Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre II

Que si Jésus-Christ n’est pas d’une même essence avec son Père, les apôtres n’ont point entendu les prophètes, ou qu’ils ont voulu nous engager dans l’erreur.

Comme le sentiment de ceux qui prennent Jésus-Christ pour une simple créature nous engagerait à croire de l’erreur dans les prédictions des prophètes, il nous met aussi dans la nécessité de dire que les apôtres n’ont point entendu l’Écriture de l’Ancien Testament, bien qu’ils la prennent pour le fondement de toute leur doctrine, et que le Saint-Esprit qu’ils ont reçu dans une si grande abondance, ait dû leur en donner la véritable intelligence : c’est ce que nous ne pouvons justifier dans toute son étendue, ne pouvant examiner dans le détail tous les passages de l’Ancien Testament que les apôtres appliquent à Jésus-Christ dans un écrit comme celui-ci ; mais nous ne pouvons nous dispenser de le faire en partie par l’examen de quelques-uns de ces passages les plus remarquables.

Il n’en est point qui le soit plus que celui du 40e d’Esaïe, qui est conçu en ces termes : La voix crie au désert : Préparez le chemin au Seigneur : Faites au désert les sentiers droits à notre Dieu. Zacharie, rempli du Saint-Esprit, répète et explique ainsi cet oracle, en l’appliquant à Jean son fils : Et toi, petit enfant, tu seras appelé le prophète du Souverain (ou du très Haut), car tu iras devant la face du Seigneur pour apprêter son chemin, et pour donner connaissance de salut à son peuple, par la rémission de ses péchés, etc. II est évident que dans ces deux oracles qui sont parallèles, tous ces termes : le Seigneur, Dieu, notre Dieu, le souverain ou le Très-Haut, signifient la même personne. Il est certain qu’à consulter l’usage des écrivains sacrés, tous ces noms n’avaient jamais été donnés qu’à l’Être infini, qu’au Dieu souverain : d’où il s’ensuit que si tous ces noms conviennent à Jésus-Christ véritablement, il faut reconnaître Jésus-Christ pour le Dieu Très-Haut, ou pour le Dieu souverain, et par conséquent pour être d’une même essence avec son Père.

Or, que tous ces noms conviennent véritablement à Jésus-Christ, cela paraît de ce qu’ils lui sont tous donnés par le Saint-Esprit ; car celui devant la face duquel Jean-Baptiste devait marcher, c’est Jésus-Christ, comme cela se prouve par l’événement ; ce précurseur disant dans ce sens : Quant à moi, je vous baptise d’eau ; mais celui qui vient après moi, duquel je ne suis pas digne de délier la courroie des souliers, celui-là vous baptisera du Saint-Esprit et de feu. Or celui devant la face duquel Jean-Baptiste devait marcher, est celui-là même qui est appelé le Seigneur, notre Dieu, le souverain. Tu iras devant la face du Seigneur. Tu seras appelé le prophète du Souverain. Faites au désert les sentiers droits à notre Dieu. Qui peut donc douter que Jésus-Christ ne porte tous ces titres ?

En effet, celui devant la face duquel Jean-Baptiste devait marcher, ce Seigneur, dont il devait aplanir les voies, est, ou Dieu le Père, ou Jésus-Christ notre sauveur. Nous ne voyons point de milieu ; et il paraît par les réponses de nos adversaires, qu’ils n’y en voient non plus que nous : or ce n’est point Dieu le Père devant la face duquel Jean-Baptiste devait marcher.

Car ou ces paroles : tu iras devant la face du Souverain, doivent se prendre dans un sens propre, d’une telle sorte que le souverain vienne proprement vers les hommes, selon cet oracle : Dieu lui-même viendra, et vous sauvera ; et alors les yeux, etc., ou ces expressions étant figurées, signifient seulement que Dieu visiterait les hommes extraordinairement, soit dans sa justice, soit dans sa miséricorde, et que Jean-Baptiste préparait en général les voies à la grâce et à la miséricorde de Dieu, en les portant à la repentance. Si l’on dit le premier, l’oracle ne saurait convenir à Dieu le Père, puisque celui-ci n’est point venu proprement vers les hommes : et si l’on s’arrête au second, il s’ensuivra, premièrement, que Jean-Baptiste n’a marché devant la face du Souverain que dans le même sens que Noé qui prêcha ses jugements avant que le déluge survînt, ou dans le même sens que Moïse qui parla à Pharaon pour le fléchir, et au peuple d’Israël pour l’obliger à croire ce qui lui avait été révélé, et qui par la préparait les voies à la miséricorde de Dieu qui devait racheter Israël, et à sa justice qui devait punir les ennemis de son peuple. Il s’ensuit en second lieu, que ce n’est pas en Jean-Baptiste, mais en Jésus-Christ lui-même, que l’oracle de Zacharie a son principal accomplissement : car si les bienfaits ou les jugements de Dieu doivent être pris pour sa venue, Dieu est vertu principalement lorsqu’il a baptisé les apôtres du Saint-Esprit et de feu, et que, par leur ministère, il a converti les nations, car c’est alors que les oracles ont été accomplis, la loi sortant de Sion, et la lumière de Jérusalem ; ou lorsque Dieu a envoyé les légions romaines pour exterminer le lieu de la nation. Or ce n’est point Jean-Baptiste qui a principalement préparé la voie à ces deux grands événements : je dis, qui y a préparé principalement, parce que son ministère a été de courte durée, et que la prédication des apôtres a fait bien une autre impression que la sienne. Mais c’est Jésus-Christ qui a aplani les chemins du Seigneur ; il a préparé les voies à la miséricorde de Dieu par sa prédication et par ses miracles, par sa, mort et par ses souffrances, par lesquelles il aura confirmé sa vérité et son alliance, qui devait être offerte aux nations jusqu’aux extrémités de l’univers : ainsi ce serait Jésus-Christ, et non Jean-Baptiste, qui serait précurseur marqué par les prophètes ; ce qui est extravagant.

Que si cet oracle ne se vérifie point de la venue du Père, il faut nécessairement qu’il se vérifie de la venue du Fils, et qu’ainsi celui-ci porte dans la révélation des prophètes le grand nom de Dieu, de Dieu Très-Haut, ou de Souverain, etc.

Le second oracle qui se présente à nous, est celui que l’auteur de l’épître aux Hébreux cite pour montrer la différence qui est entre Jésus-Christ et les anges ; oracle tiré du psaume 102. Toi, Seigneur, as fondé la terre et les cieux sont l’ouvrage de tes mains : ils périront, mais tu es permanent ; et ils s’envieilliront tous comme un vêtement, et tu les envelopperas comme un habit, et ils seront changés ; mais toi tu es le même, et tes années ne défaudront point. On ne peut douter que le psalmiste ne parle ainsi du Dieu souverain, puisque les prophètes nous ont tant fait entendre qu’il n’y a que le Dieu Souverain qui ait crée la terre et les cieux ; et que d’ailleurs il est certain que c’est du Dieu souverain uniquement qu’on peut entendre ces paroles qui précèdent : Tu te lèveras, et auras compassion de Sion, etc. Alors les nations redouteront le nom du Seigneur, et tous les rois de la terre sa gloire, etc. Le peuple qui naîtra louera le Seigneur, parce qu’il aura regardé de son saint lieu qui est là-haut, et que le Seigneur a contemplé du ciel en terre, etc. Je dis : Seigneur, ne me défais point au milieu de mes jours ; car tes années dureront pur toutes les générations. Voilà qui est celui duquel le psalmiste dit immédiatement après : Tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains ; ils périront, etc.

Ou l’auteur de l’épître aux Hébreux n’a pas bien entendu cet oracle, ou il a su que c’est le Dieu souverain qui est décrit par ces grands caractères : tu as fondé la terre et les cieux, etc., et que d’ailleurs ces caractères sont tellement propres au vrai Dieu, qu’il est hors d’exemple que les prophètes les aient attribués à aucun autre. Ainsi, lorsque cet auteur applique cet oracle à Jésus-Christ, il faut avouer, ou qu’il regarde Jésus-Christ comme étant d’une même essence avec son Père, ou qu’il parle contre sa conscience, et trahit les intérêts de la gloire du vrai Dieu.

Car de dire comme les sociniens, que l’auteur de cet épître n’applique point à Jésus-Christ ces paroles : tu as fondé la terre, etc., mais que, laissant son premier discours, et ne parlant plus de Jésus-Christ, il fait une courte apostrophe à Dieu le Père, c’est nous dire non ce qui est, mais ce qu’on voudrait bien qui fût.

Il est certain que l’apostrophe serait tout à fait mal placée en cet endroit. Il ne s’agit pas là en effet de relever la gloire de Dieu le Père. Les Hébreux, à qui l’on écrit, n’en avaient jamais douté ; au contraire, ils ne prêchaient que sa grandeur. L’auteur sacré ne fait point aussi le parallèle du Père et du Fils, mais le parallèle du Fils de Dieu avec les anges. Les Hébreux avaient l’esprit rempli de la révélation dont Dieu avait honoré Moïse et les prophètes. Notre auteur préfère la nouvelle révélation à l’ancienne, et fait consister le premier avantage de celle-ci en ce que la première s’est faite par les prophètes, c’est-à-dire par des serviteurs, au lieu que la dernière s’est faite par le Fils. Dieu, dit-il, ayant autrefois parlé à nos pères par les prophètes, plusieurs fois et en plusieurs manières, a parlé à nous en ces derniers jours par son Fils, lequel il a établi héritier de toutes choses, par lequel aussi il a fait les siècles : lequel Fils étant la resplendeur de la gloire et la marque engravée de sa personne, et soutenant toutes choses par sa parole puissante, ayant fait par soi-même la purgation de nos péchés, s’est assis à la droite de Sa Majesté aux hauts lieux.

Mais parce qu’on pouvait objecter que la loi avait été donnée par la disposition des anges, ou, comme d’autres l’expliquent, au milieu des anges, l’auteur sacré en prend occasion de nous montrer l’avantage que Jésus-Christ a par-dessus ces nobles intelligences : et dans cette vue, il nous fait voir que véritablement les anges portent dans l’Écriture la glorieuse qualité de ministres de Dieu ; car étant revêtus tantôt de feu, et tantôt d’un tourbillon, ils ont souvent exécuté les ordres de leur Maître, qui faisait les esprits ses messagers, et ses ministres flammes de feu ; au lieu que le Fils entre avec son Père en participation d’autorité et de divinité, suivant notre auteur. En participation d’autorité, il le prouve par cet oracle : O Dieu ! ton trône est à toujours, et le sceptre de ton royaume est un sceptre de droiture. Tu as aimé justice et as haï iniquité. Pour cette cause, ô Dieu ! ton Dieu t’a oint d’huile d’allégresse par-dessus tes compagnons. Voilà donc Jésus-Christ recevant le royaume de son père, et lui étant à cet égard inférieur ; mais parce qu’il entre aussi avec lui en participation de la divinité ou de la gloire essentielle de l’Être souverain, il lui applique ensuite des oracles qui l’égalent à son Père, et le confondent manifestement avec l’Être suprême, en ajoutant, sans rien dire qui marque qu’il parle d’une autre personne : Et toi, Seigneur, as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains, etc. Cette distinction de l’autorité qu’il a reçue, et de la gloire qu’il possède naturellement, se trouve dans les premières paroles de cette épître : Lequel il a établi héritier de toutes choses, par lequel aussi il a fait les siècles ; il l’a établi héritier de toutes choses. Voilà ce royaume économique à l’égard duquel il a été dit : Tu as aimé justice, et haï iniquité ; royaume qu’il a reçu du Père. Par lequel il a fait les siècles : voilà sa gloire naturelle, sa puissance essentielle, à l’égard de laquelle il lui applique cet oracle : Tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. C’est là cette participation de puissance et de divinité, qui fait qu’il est en son Père Dieu béni éternellement, et que le Père est en lui le Créateur des siècles et de toutes les autres choses.

Il paraît de là que l’apostrophe est ici tout à fait inutile à nos adversaires ; car quand l’apostrophe leur servira à éviter l’évidence de ces paroles : Tu as fondé la terre, etc., comment se sauveront-ils contre celles-ci : Par lequel aussi il a fait les siècles, etc., puisque celles-ci font une impression peu différente, étant évident que celui qui a fait les siècles peut bien avoir fondé la terre et agencé les cieux ?

D’ailleurs, ces paroles : Tu es permanent, tu es toujours le même, tes années ne défaudront point, s’entendent de Jésus-Christ, au jugement même de nos adversaires, qui ne font aucune difficulté de le reconnaître. Et comment en pourraient-ils disconvenir, puisqu’elles sont synonymes à celles-ci qui précèdent, et qui s’entendent incontestablement de Jésus-Christ : O Dieu ! ton trône est à toujours.

Ils entendent du renouvellement du monde qui doit se faire par le Fils de Dieu au dernier jour, ces paroles : Tu les plieras comme un rouleau ; ils seront changés. Il faut donc qu’ils séparent ces dernières paroles de celles-ci qui ont précédé : Tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains. C’est aussi ce qu’ils font ordinairement. Mais quoi ! dans ce discours : Et toi, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains ; ils périront ; mais toi, tu es permanent, et ils s’envieilliront tous comme un vêtement, et tu les envelopperas comme un habit, et ils seront changés ; mais toi, tu es le même, et tes ans ne défaudront point, on veut que je sois obligé de deviner, contre toutes les règles du langage, contre l’impression naturelle des paroles et la suite du discours, en dépit du sens commun, que je sois, dis-je, obligé de deviner qu’il y a là deux personnes dont on parle, et que la personne de laquelle on dit : Tu as fondé la terre, et les cieux sont l’ouvrage de tes mains, n’est pas la même dont il est dit immédiatement après : Tu es permanent, tu les envelopperas, etc. Nos adversaires font profession de n’écouter que leur raison lorsqu’ils disputent contre nous ; mais ici nous ne voulons que nos yeux pour disputer contre eux.

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