À l’écoute du Réveil

I. Calvin en échec

1. Post tenebras lux

La Réforme, à Genève, s’installe dans les années trente. Farel prêche. Le prince-évêque se retire. La souveraineté tombe entre les mains du Conseil général des citoyens qui décide, le 21 mai 1536, « sans point d’autre voix qu’une même », de vivre selon la sainte loi évangélique et parole de Dieu ». Il impose à la communauté d’envoyer les enfants à l’école. Il nomme quatre des siens contrôleurs du pain chez les boulangers, pâtissiers, taverniers, pour qu’au lendemain d’un temps de blocus particulièrement dur cette denrée de première nécessité ne donne lieu à aucun trafic malhonnête. La vieille cité d’Empire, en prenant en mains son sort, se déclare république. (Registres du Conseil, t. XIII, Genève, 1940, pp. 576-577 (publiés par la Société d’histoire et d’archéologie)

C’est là le commencement. Maintenant, il s’agit de le mettre en œuvre pour qu’il engendre ce qu’il a conçu.

Calvin s’en chargera. Avec cette intelligence de la Parole de Dieu qu’on n’avait peut-être pas eue jusqu’alors et n’aura plus par la suite…

De là cette Église-Nation dans laquelle société civile et communauté chrétienne se fondent et se confondent. Cette nouvelle Rome, élue selon les uns, maudite selon d’autres, singulière toujours. De vocation spéciale. Sortie du rang sous les effets de la pensée de son réformateur et par conséquent dite à bon droit, à l’avenir, « cité de Calvin ». Même quand, dans la réalité, comme c’est le cas aujourd’hui, elle ne le sera plus vraiment. Car on ne cessera pas, même quand on n’y souscrit plus, de magnifier son grand dessein.

La Réformation, c’est bien cela : une Genève servante, non plus de ses passions et de ses plaisirs, mais de Jésus et des pauvres. Non pas digne de Dieu certes, car qui pourrait sans orgueil y prétendre ? « Et qui, comme le dit l’apôtre, est suffisant pour ces choses ? » (2 Corinthiens 2.16) Mais pleine de zèle pour se conformer à la Parole dont elle vit. De telle sorte que mon concitoyen est en même temps mon frère. Tout comme le simple domicilié, l’étranger, celui qui n’a pas le droit de vote.

On peut donc imaginer que tout Genevois, en cet heureux temps, est un chrétien convaincu, un appelé, un mis à part pour le service du Seigneur, c’est-à-dire, en un mot, selon la Bible, un « saint », un élu, un prédestiné. Et que Genève est une « ville de régénérés »... (Dieu seul, bien sûr, sachant qui l’est en vérité. Emile Guers, Le premier Réveil et la première Église indépendante de Genève ( … ), Genève 1871 (sans nom d’auteur), pp. 3 ss.)

Ce dynamisme du premier amour est un beau spectacle. Il s’affirme aux remparts où patrouille le guet, dans la société européenne où les livres sortis des presses de la cité font flotter la vérité dans les esprits et dans les cœurs, dans les pays voisins où prédicateurs et colporteurs, au risque du bûcher, ne craignent pas de porter partout la Bible. La Parole de Dieu jaillit d’un trop plein de vie. Elle persuade. Elle guérit. Et les Psaumes la font monter dans l’assemblée.

Simplicité déroutante et splendide ! On a supprimé les orgues, les images, les autels, les statues. On n’a voulu que la Parole. Dépouillée. Nue. Et on a vu sa toute-puissance.

Le fidèle en est comme imprégné. Lue, prêchée, chantée, expliquée, commentée, tournée en phrases lapidaires pour la confession de foi et le catéchisme, elle est, jour après jour, ce qui forge la pensée, tisse une mentalité. Le Genevois de ce temps-là constamment l’entend murmurer en lui. C’est le chant de la source, la voix de la conscience, l’âme de toute décision. Aussi le magistrat, au besoin théologien, voire évêque, sans en être l’interprète autorisé, rôle réservé à la Vénérable Compagnie des pasteurs, sait-il lui aussi, dans l’Etat chrétien qu’est la cité, qu’il en est le serviteur.

Genève, à cet égard, peut à bon droit passer pour modèle. On l’a dit. On l’a célébré. Non sans excès parfois. Mais c’est un fait. La cité de Calvin a resplendi sur le monde. « Post tenebras lux ». Lumière a dissipé ténèbres.

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