Contre les hérésies

LIVRE QUATRIÈME

CHAPITRE XXI

Abraham et nous, n’avons qu’une seule et même foi ; les anciens patriarches ont confessé cette même foi tant par leurs paroles que par leurs actions.

L’apôtre saint Paul, dans l’épître aux Galates, enseigne hautement que la vie d’Abraham a été la figure de notre foi ; qu’il en a été le patriarche et en quelque sorte le prophète : « Celui, dit-il, qui vous donne son esprit et qui fait des miracles parmi vous, le fait-il par les œuvres de la loi ou par la foi que vous avez ouï prêcher ? selon qu’il est écrit d’Abraham, qu’il crut à la parole de Dieu, et que sa foi lui fut imputée à justice. Sachez donc que ceux qui s’appuient sur la foi sont les enfants d’Abraham. Aussi l’Écriture, sachant que Dieu devait justifier les gentils par la foi, fait cette promesse à Abraham : Toutes les nations seront bénies en vous. Ce sont donc ceux qui s’appuient sur la foi, qui sont bénis avec le fidèle Abraham. » Ainsi l’apôtre non-seulement désigne Abraham comme le prophète de notre foi, mais encore il l’en nomme le père, relativement à tous ceux d’entre les gentils qui croiront en Jésus-Christ ; ce qui prouve bien que notre foi n’est autre que celle qu’avait Abraham. Par la foi, Abraham, à cause de la promesse que Dieu lui en avait faite, croyait à la réalité de certains événements, comme s’ils étaient déjà accomplis ; ainsi nous-mêmes, par la foi, nous croyons fermement à la vie éternelle dans le royaume des cieux.

Les principaux événements de la vie d’Isaac ont pareillement une signification figurative et symbolique. Voici ce que saint Paul dit à ce sujet dans son Épître aux Romains : « Et cela ne se voit pas seulement dans Sara, mais aussi dans Rébecca, qui eut deux enfants à la fois d’Isaac, notre père. Avant qu’ils fussent nés et qu’ils eussent fait ni bien ni mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, et non à cause de leurs œuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut dit : L’aîné sera assujetti au plus jeune, selon qu’il est écrit : J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü. » Ceci nous fait voir que la distinction de deux peuples se trouve prédite non-seulement par les prophéties des patriarches, mais que cette prédiction se trouve encore figurativement annoncée dans la double naissance de Jacob et d’Ésaü, fils de Rébecca. L’un, en effet, fut supérieur à l’autre : l’un fut dans l’esclavage, l’autre dans la liberté. Cependant ils eurent l’un et l’autre un même père ; mais le père commun d’eux et de nous, c’est un seul et même Dieu, celui qui connaît les choses les plus cachées, qui sait les événements avant qu’ils arrivent ; c’est pourquoi il dit dans l’Écriture : « J’ai aimé Jacob et j’ai haï Ésaü. »

Si l’on étudie les événements de la vie de Jacob, on verra que, loin d’être insignifiants, ils renferment, au contraire, un grand nombre de vérités prophétiques. D’abord, dès le moment où il vient au monde, il prend le talon de son frère, ce qui lui fait donner le nom de Jacob, c’est-à-dire supplantateur ; il enchaîne le premier pas de son frère ; mais lui, personne ne l’arrête ; il lutte, il est vainqueur ; il tient dans sa main le talon de son ennemi, ce qui est la marque de sa victoire. Jacob était donc, dès l’acte même de sa naissance, le type de notre Seigneur Jésus-Christ, dont saint Jean dit dans l’Apocalypse : « Et il partit, remportant victoire sur victoire. » Nous voyons ensuite Jacob, à l’occasion de quelques reproches que lui adresse Ésaü, lui ravir son droit d’aînesse ; ce qui est la figure des gentils, de ce peuple nouveau qui reconnaît le premier le Christ pour le premier-né d’entre les morts, tandis qu’il est renié par l’ancien peuple, qui le repousse en disant : « Nous ne reconnaissons d’autre roi que César. » Or, le Christ représente toutes les bénédictions et toutes les grâces ; il est donc vrai de dire que les gentils ont enlevé au peuple hébreu, au peuple ancien, le droit d’aînesse et de bénédiction, en reconnaissant les premiers le Christ. Et de même encore que Jacob a été persécuté par Ésaü, parce que celui-ci avait perdu le droit à la bénédiction de son père, ainsi les Juifs ont persécuté l’Église des gentils, qui a joui avant eux de la bénédiction de Dieu. En outre, comme les douze tribus, qui devaient être le soutien et la gloire d’Israël, se sont formées, pendant l’exil des hébreux, chez les peuples étrangers, de même le Christ a établi, durant son pèlerinage sur la terre, les douze colonnes (c’est-à-dire les douze apôtres), qui sont les fondements de l’Église. Nous voyons encore que Laban donna à Jacob toutes les brebis bigarrées et tachetées : de même le Christ a formé l’assemblée des fidèles des hommes de toutes nations qui ont cru en lui, selon la promesse que lui en avait faite Dieu le père : « Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, et la terre pour empire. » Enfin, de même que Jacob, qui devait avoir beaucoup d’enfants, ne pouvait les avoir d’une seule femme, et qu’il en eut des deux sœurs ; de même le Christ a eu des serviteurs et des fidèles sous deux lois différentes, sous l’ancienne et la nouvelle loi, qui ont l’une et l’autre un même Dieu pour auteur. Il faut en dire autant des enfants qu’eut Jacob des mariages du second ordre avec ses servantes ; ce qui marquait que le Christ trouverait des serviteurs fidèles à sa loi parmi ceux qui étaient esclaves comme parmi ceux qui étaient libres, en leur accordant à tous également les dons de l’esprit qui vivifie. Cependant Jacob conservait toujours une préférence pour Rachel au doux regard, qui était la figure de l’Église pour laquelle le Christ a souffert. Ainsi le Christ, corroborant par le ministère de son Verbe les volontés du Père, annonçait les choses futures, et par les discours de ses prophètes et par la vie de ses patriarches, accoutumant l’humanité à obéir à Dieu et à suivre les inspirations du Verbe dès cette vie, en marchant de symbole en symbole ; car il n’y a rien de vide dans les œuvres de Dieu, et chaque chose a son symbole.

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