Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre III

Suite de la même preuve.

Le troisième oracle que nous rapporterons est celui qui est contenu au chap. 6 des révélations du prophète Esaïe, et qui est appliqué à Jésus-Christ au chap. 12 de l’Évangile selon saint Jean. L’Évangéliste, rapportant l’incrédulité des Juifs parle ainsi : Et bien qu’il eût fait tant de signes devant eux, ils ne crurent point en lui, afin que la parole d’Esaïe le prophète fût accomplie, laquelle dit : Seigneur, qui a cru à notre parole, ou à qui a été révélé le bras du Seigneur ? C’est pourquoi ils ne pouvaient croire, à cause que derechef Esaïe dit : Il a aveuglé leurs yeux, et a endurci leur cœur, afin qu’ils ne voient des yeux et n’entendent du cœur, et ne soient convertis, et que je ne les guérisse. Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire, et qu’il parla de lui. Toutefois plusieurs des principaux même crurent en lui, mais ils ne le confessaient point à cause des pharisiens, de peur qu’ils ne fussent jetés hors de la synagogue.

Ce passage nous donne lieu de faire un argument invincible pour la divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ ; car deux choses sont certaines : la première est que l’Évangéliste saint Jean applique à Jésus-Christ cette magnifique apparition de la gloire de Dieu qui se lit au chap. 6 des révélations du prophète Esaïe : la seconde est que c’est la gloire du Dieu souverain qui est décrite dans cet oracle du prophète ; il ne faut qu’en marquer tous les traits pour demeurer d’accord de cette dernière vérité.

L’an auquel le roi Ozias mourut, dit le prophète, je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé, et les pans de sa robe remplissaient le temple. Les séraphins se tenaient au-dessus de lui, et chacun d’eux avait six ailes : de deux ils couvraient leur face, et de deux ils couvraient leurs pieds, et de deux ils volaient, et ils criaient l’un à l’autre, et disaient : Saint, Saint, Saint est le Seigneur, l’Éternel des armées ; toute la terre est pleine de sa gloire, etc. Alors je dis : Malheur sur moi, car c’est fait de moi parce que je suis un homme souillé de lèvres, et je demeure au milieu d’un peuple qui a les lèvres souillées, etc.

Il me semble qu’il ne faut pas faire de grands efforts de pénétration pourvoir ces deux vérités : la première est que c’est la gloire du Dieu souverain que décrit le prophète Esaïe : la seconde, que c’est la gloire de Jésus-Christ que ce prophète a vue, suivant l’application que l’Évangile fait de cet oracle.

Que ce soit la gloire de l’Être souverain dont le prophète Esaïe fait la description, cela paraît par tous les traits de cette description même. Il n’y a que le Dieu souverain dont la majesté soit si grande que les séraphins se couvrent de leurs ailes devant lui. Il n’y a que le Dieu souverain que les séraphins célèbrent, en disant : Saint, Saint, Saint est l’Éternel, le Dieu des armées. Il n’y a que le Dieu souverain dont la présence soit si redoutable qu’elle puisse obliger le prophète de s’écrier : Malheur sur moi, car c’est fait de moi, parce que je suis un homme souillé de lèvres, etc. Toutefois mes yeux ont vu le Seigneur, l’Éternel des armées.

Que l’évangéliste fasse l’application de cet oracle à Jésus-Christ, cela est plus clair encore ; car c’est de Jésus-Christ qu’il avait parlé dans les versets précédents ; c’est de Jésus-Christ qui parle dans les versets qui suivent. Il en a parlé dans les versets précédents, lorsqu’il dit : Et bien qu’il eût fait tant de signes devant eux, ils ne crurent point en lui, afin que la parole d’Esaïe fût accomplie, etc. Il en parle dans les versets qui suivent, en ces termes : Toutefois plusieurs des principaux sacrificateurs mêmes crurent en lui, etc., ce qui ne nous permet point de douter que ce ne soit aussi de lui que l’évangéliste parle lorsqu’il dit : Esaïe dit ces choses lorsqu’il vit sa gloire et qu’il parla de lui.

Il n’est rien de si facile que de tirer la conséquence de tout cela. Esaïe a vu la gloire de l’Être souverain. Esaïe voyait dans ce même endroit la gloire de Jésus-Christ. II s’ensuit donc que Jésus-Christ n’est pas différent de l’Être souverain.

Tout cela est clair : mais que ne peut point la subtilité, lorsqu’elle a entrepris d’obscurcir les vérités les plus évidentes ?

Elle dit trois choses qui sont également insoutenables. Premièrement, elle prétend que le pronom lui ne se rapporte point à Jésus-Christ, mais à Dieu. En second lieu, elle rapporte ces paroles de l’évangéliste : Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire, non aux paroles qui précèdent immédiatement, mais à celles-ci qui sont un peu éloignées : Qui a cru à notre parole, ou à qui a été révélé le bras de l’Éternel.

Et enfin, elle soutient que le prophète Esaïe, en décrivant la gloire de Dieu, a décrit aussi la gloire de Jésus-Christ, parce que la gloire de Jésus-Christ est contenue dans la gloire de Dieu.

Toutes ces palliations sont très violentes, et il y a bien de l’aveuglement à ne pas s’en apercevoir. Qui croira que, s’agissant, dans tout le chapitre douzième de l’Évangile selon saint Jean, de Jésus-Christ, et point du tout de Dieu son Père, c’est au Père, et non pas à Jésus-Christ son Fils, que ces paroles doivent avoir relation : Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire, et qu’il parla de lui. Qui ne voit que ces dernières paroles doivent être prises dans le même sens que celles-ci qui suivent immédiatement : Toutefois plusieurs des principaux mêmes crurent en lui, etc. ? De sorte que, s’agissant incontestablement de Jésus-Christ dans ce dernier verset, c’est de Jésus-Christ qu’il s’agit dans celui qui précède : Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire, et qu’il parla de lui. Cette dernière expression devrait bien ouvrir les yeux à nos adversaires ; car le prophète parle du Dieu souverain en toutes sortes d’occasions : les évangélistes l’ont su ; saint Jean n’a pu l’ignorer. Esaïe dit ces choses quand il parla de Dieu. Il les dit donc pendant toute sa vie ; il les dit continuellement ; il les dit dans toutes les pages de ses prophéties.

C’est, dit-on, une parenthèse. Mais qui vous l’a dit, Messieurs, que c’est une parenthèse ? N’y a-t-il qu’à faire des suppositions sans preuve ? Mais quand c’en serait une, cela n’empêcherait pas que ce lui ne se rapportât à Jésus-Christ ; puisque dans les versets qui précèdent, et dans ceux qui suivent, l’évangéliste parle de Jésus-Christ, et ne parle que de Jésus-Christ.

On veut, en second lieu, que ces paroles de l’évangéliste : Esaïe dit ces choses quand il vit sa gloire, et qu’il parla de lui, se rapportent non aux paroles qui précèdent immédiatement, mais à cet oracle qui a été rapporté : Seigneur, qui a cru à notre parole, ou à qui a été révélé le bras de l’Éternel ? etc. Mais, outre que c’est faire des suppositions sans preuve et sans fondement, comment peut-on dire qu’Esaïe a vu la gloire du Seigneur dans la prophétie qui commence ainsi : Qui a cru à notre parole, ou à qui a été révélé le bras de l’Éternel ? puisque ce chapitre n’est qu’une continuelle description de l’abaissement de notre Sauveur, qui nous est représenté par ces caractères de ses souffrances ? :

  1. Par la bassesse de son origine : Il sort comme une racine d’une terre qui a soif.
  2. Par l’opprobre qui l’accompagne : On se cache de lui comme d’un lépreux.
  3. Par les infirmités et les afflictions qu’il endure : Il a porté nos langueurs, et il a chargé nos maladies.
  4. Par sa patience à souffrir tout sans murmures : Il n’a point ouvert sa bouche, mais il a été mené comme un agneau à la boucherie, et comme une brebis muette devant celui qui la tond.
  5. Par le bien qui nous revient de sa mort : Car par sa mort nous avons guérison, etc.
  6. Par la circonstance de sa sépulture : Il s’est trouvé avec le riche dans sa mort.
  7. Par sa mort : Or, quand il aura mis son âme en oblation pour le péché, etc.
  8. Par son intercession pour les pécheurs : D’autant qu’il aura intercédé pour les transgresseurs, etc.

Il est vrai qu’il est dit qu’il fera prospérer le bon plaisir du Seigneur, et prolongera ses jours ; mais que cette promesse est tellement cachée dans ces tristes images, de son abaissement, que c’est en quelque sorte se jouer des choses saintes que de dire que c’est ici la vision de la gloire de Jésus-Christ.

Si l’évangéliste disait simplement : Esaïe dit ces choses quand il parla de lui, on pourrait croire que par ces choses il entendrait ce premier oracle qu’il a déjà cité :Seigneur, qui à cru à notre parole, ou à qui a été révélé le bras de l’Éternel ? quoique, dans ce cas même, il serait encore beaucoup plus naturel de rapporter ce qu’il dit à ce qui précède immédiatement. Mais il s’exprime autrement : Esaïe dit ces choses lorsqu’il vil sa gloire, et qu’il parla de lui. Or, Esaïe vit sa gloire, ou du moins il rapporte qu’il la vit, dans le chap. 6, et non pas dans le 53e, où il ne voit que son abaissement. C’est dans le chap. 6 de ses révélations, qu’il nous faut chercher la prophétie que cite notre évangéliste, et laquelle évidemment décrit la gloire du Dieu souverain.

Avec beaucoup moins de raison encore nos adversaires disent-ils, pour éluder cette grande preuve, qu’Esaïe, en voyant la gloire du Dieu souverain, a vu la gloire de Jésus-Christ, parce que celle-ci est contenue dans celle-là. Certainement, s’il est permis d’avoir recours à de pareilles défaites, il n’est absolument rien qu’on ne puisse soutenir. La gloire de Dieu contient éminemment non seulement la gloire de Jésus-Christ, mais encore la gloire de toutes les créatures sans exception ; et cela étant, l’évangéliste aurait pu nous appliquer cet oracle comme il l’applique à Jésus-Christ en disant : Esaïe dit ces choses quand il vit notre gloire, et qu’il parla de nous. Et qu’on ne me dise point que ce serait une profanation ; car si la distance qui est entre la gloire de Jésus-Christ et la gloire du Dieu souverain, toute infinie qu’elle est, n’empêche pas qu’on n’applique à la gloire de Jésus-Christ ce qui n’avait été dit que de la gloire du Dieu souverain, la distance qui est entre la gloire de Jésus-Christ et notre gloire n’étant qu’une distance bornée, ne pourra jamais empêcher qu’un oracle qui représente la gloire de Jésus-Christ ne puisse nous être appliqué avec beaucoup plus de raison. Au fond, la gloire de Jésus-Christ, s’il n’est qu’une simple créature, ne peut jamais être la même que celle de Dieu ; et la gloire propre et essentielle du vrai Dieu, telle qu’Esaïe la décrit par des caractères qui ne conviennent qu’à lui, ne peut jamais être celle de Jésus-Christ : et j’aimerais autant dire que celui qui voit la gloire du roi, voit la gloire d’un bailli de village, que de répondre avec nos adversaires qu’Esaïe en voyant la gloire de Dieu voyait celle de Jésus-Christ.

Ce passage est triomphant contre nos adversaires ; en voici un qui ne l’est guère moins.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant