La Vérité Humaine – I. Quel homme suis-je ?

C. Le sensationnisme et la sui-conscience

Dans l’affirmation : je suis, sont contenues celle de : je sens et celle de : je pense, dont nous venons de voir que le sensationnisme ne suffit pas à rendre compte. Mais elle contient encore autre chose, savoir la conscience que j’ai de moi-même. Nul ne dit : je suis, si ce n’est par un phénomène de sui-conscience, dont le je suis est l’expression immédiate et spontanée. Le sensationnisme rend-il compte sans reste du phénomène de conscience ?

Constatons d’abord qu’il tend instinctivement et nécessairement à le ramener à un phénomène de conscience inférieur au phénomène de conscience de soi, c’est-à-dire à un phénomène de conscience de quelque chose. Car il y a une différence entre avoir conscience de soi conscient de quelque chose (qui est le phénomène de sui-conscience proprement dit) et avoir conscience de quelque chose simplementd. Or, d’un commun accord, les deux sensationnistes que nous avons étudiés écartent le premier phénomène pour s’en tenir au second seulement. Nous avons recueilli la déclaration de Hume : « Quand je pénètre au plus intime de ce que j’appelle moi-même, c’est toujours pour tomber sur telle perception particulière, … je ne puis jamais arriver à me saisir moi-même sans une perception et jamais je ne puis observer autre chose que la perception. » La conscience dont il s’agit ici est donc celle d’une perception et non celle du moi percevant. — Même tendance et même élimination chez M. Ribot. En expliquant la personnalité consciente comme un agrégat d’états physiologiques, il a soin de faire remarquer qu’« il ne s’agit pas pour le moment de la personnalité réfléchie, mais de ce sentiment de nous-même spontané, naturel, qui existe chez tout individu saine. » Et cette conscience simple, il l’oppose à la conscience réfléchie comme la conscience normale et saine de l’homme du peuple à la conscience artificielle du philosophe. Ce qu’il reproche à cette dernière, c’est d’être une substitution d’un schéma, d’une idée, de l’idée de personnalité, à la personnalité concrète. Les philosophes, dit-il, n’y sont arrivés que par un procédé arbitraire. « Ils ont considéré les états de conscience comme accessoires, et le lien qui les unit comme essentiel, et c’est ce mystérieux dessous qui, sous le nom d’unité, d’identité, de continuité, est devenu le véritable moif. » Mais il proteste que ce lien, ce dessous des états de conscience, cette unité, cette identité de la conscience, cette conscience de la conscience en un mot, n’est qu’une abstraction, une idée, « qui ne ressemble pas plus à la personnalité réelle que le plan d’une ville à la ville elle-même »g. Il ajoute, il est vrai, que « ce rapprochement n’est fait que mutatis mutandis et avec beaucoup de restrictions ». Mais cette réserve (qui rappelle l’« à peu près » de Charles Vogt, et dont nous prenons bonne note) ne l’empêche pas de se résumer de la manière suivante : « Réfléchir sur son moi, c’est prendre une position artificielle qui en change la nature ; c’est substituer une représentation abstraite à une réalité. Le vrai moi est celui qui pense, sent, agit, sans se donner en spectacle à lui-même ; car il est, par nature, par définition, un sujet, et, pour devenir un objet, il lui faut subir une réduction, une adaptation à l’optique mentale qui le transforme et le mutileh. »

d – Au fond, c’est encore de la sensation qu’il s’agit ; mais de la sensation reliée à la conscience, dans son rapport à la conscience, — au lieu que tout à l’heure c’était de la sensation reliée au réflexe, dans son rapport au réflexe.

eLes maladies de la personnalité, p. 167.

fIbid., p. 93

gIbid., p. 94

hIbid., p. 94

a) Le sensationnisme et la conscience simple.

D’un commun accord, Hume et Ribot éliminent donc, l’un comme non existante, l’autre comme factice, la conscience réfléchie (le moi ayant conscience du moi conscient de quelque chose), pour s’en tenir à la conscience simple (le moi conscient de quelque chose). Les prémisses qui déterminent leur choix ou leur préférence ne sont peut-être pas fort difficiles à apercevoir. Il n’importe. Suivons-les, pour le moment, sur le terrain où ils se tiennent, et voyons si la conscience simple se laisse expliquer par le sensationnisme. N’insistons pas sur ce premier fait qu’ils n’ont pas même rendu compte de la perception (sensation) dont ils parlent. Acceptons-la comme un fait primitif.

I) L’unité de conscience est si bien donnée à l’introspection, que le sensationnisme criticiste ne peut la dissoudre sans y faire d’abord appel.

Qu’affirme Hume ? Il affirme que « quand il pénètre au plus intime de ce qu’il appelle lui-même, c’est toujours pour tomber sur telle ou telle perception particulière, … et qu’il n’observe jamais autre chose qu’une perception » ; d’où il conclut que le moi « n’est autre chose qu’un assemblage ou une collection de perceptions diverses qui se succèdent avec une inconcevable rapidité, … une espèce de théâtre où différentes perceptions apparaissent successivement, passent, repassent, s’écoulent et se mêlent en une infinité de situations et de positions ». — Qu’est-ce à dire ? sinon qu’il y a la plus flagrante contradiction entre le phénomène observé et la déduction qu’on en tire. D’une part, en effet, il y a un je qui observe des perceptions, devant lequel passent des perceptions ; qui est lié à la perception, sans doute, mais qui en est distinct puisqu’il en a conscience. C’est le phénomène donné par l’observation. D’autre part, il n’y a plus que des perceptions qui se suivent, et qui ne peuvent prendre conscience l’une de l’autre, puisqu’elles sont distinctes, qu’elles se suffisent à elles-mêmes, qu’elles sont elles-mêmes un état de conscience. Il y a encore sensation, puisqu’il y a perception ; mais il n’y a plus personne pour en prendre conscience ; il n’y a donc plus conscience. — Dira-t-on que le je n’existe pas et qu’il n’y a qu’une série de perceptions distinctes et complètes en elles-mêmes ? C’est bien la pensée de l’auteur. Mais alors qui a conscience de ces sensations ? Et que vient faire l’auteur lorsqu’il parle de descendre en soi-même ? lorsqu’il dit : « chaque fois que je descends… je ne puis jamais arriver… » ? Qu’est-ce que ce je vient faire là ? Ou bien il y en a un, ou bien il n’y en a pas ; et alors n’en parlons plus. Avouons qu’une perception ne peut jamais observer une autre perception ; et que tout soit fini. — Qui faut-il croire ici ? L’exposé conséquent du système selon lequel il n’y a que des perceptions et rien pour en prendre conscience (sensation pure et simple) ? Ou bien l’introspection expérimentale qui, bien malgré elle, ne peut s’empêcher de constater le je, et qui est obligée de s’en servir, ne fût-ce qu’afin de le mieux détruire ? Evidemment l’expérience a raison contre le système.

D’où il résulte que le sensationnisme, même s’il expliquait la sensation (ce qu’il ne fait pas), ne rend pas compte et ne peut rendre compte du plus simple fait de conscience, savoir la conscience de la sensation ; et cela, parce que résolvant le moi en une suite de perceptions distinctes et particulières, il supprime le seul facteur qui pût en prendre conscience : l’identité du moi personnel, le je, l’unité de conscience. Or cette unité de conscience est tellement évidente et tellement nécessaire que le sensationnisme lui-même est obligé d’y faire appel et de s’en servir avant et afin de la dissoudre.

II) L’unité de conscience est attestée par le phénomène de reconnaissance, essentiel à la mémoire, et dont aucune explication physiologique ne réussit à rendre compte.

La même difficulté et la même contradiction se retrouvent chez M. Ribot. Tenons-nous-en, pour lui plaire, à la conscience non réfléchie, au moi qu’il appelle normal, à celui qui sent, qui pense sans se donner en spectacle à lui-même. Admettons, comme tout à l’heure, que sa psychologie ait rendu compte du phénomène de sensation. Prenons ce moi simple qui sent et qui pense sans se réfléchir encore lui-même, dans l’une quelconque de ses fonctions, soi-disant irréfléchies. Examinons par exemple le fait de mémoire.

M. Ribot distingue, avec raison, dans le fait de mémoire trois phénomènes successifs : 1° une modification particulière imprimée aux éléments nerveux ; c’est la perception, ou sensation qui fonde l’image ; — 2° une association stable entre divers groupes d’éléments nerveux ainsi impressionnés, donnant à l’image sa forme spéciale et faisant qu’elle n’est pas une image quelconque, mais cette image (l’association doit être stable pour que le caractère particulier de l’image soit fixe et puisse réapparaître) ; — 3° une localisation dans le temps et dans l’espacei, localisation, dit-il, qui est en même temps la reconnaissance de l’image ou du souvenir. Tels sont, pense-t-il, les trois phénomènes qui constituent le fait de mémoire et qui lui suffisent. Ils sont indifféremment ou organiques seulement, c’est-à-dire inconscients, ou psychologiques, c’est-à-dire accompagnés de conscience ; la conscience ne jouant ici d’autre rôle que celui d’une lumière intermittente, qui tantôt s’allume et tantôt s’éteint, tantôt éclaire et tantôt n’éclaire pas, mais qui n’ajoute rien à la mémoire, et surtout n’en est pas une condition nécessaire. — M. Ribot croit-il vraiment que ces trois facteurs suffisent ? Nous reconnaissons volontiers qu’il existe un enregistrement organique inconscient, dont le retour régulier engendre l’habitude, une habitude tout organique et tout inconsciente, qui est une sorte de mémoire du corps, de mémoire physiologique. Mais à cette mémoire inconsciente il manque le troisième phénomène dont parle M. Ribot : la reconnaissance. Or la reconnaissance, qui seule constitue la mémoire proprement dite, est un fait de conscience, lequel implique (ce que le sensationnisme cherche à cacher parce qu’il ne peut l’accorder) un facteur identique, stable et continu. Il ne suffît pas de parler ici de localisation dans le temps et dans l’espace. Le phénomène essentiel que présuppose la mémoire est et ne peut être qu’un phénomène de reconnaissance. Or pour qu’il y ait reconnaissance, il faut un facteur qui reconnaisse. Il faut que ce facteur soit identique et permanent. S’il n’est pas identique et permanent ; si c’est à chaque fois un autre, il ne peut plus reconnaître. Il faut en outre qu’il soit capable de revenir sur lui-même et de se retrouver lui-même dans ses impressions diverses, c’est-à-dire qu’il soit réfléchi. S’il n’est pas -fléchi, il ne peut pas re-connaître. Il faut enfin que ce facteur soit actif. S’il n’est pas actif, s’il est passif, il enregistre ; il ne constate, il ne compare, il ne reconnaît pas. La reconnaissance ne se fait pas toute seule ; elle s’opère.

iLes maladies de la mémoire, p. 32-43. — M. Ribot s’étend longuement sur le mode de cette localisation, mais nous ne pouvons nous y arrêter ici.

[Voici l’exposé de la même analyse sous une forme peut-être plus claire : « A la base de tout acte de mémoire, il y a une comparaison, un jugement de ressemblance ou de dissemblance entre l’impression actuelle et telle ou telle impression jadis ressentie. Or comment expliquer cela par la physiologie ? Où les deux impressions, qui forment l’objet de l’examen, peuvent-elles donc aboutir ensemble sans se confondre, et trouver un juge qui constate leurs rapports en même temps que leur distinction ? Nul jeu de cellules, nul entrecroisement de fibres nerveuses, nulle association dynamique établie d’un point du cerveau à l’autre, ne saurait expliquer cet acte d’analyse et de synthèse à la fois. » Il réclame pour auteur un principe distinct, un tiers facteur : l’esprit. — (Ph. Bridel, La psychologie sans âme, Revue chrétienne, 1886, p. 332-333.)]

Or qui dit facteur identique, permanent, actif et réfléchi, dit conscience ; non pas au sens évanescent et phénoméniste que lui donne M. Ribot, mais au sens positif et réel du mot, au sens d’un principe spirituel, qui échappe nécessairement au sensationnisme et dont il est radicalement impuissant à rendre compte.

III) Toutes les opérations conscientes de la pensée attestent également un facteur spirituel.

Et ce que nous venons de dire de la mémoire vaut de toutes les opérations intellectuelles, depuis les plus simples jusqu’aux plus élevées. C’est en vain qu’on recourt, pour les expliquer, à la structure interne du cerveau, champ d’autant plus propice aux hypothèses qu’il est plus obscur à pénétrer. L’existence de liaisons multiples entre les diverses cellules peut nous faire comprendre que celles-ci soient capables de s’exciter mutuellement, de se communiquer leurs décharges ou leurs vibrations nerveuses, c’est-à-dire leur mouvement physiologique, de telle sorte que l’impression ressentie par l’une d’entre elles aille réveiller par contre-coup l’impression latente qui dort chez sa voisine. On explique ainsi l’accord et la richesse, l’infinie complexité des matériaux qui constituent la pensée. On n’explique pas la pensée elle-même, ni surtout la conscience de la pensée. Tout ce qui peut sortir de cette connexion matérielle des cellules cérébrales, c’est une succession d’impressions ou d’images accidentelle et sans portée logique, telle qu’elle se produit dans le rêve ou dans la rêverie, lorsque nous sommes inconscients ou à demi conscients de nos pensées, c’est-à-dire justement lorsque la conscience cesse de comparer, de juger, d’agir et d’opérer. La machine cérébrale, fût-elle, comme nous pensons qu’elle l’est en effet, le produit perfectionné d’une longue sélection, l’héritière d’innombrables expériences, ne peut nous donner davantage à titre de machine. Elle reçoit, elle conserve, elle groupe peut-être même (précisément parce qu’elle est non seulement l’héritière physique, mais aussi l’héritière psychologique d’un long passé) et organise dans une certaine mesure les impressions sensibles ; elle prépare ainsi l’aliment de la pensée consciente. Mais pour que cette dernière émerge, il y faut l’activité d’un autre facteur, d’un facteur que le sensationnisme ne peut ni trouver, ni reconnaître, parce que sa méthode l’exclut a priori, mais qui est cependant : l’esprit.

b) Le sensationnisme et la conscience réfléchie.

S’il en est ainsi du fait de conscience simple et soi-disant normal, de celui qui ne se donne pas en spectacle à lui-même, qui ne se prend pas pour objet, mais qui reste sujet ; en un mot de celui qui se ramène à cette formule : je suis conscient de quelque chose ; à combien plus forte raison le sensationnisme sera-t-il incapable d’expliquer le fait de conscience proprement dit, le fait de conscience réfléchie, celui qui s’exprime par cette formule : je suis conscient de moi conscient de quelque chose ! Le sensationnisme l’ignore, ou le déclare artificiel. S’il existait effectivement et s’il était normal, ce serait la ruine d’un système qui se targue bien d’expliquer (?) l’unification progressive des faits physiologiques en une résultante finale qui serait la conscience, mais qui ne saurait expliquer d’aucune manière un phénomène aussi nettement spirituel, aussi contraire à toutes ses présuppositions, que celui d’un acte de conscience revenant sur soi et prenant conscience d’un premier fait de conscience.

Or cet acte existe. Lorsque nous pénétrons au plus intime de ce que nous appelons nous-même, il n’est pas vrai, comme le veut Hume, que ce ne soit que pour tomber sur une perception particulière, que nous n’observions jamais qu’une perception, une perception de froid ou de chaud, d’amer ou de doux, de peine ou de plaisir. Lorsque nous descendons en nous-même, nous tombons, il est vrai, toujours sur une perception particulière, mais non pas sur une perception seule ou quelconque ; nous tombons sur notre perception, c’est-à-dire sur une perception plus je, sur une perception déjà consciente au moi, c’est-à-dire encore sur un fait de conscience préalable. Ce n’est pas sur du froid ou du chaud, sur de l’amer ou du doux, sur de la peine ou du plaisir que nous tombons en réalité ; mais sur la synthèse suivante : j’ai froid ou j’ai chaud, j’ai de la peine ou du plaisir. Or cette synthèse préalable de la perception plus le je, est un fait de conscience. En descendant en moi, je tombe donc sur moi conscient, j’ai conscience de moi conscient. Il y a donc phénomène de conscience réfléchie. La conscience se donne en spectacle à elle-même ; le sujet se prend pour objet de son examen. Et tout cela normalement, légitimement ; car tout cela est contenu dans le fait de conscience humaine. L’introspection des psychologues n’est pas une opération factice ou de mauvais aloi ; elle est simplement plus méthodique que celle que pratique constamment le commun des hommes ; mais elle est une opération qui ne s’explique ni par le sensationnisme physiologique, ni par le sensationnisme critique.

« A vrai dire, ce qu’on analyse ici, sous le nom de conscience, ce n’est pas la conscience elle-même, ce sont, ou ses conditions, ou son objet. Ses conditions forment un ensemble complexe, réductible peut-être, en tout ou en partie, à des éléments physiologiques et physiques. De même, son objet (sensations, pensées, désirs), considéré en lui-même, forme un ensemble complexe, qui peut présenter, avec la succession des faits physiologiques, un parallélisme plus ou moins exact.

Mais la conscience elle-même est une donnée irréductible, que l’on obscurcit en l’expliquant, que l’on détruit en l’analysant. Chercher le détail des éléments de la conscience afin de les opposer ou de les rattacher aux éléments des fonctions inférieures, c’est perdre de vue la conscience elle-même, pour considérer ses matériaux ou son œuvre. La conscience n’est pas un phénomène, une propriété, une fonction même : c’est un acte, une transformation de données externes en données internes, une sorte de moule vivant où viennent successivement se métamorphoser les phénomènes, où le monde entier peut trouver place, en perdant sa substance et sa forme propres pour revêtir une forme idéale, à la fois dissemblable et analogue à sa nature réelle. La conscience est le principe d’une élaboration des phénomènes tellement profonde, que la connaissance des transformations préalables n’en pourrait jamais donner l’idée. En un sens, elle n’ajoute rien à l’être, puisque les choses n’en seraient pas moins, pour n’être pas aperçues dans une conscience. En un autre sens, c’est elle qui fait être ; car la personne consciente, forme éminente de l’être, n’attribue de réalité qu’à ce qui entre ou peut entrer dans sa conscience. D’une part, l’action réflexe ne perd rien de son essence, pour n’être pas l’objet d’une aperception interne ; et les combinaisons les plus complexes d’actions réflexes différentes se peuvent concevoir sans y faire entrer la conscience, comme élément intégrant. Tant qu’il s’agit d’actions réflexes, il s’agit de choses connues, non de personnes connaissantes. D’autre part, la conscience, en apparaissant, n’éclaire nullement les actions réflexes elles-mêmes ; car elle ne nous révèle pas ce qui se passe dans notre organisme, au sens propre du mot. Elle suscite des phénomènes complètement hétérogènes, qui, pour être liés de quelque façon aux phénomènes physiologiques et en reproduire plus ou moins exactement, à leur manière, l’ordre d’existence, n’en forment pas moins, en eux-mêmes, un monde à part, et (ce qu’on ne pourrait prévoir en considérant uniquement la complication des actions réflexes) un monde fermé aux autres consciences. » — E. Boutroux, De la contingence des lois de la nature, p. 101-103.

Elle réclame impérieusement ce que réclamaient déjà la sensation, l’idée, et le fait de conscience simple : l’existence et l’activité d’un tiers facteur, capable de traduire le mouvement en sensation, la sensation en idée ; capable d’opérer entre le moi et la perception ou l’idée une synthèse consciente, c’est-à-dire de réaliser la conscience simple ; capable enfin d’opérer un retour conscient sur cette conscience simple, c’est-à-dire de réaliser la conscience réfléchie.

Ce facteur, impersonnel dans la sensation et l’idée, personnel (c’est-à-dire, au fond, identique au moi) dans la conscience simple et surtout dans la conscience réfléchie, nous est entièrement inconnu. Il n’importe pas de le connaître, mais il importe de le distinguer de ce qui n’est pas lui ; c’est pourquoi nous l’appelons âme, esprit, ou substance inétendue.

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