Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XVI

La circoncision, ni les autres cérémonies légales n’avaient point la vertu de conférer l’esprit de parfaite justice. Le Christ a aboli ces cérémonies, mais il a laissé subsister, en lui donnant une nouvelle vigueur, la loi du Décalogue, qui est obligatoire pour tous les hommes.

L’Écriture nous apprend que la cérémonie de la circoncision avait été instituée, non pas comme pouvant donner pareillement la vertu de la perfection, mais seulement pour servir de signe de ralliement à tous les descendants d’Abraham. En effet, nous y lisons que Dieu dit à ce patriarche : « Tout mâle d’entre vous sera circoncis ; et vous circoncirez votre chair, afin que ce soit là un signe de l’alliance entre moi et vous. » Ézéchiel parle dans le même sens au sujet du sabbat : « Je leur ai prescrit encore un jour de sabbat, afin qu’ils fussent comme un signe entre moi et eux, et qu’ils connussent que moi je suis le Seigneur qui les sanctifie. » Dans l’Exode, Dieu dit à Moïse : « Ayez soin de garder le sabbat ; car c’est un signe entre moi et vous dans la suite de vos générations. » Ces cérémonies ont donc été ordonnées par Dieu seulement pour servir de signe. Mais ces signes avaient leur symbole et leur explication, comme tout ce qui sort de la main du Créateur. La circoncision de la chair était le signe de la circoncision spirituelle ; ce que l’apôtre explique, quand il dit : « Nous avons été circoncis, non d’une circoncision faite par la main des hommes, mais de la circoncision de Jésus-Christ. » Le prophète avait dit déjà : « Ayez soin de circoncire votre cœur, et ne vous endurcissez pas davantage. » Quant au jour du sabbat, il devait être consacré tout entier au service de Dieu ; à quoi s’applique le passage suivant de saint Paul : « Selon qu’il est écrit, on nous livre pendant toute la durée du jour à la mort, à cause de vous ; » ce qui veut dire que les ministres de Jésus-Christ rendent à chaque instant témoignage de leurs foi, qu’ils s’y appliquent sans cesse, fuyant la cupidité et la recherche des biens de la terre. Le sabbat, qui était la figure du repos de Dieu après la création, signifiait le repos éternel, dont seront mis en possession ceux qui ont persévéré dans la foi.

Ce qui prouve encore que ces cérémonies n’étaient qu’un signe et non point un moyen de salut, c’est qu’Abraham lui-même ne fut point circoncis et n’observa point la loi du sabbat ; ce qui n’a pas empêché qu’il n’ait cru en Dieu, que sa foi ne lui ait été imputée à justice, et qu’il n’ait mérité de jouir de l’amitié de Dieu même. Et d’ailleurs, Dieu ne sauva-t-il pas Lot de la ruine de Sodôme, quoiqu’il ne fût pas circoncis ? Noé non plus n’était pas circoncis, et cependant il fut choisi de Dieu pour conserver l’espèce humaine lors du déluge. Énoch également, quoique incirconcis, a mérité d’être enlevé au séjour des anges, dans un corps mortel, avec lequel il reparaîtra lors du jugement dernier. Car, de même que les anges coupables sont, en punition de leurs fautes, envoyés dans les enfers ; de même les hommes vertueux sont transportés dans les cieux, en récompense de leurs vertus. Enfin, tous les justes qui ont précédé Abraham, tous les patriarches qui ont vécu avant Moïse ont été sauvés sans la circoncision et le sabbat et sans la loi donnée par Moïse. Du reste, Moïse n’a-t-il pas dit dans le Deutéronome en s’adressant au peuple d’Israël : « Le Seigneur notre Dieu a fait avec nous une alliance en Horeb : il n’a point fait cette alliance avec nos pères, mais avec nous qui sommes ici et qui vivons. »

Or, pourquoi Dieu n’avait-il pas jugé nécessaire de faire alliance avec leurs pères ? parce que la loi n’a pas été établie pour le juste. D’ailleurs ces premiers justes avaient les préceptes du Décalogue, gravés dans leur cœur ; ils aimaient Dieu leur créateur et s’abstenaient de toute action inique envers leur prochain. Voilà pourquoi il ne fut pas nécessaire de leur donner la loi gravée sur des tables ; car ils avaient en eux-mêmes toute la justice de la loi. Mais lorsque cet esprit de justice et d’amour envers Dieu eut été mis en oubli et effacé des cœurs, comme cela arriva lors de la servitude d’Égypte, Dieu, ne consultant que sa bonté, fit entendre sa voix à son peuple égaré ; il le retira de l’Égypte, afin qu’Israël rentrât dans ses voies et revînt à son culte ; en même temps il frappa d’une punition exemplaire ceux qui étaient rebelles à ses ordres, afin de maintenir le respect dû au Créateur. En un mot, il nourrit avec la manne son peuple dans le désert, afin de l’empêcher de périr, comme dit Moïse dans le Deutéronome : « Il vous a affligés par la faim, et il vous a donné pour nourriture la manne, qui était inconnue à vous et à vos pères, afin de faire voir que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Dieu voulait ainsi être aimé de son peuple et il exigeait qu’il pratiquât la justice envers le prochain ; car c’est là ce qui rend l’homme juste et digne de Dieu. L’observation du Décalogue avait donc pour objet de faire mériter à l’homme l’amitié de Dieu et de maintenir l’ordre et l’esprit de concorde parmi le peuple. Tout était donc fait pour le bonheur de l’homme, et non pour le profit de Dieu qui n’a nullement besoin de l’homme.

Aussi lisons-nous dans l’Écriture : « Ce sont là les paroles que le Seigneur a dites à votre assemblée sur la montagne, n’ajoutant rien de plus. » Dieu n’avait qu’à ordonner, il n’avait besoin de personne. Et Moïse dit encore : « Et maintenant, Israël, qu’est-ce que le Seigneur demande de vous, sinon que vous craigniez le Seigneur votre Dieu, et que vous marchiez dans ses voies, et que vous l’aimiez, et que vous serviez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur et de toute votre âme. » L’accomplissement de ces préceptes relevaient la nature de l’homme en lui donnant ce qu’il avait perdu, c’est-à-dire l’amitié de Dieu. Dieu n’avait en aucune sorte besoin de l’amour de l’homme, mais l’homme avait besoin pour son bonheur d’arriver à la connaissance de la gloire de Dieu ; ce qu’il ne pouvait mériter que par sa soumission entière envers lui. C’est pour cela que Moïse dit encore aux Israélites : « Choisis donc la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité ; afin que tu aimes le Seigneur ton Dieu, que tu obéisses à sa voix, et que tu t’attaches à lui, car il est ta vie et la longueur de tes jours. » Or, nous voyons que notre Seigneur Jésus-Christ a toujours parlé dans le même sens que le Décalogue, et que sa morale repose sur les mêmes principes. Il faut donc en conclure que son avènement sur la terre, loin d’abolir l’ancienne loi, n’a servi qu’à étendre son application jusqu’à nous, et à donner aux préceptes de cette loi un plus grand développement.

La législation qui fut transmise au peuple juif par Moïse de la part de Dieu était donc relative à son état de servitude et au point de civilisation où il se trouvait ; c’est ce qui est exprimé par Moïse, quand il dit : « Et en ce temps-là il me commanda de vous enseigner les cérémonies et les ordonnances que vous accomplirez. » Ainsi le nouveau Testament, qui est un testament de liberté, a dû abolir ce qui, dans l’ancien, était relatif à l’état de servitude, et tout ce qui était signe de ralliement ; mais il a donné plus d’extension et plus de développement aux préceptes du Décalogue, qui établissent les règles du droit naturel ; il a donné à l’humanité un enseignement plus approfondi sur la connaissance de Dieu, sur la manière dont il veut être aimé et adoré, et dont il veut que l’on imite son Christ ; sur la morale, qui ne consiste plus seulement à s’abstenir des mauvaises actions, mais encore à en réprimer jusqu’au désir même. Il a donné aussi plus d’extension au précepte relatif à la crainte de Dieu ; car les enfants doivent être pénétrés envers leur père de plus d’amour et de crainte que des esclaves envers leurs maîtres. Voilà pourquoi notre Seigneur a dit : « Or, je vous dis que toute parole oiseuse que les hommes auront proférée, ils en rendront compte au jour du jugement. » Ailleurs encore : « Celui qui aura regardé une femme avec concupiscence a déjà commis le péché d’adultère dans son cœur. » Et dans un autre endroit : « Celui qui se met en colère contre son frère, sans raison, sera puni. » Il montre par-là que, parce que l’homme a reconquis sa liberté, il rendra compte non-seulement de ses actions, mais encore de ses pensées. Mais aussi, dans ce nouvel état, l’homme qui vénère, craint et aime son Créateur, acquiert plus de droits aux grâces de Dieu. C’est ce qui fait dire à saint Pierre : « Étant libres, non pour vous servir de votre liberté comme d’un voile qui couvre vos mauvaises actions, mais pour agir en serviteurs de Dieu, et pour témoigner plus hautement de votre foi. »

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