Hudson Taylor

SEPTIÈME PARTIE
La préparation de l'ouvrier et de l'œuvre
1860-1866

CHAPITRE 44
Années cachées
1860-1864

C'était au cœur de l'East End de Londres, au milieu de la population ouvrière de Whitechapel, qu'Hudson Taylor avait établi sa demeure. Revenu malade de Chine en 1860, il avait reçu comme une sentence de mort l'avis des médecins déclarant que, s'il essayait d'y retourner, il commettrait un véritable suicide. Six ans et demi de travail ardu à Shanghaï, à Ningpo et ailleurs, avaient épuisé une constitution qui n'avait jamais été robuste, et, avec une femme de santé délicate et un jeune enfant, il semblait bien que sa carrière missionnaire fût à jamais brisée.

Sa seule consolation, en quittant les convertis de Ningpo, avait été de penser qu'il pourrait travailler pour eux en Angleterre. Le besoin se faisait vivement sentir d'avoir un recueil de cantiques, quelques ouvrages simples dans leur dialecte local, et, par-dessus tout, une traduction plus correcte du Nouveau Testament, avec parallèles. À peine débarqué, le jeune missionnaire avait fait des démarches auprès de la Société Biblique et de la Société des Traités religieux pour qu'elles entreprissent ces publications, et il fut si absorbé par des réunions, des entretiens et sa correspondance que près de trois semaines s'écoulèrent avant qu'il pût visiter ses bien-aimés parents à Barnsley.

La question se posait de savoir où se fixer. S'il devait rester en Angleterre un an ou deux, Hudson Taylor voulait utiliser son temps le mieux possible. La pensée de prendre des vacances n'aborda pas son esprit. Pour lui, avoir un congé signifiait saisir l'occasion de trouver des collaborateurs et de se préparer en vue de l'œuvre future. Ses collègues de Ningpo, M. et Mme J. Jones, qui travaillaient d'une façon tout à fait indépendante, ne pouvaient plus suffire à la tâche. Ils avaient besoin d'un renfort immédiat, et avant même le départ d'Hudson Taylor, ils avaient demandé cinq ouvriers supplémentaires et avaient beaucoup prié, certains que Dieu les leur ferait trouver.

En attendant, les nouvelles de la Mission n'étaient point rassurantes.

Vous savez ce que c'est que d'avoir au loin un enfant malade, écrivait Hudson Taylor à ses parents, deux mois après son arrivée en Angleterre. C'est ce que nous éprouvons en nous sentant si loin de nos chrétiens chinois spirituellement malades. Mais qu'y pouvons-nous faire ? Impossible de retourner immédiatement auprès d'eux. Je sais combien ils ont besoin de nous, mais le but de notre retour au pays ne paraît pas encore atteint.

Prions ensemble le Seigneur d'agir dans le cœur de ces chers, mais faibles agneaux de Son troupeau, rachetés par Son précieux sang. Oh oui ! « Il portera les agneaux dans ses bras », Il les aime plus que nous ne pouvons le faire nous-mêmes.

Faisant taire son impatience de repartir pour la Chine, Hudson Taylor avait résolu de compléter ses études médicales et d'obtenir son diplôme. Face à la large avenue de Whitechapel se dressait sa vieille Alma Mater, l'hôpital de Londres, dont les portes lui étaient ouvertes. Il renonça résolument à un genre de vie plus confortable, et amena sa femme et ses enfants dans l'East End, où il loua une maison dans une petite rue voisine de l'hôpital, afin de ne pas perdre de temps en allant assister aux leçons.

Ce fut là, rue de Beaumont n°1, que commença la discipline qui devait se prolonger (il était loin de s'y attendre) jusqu'à ce qu'il fût prêt à recevoir la vision plus large qui devait lui être accordée. Temps de vie cachée, sans beaucoup de résultats visibles, au cours duquel Dieu allait faire en lui l'œuvre qui devait porter des fruits non seulement à Ningpo, mais dans toutes les parties de la Chine.

Heureusement pour eux, les jeunes missionnaires ne pouvaient prévoir ce qui les attendait. À vingt-quatre et à vingt-neuf ans, une longue patience n'est pas facile. Ils étaient heureux en Angleterre, mais toutes leurs pensées, tout leur amour, toute leur vie allaient à la Chine. Outre les études médicales, ils avaient entrepris la tâche importante de réviser le Nouveau Testament de Ningpo, la Société Biblique ayant consenti à en publier une nouvelle édition. Ils étaient en correspondance avec des candidats missionnaires et, à mesure que s'améliorait leur santé, ils espéraient plus vivement que deux années leur suffiraient pour obtenir le diplôme médical, pour avoir en mains les publications désirées, et pour recevoir les compagnons d'œuvre qu'ils sollicitaient de Dieu. Mais quatre années allaient s'écouler avant que la Colonne de nuée ne s'ébranlât devant eux, quatre années qui ne leur amenèrent qu'un seul missionnaire !

Les études médicales achevées, le travail de révision prit des proportions toujours plus grandes. Ces retards pourtant étaient voulus de Dieu. C'était ainsi seulement que pouvaient être exaucées leurs plus ferventes prières.

Jetons un coup d'œil dans cette paisible demeure de la rue de Beaumont, grâce aux souvenirs du jeune candidat missionnaire de Barnsley qui y vint pendant la première année du séjour d'Hudson Taylor à Londres.

Ce jeune homme, sous l'influence de M. Henry Bell, son chef de classe, avait conçu un grand intérêt pour la Chine, mais était loin de se douter qu'il deviendrait lui-même missionnaire.

— James, dit un jour M. Bell, j'ai trouvé du travail pour vous !

— Lequel, monsieur ?

Et la réponse vint, inattendue : Allez en Chine !

M. Bell avait compris que, pour cette œuvre, objet de beaucoup de prières, des aptitudes spirituelles étaient plus nécessaires qu'une longue éducation intellectuelle. Aussi avait-il pensé au jeune artisan qui était son bras droit dans les réunions en plein air et partout où il y avait une âme à gagner. Il lui dit tout ce qu'il savait de l'œuvre d'Hudson Taylor et de ses appels au secours, puis il répéta la question : Voulez-vous aller ?

— J'irai, répondit Meadows, si Dieu m'y appelle ; mais il me faut du temps pour en faire un sujet de prières.

Les principes de foi sur lesquels était basée la Mission ne l'effrayaient pas, ni les difficultés de la langue. Il était prêt à abandonner de belles perspectives d'avenir et à remettre au Seigneur seul le soin de sa vie. Mais il lui fallait savoir d'une manière certaine que c'était bien Dieu qui le conduisait.

Je jeûnai donc, écrivait-il longtemps après, et, entrant un jour dans mon atelier à l'heure du dîner, je me jetai à genoux et demandai au Seigneur d'une façon précise : Dois-je aller ?

La réponse me fut donnée à ce moment-là, claire et nette : « Va, et le Seigneur sera avec toi. » Je n'ai jamais regretté, depuis ce jour jusqu'aujourd'hui (au bout de cinquante ans), d'avoir fait ce que j'ai fait !

Quand le moment vint pour lui de se rendre à Londres qu'il n'avait jamais vu, il se sentit plus attiré par la personnalité d'Hudson Taylor que par les merveilles de la grande cité. La pauvreté de la demeure des missionnaires et la simplicité de leur vie l'étonnèrent un peu, mais il oublia vite la nudité de la chambre, la maigreur du feu qui brûlait dans la cheminée, malgré l'intensité du froid, et l'usure des vêtements de ses hôtes, tant il fut intéressé par leur conversation et par la vue d'un Chinois authentique qui leur servait de cuisinier, de blanchisseur, etc., et qui portait son vêtement national et la queue des indigènes1. La piété aimable et profonde des missionnaires l'impressionna vivement. Il comprit que, par amour pour cette œuvre qui absorbait toutes leurs pensées, ils pouvaient accepter la pauvreté, les privations de toutes sortes. Le fait terrifiant qu'un million d'âmes précieuses périssaient chaque mois en Chine, faute de connaître l'Évangile, était pour eux une réalité qui devait se traduire dans leur vie quotidienne. Si pauvres qu'ils fussent — et il découvrit bientôt qu'ils n'avaient aucun argent en mains, ni même en perspective pour l'envoyer en Chine — il était heureux d'unir son sort au leur et de partir comme « lecteur de la Bible » dès que les fonds seraient trouvés2.

Hudson Taylor prit de ce premier collaborateur un soin digne de sa confiance. Il avait expérimenté ce que c'est d'être seul et sans ressources dans un pays étranger, et il faisait tout son possible pour pourvoir au bien-être de ses frères.

La seule plainte de M. Meadows, au bout d'un an de cette vie, fut qu'on lui envoyait des fonds aussi régulièrement que s'il avait eu un salaire fixe. Il lui semblait qu'une telle régularité était incompatible avec la confiance en Dieu seul.

Je lui expliquai, dit Hudson Taylor, que ce scrupule n'était pas fondé car, ni lui ni moi n'ayant reçu la promesse d'un seul centime de plus, nous devions nous attendre constamment au Seigneur seul pour obtenir du secours.

Hudson Taylor ayant obtenu son diplôme médical, grâce à un travail acharné, pouvait maintenant envisager l'avenir :

Nous avons beaucoup de difficultés devant nous, écrivait-il à ses parents, et je ne vois pas du tout mon chemin, mais il me suffit de savoir que quelqu'un le voit, Celui qui nous guide et qui subviendra à tous nos besoins... Je souhaiterais que Barnsley ne fût pas si loin, mais quand nous serons à notre Home céleste, nous serons toujours ensemble... Nous ne devons pas chercher notre repos ici-bas, n'est-il pas vrai ? Mais nous élancer en avant, estimant toutes choses (et cela inclut beaucoup de choses) une perte, pourvu que nous gagnions Christ et soyons trouvés en Lui.

De ces quatre années d'attente nous connaîtrions peu de choses, si nous ne possédions des carnets de notes écrites au jour le jour pendant trois ans, et providentiellement conservés, dans lesquels on sent un esprit que les mots sont impuissants à traduire. À peine un jour se passait-il sans qu'Hudson Taylor n'eût des lettres à écrire, des visites à recevoir, des réunions, des leçons de chinois à donner à des candidats missionnaires, des visites médicales à des amis ou à des voisins malades, des séances de comités ou d'autres occupations, ajoutées à la révision du Nouveau Testament de Ningpo, qui restait son principal travail, à laquelle il consacrait un temps considérable, comme en fait foi son journal, où l'on trouve des mentions telles que celles-ci :

13 avril 1863. Commencé avec M. Gough à dix heures du matin et travaillé environ huit heures. Révision : neuf heures en tout.

14 avril. Révision neuf heures.

15. dix heures et demie.

16. huit heures.

17. onze heures et demie.

18. onze heures.

19. Dimanche. Matin : écrit à James Meadows puis culte avec Lae-djün. L'après-midi, pris le thé avec M. John Howard, ayant été à pied à Tottenham pour avoir des nouvelles de la santé de Mlle Stacey. Le soir, assisté à la prédication de M. Howard. Proposé à Mlle Howard, comme sujet de prières, que nous soyons aidés dans notre révision, et que nous puissions la faire bien et aussi rapidement que possible. Rentré à pied à la maison.

20 avril. Révision douze heures.

21. onze heures.

22. dix heures.

23. douze heures.

24. neuf heures et demie.

25. treize heures et demie.

Plusieurs exaucements de prières aujourd'hui. Grâces Lui soient rendues.

Le journal continue ainsi, nous confondant, nous qui aimons la vie facile, par la consécration qu'il révèle. Et il s'agissait d'un missionnaire qui venait de rentrer au pays, retenu à la maison à cause de sa santé sérieusement ébranlée par un labeur acharné en Chine !

26 avril. Dimanche. Le matin, entendu M. Kennedy prêcher sur le texte : « Ne te fais pas de mal. » (Bien à propos, en vérité !) Couché, l'après-midi, avec maux de tête et névralgies. Le soir, étudié la première partie d'Héb. II avec Lae-djün. M. Gough m'a promis ne pas commencer plus tard que dix heures trente demain. Que Dieu nous fasse avancer dans le travail cette semaine, nous aide et nous conduise en toutes choses.

27 avril. Révision sept heures (le soir à Exeter Hall).

28. neuf heures et demie.

29. onze heures.

30. cinq heures et demie (réunion de la Société missionnaire baptiste).

1er mai huit heures et demie (visites jusqu'à dix heures du soir).

2. treize heures.

3. Dimanche. À Bayswater. Le matin, entendu M. Lewis prêcher sur Jean 3.33 ; pris la Cène là-bas l'après-midi3. Le soir, resté à la maison. Prié pour notre travail.

4 mai. Révision quatre heures (correspondance et visites).

5. onze heures et demie.

6. sept heures (importants entretiens).

7. neuf heures et demie.

8. dix heures et demie.

9. treize heures.

10 Dimanche. Resté le matin avec Lae-djün. Étudié ensemble Héb. II. Moment bienfaisant. Écrit à James Meadows. L'après-midi, prié avec Maria pour la maison, Meadows, la révision, etc. Écrit à M. Lord4. Le soir, entendu M. Kennedy prêcher sur Math. 27.42 : « Il a sauvé les autres, Il ne peut se sauver lui-même ». Oh ! ressembler davantage à Jésus, doux, patient, aimant. Seigneur, rends-moi davantage semblable à Toi !

Fécondes du point de vue du travail accompli, les années passées à Londres le furent aussi par les triomphes d'une foi souvent mise à l'épreuve. Hudson Taylor, il faut le relever, n'a jamais rien distrait, pour ses besoins personnels, des fonds destinés à la Mission. Dès le début, il jugea important d'être, à cet égard, entièrement indépendant de son œuvre. Il s'attendait au Seigneur pour les affaires temporelles aussi bien que pour les choses spirituelles, et il expérimenta souvent d'une façon merveilleuse la vérité de cette promesse : « Il ne refuse aucun bien à ceux qui marchent dans l'intégrité. » Mais dans ce pauvre quartier de l'Est de Londres, il connut des temps de pénurie extrême, tels qu'il n'en eut jamais dans la suite. Ainsi furent, par exemple, certains jours d'automne, en 1863, desquels nous lisons ce qui suit :

Lundi 5 octobre. Notre argent est presque épuisé. J'ai cependant payé, en me confiant en Dieu, ce que nous devions à des fournisseurs et à nos domestiques. Trouvé une très douce promesse pour notre travail dans I Chroniques 28.20. Révision : sept heures.

9 octobre. Nous n'avons, pour ainsi dire, plus rien. O Seigneur, notre espérance est en Toi. Révision : six heures et demie. Mme Jones et trois autres personnes sont arrivées de Bristol (tout une compagnie à recevoir !).

10 octobre. Nous n'avons plus que deux shillings et demi ! Mais aussi longtemps que Dieu est mon Dieu, je ne manquerai de rien. Révision : neuf heures et demie.

Dimanche 11 octobre. Le matin : resté avec Lae-djün. Passé l'après-midi en prière. Le soir nous sommes allé entendre M. Kennedy. Dans la foi en Dieu, nous avons donné deux shillings à la collecte. C'était la part du Seigneur.

À une attente confiante, Dieu devait donner des preuves manifestes de Sa sollicitude. S'Il permettait que la foi de Ses serviteurs fût éprouvée, Il ne les oubliait pas. Au début de la semaine, la sœur de Mme Jones arriva de la campagne avec « une oie, un canard et un poulet » et autres bonnes choses pour le ménage. Un jour ou deux plus tard, un parent vint faire une visite et apporta plus de trente livres sterling pour l'usage personnel d'Hudson Taylor et des siens.

Une seule fois, il ne put payer sur l'heure ce qu'il devait. À la date du 12 août, nous lisons dans le journal.

Le percepteur des impôts a passé chez nous. J'ai été obligé de le prier d'attendre. Aide-nous, ô Seigneur, pour l'amour de Ton nom.

Le lendemain, samedi, il n'y avait presque plus rien dans la maison. Sept heures et demie furent néanmoins consacrées à la révision, comme d'habitude. La bonne des enfants fut mise au courant de la situation au cas où elle préférerait se retirer. Le journal montre combien leur cœur était exercé.

Cherché à réaliser que c'est dans la faiblesse et le besoin que la force de Jésus est accomplie.

Tard dans la soirée, un ami qui venait de quitter Hudson Taylor, revint sur ses pas et lui remit sept livres en le priant de les accepter pour lui. Le lundi, la poste lui apporta cinq livres et, dans le courant de la semaine, trente-cinq livres. Ainsi fut confirmée sa certitude que, pour eux, le droit chemin consistait de toute façon à donner leur temps et leurs forces à l'œuvre du Seigneur, et à attendre tranquillement de Lui toute l'assistance nécessaire.

Une autre fois encore, il y eut, dans la petite maison de la rue de Beaumont, quelques heures de vive anxiété. Le moment de payer un trimestre de loyer était venu, et Hudson Taylor, après avoir passé quelques jours de repos chez ses parents, était rentré la veille du jour fixé pour la visite de son propriétaire, homme dur, à la langue acérée. Il avait mis à part à l'avance l'argent du loyer, mais, à sa grande surprise, il s'aperçut qu'il lui manquait une livre, et il ne savait comment compléter la somme pour le lendemain.

Il y eut, cette nuit-là, plus de prières que de sommeil dans la maison. Pourtant la poste du matin n'apporta rien. Les minutes passaient et, anxieux, Hudson Taylor se préparait à recevoir son terrible créancier. Au bout d'une heure ou deux d'attente inutile, le missionnaire commença à respirer plus librement. Il s'adonna à son travail ordinaire, non sans demander encore à Dieu Son secours.

Le lendemain matin seulement, le propriétaire se présenta, plus aimable que d'habitude, s'excusant de ne pas être venu la veille ; il avait été retenu chez lui au moment de partir, ce qui lui arrivait rarement, et il ne comprenait pas comment ce retard s'était produit.

« Moi, je le comprends, interrompit son locataire, plein de reconnaissance, car c'est seulement ce matin que j'ai reçu par la poste la livre qui me manquait pour parfaire le montant de la location. »

Pendant ce temps, qu'en était-il des perspectives encourageantes qu'Hudson Taylor avait eues en s'attelant au travail qui lui avait été confié par la Société Biblique ? Posséder une version exacte du Nouveau Testament en caractères romains, représentant phonétiquement le dialecte de Ningpo et, ainsi, relativement facile à lire et à comprendre, était une entreprise justifiant de gros sacrifices. Aidé par Wang-Lae-djün et par Mme Taylor, qui connaissait ce dialecte mieux que l'anglais, il espérait achever cette révision dans un délai raisonnable. Après l'avoir commencée, il avait vu se joindre à lui M. F. F. Gough, de la Church Missionary Society, dont la connaissance du chinois et du grec permettait de rendre fidèlement l'original. Ils se trouvaient maintenant bien armés pour ce labeur, et les progrès ne furent pas entravés par manque de diligence. Mais la tâche apparut plus ardue à mesure qu'elle avançait par le fait surtout des parallèles qu'il fallait ajouter.

Chose étrange, le projet de publication de ce Nouveau Testament rencontra une très forte opposition. Des personnes influentes auprès de la Société Biblique critiquèrent vivement cette entreprise qui fut plusieurs fois gravement compromise. Cela eut rendu inutile un travail qui avait coûté des années et auquel tous les amis de la Mission portaient un vif intérêt. M. Gough lui-même parut un moment sur le point de céder devant cette opposition. Pendant deux ou trois mois, la situation fut pénible à l'excès. La pensée d'avoir fait tant de sacrifices et d'avoir même retardé le retour en Chine pour échouer finalement était extrêmement douloureuse à Hudson Taylor qui demeurait convaincu de la nécessité de cette publication pour le succès de son œuvre. Mais s'il ne pouvait compter sur les hommes, il s'appuyait sur Dieu et fit de cela un sujet de prières de plus en plus ardentes. À mesure que les difficultés grandissaient, grandissait aussi sa foi en Dieu et en Dieu seul.

À vues humaines, écrivait-il à sa mère, il y a peu d'espoir que la Church Missionary Society ou la Société Biblique nous continuent leur aide, mais je ne me troublerai pas de cela. Le Seigneur peut aisément nous fournir les fonds dont nous avons besoin. Toutefois, l'assistance de M. Gough pour achever l'ouvrage est très désirable. Or il parait peu probable que cette collaboration nous soit continuée. Demandez donc au Seigneur :

  1. Que la Church Missionary Society et la Société Biblique arrivent à cette conclusion, qui contribuera le plus à la gloire de Dieu et au bien réel de l'œuvre ;
  2. Que si ces Sociétés abandonnent ce travail de révision, comme c'est probable, le concours de M. Gough nous reste acquis, si c'est pour le bien de nos chers chrétiens de Ningpo ;
  3. Que, dans tous les cas, nous soyons conduits dans le bon chemin, et que Dieu nous montre si nous devons faire seulement une révision partielle ou abandonner entièrement cette entreprise.

Pour le moment, je suis toujours plus convaincu que cette tâche vient de Dieu et qu'Il nous dit : « Fortifie-toi et prends courage. Ne crains point, car le Seigneur sera avec toi jusqu'à ce que tu aies accompli tout le travail pour le service de la maison de l'Éternel. » Si c'est réellement Sa volonté, par Sa grâce j'irai de l'avant. Sinon, puisse-t-Il me le montrer clairement !

Rien n'est plus remarquable, pendant toute cette période en particulier, que l'esprit de prière qui animait Hudson Taylor et l'amenait à s'abandonner au Seigneur pour tous les détails de sa vie. Il apportait tout, absolument tout, au Père céleste, avec la simplicité d'un petit enfant et la certitude que Dieu dirigerait et pourvoirait...

Cette confiance filiale n'était égalée que par la fidélité avec laquelle il suivait la voie que Dieu lui révélait. Aussi, grande fut sa joie quand son ami M. Georges Pearse le prévint que le Comité de la Société Biblique s'était décidé à le soutenir jusqu'au bout. Il vit là un exaucement direct de ses prières. Mais cela signifiait qu'il était lié plus que jamais par cette partie de son travail, et les années passaient. La mort de M. Jones et les dévastations qui avaient marqué la révolte des Taï-ping à Ningpo augmentaient son désir de retourner en Chine sans délai. La voie semblait ouverte plus que jamais à l'Évangile ; le peuple avait perdu sa foi en des idoles qui ne pouvaient se protéger elles-mêmes, et beaucoup éprouvaient comme jamais auparavant un besoin ardent des consolations de la Parole de Dieu. M. Meadows venait de perdre sa femme et son enfant et se sentait très isolé et insuffisant pour répondre à tant de besoins. Tout cela excitait davantage encore chez Hudson Taylor la soif de travailler plus directement à l'œuvre missionnaire. Mais l'exaucement même de ses prières persévérantes relatives à la révision du Nouveau Testament ne lui imposait-il pas le devoir de rester en Angleterre jusqu'à ce que ce travail fût achevé ? Pendant tout ce temps, une véritable nostalgie envahissait son âme et ne le lâchait pas. Il ne pouvait détacher ses pensées de l'intérieur de la Chine et de ces millions d'êtres humains sans Christ dont personne ne paraissait se soucier. Une grande carte de l'Empire chinois était suspendue au mur de son cabinet, et sa Bible était toujours ouverte sur la table. Le regard de cet homme de Dieu allait de la carte à la Bible et de la Bible à la carte. Oh ! ces multitudes auxquelles personne ne pense !

Tandis que j'étais là-bas, les besoins qui m'assaillaient de toutes parts étaient si pressants que je ne pouvais guère songer longuement aux besoins infiniment plus grands encore de l'intérieur ; et d'ailleurs, que faire pour y répondre ? Mais, retenu en Angleterre depuis plusieurs années, et voyant le pays dans son ensemble sur la grande carte suspendue dans mon bureau, je me trouvais aussi près des vastes régions de l'intérieur que des districts dans lesquels j'avais personnellement travaillé, et la prière était ma seule ressource pour soulager mon cœur du fardeau qui l'accablait.

Souvent M. Gough et lui interrompaient leur travail et appelaient Mme Taylor et Lae-djün pour se mettre à genoux avec eux et répandre leur âme devant Dieu, Le suppliant d'envoyer l'Évangile à toutes les parties de la Chine.

Et l'on ne se contentait pas de prier. Hudson Taylor saisissait toutes les occasions de parler des provinces déshéritées de la Chine à tous ceux qui étaient susceptibles de s'y intéresser utilement, surtout aux représentants des grandes sociétés missionnaires. Ses appels étaient accueillis avec sympathie, mais constamment les mêmes objections s'élevaient. L'on invoquait d'abord les difficultés financières. Impossible d'étendre davantage des œuvres déjà malaisées à maintenir. Et puis, c'était la difficulté de pénétrer dans des provinces lointaines pratiquement inaccessibles à des étrangers. Et toujours arrivait la même conclusion : « Il faut attendre que Dieu nous ouvre les portes. Pour le moment, il n'y a rien à faire »

Ces objections, cependant, ne diminuaient pas les besoins et n'allégeaient pas son fardeau. Lorsqu'il rentrait dans sa petite chambre de l'East End et se retrouvait en présence de sa carte et de sa Bible, cet ardent serviteur se sentait accusé par l'une et par l'autre. Celui qui avait dit : « Allez » n'avait jamais fait de réserves financières ou politiques. Il avait dit : Allez... je suis avec vous... tous les jours... allez par tout le monde ! La promesse était aussi absolue que le commandement. Celui qui avait donné l'une et l'autre n'était-Il pas digne de toute confiance, de toute obéissance ?

Mais il y en avait d'autres, des amis et des candidats, qui comprenaient le missionnaire et se réunissaient chaque semaine à la rue de Beaumont. Ces rencontres avaient commencé lors du départ de M. et Mme Meadows. Elles duraient généralement deux heures sans que faiblît la ferveur des requêtes.

C'était ainsi que, peu à peu, dans l'esprit de cet homme à genoux devant Dieu, se précisait l'œuvre en vue de laquelle le Maître l'avait mis à part et pour laquelle Il le préparait.


1 Il s'agissait de Wang-Lae-djün, de Ningpo, dont la conversion est racontée dans le volume I, chapitre 40.

2 M. Meadows et sa femme s'embarquèrent pour la Chine en janvier 1862. Ce fut le premier des cinq missionnaires demandés à Dieu pour renforcer à Ningpo la Mission de M. et Mme Jones.

3 A Bayswater habitaient à ce moment-là M. et Mme B. Broomhall, la bien-aimée sœur Amélie qui fut pendant nombre d'années la principale correspondante d'Hudson Taylor. M. W. G. Lewis était le pasteur de l'Église baptiste, dont Hudson Taylor était devenu membre et le resta pendant longtemps.

4 M. E. C. Lord, de Ningpo, qui se rattachait précédemment à l'Union missionnaire baptiste américaine, était un ami très cher d'Hudson Taylor. Bien que fort absorbé par son propre travail, il trouva le temps de remplacer M. Jones comme pasteur du troupeau de la rue du Pont et d'aider M. Meadows. M. Jones avait dû quitter la Chine pour raison de santé. Il fut recueilli dans la Patrie céleste pendant son voyage de retour.

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