Institution de la Religion Chrétienne

LIVRE IV
Qui est des moyens extérieurs, ou aides dont Dieu se sert pour nous convier à Jésus-Christ son Fils, et nous retenir en luy.

Chapitre VI
De la primauté du siège romain.

4.6.1

Nous avons jusques à ceste heure raconté les estats qui ont esté au gouvernement de l’Eglise ancienne : et depuis ayans esté corrompus par succession de temps, et pervertis de plus en plus, maintenant retienent seulement leur tiltre en l’Eglise papale : au reste, ne sont que masques. Ce que j’ay fait, afin que les lecteurs par ceste comparaison puissent juger quelle Eglise ont maintenant les Romanistes, qui nous veulent faire schismatiques, d’autant que nous sommes séparez d’icelle. Mais nous n’avons point encores touché le chef et le comble de tout leur estat : asçavoir la primauté du siège romain : par laquelle ils s’efforcent de prouver que l’Eglise catholique n’est sinon par-devers eux. La cause pourquoy je n’en ay point encores parlé, est, d’autant qu’elle n’a pas son origine ne de l’institution de Jésus-Christ, ne de l’usage de la première Eglise : comme les offices dont nous avons traitté : lesquels nous avons monstré estre tellement descendus de l’ancienneté, que par la corruption des temps ils ont décliné de leur pureté ou plustost ont esté du tout changez. Et toutesfois nos adversaires s’efforcent, comme j’ay dit, de persuader au monde que le principal et quasi le seul lien de l’unité ecclésiastique est d’adhérer au siège romain, et persister eu l’obéissance d’iceluy. Voylà le fondement sur lequel ils s’appuyent, quand ils nous veulent oster l’Eglise pour l’avoir de leur costé : c’est qu’ils retienent le Chef, duquel dépend l’unité de l’Eglise, et sans lequel il ne se peut faire qu’elle ne soit dissipée et rompue. Car ils ont ceste fantasie, que l’Eglise est un tronc de corps sans teste, si elle n’est sujette au siège romain comme à son chef. Et pourtant quand ils disputent de leur Hiérarchie, ils commencent tousjours par ce principe, que le Pape préside sur l’Eglise universelle au lieu de Jésus-Christ, comme son vicaire : et que l’Eglise ne peut estre autrement bien ordonnée, sinon que ce siége-là ait primauté sur tous les autres. Il faut doncques faire aussi discussion de ce point, afin de ne rien laisser derrière qui appartiene au régime entier de l’Eglise.

4.6.2

Voyci doncques le nœud de la matière, Asçavoir s’il est requis en la vraye Hiérarchie ou gouvernement de l’Eglise, qu’un siège ait prééminence sur tous les autres en dignité et en puissance, pour estre chef en tout le corps. Or nous assujetirons l’Eglise à une condition trop inique et dure, si nous la voulons astreindre à ceste nécessité, sans la Parole de Dieu. Pourtant si nos adversaires veulent obtenir ce qu’ils demandent, il leur convient prouver devant toutes choses que cest ordre a esté institué de Jésus-Christ. Pour ce faire ils allèguent la prestrise souveraine qui estoit en la Loy, et la jurisdiction souveraine du grand Sacrificateur, que Dieu avoit establie en Jérusalem. Mais la solution est facile : qui plus est, il y a diverses solutions, s’ils ne se contentent d’une. Premièrement d’estendre à tout le monde universel ce qui a esté utile à une nation, ce n’est point procéder par raison : mais au contraire, il y a grande différence entre tout le monde et un certain peuple. D’autant que les Juifs estoyent circuis tout à l’entour d’idolâtres, de peur qu’ils ne fussent distraits par variété de religions. Dieu avoit colloque le siège de son service au milieu de la terre, et là il avoit ordonné un Prélat auquel tous devoyent estre sujets, pour estre mieux entretenus en unité. Maintenant que la religion est espandue partout le monde, qui est-ce qui ne voit que c’est une chose du tout absurde, d’assigner à un seul homme le gouvernement d’Orient et d’Occident ? Car c’est tout ainsi comme si quelqu’un débatoit que le monde doit estre gouverné par un Bailly ou Séneschal, pource que chacune province a le sien. Mais il y a encores une autre raison pourquoy cela ne doit point estre tiré en conséquence, tellement qu’il le nous fale ensuyvre. Nul n’ignore que le grand Prestre de la Loy n’ait esté figure de Jésus-Christ. Maintenant puis que la prestrise est translatée, il convient que ce droict soit aussi translaté Héb. 7.12. Or à qui sera-ce ? Certes non pas au Pape : comme il s’en ose impudemment vanter, alléguant ce passage à son proufit, mais à Jésus-Christ, lequel comme il exerce seul cest office sans vicaire ou successeur, aussi il ne résigne l’honneur à nul autre. Car ceste prestrise, laquelle estoit figurée en la Loy, ne gist point seulement en prédication ou doctrine, mais elle emporte la réconciliation de Dieu avec les hommes, laquelle Jésus-Christ a parfaite en sa mort. Item, l’intercession par laquelle il se présente à Dieu pour nous afin de nous y donner accès.

4.6.3

Il ne faut point doncques qu’ils nous astreignent à cest exemple que nous voyons avoir esté temporel, comme si c’estoit une loy perpétuelle. Au Nouveau Testament, ils n’ont rien qu’ils puissent amener à leur propos, sinon qu’il a esté dit à un seul homme, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j’édifieray mon Eglise. Et ce que tu auras lié en terre, sera lié au ciel : ce que tu auras deslié, sera deslié Matt. 16.18. Item, Pierre m’aimes-tu, pay mes brebis Jean 21.15. Mais s’ils veulent que ces probations soyent fermes, il leur convient premièrement de monstrer, que quand il est dit à un homme qu’il paisse le troupeau de Christ, la puissance luy est donnée sur toutes les Eglises : et que lier et deslier n’est autre chose que présider sur tout le monde. Or est-il ainsi, que comme Pierre avoit receu ceste commission du Seigneur, aussi il exhorte tous les autres ; Prestres de s’en acquitter : asçavoir de paistre le peuple de Dieu qui leur est commis 1Pi. 5.1-2. De là il est facile d’inférer, que Jésus-Christ en commandant à sainct Pierre d’estre Pasteur de ses brebis, ne luy a rien donné de spécial dessus les autres Jean 20.23 : ou bien, que Pierre mesme a communiqué le droict qu’il avoit receu, à tous les autres. Mais afin de ne faire long procès, nous avons en un autre passage l’exposition par la propre bouche de Jésus-Christ, pour nous monstrer que c’est à dire. Lier et deslier : asçavoir de retenir les péchez et les remettre. La façon de Lier et deslier se peut entendre par toute l’Escriture : et singulièrement est exprimée par sainct Paul, quand il dit que les ministres de l’Evangile ont la charge de réconcilier les hommes à Dieu : et puissance de faire la vengence sur tous ceux qui auront refusé un tel bénéfice 2Cor. 5.18 ; 10.6.

4.6.4

J’ay touché desjà combien vilenement ils dépravent les passages qui font mention de lier et deslier : et encores m’en faudra-il faire ci-après plus ample déclaration. Pour le présent il nous est mestier de veoir quelle conséquence ils tirent de la response de Jésus-Christ à Pierre. Il promet de luy donner les clefs du Royaume des cieux, et que tout ce qu’il liera en terre sera lié au ciel Matt. 16.19. Si nous pouvons accorder quant au mot des Clefs, et de la façon de lier, tout nostre différent sera vuidé. Car le Pape quittera volontiers ceste charge que nostre Seigneur Jésus a donnée à ses Apostres, pource qu’elle est plene de fascherie et travail, pour le priver de ses délices sans luy apporter aucun gain. D’autant que par la doctrine de l’Evangile les cieux nous sont ouvers, la similitude des clefs luy convient fort bien. Or est-il ainsi que nuls ne sont liez ou desliez devant Dieu, sinon d’autant que les uns sont réconciliez par foy, les autres sont astreints au double par leur incrédulité. Si le Pape maintenoit un tel droict, je ne pense pas que nul luy en portast envie, ou qu’on luy contredist : mais pource que ceste succession plene de travail et sans aucun gain ne luy vient guères à gré, voyci dont il nous faut en premier lieu plaider contre luy : asçavoir que c’est que Jésus-Christ a promis à Pierre. La chose monstre qu’il a voulu magnifier l’estat apostolique, duquel la dignité ne se peut séparer de la charge. Car si la définition que nous avons donnée est receue, laquelle ne se peut rejetter sinon trop impudemment, rien n’est donné en ce passage à sainct Pierre, qui ne soit commun à tous les douze : pource que non-seulement il leur seroit fait tort quant à leurs personnes, mais la majesté de la doctrine seroit affaiblie. Les Romanisques crient fort et ferme à l’encontre. Mais de quoy leur proufite-il de heurter contre ce roc ? Car ils ne feront pas, comme la Prédication du mesme Evangile a esté commis à tous les Apostres, qu’ils n’ayent esté aussi munis d’une puissance égale de lier et deslier. Jésus-Christ, disent-ils, promettant à sainct Pierre de luy donner les clefs, l’a constitué Prélat de toute l’Eglise. Je respon que ce qu’il luy a promis à luy seul en ce passage-là, il l’a donné en commun à tous les autres puis après, et comme livré en la main. Si un mesme droict est baillé à tous Matt. 18.18 ; Jean 20.23, tel qu’il avoit esté promis à un, en quoy est-ce que cestuy-là est supérieur à ses compagnons ? La prééminence, disent-ils, est en cela, qu’il reçoit luy seul à part, et en commun avec les autres, ce qui n’est donné aux autres sinon à tous ensemble. Et que sera-ce si je respon avec sainct Cyprien et sainct Augustin, que Jésus-Christ n’a pas fait cela pour le préférer aux autres, mais pour dénoter l’unité de l’Eglise ? Les paroles de sainct Cyprien sont telles : Nostre Seigneur en la personne d’un homme a donné les clefs à tous pour dénoter l’unité de tous. Les autres estoyent bien ce que sainct Pierre estoit, compagnons en égual honneur et en éguale puissance : mais Jésus-Christ commence par un homme, afin de monstrer que l’Eglise est une[a]. Quant à sainct Augustin, voyci qu’il dit : Si la figure de l’Eglise n’eust point esté en sainct Pierre, le Seigneur ne luy eust pas dit, Je te donneray les clefs. Car si cela est dit à Pierre seul, l’Eglise n’a point les clefs. Si l’Eglise les a, elle estoit figurée en la personne de Pierre[b]. Item en un autre lieu. Comme ainsi soit que tous eussent esté interroguez, Pierre respond luy seul, Tu es Christ, et il luy est dit, Je te donneray les clefs, comme si la puissance de lier et deslier luy estoit donnée à luy seul : mais comme il avoit respondu pour tous, aussi il reçoit les clefs avec tous, comme portant la personne d’unité. Il est doncques nommé seul pour tous, d’autant qu’il y a entre tous unité[c].

[a] De simpl. praelat.
[b] Homil. in Joann., L.
[c] Homil. XI, repet XII, 4.

4.6.5

Mais ce qui est là dit d’avantage, disent-ils, asçavoir que sur ceste pierre l’Eglise sera édifiée Matt. 16.18, n’a jamais esté dit à autre. Voire, comme si Jésus-Christ disoit là autre chose de sainct Pierre, qu’iceluy mesme et sainct Paul disent de tous les Chrestiens. Car sainct Paul dit que Jésus-Christ est la pierre principale, soustenant tout l’édifice, sur laquelle sont posez tous ceux qui sont édifiez, en sainct temple au Seigneur Eph. 2.20. Et sainct Pierre commande que nous soyons pierres vives, ayans pour fondement Jésus-Christ, comme pierre excellente et esleue, pour estre conjoincts et liez avec Dieu, et entre nous par son moyen 1Pi. 2.5. Sainct Pierre, disent-ils, l’a esté par-dessus les autres, d’autant qu’il a le nom en particulier. Certes j’ottroye volontiers cest honneur à sainct Pierre, qu’il soit colloque en l’édifice de l’Eglise entre les premiers : voire bien, s’ils veulent, le premier de tous les fidèles : mais je ne leur permettray point d’inférer de là, qu’il ait primauté par-dessus les autres. Car quelle seroit ceste façon d’argumenter ? Sainct Pierre précède les autres en ardeur de zèle, en doctrine, en constance : il s’ensuyt doncques qu’il a prééminence sur tous ? Comme si je ne pouvoye pas inférer avec meilleure couleur qu’André précède Pierre en ordre, d’autant qu’il l’a précédé de temps, et qu’il l’a gaigné et mené à Jésus-Christ Jean 1.40, 42. Mais je laisse cela. J’accorde que sainct Pierre passe les autres : toutesfois il y a grande différence entre l’honneur de précéder, et avoir puissance sur les autres. Nous voyons bien que les Apostres ont quasi coustumièrement déféré cela à sainct Pierre, qu’il parlast le premier en la congrégation, comme pour conduire les affaires, en advertissant et exhortant ses compagnons : mais de la puissance, nous n’en lisons rien.

4.6.6

Combien que nous ne sommes pas encores en ceste dispute : tant seulement, je veux monstrer pour le présent, que c’est trop sottement argué à eux, quand ils veulent establir une principauté d’un homme sur toute l’Eglise, se fondant sur le seul nom de Pierre. Car ces sottes allégations et ineptes dont ils ont voulu au commencement abuser le monde, ne sont pas dignes qu’on les récite, asçavoir que l’Eglise a esté fondée sur sainct Pierre, d’autant qu’il est dit, Sur ceste pierre j’édifieray mon Eglise. Ils ont pour leur bouclier, qu’aucuns des Pères les ont ainsi exposées. Mais puis que toute l’Escriture contredit, de quoy sert-il de prétendre l’authorité des hommes contre Dieu ? Qui plus est que plaidons-nous du sens de ces paroles, comme s’il estoit obscur ou douteux, veu qu’on ne sçauroit rien dire plus clair ne plus certain ? Pierre avoit confessé tant pour soy qu’au nom de ses frères, Christ estre le Fils de Dieu Matt. 16.16. Sur ceste pierre Christ édifie son Eglise : d’autant que c’est le fondement unique, comme dit sainct Paul 1Cor. 3.11, sans qu’il soit licite d’y en mettre un autre. Et je ne rejette point l’authorité des Pères en cest endroict, comme si j’estoye destitué de leurs tesmoignages, si je les vouloye produire pour confermer mon dire. Mais, comme j’ay dit, je ne veux point importuner les lecteurs en faisant long propos d’une chose tant claire, veu mesmes que ceste matière a esté déduite au long et assez diligemment par autres.

4.6.7

Combien à la vérité, que nul ne peut mieux soudre ceste question, que l’Escriture, si nous conférons tous les passages où elle démonstre quel office et quelle puissance a eus Pierre entre les Apostres : comment il s’est porté, et en quel lieu il a esté tenu d’eux. Qu’on espluche bien depuis un bout jusques à l’autre, on ne trouvera autre chose, sinon qu’il a esté un d’entre les douze pareil aux autres : et compagnon, non pas maistre. Il met bien en avant en la congrégation ce qu’il faut faire, et admoneste les autres, mais il les escoute aussi d’autre part : et ne leur permet point seulement de dire leur opinion, mais d’ordonner et décerner ce qu’il leur semble. Quand ils ont décrété quelque chose, il suyt et obtempère Actes 15.7. Quand il escrit aux Pasteurs, il ne leur commande point d’authorité comme supérieur, mais il les fait ses compagnons, et les exhorte amiablement, comme il se fait entre ceux qui sont pareils 1Pi. 5.1. Quand il est accusé d’avoir conversé entre les Gentils, combien que ce soit à tort, toutesfois il en respond, et s’excuse Actes 11.3-4. Quand on luy commande d’aller avec Jehan en Samarie, il ne refuse point d’y aller Actes 8.14. D’autant que les Apostres l’envoyent, en cela ils déclairent qu’ils ne le tienent point pour supérieur : d’autant qu’il obéit, et reçoit la charge qui luy est commise : en cela il confesse qu’il a société commune avec eux, non pas domination sur eux. Et encores que nous n’eussions point toutes ces choses, toutesfois l’Epistre aux Galatiens nous en pourrait seule oster toute difficulté : là où sainct Paul tout au long de deux chapitres ne fait quasi autre chose que de monstrer qu’il est pareil à sainct Pierre en degré d’office. Pour ce faire, il raconte qu’il n’estoit pas venu à Pierre pour faire profession d’estre sujet à luy, mais pour approuver à un chacun le consentement de doctrine qui estoit entre eux. Mesmes que sainct Pierre ne requit point cela de luy : mais qu’il luy donna la main en signe de société, pour travailler ensemble en la vigne du Seigneur. D’avantage, que Dieu luy avoit fait autant de grâce entre les Gentils, qu’il avoit fait à Pierre entre les Juifs. Finalement, pource que Pierre ne se portoit point droictement, qu’il l’avoit reprins, et qu’iceluy avoit obéy à sa remonstrance Gal. 1.18 ; 2.7-14. Toutes ces choses démonstrent plenement qu’il y avoit équalité entre sainct Pierre et sainct Paul : ou bien, que sainct Pierre n’avoit pas plus de puissance sur les autres qu’iceux avoyent sur luy. Et de faict, c’est l’intention expresse de sainct Paul, de monstrer qu’il ne doit point estre réputé inférieur en son Apostolat à Pierre ou à Jehan, d’autant que ç’ont esté ses compagnons, non ses maistres.

4.6.8

Mais encores que je leur accorde de Pierre ce qu’ils demandent, asçavoir qu’il a esté Prince des Apostres, et qu’il a précédé les autres en dignité : toutesfois il n’y a point de propos de faire une reigle générale d’un exemple particulier, et de tirer en conséquence ce qui a esté fait pour une fois, quand mesmes la raison est diverse. Il y en a eu un principal entre les Apostres, voire pource qu’ils estoyent en petit nombre. Si un a présidé sur douze, s’ensuyt-il par cela qu’un seul doyve présider sur cent mille ? Ce que douze ont eu un d’entre eux pour dresser la compagnie, ce n’est point de merveille. Car la nature porte cela, et la façon humaine, qu’en toute compagnie, encores que tous soyent égaux en puissance, il y en ait un qui soit pour conducteur, auquel tous les autres se rangent. Il n’y a nul conseil, ne parlement, ny assemblée quelconque qu’elle soit, qui n’ait son président ou gouverneur. Il n’y a nulle bande qui n’ait son capitaine : ainsi il n’y auroit nul inconvénient, si nous confessions que les Apostres eussent donné une telle primauté à sainct Pierre. Mais ce qui a lieu entre peu de gens, ne se doit soudainement tirer à tout le monde, pour lequel régir nul homme ne peut suffire luy seul. Mais l’ordre de nature, disent-ils, nous enseigne qu’il y doit avoir un souverain chef sur chacun corps. Et pour confermer leur dire, ils ameinent l’exemple des grues et des mousches à miel, lesquelles eslisent tousjours un Roy ou gouverneur, et non pas plusieurs. Je reçoy volontiers ces exemples. Mais je demande si toutes les mousches à miel qui sont au monde, s’amassent en un lieu pour eslire un Roy. Chacun Roy est content de sa ruche : pareillement chacune bande de grues a son conducteur propre. Que conclurront-ils doncques de cela, sinon que chacune Eglise doit avoir son Evesque ? Ils nous allèguent après, les exemples des seigneuries terriennes, et assemblent les sentences qui sont aux Poëtes et autres escrivains, pour louer tel ordre et monarchie. A cela nous avons facile response : car la monarchie n’est pas tellement louée, mesmes des escrivains payens, comme si un seul homme devoit gouverner tout le monde : mais ils signifient seulement que nul Prince ne peut endurer compagnon en ses pays.

4.6.9

Mais encores le cas posé qu’il soit bon et utile, comme ils veulent, que tout le monde soit réduit en une monarchie : ce qui est néantmoins très-faux : mais encores qu’ainsi fust, si ne leur concèderay-je pourtant que cela doyve valoir au gouvernement de l’Eglise. Car elle a Jésus-Christ pour son seul chef Eph. 4.15, sous la principauté duquel nous adhérons tous ensemble, selon l’ordre et forme de police que luy-mesme nous a constitué. Pourtant ceux qui veulent donner la prééminence sur toute l’Eglise à un homme seul, sous ceste couverture qu’elle ne se peut passer d’un chef, font une grosse injure à Jésus-Christ, lequel en est le Chef : auquel, comme dit sainct Paul, chacun membre doit estre réduit, afin que tous ensemble, selon leur mesure et la faculté qu’il leur donne, soyent unis pour croistre en luy. Nous voyons comme il colloque au corps tous les hommes de la terre sans exception, réservant à Jésus-Christ seul l’honneur et le nom de Chef. Nous voyons comme il assigne à chacun membre certaine mesure et son office limité, afin que tant la perfection de grâce comme la puissance souveraine de gouverner, réside en Jésus-Christ seul. Je sçay bien ce qu’ils ont accoustumé de caviller quand on leur fait ceste objection : asçavoir que Jésus-Christ est nommé le seul Chef, à proprement parler, d’autant que luy seul gouverne en son nom et de son authorité : mais que cela n’empesche point qu’il n’y ait un chef dessous luy, quant au ministère, lequel soit comme son vice-gérent en terre. Mais ils ne proufitent rien par ceste cavillation, sinon que premièrement ils ayent prouvé que ce ministère ait esté ordonné de Christ. Car l’Apostre enseigne que l’administration est espandue par tous les membres, et que la vertu procède du seul Chef céleste Eph. 1.21 ; 4.15 ; 5.23 ; Col. 1.18 ; 2.10. Ou bien, s’ils veulent que je parle plus grossement, puis que l’Escriture tesmoigne que Jésus-Christ est le Chef, et qu’elle luy attribue cest honneur à luy seul, il ne se doit point transporter à un autre, que Jésus-Christ ne l’ait constitué son vicaire.

4.6.10

Or non-seulement on ne lit cela en nulle part, mais il se peut amplement réfuter par beaucoup de passages. Sainct Paul nous a peint quelquesfois l’image de l’Eglise au vif : là il ne fait nulle mention d’un seul chef en terre : plustost on peut inférer de la description qu’il fait, que cela ne convient point à l’institution de Christ, lequel en montant au ciel nous a osté sa présence visible : toutesfois il est monté pour remplir toutes choses Eph. 4.10 : ainsi l’Eglise l’a encores présent, et l’aura tousjours. Quand sainct Paul veut monstrer le moyen par lequel nous jouissons de la présence d’iceluy, il nous appelle aux ministères desquels il use. Le Seigneur Jésus, dit-il, est en nous tous, selon la mesure de grâce qu’il a donnée à chacun membre ; pourtant il a constitué les uns Apostres, les autres Prophètes, les autres Evangélistes, les autres Pasteurs, les autres Docteurs Eph. 4.7, 11. Pourquoy est-ce qu’il ne dit qu’il en a constitué un sur tous les autres comme son lieutenant ? Car le propos qu’il démeine requiert bien cela, et ne le devoit nullement omettre, s’il estoit vray. Jésus-Christ, dit- il, nous assiste. Comment ? Par le ministère des hommes qu’il a commis au gouvernement de son Eglise. Pourquoy ne dit-il plustost, parle chef ministérial lequel il a ordonné en son lieu ? Il nomme bien l’unité, mais c’est en Dieu, et en la foy de Jésus-Christ. Quant aux hommes, il ne leur laisse rien, sinon le ministère commun, et à chacun sa mesure en particulier. Et en nous recommandant l’unité, après qu’il a dit que nous sommes un corps et un esprit, ayans une mesme espérance de vocation Eph. 4.4, un Dieu, une foy, et un Baptesme, pourquoy est-ce qu’il n’adjouste quant et quant, que nous avons un souverain Prélat pour conserver l’Eglise en unité ? Car si la vérité eust esté telle, il ne pouvoit rien dire de plus propre. Qu’on poise diligemment ce lieu-là : car il n’y a doute qu’il ne nous y ait voulu représenter le régime spirituel de l’Eglise, lequel a esté depuis nommé des successeurs, Hiérarchie. Or il ne met nulle monarchie ou principauté d’un seul homme entre les ministres : mais qui plus est, il dénote qu’il n’y en a point. Il n’y a aussi nulle doute qu’il n’y ait voulu exprimer la façon d’unité, par laquelle les fidèles doyvent adhérer à Jésus-Christ leur Chef. Or non-seulement il ne fait nulle mention d’un chef ministérial, mais il attribue à chacun membre son opération particulière, selon la mesure de grâce qui est donnée à chacun. La comparaison qu’ils font entre la Hiérarchie céleste et terrienne est frivole : car de la Hiérarchie céleste, il ne nous en faut sçavoir et sentir que ce qui en est dit en l’Escriture. Pour constituer l’ordre que nous devons tenir en terre, il ne nous faut suyvre autre patron que celuy que le Seigneur mesme nous a baillé.

4.6.11

Mais encores que je leur ottroye ce second point, lequel toutesfois jamais ils n’obtiendront envers gens de bon jugement : asçavoir que la primauté de l’Eglise a esté donnée à sainct Pierre à telle condition qu’elle demeurast tousjours, et qu’elle veinst en succession de main en main : d’où est-ce qu’ils pourront conclurre que le siège romain ait esté exalté jusques là, que quiconques en est Evesque doyve présider sur tout le monde ? Par quel droict et à quel tiltre attachent-ils ceste dignité à un lieu propre, laquelle a esté donnée à Pierre sans faire mention d’aucun lieu ? Pierre, disent-ils, a vescu à Rome, et y est mort. Et Jésus-Christ, quoy ? n’a-il point exercé office d’Evesque en Jérusalem, pendant qu’il a vescu ? et en sa mort, n’y a-il point accomply ce qui estoit requis à la Prestrise souveraine ? Le Prince des Pasteurs, le souverain Evesque, le Chef de l’Eglise n’a peu acquérir l’honneur de primauté à un lieu : comment est-ce doncques que Pierre, qui est de beaucoup inférieur, l’auroit acquis ? Ne sont-ce pas folies plus qu’enfantiles, de parler ainsi ? Jésus-Christ a donné l’honneur de primauté à Pierre : Pierre a eu son siège à Rome : il s’ensuyt doncques qu’il a colloqué illec le siège de sa primauté. Certes par mesme raison le peuple d’Israël devoit anciennement constituer le siège de primauté au désert, d’autant que Moyse souverain Docteur et Prince des Prophètes, avoit là exercé son office, et y estoit mort Deut. 34.5.

4.6.12

Toutesfois voyons le bel argument qu’ils font : Pierre, disent-ils, a eu la primauté entre les Apostres. L’Eglise doncques en laquelle il a eu son siège, doit avoir ce privilège. Or en quelle Eglise a-il esté premièrement Evesque ? Ils respondent que c’a esté en Antioche : de là je conclu, que la primauté appartient de droict à l’Eglise d’Antioche. Or ils confessent bien qu’elle a esté autresfois la première, mais que Pierre en partant de là, a transporté l’honneur de la primauté à Rome. Car il y a une épistre du Pape Marcel, au Décret, escrite aux Prestres d’Antioche, où il est ainsi dit : Le siège de Pierre a esté du commencement en vostre ville : mais depuis par le commandement de Dieu il a yci esté translaté[d]. Ainsi l’Eglise d’Antioche, qui du commencement estoit la première, a donné lieu au siège romain. Mais je demande, par quelle révélation sçavoit ce nigaud de Pape, que Dieu l’eust ainsi commandé ? S’il est question de définir ceste cause par droict, il faut qu’ils respondent, asçavoir si le privilège qui a esté donné à Pierre, est personnel, ou réal, ou meslé. Il faut qu’ils choisissent l’un des trois, selon tous légistes. S’ils disent qu’il est personnel, le lieu ne vient point en conte. S’il est réal, après qu’il a esté donné à un lieu, il ne luy peut estre osté par la mort ou le départ de la personne. Il reste doncques qu’il soit meslé des deux. Or lors il ne faudra point simplement considérer le lieu, sinon que la personne corresponde avec. Qu’ils eslisent lequel qu’ils voudront : soudain je conclurray et prouveray facilement, que Rome ne se peut attribuer le Primat par aucun moyen.

[d] XII, Quæst. I, cap. Rogamus.

4.6.13

Mais encores concédons-leur ce point. Mettons, di-je, le cas que la primauté ait esté translatée d’Antioche à Rome. Mais pourquoy Antioche n’a-elle pour le moins retenu le second lieu ? Car si Rome est la première d’autant que Pierre en a esté Evesque jusques à la mort : laquelle doit estre plustost la seconde, que celle où il avoit eu son premier siège ? Comment doncques s’est-il fait qu’Alexandrie ait précédé Antioche ? Est-ce chose convenable, qu’une Eglise d’un simple disciple soit supérieure au siège de sainct Pierre ? Si ainsi est que l’honneur soit deu à chacune Eglise selon la dignité de son fondateur, que dirons-nous aussi des autres Eglises ? Sainct Paul nomme trois Apostres qu’on réputoit estre les colomnes : asçavoir Jaques, Pierre et Jehan Gal. 2.9. Si on attribue le premier lieu au siège romain en l’honneur de sainct Pierre : Ephèse et Jérusalem, ausquels Jehan et Jaques ont esté Evesques, ne méritent-elles pas bien d’avoir le tiers et le quatrième ? Or entre les Patriarchies, Jérusalem a esté la dernière, Ephèse n’a pas eu seulement un petit anglet : semblablement les autres Eglises, tant celles que sainct Paul avoit fondées, que celles où avoyent présidé les autres Apostres, sont demeurées en arrière, sans qu’on en ait tenu conte. Le siège de sainct Marc, qui n’estoit que simple disciple, a eu l’honneur par-dessus toutes. Qu’ils confessent que cest ordre a esté pervers, ou qu’ils m’accordent que ce n’est point chose perpétuelle, qu’un mesme degré d’honneur soit deu à chacune Eglise, qu’a eu le fondateur d’icelle.

4.6.14

Combien que tout ce qu’ils racontent, que sainct Pierre a esté Evesque à Rome, il n’est guères certain, comme il me semble. Certes ce qu’en dit Eusèbe, asçavoir qu’il y a esté vingt-cinq ans, se peut réfuter sans nulle difficulté. Car il appert par le premier et second chapitre de sainct Paul aux Galates, qu’il fut en Jérusalem depuis la mort de Jésus-Christ, environ vingt ans Gal. 1.18 ; 2.1 : et que de là il veint en Antioche, où il demeura quelque temps : il est incertain combien. Grégoire en met sept, et Eusèbe vingt-cinq : Or depuis la mort de Jésus-Christ jusques à la fin de l’Empire de Néron, lequel feit tuer sainct Pierre, il n’y a eu que trente-sept ans. Car nostre Seigneur souffrit sous l’Empereur Tibère, l’année dix-huitième du règne d’iceluy. Si on oste vingt ans, ausquels sainct Paul tesmoigne que Pierre a habité en Jérusalem, il ne restera tout au plus que dix-sept ans, lesquels il faudra partir entre ces deux Eveschez. S’il fut long temps en Antioche Evesque, il ne peut avoir esté à Rome qu’un bien petit de temps. Mais cela se peut encores déclairer plus familièrement. Sainct Paul escrivit son Epistre aux Romains, estant en chemin pour aller en Jérusalem, où il fut prins et amené à Rome Rom. 15.25. Il est doncques vray-semblable que ceste Epistre fut escrite quatre ans devant qu’il veinst à Rome. Or en icelle il ne fait nulle mention de Pierre, lequel il ne devoit omettre, s’il estoit Evesque du lieu mesme. En la fin récitant un grand nombre de fidèles qu’il salue, et assemblant comme en un rolle tous ceux de sa cognoissance Rom. 16.3, il ne dit mot encores de sainct Pierre. Il n’est jà mestier d’user de grande subtilité, ne de longue dispute envers gens de bon entendement. Car la chose monstre, et tout l’argument de l’Epistre crie, que sainct Pierre ne devoit pas estre oublié, s’il eust esté sur le lieu.

4.6.15

Depuis sainct Paul fut amené prisonnier à Rome. Saint Luc raconte qu’il fut receu des frères Actes 28.15-16 : de Pierre il n’en est point de nouvelle. Estant là il escrit à plusieurs Eglises. En d’aucunes Epistres il insère d’aucunes salutations au nom des fidèles qui estoyent avec luy : il ne dit pas un seul mot, par lequel on puisse conjecturer que sainct Pierre fust là. Je vous prie, à qui sera-il croyable qu’il s’en fust teu du tout, s’il y eust esté ? Qui plus est, aux Philippiens, après avoir dit qu’il n’avoit personne qui procurast fidèlement l’œuvre du Seigneur comme Timothée, il se complaind que chacun cherche son proufit particulier Phil. 2.20. Et en escrivant au mesme, il fait encores une quérimonie plus grande, asçavoir que nul ne luy avoit assisté en sa première défense : mais que tous l’avoyent abandonné 2Tim. 4.16. Où estoit alors sainct Pierre ? Car s’il estoit à Rome, sainct Paul le charge d’un grand blasme, d’avoir abandonné l’Evangile : car il parle des fidèles. Qu’ainsi soit, il adjouste, Que Dieu ne leur impute point. Combien doncques et en quel temps sainct Pierre a-il gouverné l’Eglise de Rome ? C’est une opinion commune, dira quelqu’un, que jusques à la mort il y demeura. Mais je répliqueray que les anciens escrivains ne s’accordent point touchant du successeur. Car les uns tienent que c’a esté Linus, elles autres Clément. D’avantage ils racontent beaucoup de sottes fables touchant la dispute d’entre luy et Simon Magus. Mesmes sainct Augustin, parlant des superstitions, ne dissimule pas que la coustume qui estoit à Rome de ne point jusner le jour auquel on pensoit que sainct Pierre eust gaigné la victoire, estoit venue d’un bruit incertain, et d’une opinion conceue à la volée[e]. Finalement, les choses de ces temps-là sont tant embrouillées de diversité d’opinions, qu’il ne faut pas légèrement croire tout ce qui est escrit. Toutesfois pource que les escrivains s’accordent en cela, je ne contredi pas qu’il ne soit mort à Rome. Mais qu’il y ait esté Evesque, principalement long temps, on ne le me sçauroit persuader : et ne m’en chaut pas beaucoup, d’autant que sainct Paul tesmoigne que l’Apostolat de sainct Pierre appartenoit spécialement aux Juifs, et le sien s’addressoit à nous. Pourtant si nous voulons tenir la paction qu’ils firent ensemble pour bonne, ou plustost si nous voulons nous tenir à l’ordonnance du sainct Esprit, il nous faut recognoistre quant à nous, l’Apostolat de Paul plustost que celuy de Pierre. Car le sainct Esprit a tellement divisé leurs charges, qu’il a destiné Pierre aux Juifs, et Paul à nous. Pourtant que les Romanistes cherchent ailleurs leur primauté qu’en la Parole de Dieu, veu qu’elle ne se trouvera point là fondée.

[e] Epist. II, Ad Januar.

4.6.16

Venons maintenant à l’Eglise ancienne, afin qu’il apparoisse que ce n’est pas moins follement et sans raison, que nos adversaires se tienent fiers d’avoir l’authorité d’icelle pour eux, qu’ils se vantent d’avoir la Parole de Dieu. Quand doncques ils ameinent cest article de leur foy, que l’Eglise ne se peut conserver en unité sans avoir un souverain Chef en terre, auquel tous les autres membres soyent sujets et pourtant que nostre Seigneur a donné à Pierre la primauté pour luy et ses successeurs, afin qu’elle dure à tousjours : ils mettent en avant que cela a esté en usage dés le commencement. Or pource qu’ils amassent beaucoup de tesmoignages deçà et delà, les destournans à tors et à travers à leur proufit, je proteste devant toutes choses que je ne veux point nier que les anciens Docteurs ne facent tousjours beaucoup d’honneur à l’Eglise romaine, et qu’ils n’en parlent révéremment. Ce que je pense estre advenu pour trois causes. Car l’opinion commune qu’on avoit, que sainct Pierre en estoit le fondateur, valoit beaucoup pour luy donner crédit et authorité. Et pourtant les Eglises d’Occident l’ont appelée par honneur, Siège apostolique. Secondement, pource que c’estoit la ville capitale de l’Empire, et que pour ceste raison il estoit vray-semblable qu’il y avoit là des personnages plus excellens tant en la doctrine qu’en prudence, et mieux expérimentez qu’en nul autre lieu, on avoit esgard, et à bon droict, de ne mespriser point tant la noblesse de la ville, que les autres dons de Dieu qui estoyent là. Tiercement, comme ainsi soit que les Eglises d’Orient et de Grèce, et mesmes d’Afrique, fussent troublées de plusieurs dissensions, l’Eglise romaine a esté tousjours plus paisible de ce temps-là, et moins sujette à esmotions. De là il advenoit que les bons Evesques et de saine doctrine, estans chassez de leurs Eglises, s’y retiroyent comme en un refuge, ou en un port. Car d’autant que les peuples d’Occident ne sont pas d’un esprit si aigu et subtil que les Asiatiques et Aphricains, aussi ils ne sont pas tant volages ne convoiteux de nouveauté. Cela doncques a fort augmenté l’authorité de l’Eglise romaine, qu’elle n’a point esté en trouble durant ces temps-là, que les Eglises se combatoyent ensemble : mais a consisté plus constamment en la doctrine qu’elle avoit une fois receue, comme il sera tantost exposé plus à plein. Pour ces trois causes, di-je, le siège romain a esté en plus singulière réputation, et est prisé des anciens.

4.6.17

Mais quand nos adversaires se veulent aider de cela, pour luy donner la primauté et puissance souveraine sur les autres Eglises, ils s’abusent trop lourdement, comme j’ay dit. Et afin que cela soit plus évident, je monstreray premièrement en brief, que c’est que les Anciens ont senty de ceste unité, à laquelle iceux s’arrestent tant. Sainct Hiérosme escrivant à Népotien, après avoir allégué plusieurs exemples d’unité, descend finalement à la Hiérarchie de l’Eglise : Il y a, dit-il, en chacune Eglise un Evesque, un Archeprestre, un Archediacre, et tout l’ordre de l’Eglise consiste en ces gouverneurs. Notons que c’est un Prestre romain qui parle, et qu’il veut recommander l’unité de l’Eglise. Pourquoy ne fait-il mention que toutes les Eglises sont unies ensemble par le moyen d’un Chef, comme par un lien ? Il n’y avoit rien qui servist mieux à sa cause que cela : et ne peut-on dire qu’il ait laissé de le dire par oubli. Car il n’eust rien fait tant volontiers, si la cause l’eust souffert. Il est doncques certain qu’il voyoit bien que la vraye façon d’unité estoit celle que descrit sainct Cyprien, quand il dit ainsi : Il n’y a qu’un seul Evesché, duquel chacun Evesque est participant entièrement : il n’y a qu’une seule Eglise, laquelle est espandue au long et au large : comme il y a plusieurs rayons du soleil, mais la clairté n’est qu’une : et en un arbre il y a beaucoup de branches, mais il n’y a qu’un tronc, qui est appuyé sur sa racine : et d’une seule fontaine découlent plusieurs ruisseaux, qui n’empeschent point toutesfois que l’unité ne demeure en la source. Qu’on sépare les rayons du corps du soleil, l’unité qui est là ne souffre aucune division. Qu’on coupe la branche d’un arbre, et elle séchera. Ainsi l’Eglise estant illuminée de la clairté de Dieu, est espandue par tout le monde : néantmoins il y a une seule clairté qui s’estend par tout, et l’unité du corps n’est point séparée[f]. Après avoir dit cela, il conclud que toutes hérésies et schismes provienent de ce qu’on ne se retourne point à la source de vérité, qu’on ne cherche point le Chef, et qu’on ne garde point la doctrine du Maistre céleste. On voit comme il donne à Jésus-Christ seul l’Evesché universel, qui comprene toute l’Eglise : comment il dit que chacun de ceux qui sont Evesques sous ce Chef principal, en tienent une portion. Où sera la primauté du siège romain si l’Evesché entier réside seulement en Jésus-Christ, et que chacun en ait une portion ? J’ay allégué ce passage, afin de donner à entendre comme en passant, aux lecteurs, que ceste maxime que tienent les Romanisques comme un article de foy, asçavoir qu’en la Hiérarchie de l’Eglise il est requis qu’il y ait un chef en terre, a esté du tout incognue aux Anciens.

[f] De simpl. praelat.

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