Hudson Taylor

DEUXIÈME PARTIE
Les années de préparation (Barnsley et Hull)
1850-1852
(de dix-sept à vingt ans)

CHAPITRE 9
Afin que je gagne Christ
mai-décembre 1851
(dix-neuf ans)

Le Dr Robert Hardey jouissait d'une grande considération dans la ville de Hull, à la fois pour sa valeur professionnelle et pour le sérieux de ses convictions chrétiennes. C'était un des médecins les plus occupés de la ville, professeur à l'École de médecine. Il savait se faire aimer des enfants et des pauvres qui remplissaient son dispensaire, aussi bien que de ses malades les plus riches. Il excellait à égayer ses patients et à leur montrer toujours le bon côté des choses. Et mieux encore, dans les souffrances où la médecine est impuissante, il savait comment apporter aide et guérison à l'âme.

Sa maison de la rue Charlotte, l'un des quartiers les plus aristocratiques, était très luxueuse. Hudson Taylor travaillait dans la clinique, située de l'autre côté du jardin. Vite, ses qualités d'ordre, son désir de s'instruire, sa bonne volonté et la douceur de son caractère firent naître entre le docteur et lui de très cordiales relations, qui s'approfondirent par la suite et les amenèrent souvent à prier ensemble.

Mais la vie qu'il menait dans cette maison n'était pas sans inconvénients pour sa préparation missionnaire. Elle était trop confortable et trop facile pour lui. Dans une tout autre partie de la ville, dans un milieu totalement différent, il y avait une petite « chambre de prophète », sans confort aucun, où Hudson Taylor ne trouverait ni luxe, ni compagnie, mais où, seul avec Dieu, il pourrait vivre une vie austère, plus virile. Moïse dans le désert, Joseph dans la prison du Pharaon, Paul dans la solitude en Arabie, connurent cette mise à l'écart et en sortirent pour faire de grandes choses, parce qu'ils étaient revêtus de la puissance de Dieu. C'était l'existence qu'il lui fallait et vers laquelle la main de Dieu le dirigeait. Il ne l'aurait pas choisie lui-même, mais le Seigneur l'avait en réserve pour lui et fit en sorte que les circonstances l'y conduisissent. Il y trouva dans le renoncement à soi-même et la croix de chaque jour, une communion avec le Maître que rien d'autre n'eût pu lui procurer.

Le Dr Hardey ne pouvant continuer de le loger, Hudson Taylor alla d'abord s'installer dans la jolie demeure de sa tante, Mme Richard Hardey, qui n'avait pas d'enfants et était heureuse de prendre son neveu en pension. C'était un premier pas vers le logis beaucoup plus simple.

Malgré tout, il n'était pas délivré de son anxiété et de ses incertitudes. La vie s'ouvrait devant lui ; et, loin du cadre familier de son enfance, obligé pour la première fois de suffire à ses besoins, il sentait plus que jamais combien sa situation était sérieuse. Il lui semblait qu'il était bien loin de pouvoir réaliser son espoir d'aller en Chine. Malgré son désir de se mettre au courant des choses médicales, ses occupations auprès du Dr Hardey lui laissaient bien peu de temps pour étudier, et lui montraient aussi combien il était loin du but qu'il se proposait. L'appel de Dieu brûlait en lui, comme un feu. Il pensait sans cesse aux âmes qui se perdaient en Chine. jour et nuit, il retournait le même problème : comment se préparer pour l'œuvre de sa vie ? Dans sa jeunesse et son inexpérience, il ne voyait venir aucune réponse. Combien il était dur d'attendre, patiemment, et de compter sur Dieu seul. Au fond, il se reposait dans le Seigneur, comme avant de quitter Barnsley, certain qu'Il agirait. Toutefois, le paisible dispensaire fut témoin de plus d'une heure d'anxiété, mais aussi de combien d'heures de prière !

Son trouble intérieur avait peut-être encore une autre cause n'était pas en harmonie avec Dieu au sujet de ses affections les plus intimes. Il ne reconnaissait pas que toute pensée, dans ce domaine-là aussi, doit être soumise à Jésus-Christ. Il donnait beaucoup trop de lui-même à celle qui, un an et demi auparavant, était entrée dans son existence comme une vision de lumière et de beauté. Maintenant qu'il la rencontrait plus souvent, son amour avait grandi et était devenu trop fort pour lui, surtout depuis qu'il avait la certitude d'être aimé en retour.

Et cependant il sentait, peu à peu, que la vie de la jeune fille n'était pas entièrement livrée à Dieu. Il était conscient du fait que son influence s'opposait à un avenir qu'elle ne voulait pas envisager. « Devez-vous aller en Chine ? », lui demandait-elle parfois, d'un ton qui voulait dire : « Comme il serait plus agréable de rester ici et de servir Dieu dans notre pays ! » Il demandait à Dieu avec ferveur qu'elle pût arriver à partager sa vocation ; car rien, pas même la perte de son amour, ne pourrait l'empêcher de répondre à l'appel divin. Mais comme il était douloureux de la perdre juste au moment où il semblait qu'elle pourrait être gagnée ! Comment admettre que leurs vies dussent rester séparées ? Cela représenta bien des heures de luttes douloureuses, dans lesquelles ne lui manqua pas le secours de l'Ami qui sait prendre part à tous nos chagrins.

Il fit heureusement à la même époque d'utiles expériences. C'est ainsi qu'il rencontra des frères dans la foi qui purent l'amener à une connaissance plus profonde de Dieu. Il fut poussé à travailler pour les autres, en aidant les pauvres et les malades et en s'efforçant de gagner les plus bas tombés. Enfin, il eut l'occasion de faire, au moment de l'Exposition Universelle, un voyage à Londres qui devait confirmer sa vocation missionnaire. Ce furent là des encouragements providentiels, destinés à le soutenir dans les épreuves qu'il traversait.

Il eut tout d'abord le bonheur de pénétrer dans une communauté chrétienne qui répondait parfaitement à ses besoins. Peu avant son départ de Barnsley, il avait quitté, par motif de conscience, l'église dans laquelle il avait été élevé. À la suite d'un mouvement de réforme, ses parents et lui se trouvèrent dans la minorité. Ces luttes avaient amené Hudson Taylor à étudier l'histoire de l'Église et lui avaient montré les limitations de tous les systèmes humains, même des meilleurs. Il s'était rattaché comme ses parents aux « Réformateurs » qui prirent plus tard le nom d'Église Méthodiste Libre1, mais il commençait à se sentir uni par des liens plus forts à tous ceux qui aimaient sincèrement le Seigneur. À la même époque, il avait suivi avec profit les réunions de ceux qu'on appelait alors les « Frères de Plymouth ». Et maintenant, à Hull, il était heureux de renouer des relations qui s'étaient avérées si profitables. La prédication, qui consistait en explications approfondies de la Parole de Dieu, répondait à ses besoins. Il aspirait à une vision toute nouvelle des choses éternelles, et la présence de Christ était souvent si réelle dans ces rencontres fraternelles que c'était déjà le ciel sur la terre. Il avait devant lui un avenir difficile, et ces frères pouvaient lui proposer un remarquable exemple de foi aussi bien pour les choses temporelles que pour les choses spirituelles. Ils étaient, en effet, en, rapports étroits avec Georges Müller, de Bristol, dont l'œuvre, à cette époque, prenait un développement considérable. Il avait déjà la charge de centaines d'orphelins, et demandait au Seigneur l'argent nécessaire pour en entretenir mille. En outre, convaincu que les temps étaient venus où l'Évangile devait être prêché à toute nation, il soutenait de ses dons un grand nombre de missionnaires et contribuait à répandre la Bible dans les pays catholiques ou païens. Cette œuvre magnifique, édifiée par un homme sans ressources personnelles, par la foi en Dieu seul, sans aucun appel, sans aucune garantie, était un témoignage de ce que peut la prière fervente. Elle fit à ce titre une grande impression sur Hudson Taylor et l'encouragea plus que toute autre chose dans la voie où il allait s'engager.

Il y était poussé aussi par la tâche qu'il avait entreprise dans un quartier pauvre de la ville, derrière l'Infirmerie Royale. Il y avait là des cabarets et des garnis où la police n'osait guère s'aventurer qu'en nombre. Les rixes étaient fréquentes dans ces repaires de la misère et du vice. Il fallait du courage pour aller y prêcher l'Évangile, mais ses connaissances médicales et beaucoup d'amour et de prières lui ouvrirent l'accès de plus d'un cœur.

Les gens semblaient heureux de nous voir, écrivait-il, et acceptaient de bonne grâce nos traités. Nous allâmes dans différents garnis. Dans l'un, Kester lut la parabole de l'enfant prodigue et l'expliqua quelque peu ; dans un autre, je lus le 55e chapitre d'Esaïe. Du monde entrait sans cesse et nous finîmes par avoir quarante à cinquante auditeurs. Kester prit aussi la parole. Dimanche dernier, j'y suis retourné et j'ai eu un grand sentiment de joie...

Je trouve qu'il est très difficile de placer nos affections complètement dans les choses célestes. J'essaie d'être une épître vivante du Seigneur ; mais lorsque je regarde au-dedans de moi, je suis surpris parfois que Dieu ne me rejette pas. J'essaie de soumettre ma volonté à la Sienne, de dire et de sentir en toutes choses : Ta volonté soit faite. Mais, au milieu de mes efforts, j'ai peine à retenir mes larmes. Car j'ai comme un pressentiment que je vais perdre celle que j'aime, et Dieu seul sait quelles luttes il faut livrer pour pouvoir dire : Malgré tout, que Ta volonté soit faite et non la mienne.

Pensez-vous que j'aie raison d'aller à Londres prochainement ? S'il ne s'agissait que d'un plaisir, ma décision serait vite prise, car je ne dois pas hésiter entre mes plaisirs et mon devoir. Mais il me semble qu'il vaut la peine de m'y rendre pour les renseignements que pourra me donner Lobscheid.

Ce désir d'aller à Londres venait certainement à son heure. Le missionnaire Lobscheid, auquel il faisait allusion, était récemment rentré de Chine. Il était une des rares personnes qui pût parler par expérience des possibilités de travail missionnaire en dehors des ports ouverts par les Traités. Ayant certaines connaissances médicales, il avait pu voyager à plusieurs reprises dans ce que l'on considérait alors comme l'intérieur, à savoir un district populeux au nord de Hongkong. Or, il était justement pour quelque temps en Angleterre et Hudson Taylor était très désireux de profiter de ses conseils.

Ses parents ayant approuvé ce projet, et le Dr Hardey lui ayant donné une semaine de congé, il partit avec sa sœur, profitant d'un train spécial à l'occasion de l'Exposition de Londres.

M. Pearse, secrétaire de la Société pour l'évangélisation de la Chine, fut heureux de rencontrer son correspondant de Barnsley. Tout en parlant avec le jeune homme, dont le visage rayonnait de l'esprit qui l'animait, et avec sa petite sœur, aussi modeste et aimable en apparence qu'elle l'était dans son cœur, son intérêt grandit pour devenir bientôt un sentiment plus profond. Il les invita à Tottenham pour le dimanche suivant et ce fut là qu'Hudson Taylor fit la plus douce des expériences, au milieu de frères consacrés et de familles chrétiennes idéales. Les mots ne peuvent exprimer tout ce que représenta pour lui cet accueil. C'était un monde nouveau, plein d'encouragement et d'inspiration, un monde dont il devait devenir une partie. L'affection qui prit naissance ce jour-là dura toute sa vie et fut pour lui une source de force jusqu'à la fin de sa carrière terrestre.

Et que pensèrent d'Hudson Taylor ses amis de Tottenham ? Présenté à eux par M. Pearse comme candidat missionnaire, il fut observé plus qu'il ne l'eût été autrement. Il ne correspondait pas exactement à l'idée qu'ils se faisaient d'un missionnaire parce qu'il paraissait jeune et délicat et était en outre plein de gaieté. Mais ils ne l'aimèrent pas moins pour cela et remarquèrent son sérieux et son intérêt si vif pour la Chine. En un mot, il gagna leur confiance comme sa petite sœur gagna leur cœur.

L'entretien qui eut lieu avec le missionnaire paraît avoir été moins encourageant. M. Lobscheid était un homme plein d'entrain et d'énergie, mais il semble avoir été superficiel dans sa manière de juger. En tout cas, il n'eut pas une impression favorable du jeune provincial qui lui posait tant de questions.

— Vous ne ferez pas l'affaire pour la Chine, s'écria-t-il à la fin, en regardant attentivement les beaux cheveux et les yeux bleus d'Hudson. Moi, on m'appelle le Diable aux cheveux rouges, et on s'éloignerait de vous avec terreur. jamais ils ne vous écouteront.

— Et pourtant, répondit calmement Hudson Taylor, c'est Dieu qui m'a appelé et Il sait la couleur de mes cheveux et de mes yeux.

Encouragé par les expériences qu'il avait faites à Londres, il reprit son service chez le Dr Hardey à la fin de septembre. Il continuait à demeurer chez sa tante à Kingston Square ; elle allait au-devant de tous ses désirs, et, après ses heures de travail, il trouvait là une société agréable. C'était un des plus jolis quartiers de Hull, et il eût été difficile de désirer mieux. Pourtant, ce n'était pas encore ce que l'amour de Dieu avait en vue pour le préparer pour la Chine. Au travers de ses luttes intérieures, Hudson Taylor apprenait sans doute la patience et la soumission à la volonté de Dieu ; mais il fallait quelque chose de plus, une épreuve extérieure capable de le former pour l'œuvre de sa vie. Perdue dans un faubourg, une petite maison l'attendait ; une simple chambre lui était réservée dans laquelle il allait être seul comme il ne l'avait encore jamais été, seul avec Dieu. Il a raconté lui-même par quel scrupule de conscience il y fut conduit.

Avant mon départ de Barnsley, mon attention, s'était portée sur l'ordre biblique de mettre à part pour Dieu les prémices de tout revenu et une certaine partie de ce que l'on possède. Il me semblait que l'on devait étudier cette question, Bible en main, avant de quitter la maison paternelle et de se trouver placé dans des circonstances où des besoins et des soucis pressants risqueraient de fausser les résultats de cette enquête. C'est ainsi que j'avais décidé de réserver pour le Seigneur non moins du dixième de l'argent que je pourrais gagner ou posséder. Ce que je gagnais à Hull m'aurait permis de le faire sans difficulté ; mais, par suite, de changements dans la famille de mon patron, je ne pus plus habiter chez lui. Je trouvai une demeure confortable chez des parents, et, à mon traitement antérieur, vint s'ajouter exactement ce que j'aurais eu à dépenser pour mon logement et ma pension.

Je me demandai alors : ne devrais-je pas aussi en donner la dîme ? C'était, à n'en pas douter, une partie de mon traitement, et s'il s'était agi d'un impôt public, cette somme aurait été taxée comme le reste. Mais en donnant la dîme de tout, mes ressources devenaient insuffisantes, et, pendant quelque temps je fus dans l'incertitude sur la conduite à tenir.

Après beaucoup de réflexion et de prières, je me décidai à quitter le confort dans lequel je vivais, à prendre une chambre garnie dans un faubourg et à faire moi-même ma cuisine. Je pus ainsi donner la dîme de tout ce que je gagnais et retirai de grandes bénédictions de ce changement qui, pourtant, me fut très pénible. Grâce à ma solitude, j'eus plus de temps pour étudier la Parole de Dieu, pour visiter les pauvres et pour faire de l'évangélisation le dimanche soir. Mis en contact avec beaucoup de souffrances, je compris vite qu'il fallait continuer d'économiser et il me fut possible de donner plus que je n'en avais d'abord eu l'intention.

Tout cela est dit d'une façon si naturelle, que l'on se doute à peine de l'importance du sacrifice. C'était pourtant un changement de vie complet auquel il était très sensible. Le faubourg de Drainside n'avait en effet rien d'engageant : c'était une double rangée de maisons d'ouvriers séparées par un étroit canal et se succédant, toutes pareilles, sur une longueur d'un kilomètre. Celle où il alla s'installer était occupée par Mme Finch, dont le mari était marin. Cette brave femme occupait avec ses enfants le premier étage et louait la chambre du rez-de-chaussée pour trois shillings par semaine. C'était une chrétienne, qui fut tout heureuse d'avoir le « jeune docteur » sous son toit. La chambre d'Hudson Taylor était propre, mais pauvrement meublée, ouvrant sur la cuisine et ayant vue sur le canal où les enfants du quartier jouaient dans la boue ; elle devait paraître bien triste par ces jours gris de fin novembre. Ajoutons qu'il faisait lui-même ses repas, c'est-à-dire qu'il ne devait guère manger, achetant quelques maigres provisions lorsqu'il revenait de la clinique et n'ayant pas souvent l'occasion de prendre un repas convenable.

C'était la solitude, et la solitude dans un quartier de pauvreté et de souffrance. Jusque là, il avait vu la misère lorsqu'il visitait les malheureux. Maintenant, c'était tout autre chose ; il partageait la vie des pauvres, en quelque sorte, et cela lui ouvrit de nouveaux horizons et lui enseigna des leçons très précieuses.

J'ai maintenant un double but, écrivait-il : m'accoutumer à supporter les privations et économiser pour pouvoir secourir plus largement ceux à qui j'annonce l'Évangile. Aussi me suis-je rendu compte que je pouvais vivre de bien moins que je ne le croyais possible autrefois. J'ai renoncé au beurre, au lait et à tout autre luxe ; et en vivant simplement de farine d'avoine et de riz, j'arrive à dépenser très peu. Je puis ainsi disposer des deux tiers de ce que je gagne et j'ai fait l'expérience que, moins je dépense pour moi et plus je donne aux autres, plus mon âme est heureuse et bénie.

Car le Seigneur n'est pas débiteur de l'homme ; et ici, dans la solitude, Hudson Taylor apprenait quelque chose de ce qu'Il peut être pour l'âme de celui qui abandonne tout pour Lui. Dans les jours de christianisme facile où nous sommes, n'est-il pas bon de se souvenir que cela coûte réellement d'être un homme ou une femme que Dieu peut employer ? L'on n'obtient pas sans efforts un caractère semblable à celui de Christ. L'on ne peut accomplir une œuvre selon le Seigneur si ce n'est à un grand prix. Il est vrai de dire, en un certain sens, que Christ lui-même doit être gagné. Il est facile de prier un peu, de Servir un peu, d'aimer un peu. Mais l'apôtre pensait à quelque chose de plus lorsqu'il disait :

Ce qui m'était un gain, je suis arrivé à le considérer comme une perte, à cause de Christ. Et même je regarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. À cause de Lui, j'ai tout perdu ; pour gagner Christ et être trouvé en Lui... Mon but est de Le connaître, Lui et toute la puissance de Sa résurrection ; mon but est de participer à Ses souffrances, devenant conforme à Lui dans Sa mort, espérant atteindre, moi aussi, à la résurrection d'entre les morts (Philippiens 3.7-11).

Beaucoup de prières, comme nous l'avons vu, montaient à Dieu pour la Chine. D'innombrables cœurs étaient remués plus ou moins profondément par le problème de son évangélisation. Mais quand le désappointement et les échecs inattendus survinrent, la majorité se désintéressa et cessa d'aider. Les réunions de prières cessèrent. Les soi-disant candidats missionnaires se tournèrent vers d'autres vocations et les dons baissèrent à un point tel que plus d'une société qui soutenait l'œuvre disparut. Mais, ici et là, le Seigneur avait dans Ses propres écoles ceux sur lesquels Il pouvait compter ; petits et faibles, inconnus et obscurs, mais toujours disposés à exécuter Ses desseins, toujours prêts par Sa grâce à accepter Ses conditions et à payer le prix qu'Il demande. Dans sa tranquille chambrette de Drainside, Hudson Taylor était un homme de cette trempe. Malgré sa jeunesse et ses imperfections, il désirait par-dessus tout avoir le caractère de Christ et une vie semblable à la Sienne. À mesure que survenaient les épreuves qui pouvaient le décourager, il choisissait le chemin du renoncement à soi-même, sans aucune idée de mérite personnel, mais simplement parce que l'Esprit de Dieu l'y poussait. Ainsi, son attitude n'était pas un obstacle aux bénédictions de Dieu.

« Voici, j'ai ouvert devant toi une porte que personne ne peut fermer, parce que, malgré ta faiblesse, tu as gardé ma parole et n'as pas renié mon nom.

Une porte, d'activité s'est ouverte... et les adversaires sont nombreux. »

Les adversaires ne manquaient pas, en effet, pour s'opposer aux progrès d'Hudson Taylor. Il entrait dans une des périodes de sa vie les plus fécondes, les plus bénies pour lui et pour les autres. Quoi d'étonnant que le, Tentateur fût à l'œuvre ? Il était seul, avant besoin d'amour et de sympathie, menant une vie de renoncement très difficile pour un jeune homme. L'occasion était propice.

En effet, ce fut juste à ce moment, après quelques semaines de séjour à Drainside, alors qu'il souffrait de sa nouvelle existence, que le coup mortel lui fut porté et qu'il sembla perdre pour jamais celle qu'il aimait. Pendant deux longues années, il avait espéré et attendu. Ses incertitudes quant à l'avenir lui avaient fait désirer d'autant plus la présence de Mlle V. et souhaiter de l'avoir pour compagne, quoi qu'il arrivât. Mais, maintenant, le rêve était évanoui, et le réveil bien amer. Voyant que rien ne pouvait le détourner de son projet, Mlle V. avait fini par lui dire clairement qu'elle n'était pas disposée à partir pour la Chine.

Son père ne voulait pas en entendre parler, et elle-même ne se sentait pas faite pour cette vie-là.

Ce fut pour Hudson Taylor, non seulement un immense chagrin, mais une terrible épreuve de foi. Le dimanche matin, 14 décembre, tout était froid et triste dans la petite chambre de Drainside. Le jeune. homme était écrasé par sa douleur ; ne sachant plus chercher du secours auprès du Seigneur, il gardait son chagrin en lui-même et s'y complaisait. Il ne sentait pas le besoin de prier. Il y avait un malaise entre son âme et Dieu. Il lui semblait impossible d'aller au culte du matin ; son cœur était trop plein de questions amères et de tristesse. Alors se présenta la suggestion cruelle, perfide : « Est-ce bien la peine ? À quoi bon aller en Chine ? Pourquoi peiner et souffrir toute ta vie pour un idéal de devoir ? Renonces-y maintenant, alors qu'il est encore temps de la reconquérir. Fais-toi une situation, comme tout le monde, et sers le Seigneur dans ton pays. Car il est encore temps... » Son amour luttait désespérément. Il eut un moment d'hésitation et de péril. L'ennemi menaçait de le submerger. Mais l'Esprit du Seigneur le protégea et lui donna la victoire. Nous connaissons cette crise par des lettres à sa mère et à sa sœur. Sa lettre du 16 décembre 1851 à cette dernière est la plus émouvante.

J'ai été pendant quelques jours aussi abattu que possible. J'étais comme incapable de prier, je ne désirais plus même le faire ; au lieu de déposer mon fardeau devant Dieu, je gardai tout pour moi, jusqu'au jour où cela ne me fut plus possible.

Donc, dimanche, je ne sentais aucun désir d'aller au culte et j'étais en proie à de grandes tentations. Satan montait comme un flot et je dus m'écrier « Seigneur, sauve-moi, je péris ! » Satan ne cessait de me suggérer « Jamais tu n'as été éprouvé comme maintenant. Tu ne dois pas être dans la bonne voie, sans quoi Dieu t'aiderait et te bénirait », et ainsi de suite, jusqu'au moment où je fus sur le point de céder.

Mais, grâces à Dieu, la route du devoir était celle du salut. J'allai au culte quand même, aussi malheureux que possible ; mais je n'en sortis pas dans le même état. Un cantique me frappa en plein cœur. Je fus heureux qu'il y eût une prière, car je ne pouvais pas retenir mes larmes. Mon fardeau était plus léger.

L'après-midi, étant seul à la clinique, je me mis à réfléchir sur l'amour de Dieu, sur Sa bonté et la façon dont j'y répondais ; je repassai toutes les bénédictions qu'Il m'avait accordées, et je vis combien mes épreuves étaient petites comparées à celles que d'autres doivent endurer. Il m'apaisa et m'humilia. Son amour fondit la glace de mon âme et je Lui demandai sincèrement pardon pour l'ingratitude de ma conduite.

Oui, Il m'a humilié et m'a montré ce que j'étais, se révélant Lui-même à moi comme un secours efficace au moment de la lutte. Quoiqu'Il ne m'empêche pas de sentir ma douleur, Il me donne la force de chanter : « Je veux me réjouir dans le Seigneur, dans le Dieu de mon salut. » Maintenant je suis heureux dans l'amour de mon Seigneur. Je peux le remercier de tout même des plus pénibles expériences du passé, et me confier en Lui sans aucune crainte pour l'avenir.


1 Free Methodist Church.

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