à la justice, luiront comme les étoiles à toujours et à perpétuité. Au v. 13, l’envoyé divin parle même à Daniel de sa propre résurrection : « Va à ta fin, tu te reposeras et tu te relèveras pour recevoir ton lot à la fin des jours. » — Si nous rapprochons Daniel 12.3 de Daniel 11.33, 35, nous sommes obligés de reconnaître qu’ici comme dans Ésaïe 26.19, c’est aux fidèles et aux martyrs que la résurrection est spécialement promise. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le mot Beaucoup du v. 2 ; c’est une grande multitude. On fait erreur lorsqu’on traduit : « Plusieurs de ceux qui dorment, se réveilleront », comme s’il y avait ici une opposition établie entre des personnes qui ressusciteront et d’autres qui ne ressusciteront pas.

[D’après les accents, le מן, min, de מישני, de Miyeschéné, ceux qui dorment, dépend de יקיתּו, se réveilleront, et non pas de רבים beaucoup. C’est : Beaucoup se réveilleront de ceux qui dorment, et non pas : Beaucoup de ceux qui dorment se réveilleront. Au sujet de la résurrection des méchants, Ésaïe 66.24, y préparait déjà. Il y est parlé des cadavres des prévaricateurs que Dieu lui-même aura consumés par son feu et par son épée (v. 16). Ces corps morts sont là au pied des murs de la ville sainte ; leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point, et ils seront en abomination à toute chair. — Ceci suppose évidemment de la sensation dans ces cadavres. — Or, le mot דראון, abomination. qu’Esaïe emploie ici, ne se retrouve plus jamais dans l’A. T., si ce n’est dans notre passage de Daniel. Il est est donc très probable que Daniel fait ici allusion à Esa. ch. 66, et qu’il entend en donner une citation et en même temps un développement.]

Une chose nouvelle dans ce chapitre de Daniel, c’est la résurrection des méchants. On ne peut pourtant pas encore parler chez Daniel d’une résurrection générale. Il n’a encore en vue que les Israélites. Le seul verset de l’A. T. où l’on puisse trouver peut-être un indice de la résurrection de tous les hommes, c’est Ésaïe 24.22, passage obscur, mais où, de quelque manière qu’on l’interprète, il est question de la délivrance de rois longtemps enfermés dans le royaume des morts. On pourrait y opposer Jérémie 51.39, 57, où il est dit que les Chaldéens s’endormiront d’un sommeil éternel dont ils ne se réveilleront jamais. Mais sont-ce vraiment là des expressions dont on a le droit de tirer un parti dogmatique ?

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