Hudson Taylor

SIXIÈME PARTIE
Mariage et œuvre à Ningpo
1856-1860

CHAPITRE 41
Un lieu plein de ressources
août-décembre 1859

Épargné comme il l'avait été par la miséricorde de Dieu, Hudson Taylor fut d'autant plus ému, le 26 août, par la mort presque soudaine de Mme Parker. Les jeunes missionnaires de la rue du Pont firent tout ce qu'il était en leur pouvoir afin d'aider leur ami et ils ne furent pas seuls à l'entourer de sympathie. Mais ce coup était plus que n'en pouvait supporter M. Parker. L'un de ses quatre petits enfants était gravement malade et maintenant le docteur se rendait compte que sa propre santé était éprouvée par ces cinq années passées en Chine. Il n'avait plus le courage ni la force de faire face à de nouvelles charges, et il ne tarda pas à prendre la décision de retourner en Écosse où sa famille pourrait s'occuper de ses enfants.

Mais qu'allait devenir la mission médicale, fruit de tant de prières et de travail ? L'hôpital était rempli de malades et une vraie foule se pressait tous les jours au dispensaire. Il n'y avait pas d'autre médecin pour le remplacer et pourtant il n'était pas question d'interrompre cette œuvre, précisément à l'entrée de l'hiver. Ce fut alors que le Dr Parker eut l'idée de demander à Hudson Taylor de continuer, tout au moins, le dispensaire. Il avait les connaissances voulues, et, en fermant l'hôpital, aurait moins de responsabilité financière.

Cette proposition fut, il n'est pas besoin de le dire, une vive surprise pour le couple missionnaire. Ils prièrent beaucoup à ce sujet. Leur désir était de connaître la volonté de Dieu et ils ne tardèrent pas à voir clairement leur chemin ; mais Sa direction était autre qu'ils ne l'avaient prévu.

Certes, le dispensaire devait rester ouvert, mais, bien plus, il ne fallait pas fermer l'hôpital. Le Seigneur ne leur avait-Il pas donné des aides dans la personne de leurs convertis indigènes ? Quant aux fonds ou au manque de fonds, ce n'était pas leur affaire, mais celle de Dieu. Fermer l'hôpital parce qu'il restait peu d'argent en caisse aurait signifié en fait que la prière avait perdu son efficacité. Si cela était, ils pouvaient tout aussi bien quitter le champ de mission. Non, pour le bien des croyants indigènes, pour l'affermissement de leur propre foi, pour la consolation et la bénédiction de beaucoup et, par-dessus tout pour la gloire de Dieu, ils devaient aller de l'avant.

Après avoir regardé au Seigneur pour être dirigé, écrivit Hudson Taylor, je me sentis poussé à me charger non seulement du dispensaire, mais de l'hôpital, en comptant uniquement sur la fidélité d'un Dieu qui entend la prière pour subvenir aux besoins de Son œuvre.

Il n'y avait alors pas moins de cinquante-et-un malades, et il venait tous les jours beaucoup de monde au dispensaire. Il y avait trente lits gratuits et environ autant réservés à des fumeurs d'opium qui venaient là se faire guérir et payaient alors leur pension. Comme soins et médicaments étaient gratuits, les dépenses quotidiennes étaient considérables. Il y avait, naturellement, un certain nombre d'aides indigènes à l'entretien desquels il fallait pourvoir.

Les ressources étaient venues jusqu'ici de la clientèle étrangère du Dr Parker ; avec son départ, il fallait renoncer à cet apport-là. Mais Dieu n'a-t-Il pas dit que, tout ce que nous demanderons au nom du Seigneur Jésus, s'accomplira ? N'a-t-Il pas dit aussi de chercher d'abord le royaume de Dieu et non les choses passagères d'ici-bas, et que toutes ces choses nous seront données par-dessus ? Ce sont là pour nous des promesses suffisantes.

Remplis de confiance dans le Seigneur et certains d'être appelés à cette tâche plus étendue, Hudson Taylor et sa femme se préparèrent à s'installer dans la maison du Dr Parker. Les chrétiens de la rue du Pont restaient confiés aux soins de M. Jones qui avait été dès le début le pasteur de la petite communauté, et tous accompagnèrent leurs missionnaires de leurs prières et de leur amour.

Le 30 septembre, Mme Taylor racontait à sa belle-mère le changement survenu dans leur existence.

Hudson n'a de nouveau pas pu vous écrire et cela fait le quatrième courrier bi-mensuel qui n'apporte pas de lettre de lui. J'espère que vous ne pensez pas que sa chère petite fille est en train d'enlever son cœur à ses parents bien-aimés. S'il pouvait trouver du temps la nuit, il le ferait, comme autrefois, mais ses occupations ne lui en laissent pas le moyen. Il ne remonte, d'ordinaire qu'entre dix et onze heures du soir, fatigué de la longue tâche de la journée, et après un peu de repos, il retourne voir quelques-uns de ses malades ou prépare des remèdes pour les autres.

Vous serez certainement surprise de voir que je parle ainsi de malades, mais vous le serez peut-être plus encore lorsque je vous dirai que le Dr Parker a remis l'hôpital à Hudson. Il y a quelques mois, je me promenais avec une amie dans le jardin de la Mission Presbytérienne et elle me disait :

« Savez-vous ce que je vous prédis ? C'est que dans quelques années, le Dr Parker retournera en Ecosse avec sa famille et que M. Taylor et vous, viendrez habiter sa grande maison et continuer son œuvre. »

Je lui rappelai qu'Hudson n'avait pas ses diplômes de médecin et lui dis que je ne pensais pas que nous pussions nous fixer jamais hors de la ville.

Nous ne pouvions guère imaginer que, quelques mois plus tard, le Dr Parker s'embarquerait avec ses enfants privés de leur mère, que nous serions dans sa maison et qu'Hudson aurait repris son œuvre.

Mme Taylor, si loin qu'elle fût de le supposer, était elle-même un des principaux éléments du succès de son mari. Elle était tout à fait capable de diriger cette maison importante. Elle tenait les comptes, se chargeait de la correspondance et des soins du ménage ; elle dirigeait les domestiques et, dans une certaine mesure, les aides, le tout si parfaitement qu'il pouvait réserver toutes ses forces pour son œuvre de médecin et de pasteur. Elle trouvait même le temps d'aller souvent dans les salles, et s'occupait surtout des femmes et du dispensaire.

Elle avait une grande et bienfaisante influence sur les malades, écrivait-il à son sujet. Ils sentaient bien qu'une religion capable d'amener une dame anglaise à accomplir des travaux si particuliers et si répugnants était digne d'attention. Cette heureuse influence s'étendait aussi sur les domestiques par une sympathie naturelle et par les efforts constants qu'elle faisait en vue de leur bien-être. Elle ne les considérait pas comme des gens payés pour la servir, mais comme des âmes qu'elle avait mission d'amener à Christ. Elle les encourageait et les aidait à apprendre à lire, et avait enseigné l'écriture à plusieurs. Beaucoup de ceux qui furent ainsi en relations avec elle en vinrent à connaître et à aimer le Maître qu'elle servait si fidèlement.

Elle tirait une force réelle d'une foi profonde dans la souveraine providence de Dieu aussi bien pour les petites que pour les grandes choses. Sa Parole dit : « Les cheveux de votre tête sont tous comptés »; elle n'en doutait pas et ne pouvait pas en douter.

Elle avait l'habitude aussi de chercher en tout l'approbation de Dieu et n'écrivait pas une ligne, ne payait pas une facture, ne faisait pas un achat sans élever son cœur vers Lui.

Hudson Taylor aussi comptait sur Dieu. Si le secours avait dû provenir des hommes, il se fût assuré le, concours de ses amis. Mais ce changement de travail vint si soudainement que personne n'en fut prévenu. Cependant, le Seigneur l'avait prévu, et comme les événements vinrent heureusement le prouver, les subsides nécessaires étaient en route.

En prenant sa charge à l'hôpital, le jeune missionnaire commença par réunir tous les aides et par leur faire un exposé fidèle de la situation. Le Dr Parker, leur dit-il, avait laissé des ressources suffisantes pour un mois, à peine un peu plus, après quoi il faudrait attendre directement le secours du Seigneur ; aussi ne pouvait-il leur garantir de traitement fixe, étant donné que, de toutes manières, il ne voulait pas faire de dettes. Dans ces conditions, il rendait la liberté à tous ceux qui préféraient la reprendre, tout en souhaitant de les voir continuer leurs services, s'ils étaient prêts à se confier simplement dans les promesses de Dieu.

Ces conditions, comme s'y attendait d'ailleurs Hudson Taylor, amenèrent à se retirer tous ceux qui n'étaient pas des chrétiens décidés. C'était un changement que le Dr Parker avait souhaité depuis longtemps mais qu'il avait différé, ne sachant pas comment obtenir des aides qualifiés. Hudson Taylor n'hésita pas et ce fut avec un cœur léger qu'il se tourna vers le cercle des croyants de la rue du Pont. En effet, pour ces chrétiens, c'était une chose naturelle de se confier dans le Seigneur pour les besoins temporels comme pour les besoins spirituels. Dieu n'était-il pas, comme les missionnaires le leur rappelaient souvent, un vrai Père qui ne pourrait jamais oublier les besoins de Ses enfants ? Ils vinrent donc à l'hôpital, heureux non seulement de seconder leurs missionnaires, mais encore de mettre à l'épreuve d'une façon toute nouvelle la sollicitude de leur Dieu.

Les uns donnèrent leurs moments disponibles, d'autres tout leur temps, sans qu'il y eût d'autre salaire fixe que leur entretien. Tous avaient le même zèle et priaient pour l'hôpital.

L'atmosphère de la maison en fut transformée. Les malades sentirent qu'il y avait un esprit nouveau. Tout respirait la confiance et la joie. Les journées étaient pleines d'intérêt. Wang, le faucheur, Wang, le peintre, Nyi, Neng-kuei et les autres semblaient posséder le secret du bonheur perpétuel. Non seulement ils se dévouaient aux travaux de maison, mais encore ils consacraient temps et forces à Celui qui avait transformé leur vie et qui, affirmaient-ils, était prêt à recevoir tous ceux qui viendraient chercher le repos auprès de Lui.

Il n'y a guère de secrets en Chine et l'on sut vite quelle était maintenant la base financière de l'hôpital. Les malades même étaient au courant et attendaient le résultat avec anxiété. C'était le sujet de bien des entretiens et lorsque l'argent laissé par le Dr Parker fut épuisé et que les fonds personnels d'Hudson Taylor commencèrent à baisser aussi, les conjectures se donnèrent libre cours. Hudson Taylor et ses aides, eux, priaient. Le missionnaire sentait que c'était une épreuve plus décisive que toutes celles qui avaient précédé et qu'il y allait de la foi de beaucoup, en même temps que de la continuation de l'œuvre. Et les jours passaient sans apporter la réponse attendue.

Enfin, un matin, le cuisinier Kuei-hua annonça une grave nouvelle : il venait d'ouvrir le dernier sac de riz dont on verrait bientôt le fond.

« Alors, répondit Hudson Taylor, le moment où le Seigneur nous aidera doit être tout proche. »

Il l'était, en effet, car avant que le sac de riz ne fût fini, le jeune missionnaire recevait une lettre remarquable.

Elle était de M. Berger et contenait un chèque de cinquante livres sterling, comme cela s'était déjà produit auparavant. Mais cette fois-ci cet excellent ami annonçait qu'un lourd fardeau s'était abattu sur ses épaules, le fardeau d'une fortune à employer pour la cause de Dieu. Son père était mort récemment, lui laissant un bel héritage, et comme il ne désirait pas augmenter ses dépenses personnelles, il cherchait un moyen d'utiliser cet argent pour l'œuvre de Dieu. Il demandait à ses amis de Chine d'employer ce chèque pour leurs besoins immédiats, et, après avoir prié, de lui dire s'ils pouvaient utilement faire usage de sommes plus grandes encore.

Cinquante livres sterling, là, sur la table ! Et cet ami, si loin, qui ne savait rien du dernier sac de riz et des nombreux besoins de l'hôpital, qui demandait s'il pouvait envoyer encore des fonds ! Glorieuse manifestation de la puissance et de l'amour de Dieu qui remplit Hudson Taylor de reconnaissance et de crainte. Dire qu'il eût pu refuser de se charger de l'hôpital par suite du manque de ressources, ou plutôt par manque de foi ! Manquer de foi, avec de telles promesses et un tel Dieu !

Il n'y avait pas, alors, d'Armée du Salut, mais la réunion d'actions de grâces qui eut lieu dans la petite chapelle en avait déjà le caractère joyeux et les chants d'allégresse. Elle fut courte, d'ailleurs, car ne fallait-il pas s'occuper des malades qui remplissaient les salles ? Comme ils écoutaient tous, ces hommes et ces femmes qui n'avaient connu jusque-là que le vide du paganisme !

« Quelle est l'idole qui eût pu faire cela, se demandaient-ils ? Nos dieux nous ont-ils jamais délivrés de nos angoisses, ont-ils jamais répondu de la sorte à nos prières ? »

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