Traité de la composition d’un sermon

V
Des textes qu’on doit traiter par voie d’explication

Après ces règles générales il faut descendre jusqu’au particulier, et donner quelques préceptes pour l’inventiona et pour la composition.

a – L’emploi du mot invention peut surprendre à cause du sens presque exclusivement technique qu’il a acquis au cours de l’ère industrielle ; à l’époque de Claude il se rapporte à la capacité artistique de créer, sans laquelle un sermon serait dépourvu de personnalité.

Règle 1 : Il faut d’abord bien comprendre le sens de son texte.

Je suppose donc qu’un homme ne sera pas assez étourdi pour mettre la main à la plume, et travailler sur un texte qu’avant toute chose il n’en ait bien compris le sens. L’on ne donne point de préceptes là-dessus ; car un homme qui aurait besoin d’être averti qu’il ne doit pas traiter un texte avant de l’entendre, aurait en même temps besoin qu’on lui dît de prendre une autre profession que celle de prédicateur.

Règle 2 : Il faut jeter un regard global sur les matières qu’on aura à traiter.

Je suppose donc qu’un homme ayant bien compris le sens de son texte, commence par faire sa division, et qu’ayant ses parties devant les yeux, il voit à peu près quelles sont les matières qu’il aura à traiter, et ce qui devra nécessairement entrer dans sa composition.

Je suppose de plus que ce soit un homme qui ne soit pas tout à fait novice en théologie, mais qui ait la connaissance des lieux communs et des principales questions qui s’y prête.

Règle 3 : Il faut voir de quelle nature est le texte.

Cela étant je veux que la première chose qu’un tel homme fasse, soit de voir de quelle nature est son texte. Car il y en a de dogmatiques, d’historiques, de prophétiques, et de typiques. Il y en a qui contiennent un commandement, d’autres une défense, d’autres une promesse, d’autres une menace, d’autres un souhait, d’autres une exhortation, d’autres une censure, d’autres des motifs pour nous porter à une action, d’autres une parabole, d’autres un raisonnement, d’autres une comparaison de deux choses entre elles, d’autres une vision, d’autres une action de grâces, d’autres une description, soit de la majesté de Dieu, ou de sa colère, ou du Soleil, ou de quelque autre chose, un éloge, soit de la Loi, soit de quelque personne, une prière, une exagération de joie ou d’affliction, un mouvement pathétique, soit d’indignation, soit de douleur, soit d’admiration, soit d’imprécation, de repentance, de confession de foi, de bénédiction pastorale, ou patriarcale, de consolation, etc. La plupart sont mêlés, je veux dire qu’ils contiennent des choses de divers ordres. Il est fort important à un homme qui veut composer, d’examiner bien son texte sur ce pied, et de bien démêler tous ces caractères ; car faisant cela, il verra déjà à peu près de quelle manière il doit s’y prendre.

Deux voies générales de traiter un texte ou par explication ou par observation.

Après qu’on aura bien examiné de quelle nature est un texte, il faut entrer en matière et commencer la composition. Pour cet effet, il faut savoir qu’il y a deux voies générales, ou deux manières de composer. L’une est la voie de l’explication, et l’autre est celle des observations. Et il ne faut pas s’imaginer, qu’il soit arbitraire à un homme de prendre sur quelque texte que ce soit celle de ces deux voies qui lui plaira le plus. Car il y a des textes qui ne sauraient être traités que par la méthode de l’explication, et il y en a d’autres qui demandent nécessairement celle des observations. Par exemple, quand vous avez à traiter un point de doctrine, alors il faut recourir à l’explication. Et quand vous avez à traiter un texte d’histoire, vous ne le sauriez bien faire que par la voie des observations. C’est donc dans ce discernement que consistera le jugement d’un homme ; car comme les textes de l’Écriture sont presque infinis, il est impossible de donner des règles là-dessus. Cela dépend du bon sens en général. On dira seulement que quand il s’agit d’une chose commune et connue de tout le monde, il y aurait de l’absurdité à vouloir prendre la voie de l’explication. Et de même quand il s’agira d’une chose difficile ou importante et qui demandera nécessairement éclaircissement, il y aurait de l’inconvénient à prendre la voie des observations.

La difficulté des textes réside ou dans les termes ou dans la chose.

La difficulté dont nous parlons peut être considérée, ou à l’égard des termes du texte seulement, la chose en elle-même étant claire après les éclaircissements des mots ; ou à l’égard de la chose seulement, les termes étant d’eux-mêmes fort intelligibles ; ou à l’égard, tant des termes, que de la chose. Si les termes sont obscurs, il faut tâcher d’en donner le véritable sens ; mais s’ils sont clairs, on n’a que faire de s’y amuser, il faut passer à la difficulté qui est dans la chose. Si la chose est claire, il faut se contenter de l’explication des termes, et donner le vrai sens des paroles. S’il y a de l’absurdité et de la difficulté dans l’un et dans l’autre, il faut insister à l’explication de l’un et de l’autre. Mais il faut toujours commencer par l’explication des termes.

De quelle manière il faut expliquer les difficultés des termes.

Dans l’explication des termes, il faut d’abord proposer ce qu’on appelle ratio dubitandi, c’est-à-dire, ce qui fait de la peine, ou qui cause de l’embarras. Or cette raison de douter ou cet embarras vient de plusieurs sources. Car où les termes ne semblent former aucun sens, ils sont équivoques formant plusieurs sens différents, où le sens qu’il semble former d’abord, est embrouillé, peu juste, choquant, etc. Ou leur signification, encore qu’elle soit assez claire d’elle-même, ne laissera pas d’être controversée et exposée à la chicane des hérétiques. En tout cas, après avoir proposé la difficulté, il la faut résoudre le plus brièvement qu’il se pourra. Et pour cet effet il se faut servir de l’aide des critiques, des notes, des commentaires, des paraphrases, etc. en un mot, du travail d’autrui.

Si vous ne trouvez pas bien votre compte dans les lumières que les autres vous donnent, il faut tâcher de trouver de vous-même quelque chose de meilleur, en examinant bien toutes les circonstances du texte, ce qui précède, ce qui suit, le but général du discours, le but particulier du lieu où se trouve votre texte, la matière dont il s’agit, les autres lieux de l’Écriture qui traitent de la même matière, ou ceux dans lesquels les mêmes expressions se trouvent employées, etc. Et par ce moyen, il est presque impossible que vous ne vous contentiez. Surtout il faut bien prendre garde de ne pas faire de ces sortes de grammaticationsb un capital, mais seulement de les traiter comme une préparation nécessaire et inévitable, pour établir le juste sens des textes.

b – Mot plaisant, relatif aux règles de la grammaire, et que Claude emploie pour résumer le caractère laborieux et technique des recherches qui doivent établir le sens d’un texte difficile.

De quelle manière il faut expliquer les difficultés des choses.

Quant à la chose, il faut comme j’ai dit l’expliquer, ou lorsqu’elle est difficile, ou lorsqu’elle est importante. Ce qui se peut faire en plusieurs manières. Car vous pouvez commencer par la réflexion des erreurs, dans lesquelles les hommes sont tombés sur ce sujet ou dans lesquelles ils pourraient tomber, et ensuite venir à la déclaration nette et précise de la vérité. Et après cela la dilater, si j’ose ainsi dire, par la déduction des principes ou des sources d’où elle dépend, et des relations essentielles dans lesquels elle doit être considérée.

Par exemple, si l’on avait à traiter ces paroles de Actes 5.9 : Il t’est dur de regimber contre les aiguillons. La première chose qu’il faudrait faire, serait de proposer la difficulté qu’on trouve dans ces termes, qui ne semblent donner aucun juste sens, car s’agissant de la conversion de saint Paul, que veulent dire ces paroles ? Il t’est dur de regimber contre les aiguillons. Nous entendons facilement que c’est une comparaison prise d’un cheval vicieux et malin qui ne veut pas obéir à celui qui le pique, mais qui y résiste et qui regimbe au contraire. Nous entendons facilement que ces aiguillons sont la voix et la grâce de Jésus-Christ qui sollicitaient intérieurement et extérieurement Paul à la conversion. Nous entendons encore fort bien que l’esprit et le cœur de Paul résistaient à la vocation du Seigneur et au mouvement intérieur de son Saint Esprit, ce qui est représenté par le terme de regimber contre les aiguillons. Mais que veulent dire ces paroles ? Il t’est dur de résister à ma grâce. Si l’on dit que cela signifie qu’il lui était impossible de résister à la vertu toute-puissante de l’Esprit de Jésus-Christ, il est certain que le terme de l’original ne se peut jamais prendre dans cette signification. Il signifie une chose dure, une chose déplaisante et fâcheuse, difficile à supporter, mais il ne signifie jamais une chose impossible. Mais si on prend ce terme dans son ordinaire et sa perpétuelle signification, que veut dire Jésus-Christ par ce discours ? Il t’est fâcheux, il t’est déplaisant de résister à ma grâce. Car au contraire, quand un méchant homme est dans le moment de sa conversion, ce sont les mouvements de la grâce qui sont déplaisants et fâcheux, au lieu que les résistances de la nature corrompue sont douces et agréables. Dans ces combats nous regardons la grâce comme une ennemie, que nous sommes bien aise de chasser et de vaincre. Il est donc fâcheux de sentir les aiguillons de la grâce, mais il est doux d’y résister. La difficulté étant ainsi proposée et mise dans son jour, il faut l’expliquer en disant qu’au lieu de traduire, Il t’est dur de regimber contre les aiguillons, on doit traduire : C’est à cause de ta dureté que tu regimbes contre les aiguillons. Car σκληρόν σοι selon l’usage assez commun de la langue grecque se met pour σκληρώτης σοῦ, c’est ta dureté. Ainsi le sens de Jésus-Christ est clair, il veut dire que la résistance que saint Paul faisait aux mouvements de sa grâce venait de la dureté de son cœur, c’est-à-dire de son aveuglement et de sa corruption naturelle, des occupations qu’il avait en faveur de la religion judaïque, de la fierté que le pharisaïsme lui avait inspirée, et de la haine qu’il avait conçue contre le christianisme.

Après cela l’on peut encore proposer une autre difficulté qui regarde la chose même ; car cette première ne regarde que le sens des termes ; on dira donc que ce discours de Jésus-Christ semble ne s’accorder pas bien avec la doctrine de la grâce irrésistible. Car cette doctrine veut que nous concevions la grâce, comme une puissance infinie qui triomphe glorieusement du cœur de l’homme ; qui le fléchit et le tourne comme bon lui semble ; et qui lui inspire les mouvements qui lui plaît, comme une lumière qui illumine les yeux de notre entendement, dissipant notre aveuglement et nos ténèbres. De plus ce discours de Jésus-Christ semble ne s’accorder pas bien avec ce que l’Écriture nous enseigne, touchant les voies douces et agréables par lesquelles Dieu nous convertit. Car elle dit qu’il nous attire à lui par le parfum de ses douceurs, qu’il produit en nous et le vouloir et le parfaire, qu’il nous tire avec des cordeaux d’humanité et par des liens d’amitié. Comment donc se peut-il faire qu’il y ait en nous des résistances contraires aux mouvements de sa grâce ? Il faut donc encore expliquer ces difficultés. Et pour cet effet on doit considérer, que l’opération de la grâce ne se fait pas toute en un instant ; qu’au premier moment qu’elle nous sollicite, en nous proposant les objets divins, tous les autres objets qui nous retenaient engagés au monde se soulèvent et se représentent à notre esprit. Qu’alors il se fait une consultation en nous, et un combat des objets du monde contre ceux de la grâce. Que notre cœur qui se trouve possédé par ceux du monde écoute avec plaisir et avec complaisance, ce qu’ils lui représentent pour empêcher ce changement ; et qu’au contraire il n’écoute qu’avec douleur ce que la grâce lui dit, parce que la grâce lui est étrangère, et qu’il faut se condamner soi-même pour la suivre, et parce qu’aussi nos plaisirs et nos intérêts charnels possèdent tout notre amour, et qu’au contraire nous avons naturellement de l’aversion pour la croix des afflictions qui accompagnent la possession de l’Évangile.

Voilà ce que veut dire regimber contre les aiguillons. Et cela vient de la dureté de notre cœur. Mais dans les élus de Dieu, la grâce surmonte enfin toutes les résistances de l’homme, et obtient sur lui une pleine et entière victoire. Quand donc on dit que la grâce est irrésistible, qu’elle est efficace et victorieuse de l’homme, on n’entend pas que dans les premiers moments il ne se fasse un rude et terrible combat ; mais on entend seulement, qu’enfin ce combat se termine par la victoire de l’Évangile. Et quant à ce qu’on dit des manières douces et agréables dont la grâce nous convertit, il est certain que les objets qu’elle nous propose sont notre souverain bien, notre salut éternel, et que les motifs par lesquels elle nous y sollicite sont très doux, si on les considère absolument en eux-mêmes. Mais il est aussi certain, que si on les considère par comparaison aux fausses douceurs qui se trouvent dans les objets du monde, et par rapport à l’état d’un homme qui y est encore engagé, les douceurs de la grâce ne lui paraissent point d’abord des douceurs ; au contraire ce sont des amertumes. Car, quoi qu’il en soit le souverain bien et le salut que la grâce nous offre est accompagnée de mille douleurs. Pour l’obtenir il faut d’un côté renoncer à tout ce que nous aimons, et de l’autre, s’exposer à tout ce que la nature craint. Les voies donc de la grâce sont douces à l’homme dans le moment qu’il se résout à suivre sa vocation. Mais dans les commencements lorsqu’elle le sollicite, et dans les combats ou agitations de l’esprit lorsqu’il consulte entre la grâce et le monde, elles ne lui peuvent être qu’amères. Et c’est de là que viennent ces résistances.

Comment il faut en user à l’égard des textes souvent mal interprétés.

C’est de cette manière qu’il faut entrer dans l’explication des choses difficiles, lorsque leur difficulté vient, ou d’un mauvais sens qu’on peut donner à votre texte, ou d’une objection qu’on peut faire d’abord contre le véritable ; il faut, comme j’ai dit et comme il paraît par l’exemple que je viens de produire, commencer par la proposition de la difficulté, et ensuite l’éclaircir. Il faut faire la même chose, lorsque votre texte est pris par quelques-uns en un sens faux, et qui induit une erreur grossière et pernicieuse. Car en ce cas la première chose que vous devez faire, c’est de rejeter le sens erroné et le réfuter même, s’il est nécessaire, tant par des raisons prises du texte, que par d’autres. Et ensuite il faut établir le véritable sens.

Par exemple, si on avait à traiter ces paroles Jean 16.12 : J’ai beaucoup de choses à vous dire mais vous ne les pouvez porter maintenant. Il faudrait commencer par la proposition et la réjection du sens faux que quelques anciens hérétiques donnaient autrefois à ces paroles, disant que Jésus-Christ parle de plusieurs traditions non écrites, qu’il donna à ses disciples de vive voix après sa résurrection. Argument que ceux de l’Église romaine ont emprunté pour colorer leur prétendue tradition. Après avoir donc proposé ce mauvais sens et l’avoir fortement rejeté, il faut passer à l’établissement de la vérité, et voir quelles sont ces choses que Jésus-Christ avait encore à dire à ses disciples et qu’ils ne pouvaient porter pour lors. Je dis la même chose de tous les textes qui reçoivent quelques contestations. Car il faut tenir cette maxime, de commencer par la réjection du mensonge, afin de s’aplanir le chemin pour venir à la proposition de la vérité. Non que quelquefois on ne puisse, et même on ne doive commencer par l’explication de la vérité, et passer ensuite à la réjection de l’erreur ; car il n’y a de certaines occasions où il le faut faire, afin de préoccuper l’esprit de l’auditeur et parce qu’aussi de la vérité bien proposée et bien établie naît de soi-même la chute de l’erreur. Mais quoi qu’il en soit, la méthode la plus commune est celle de commencer par la réjection de l’erreur. Il dépendra du jugement d’un homme, de bien discerner les occasions où il ne faut pas le faire.

Comment on doit faire, quand on a à traiter une matière embarrassante et difficile.

Il y a des textes d’explication dont la difficulté ne vient, ni de l’équivoque des termes, ni des sens différents auquel on puisse prendre la chose même, ni des objections qu’on puisse former au contraire, ni des erreurs que les hérétiques aient sur ce sujet. Mais elle vient de l’embarras de la chose même qui est difficile à comprendre, et pour laquelle il faut de l’étude et de la méditation. Alors sans s’amuser à proposer des difficultés ni à faire des objections, il faut entrer d’abord dans l’explication de la matière, et prendre bien garde à ranger ses idées dans un ordre naturel et facile, en commençant par où il faut commencer car, si on ne commence bien on ne saurait faire rien qui vaille ; et au contraire, si on prend un bon chemin on trouve tout aisé dans la suite.

Par exemple, si j’avais à traiter ces paroles : La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité est advenue par Jésus-Christ. Je diviserais mon texte en deux parties, dont l’une regarderait le ministère légal, et l’autre le ministère évangélique. La première expliquée en ces termes : La loi a été donnée par Moïse. La seconde en ceci : La grâce et la vérité est advenue par Jésus-Christ. Je subdiviserais la première en deux, à savoir, la Loi, et son auteur qui est Moïse. Puis j’entrerais en matière, en disant qu’on ne saurait donner une plus juste idée de la loi, qu’en la mettant en opposition à cette grâce et à cette vérité qui nous a été donnée par Jésus-Christ. De sorte que pour bien la considérer, il la faut voir sous deux faces, l’une en tant que c’est un ministère de rigueur opposée à la grâce, et l’autre en tant que c’est un ministère d’ombre et d’imperfections, opposé à la vérité. Après cela, pour bien expliquer ce que c’est que la loi, en tant qu’elle est un ministère de rigueur, je ferais voir que dans le dessin que Dieu avait d’envoyer son Fils au monde, et d’amener les hommes au salut, avant que de mettre la main à l’œuvre, il était nécessairement obligé à se préparer ses voies, et à lever les obstacles, lesquels n’étant pas levés eussent rendus son dessein absolument inutile.

Les obstacles étaient d’un côté, que l’homme ne se connaissait pas soi-même, et de l’autre qu’il ne connaissait pas Dieu. Il ne se connaissait pas soi-même, car il était pécheur, abîmé dans ses crimes, objet de la justice éternelle de son Créateur, plongé dans l’enfer, esclave de l’injustice, incapable d’avoir de soi-même aucun mouvement de sainteté, et encore plus incapable de se relever de la malédiction où il était, et de rentrer dans la communion de son Dieu. Cependant il ignorait son état ; il se croyait digne de l’amour de la Divinité, et capable de se bien acquitter de son devoir et de bien remplir toute la destination de sa nature. Il se possédait avec autant d’orgueil, de repos, et de fierté, que s’il eût été la plus heureuse de toutes les créatures. D’autre part, il avait à la vérité encore quelques idées confuses de la Divinité ; il en pouvait reconnaître dans l’ouvrage de l’univers, la providence, la justice, la majesté. Mais toutes ces idées étaient ensevelies dans un nombre presque infini d’erreurs, et rendues inutiles par les infinies distractions que lui causaient les objets mondains, et par l’aveuglement naturel de son esprit et la dureté de son cœur. En un mot il dormait d’un double sommeil, également ignorant de son malheur et de son devoir, le glaive de la justice divine était sur lui, et il ne le sentait pas. La condition de sa nature et la dépendance qu’il avait de Dieu le liaient d’un nombre presque infini d’obligations, et il ne les connaissait pas. Il fallait donc avant que d’envoyer Jésus-Christ au monde, retirer l’homme de ce double sommeil, il fallait lui faire sentir la grandeur de ses péchés, la malédiction qu’il avait attirée sur lui, l’horreur des enfers qu’il avait mérités, l’excellence de la gloire qu’il avait perdue, et l’indignation du Créateur qu’il avait attirée. Il fallait lui découvrir l’impuissance où il était de se relever de soi-même de ce profond abîme où il était tombé ; lui faire voir dans toute leur étendue les droits de la Divinité, ce qu’il était obligé de lui rendre et combien il était éloigné de s’en acquitter. Il fallait en un mot, briser sa fierté, anéantir son orgueil, et le conduire tremblant, confus, et épouvanté au pied du tribunal de Dieu, pour le mettre en état de recevoir avec joie les offres de la miséricorde. Or c’est ce que Dieu a fait par le ministère de la loi.

Il s’est manifesté du haut des cieux dans tout l’éclat de sa majesté infinie. A quoi se rapporte tout ce pompeux appareil qui accompagna la publication de la loi sur la montagne du Sinaï, les tonnerres les éclairs etc.

Il y déclare tous ses droits sur la créature, et le devoir que la créature est obligée de lui rendre naturellement, par cette admirable loi morale dont il fit entendre les paroles du milieu des flammes, et qu’il écrivit ensuite de son doigt immortel sur des tables de pierre.

Il proposa d’une manière claire et très intelligible ce que la créature juste et innocente devait espérer et attendre de lui naturellement ; et ce que l’homme pécheur au contraire en devait craindre : Fais ces choses dit-il, et tu vivras. Et au contraire : Maudit est quiconque ne persévère pas en toutes les choses de la loi, pour les faire.

Parce que tout cela conduisait l’homme à reconnaître son péché, il voulut encore lui déclarer la nécessité d’une satisfaction, sans laquelle il n’y pouvait avoir aucune espérance de miséricorde. Et c’est ce qu’il fit par l’établissement de tout ce grand nombre de sacrifices et de propitiations dont il établit l’usage parmi eux. Car tout cela était autant d’avertissements publics, qui portaient qu’il fallait nécessairement songer à la satisfaction de la justice divine avant que d’espérer aucune chose de sa grâce.

Pour relever encore la dignité souveraine de Dieu et sa gloire infinie sur la créature, et en même temps anéantir l’homme en sa présence et le réduire en poudre, il voulut charger les Israélites à qui toute cette économie appartenait d’un joug accablant de cérémonies ; les entassant l’une sur l’autre, et leur en ordonnant l’observation sous la même peine de malédiction, dont il avait accompagné la publication de la loi morale.

Enfin parce que toute cette révélation extérieure eût été inutile à cause de l’aveuglement naturel où tous les hommes sont plongés, Dieu voulut accompagner la loi d’un degré de son Esprit, ou de cette lumière intérieure qui illumine les yeux de l’entendement, non pour produire dans l’homme aucune véritable régénération, ni aucune véritable consolation, mais afin seulement de lui ouvrir les yeux autant qu’il était nécessaire pour voir la grandeur de son péché et celle de son malheur, et pour exciter dans son cœur ces tristes agitations et ces objets que saint Paul nous décrit au chapitre sept de l’Épître aux Romains, qui ne finissaient que par cette exclamation : Hélas ! moi misérable ! qui me délivrera du corps de cette mort ?

Après avoir ainsi expliqué ce que c’est que la loi, en tant qu’elle est un ministère de rigueur par opposition à la grâce, il faudrait venir à l’autre égard, savoir en tant qu’elle s’oppose à la vérité. Et il faut dire que le terme de vérité dans l’Écriture sainte se prend par opposition à une promesse, en tant que la vérité en est l’accomplissement et l’exécution. Dieu donc afin de tempérer cette grande rigueur qui était dans la loi, et qui par elle-même ne pouvait qu’aboutir à faire naître le désespoir dans l’âme des Israélites, et à rendre leur condition plus misérable que celle des autres peuples, avait mêlé dans cette économie une révélation de miséricorde. Et la première chose où nous découvrons cette révélation de miséricorde, est dans les promesses et dans les oracles que Dieu leur avait donnés touchant le Messie. Il leur avait mis devant les yeux ce qu’il avait dit au premier homme, dès le commencement qu’il eût péché : Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta semence, et la semence de la femme, laquelle semence te brisera la tête, et tu lui briseras le talon. Il leur avait représenté de quelle manière et en quels termes il avait traité son alliance avec Abraham etc., l’oracle d’Abraham etc. Il leur avait remis en mémoire ce que Jacob avait dit dans sa dernière bénédiction : Le sceptre ne se départira pas de Juda, ni le législateur d’entre ses pieds, jusqu’à ce que le Scilo vienne. Et à lui appartient l’assemblée des peuples. Et Moïse lui-même leur avait dit ces admirables paroles qui les remplissaient d’espérance : L’Éternel vous suscitera, un prophète tel que moi d’entre vos frères, écoutez-le.

Deuxièmement il faut dire que la vérité dans l’Écriture se prend aussi par opposition aux ombres, ou figures, et que c’est encore ce que Dieu avait tracé dans la dispensation légale. Sa sagesse leur avait mis devant les yeux mille belles images de ce qu’elle avait dessein de faire pour la rédemption des hommes. Là il faut marquer les principales figures qui étaient sous la loi, et faire voir leur usage, qui était d’entretenir l’espérance des Israélites et d’élever leur âme jusqu’au Messie à venir.

Troisièmement, il faut dire que le terme de vérité se prend encore pour la perfection que l’on donne à une chose, par opposition à des commencements et des semences de l’Évangile, dans un degré même suffisant pour le salut des anciens Israélites. La miséricorde de Dieu leur était manifestée, non seulement pour les siècles à venir, mais pour eux en particulier. Car ils y étaient appelés, la rémission de leurs péchés leur été promise, le salut éternel leur était annoncé, le Messie non seulement était proposé à leur intelligence, mais aussi à leur foi, et l’esprit d’adoption, de consolation, et de persévérance leur était communiqué. Cependant si vous comparez tout cela avec l’Évangile, vous trouverez que ce n’était encore que des commencements et des ébauches, au prix de cette admirable plénitude que nous avons reçue par Jésus-Christ.

Quatrièmement, il faut remarquer que quelques avantages qu’eussent les Israélites, et quelque degré de grâce que Dieu eût répandu dans le ministère mosaïque, tout cela pourtant est appelé du nom de loi. La raison de cela est que la dénomination d’une économie, se doit prendre de la partie prédominante. Or il est certain que dans cette dispensation ancienne, la manifestation de la justice prévalait sur celle de la miséricorde, et la mesure de l’esprit de servitude surmontait celle de l’esprit d’adoption. C’est pourquoi saint Jean ne fait pas de difficultés d’enfermer tout cela sous le nom de loi : La loi, dit-il, a été donnée par Moïse.

Ayant ainsi expliqué ce que c’est que la loi, il faut passer à la considération de son auteur, qui est Moïse. Et premièrement, il faut rejeter en peu de mots le sens faux et erroné qu’on pourrait donner à ces paroles : La loi a été donnée par Moïse, à savoir, que Moïse en a été le premier et le principal auteur. On doit donc remarquer que ce n’est nullement l’intention de saint Jean d’ôter à la loi la gloire de sa divinité. Dieu en fut le premier et le principal auteur ; ce qui paraît, tant parce que la loi ne fut qu’une exécution de ce que Dieu avait promis à Abraham quand il traita alliance avec lui, que parce qu’il y avait en toute cette économie une trop grande sagesse pour être l’ouvrage d’un homme ; et enfin parce qu’elle fut accompagnée de tant de miracles, et de tant d’heureux succès, qu’il faut nécessairement y reconnaître le doigt de Dieu. Moïse donc ne fut dans toute cette dispensation que le ministre, ou le serviteur de Dieu etc.

Le vrai sens des paroles de saint Jean étant ainsi établi, il faut considérer en quoi consista le ministère de Moïse, et faire voir qu’il ne fut point un véritable médiateur, qui par son mérite ou sa dignité obligea Dieu à se joindre avec les hommes. Car les hommes étant pécheurs comme ils étaient, celui qui a la vertu ou la force de réconcilier Dieu avec les hommes, doit satisfaire pour les péchés, et offrir à la Divinité une suffisante propitiation. Or c’est ce que Moïse ne pouvait faire n’étant qu’une simple créature, un simple homme. De plus il était lui-même pécheur, et avait besoin pour lui-même d’une propitiation, bien loin de la pouvoir donner pour autrui. Il ne faut donc pas lui attribuer cette gloire. Et c’est aussi pour éloigner cette pensée que la sagesse divine a voulu, qu’il y eût trois choses fort remarquables dans toute cette histoire des Israélites. L’une est, les péchés et les fautes de Moïse même ; l’autre, que le sacerdoce fut donné à Aaron son frère, et non à lui ; et la troisième, qu’il n’eut pas l’avantage d’introduire les Israélites dans la terre de Canaan, mais que ce fut Josué. Ces trois choses marquent évidemment que ce n’était pas lui qui était le véritable médiateur de cette alliance, ni lui qui eût rendu la Divinité propice aux Israélites. D’autre part, pour être un véritable médiateur d’alliance entre Dieu et les hommes, il faut être nécessairement maître des cœurs des hommes afin de pouvoir répondre à Dieu de leur obéissance et de leur persévérance en son amour et en son service. Or c’est ce que Moïse ne pouvait être. Il parlait extérieurement, il expliquait, il censurait, il promettait, il menaçait, il faisait tout ce qu’une simple créature peut faire ; mais il ne pouvait pas disposer souverainement des cœurs et des esprits, ni les fléchir et les tourner où il voulait. Il n’y a qu’un seul Dieu qui soit capable d’un si grand effet.

En quoi consistait donc le ministère de Moïse ? Je réponds qu’il consistait en trois grands avantages. Le premier est qu’il était l’interprète mutuel de Dieu vers les Israélites et des Israélites vers Dieu ; il montait sur la montagne pour porter à Dieu de la part du peuple les promesses de son obéissance et de son engagement à son service ; et après que Dieu lui avait donné ses ordres, il descendait de la montagne pour parler de sa part au peuple ; il déclarait au peuple les ordonnances de Dieu ; il lui faisait entendre ses lois ; et il recueillait au nom de Dieu l’amen que le peuple disait aux bénédictions et aux malédictions. Ainsi il était l’interprète et le messager réciproque de Dieu aux Israélites, et des Israélites à Dieu. A quoi il faut rapporter ce que le peuple avait dit lorsqu’il eut vu la majesté divine sur la montagne, et qu’il en eut été épouvanté : Que l’Éternel dirent-ils, ne parle point à nous, et toi parle à nouveau et nous écouterons.

Le second avantage du ministère de Moïse, est qu’il était accompagné de la puissance souveraine et infinie de Dieu, qui faisait des miracles par lui selon que Dieu lui avait promis, lorsqu’il lui donna vocation : Je serai avec toi. J’étendrai ma main et frapperai l’Égypte de toutes mes merveilles. Tu prendras ta verge en ta main et avec elle tu feras des signes. En effet, combien grands furent les miracles que Dieu opéra par le ministère de son serviteur. Il convertit les eaux en sang etc.

Le troisième avantage est qu’après avoir délivré les Israélites, et les avoir assemblés en un corps de peuple séparé de tous les autres, après avoir établi une alliance entre Dieu et eux, et dressé au milieu de ce peuple un service ordinaire et une religion, Dieu le choisit pour en mettre toute l’histoire par écrit et le revêtit pour cela de son esprit pour le conduire dans un si important ouvrage. De sorte que ce fut lui qui mit le premier la main à la plume, pour donner à l’Église cet admirable et divin livre de l’Écriture, qui est notre règle éternelle, et le fonds de notre consolation, de notre instruction, et de notre espérance.

Cette première partie étant ainsi expliquée, on passera à la seconde, la grâce et la vérité sont advenues par Jésus-Christ. On expliquera ce que c’est que cette grâce et cette vérité. Ce que d’abord on pourrait rapporter à la personne même de Jésus-Christ et à la manière de sa conservation au monde, à savoir, en ce qu’il a eu deux qualités perpétuelles répandues dans son commerce, la douceur et la sincérité. La douceur exprimée par la grâce et la droiture ou la sincérité exprimée par la vérité. Les méchants agissent d’ordinaire par deux qualités contraires, la fureur et la fourberie.

Astutam vapido servas sub pectore vulpem.c

c – Tu entretiens dans un cœur gâté l’astuce du renard...(Perse, Satire V) La citation dans l’édition de 1688 semble erronée : Astutum gestant rabido sub pectore vultum.

Ils sont profonds, mystérieux, et impénétrables par les apparences ; et sous le voile de leur déguisement ils cachent des desseins funestes, semblables à ces nuées épaisses qui dans cette triste noirceur qu’elles font paraître au-dehors, cachent des tonnerres, des grêles et des foudres. Jésus-Christ au contraire n’a eu dans le cœur que des inclinations d’amour, de paix, et de bénédiction pour les hommes ; et quant à l’extérieur il a été toujours plein de franchise et de sincérité.

Mais bien que cela soit véritable, ce n’est pourtant pas le sens des paroles que nous traitons ; cette grâce et cette vérité sont l’Évangile de Jésus-Christ : Grâce, par opposition aux rigueurs de la loi : vérité, par opposition à ses oracles, à ses figures, et à ses commencements imparfaits.

L’Évangile est appelé ici la Grâce, parce que :

Dieu s’y est manifesté à nous, non avec tout ce pompeux éclat de majesté dont il voulut accompagner la loi quand il la donna sur la montagne, mais d’une manière humaine sous le voile de l’humanité sacrée de Jésus-Christ. A cause de quoi saint Paul dit que le secret de piété est grand, Dieu manifesté en chair. Autrefois on devait dire, Dieu manifesté dans les tonnerres et dans les feux, Dieu manifesté dans la nuée du tabernacle, Dieu manifesté dans la lumière des anges ; mais sous l’Évangile il faut dire : Dieu manifesté en chair d’une manière qui nous est familière, et qui ne nous épouvante plus.

Grâce, parce qu’il ne consiste qu’en la révélation de la miséricorde divine, dans l’offre de la rémission des péchés, de son amour paternel.

Grâce, parce qu’il nous vient du pur bon plaisir de Dieu, sans que nous y ayons en rien contribué ni par notre mérite, ni par des préparations à le recevoir, ni même par des désirs. Il nous a été donné gratuitement en tous sens, à savoir, non seulement quant à la chose même laquelle excède notre mérite ; mais aussi quant à la manière de la donner. Car Dieu nous l’a donnée lorsque nous n’y songions pas, lorsque nous n’avions rien en nous même qui nous en rendît digne, lors même que nous étions dans des dispositions contraires, car Dieu nous a aimés lorsque nous étions ses ennemis.

Grâce, parce que l’Évangile n’est pas seulement une parole extérieure, une vocation, une semonce qui frappe l’oreille ; mais c’est un ministère d’Esprit intérieur. La puissance infinie de Dieu à salut, une parole accompagnée d’une efficace divine qui nous convertit et qui nous fait nouvelles créatures.

Grâce, encore, à l’égard de la manière dont cet Esprit vivifiant qui accompagne la Parole agit en nous. Car ce n’est plus par des enthousiasmes, ni par des ravissements ou des extases violentes, comme les avaient quelquefois les prophètes, mais par une opération douce et tranquille qui approche extrêmement de la naturelle, à savoir, par l’illumination des yeux de notre entendement, et par les actes d’une raison bien rectifiée.

Vérité, par opposition aux mensonges. Les religions qui avaient alors la vogue sur la terre étaient toutes fausses, ce n’était qu’un amas des erreurs des hommes. L’Évangile au contraire est la véritable voie de servir Dieu, de parvenir au salut, opposée aux religions païennes.

Vérité, par opposition à la vanité des connaissances humaines qui ne sont pas toutes fausses. La philosophie enseigne bien des choses qui sont véritables en elles-mêmes ; mais ce sont des connaissances vaines et creuses, basses et peu importantes. A cause de quoi Salomon s’écrie : vanité des vanités, tout est vanité. Ce qu’on peut aussi appliquer non seulement aux sciences humaines, mais à toutes les occupations temporelles de la vie des hommes dont un poète a dit :

O curas hominum ! O quantum est in rebus inane !d

d – O soucis des hommes ! ô néant des choses du monde ! (Perse, Satire I)

L’Évangile est cette perle de la parabole laquelle quiconque a trouvée, vend tout ce qu’il a pour s’en rendre possesseur. Esaïe parlant des biens de la vie temporelle, dit qu’il en est comme d’un homme qui ayant faim songe que voici qu’il mange, et ayant soif, songe qu’il boit, mais quand il est réveillé, il est las et son âme est altéréee. Les biens de l’Évangile ont au contraire une efficace qui console, et qui remplit le cœur de l’homme, et donne un solide contentement.

eÉsaïe 29.8.

Vérité, c’est-à-dire, constance, fermeté, par opposition à la fragilité, et au peu de durée des biens de la terre, et de toutes les choses corporelles ; elles nous quittent, ou nous les quittons. La figure de ce monde passe, dit saint Paul. C’est une figure, une chose vaine, une idole, une simple apparence ; mais c’est encore une figure qui passe, une idole qui s’enfuit, et qui échappe de nos mains lorsque nous la croyons tenir. L’Évangile au contraire nous propose des biens constants, et éternels.

Vérité, par opposition aux oracles de la loi qui n’étaient que des promesses. L’Évangile en est l’accomplissement. A cause de quoi Jésus-Christ disait sur la croix : Tout est accompli, et ailleurs : J’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire. L’Évangile même pour cette raison est appelé la Promesse, parce que c’est l’exécution de grandes promesses de Dieu. Et Dieu par rapport à l’Évangile s’appelle Jéhovah, Celui qui est. Sous la loi, Jéhovah voulait dire Celui qui sera, mais sous l’Évangile il est appelé : Celui qui était, qui est, et qui est à venir. Car il a accompli les promesses anciennes et a posé des fondements inébranlables pour la gloire à venir.

Vérité, par opposition aux figures anciennes, dont Jésus-Christ est le corps. La loi avait l’ombre des biens à venir, mais l’Évangile en a la vive image, c’est-à-dire l’original des choses. L’Israël de Dieu est le vrai Israël en esprit, vraie délivrance de l’Égypte spirituelle, vraie manne, vrai tabernacle, vraie Jérusalem etc.

Vérité, par opposition à ce commencement imparfait qui était en la loi. Nous ne sommes plus enfants détenus sous pédagogue, mais enfants parfaits. Nous n’avons plus reçu un esprit de servitude, mais un esprit d’adoption qui nous a fait crier, Abba Père. Sur cet Abba Père je remarquerai ici en passant l’ignorance de ceux de Port-Royal qui en traduisant ce passage, on traduit au lieu d’Abba Père, Mon Père, Mon Père, sous prétexte que le mot Abba qui est syriaque signifie père. Ils n’ont pas su que saint Paul fait allusion à une loi qui était parmi les Juifs, laquelle défendait aux esclaves d’appeler un homme libre Abba, ni une femme libre, Imma. L’apôtre veut donc dire que nous ne sommes plus esclaves mais affranchis en Jésus-Christ, par conséquent que nous pouvons appeler Dieu, Abba, comme nous pouvons appeler l’Église Imma. Il fallait donc en traduisant ce passage garder toujours le mot d’Abba, encore qu’il soit syriaque et inconnu dans notre langue ; car c’est en ce terme que consiste la force du raisonnement de saint Paul.

Il faut passer maintenant à la considération de l’auteur de l’Évangile, la grâce et la vérité sont advenues par Jésus-Christ. Ici l’on doit examiner 1° ce que Moïse et Jésus-Christ ont eu de commun ; 2° les avantages de Jésus-Christ par dessus Moïse. Donc Jésus-Christ est un interprète réciproque, qui apporte aux hommes de la part de Dieu les mystères de la révélation, et qui de la part des hommes présentent à Dieu leur foi, leur piété, leurs prières, et leurs promesses d’obéissance. Son ministère a été accompagné des miracles de la puissance divine. Il a fait écrire son Évangile pour être la règle perpétuelle selon laquelle l’Église doit se conduire jusqu’à la fin des siècles.

Mais quelque convenance qu’il puisse y avoir entre Moïse et Jésus-Christ, il n’y a pourtant nulle comparaison de ce dernier au premier. 1° Moïse n’avait point fait la loi, il n’en était que le dispensateur, et Dieu lui-même en prononça la plus essentielle partie du milieu des flammes, et les écrivit ensuite de son doigt sur des tables de pierre. Mais Jésus-Christ a fait la grâce et la vérité. Car l’Évangile est fondé sur son sang, sur sa propitiation, et sur son mérite.

2° Moïse ne fut pas à proprement parler le médiateur de l’alliance que Dieu traita avec les Israélites, bien qu’il soit ainsi nommé dans l’Écriture, parce qu’il fut médiateur typique, c’est-à-dire, simple interprète entre Dieu et le peuple. Quoiqu’il en soit ce ne fut pas par la considération de sa personne, ni par la force de l’amour que Dieu lui portait, que cette alliance se fit. Moïse lui-même était pécheur et il avait besoin d’un Médiateur, à prendre le terme de médiateur en ce sens. Mais quant à Jésus-Christ, c’est en sa considération, et par la force de l’amour que le Père lui porte, que s’est fait l’alliance de l’Évangile.

3° Moïse pouvait bien rapporter à Dieu les sentiments et les paroles du peuple, mais il ne pouvait ni répondre de leur sincérité, ni être garant de leur durée. Tant parce qu’il n’avait pas une connaissance immédiate des cœurs, que parce qu’il n’en était pas le Maître. Mais Jésus-Christ est le garant et le répondant des hommes envers Dieu, tant à l’égard de la sincérité de leur foi et de leur sanctification, qu’à l’égard de leur persévérance. Pour deux raisons : La première, parce qu’il connaît immédiatement les cœurs de tous les hommes. Et la seconde, parce qu’il en est le Maître, et qu’il les fléchit et les tourne comme il lui plaît.

4° L’Esprit qui accompagnait le ministère de la loi ne descendait pas de Moïse, Moïse n’en était pas la source ni le distributeur. Mais Jésus-Christ en est la véritable origine ; c’est son Esprit que les fidèles reçoivent, car nous puisons tous de sa plénitude grâce sur grâce, dit saint Jean.

5° Les miracles que Moïse faisait, il les faisait par une puissance étrangère, et non par la sienne propre. Mais Jésus-Christ a fait les siens par sa propre puissance, il les a tirés de son fondsf.

f – Ceci n’est pas exact, Jésus lui-même déclare, Jean 14.10 : … et le Père qui demeure en moi, c’est lui qui fait les œuvres. L’opération des miracles accomplis par Jésus-Christ reste unique et sans équivalent chez les prophètes ou les apôtres, parce qu’il les fait en union parfaite avec le Père. Cependant la source de puissance vient du Père. En plusieurs autres endroits on retrouve chez Claude cette rigidité dogmatique injustifiée, que la Réforme a parfois enfantée.

6° Enfin Moïse ne fut établi sur la maison de Dieu que comme serviteur ; mais Jésus-Christ a été établi comme Fils, c’est-à-dire comme maître et héritier ; parce qu’en effet Moïse n’était qu’un homme, au lieu que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, Dieu lui-même béni éternellement. Voyez sur ce sujet l’explication de l’oracle de Moïse : L’Éternel vous suscitera un prophète tel que moi d’entre vos frères vous l’écouterez. Suivant ce que tu as demandé à l’Éternel ton Dieu en Horeb, disant, que je n’entende plus la voix de l’Éternel mon Dieu.

Textes faciles mais réclamant la voie d’explication, à cause de leur importance.

Il y a des textes qu’il faut traiter par voie d’explication, bien qu’il ne soient, ni difficiles quant aux termes, ni difficiles quant à la chose même. Mais parce que la matière dont il s’agit est importante, et que la méditation en est belle et pleine d’édification, il la faut nécessairement proposer dans quelque étendue.

Par exemple, ce passage de saint Paul : Nous avons ce trésor en vaisseaux de terre, afin que l’excellence de cette force soit de Dieu, et non point de nous etc. Ce passage, dis-je, est de cette nature, les termes sont faciles à entendre, la chose que saint Paul veut dire ne reçoit point aussi de difficulté ; mais pourtant à cause de l’importance de la matière, il faut nécessairement l’expliquer, ou pour mieux dire, la proposer avec étendue. Je voudrais donc diviser ce texte en deux parties. La première serait la proposition que l’apôtre met en avant ; et la seconde, la raison qu’il en donne. Sa proposition est contenue en ces termes, nous avons ce trésor en des vaisseaux de terre ; la raison qu’il en donne est contenue dans les termes suivants, afin que l’excellence de cette force soit de Dieu, et non point de nous. Pour traiter la première il faut :

Examiner ce que c’est que ce trésor ; et ensuite voir comment il est en des vaisseaux de terre. Ce trésor c’est l’Évangile de Jésus-Christ, qui dans l’Écriture sainte nous est représenté sous diverses images empruntées des choses humaines. Car quelquefois il est appelé, une lumière, un Orient d’en haut dont Dieu nous a visité, lorsque nous étions dans la région d’ombre de mort. Quelquefois il est appelé une vie et une résurrection (Éphésiens 2.5-6). Quelquefois un filet qui est jeté dans la mer, et qui assemble les poissons dans son sein. Quelquefois une semence etc. Ici, il nous est représenté sous l’image d’un trésor.

1° A cause de son prix et de son excellence ; car qu’y a-t-il de plus grand que cet Évangile de Jésus-Christ etc. ?

2° A cause de son abondance car ce sont des richesses infinies.

3° A cause de sa vérité car c’est un trésor céleste que la nature ne fournit pas ; mais que la grâce seule donne, et qu’elle ne donne qu’aux élus. En ce sens l’Évangile est comparé dans la parabole à un trésor caché dans un champ, et à une perle de grand prix.

Trésor qu’on ne peut posséder qu’avec joie, et avec jalousie, et avec soin de le garder etc.

5° Mais dans les versets précédents l’apôtre avait appelé l’Évangile une lumière, une gloire, et une connaissance, la lumière, dit-il, de l’Évangile de la gloire de Jésus-Christ, les illuminations de la connaissance de la gloire de Dieu en la face de Jésus-Christ. Ce trésor donc est un trésor de lumière, un trésor de gloire, un trésor de connaissances et qui plus est de lumière, de gloire et de connaissances, divines.

6° L’Évangile ne peut être considéré ou comme reçu et possédé par les simples fidèles, ou en tant qu’il est mis en dépôt entre les mains des pasteurs de l’Église. J’avoue qu’il est digne d’être appelé trésor dans l’une et dans l’autre considération, mais beaucoup plus dans la second. Car cet Évangile dans les ministres se trouve dans une mesure beaucoup plus pleine et plus abondante que dans les autres, plus de lumière entassée, plus de connaissances etc. Mais entre les ministres, combien plus était-il un trésor à l’égard des apôtres qui le possédaient. Premièrement dans toute son étendue, n’ignorant rien des mystères. Deuxièmement dans tous les degrés, pénétrant jusqu’au fond des secrets divins. Troisièmement dans toute sa pureté, sans aucun mélange d’erreur : ce trésor était comme dans un magasin public, comme les eaux d’une fontaine sont dans son bassin.

7° Il est encore appelé trésor par opposition aux faux trésors de la terre qui ne sont rien au prix de celui-ci. David disait de la révélation de la loi, que les jugements de l’Éternel sont plus désirables que de l’or, et que beaucoup d’or fin. Qu’eût-il dit des mystères de l’Évangile, s’il eût vécu au temps de leur révélation.

8° Ce trésor était autrefois caché en Dieu dans ses décrets, mais maintenant c’est un trésor déployé et étalé dans l’Évangile à cause de quoi saint Paul parlant de l’Évangile dit, qu’on y trouve des trésors cachés de sagesse et d’intelligence comme s’il disait que les trésors autrefois cachés en Dieu sont maintenant révélés en l’Évangile ; au même sens qu’il avait dit auparavant, que le secret qui avait été caché de tous les siècles et de tous les âges, est maintenant manifesté aux saints.

Mais ce trésor est en nous, dit l’apôtre, comme dans des vaisseaux de terre. Là on peut employer d’abord l’usage des cruches de Gédéon qui enfermaient des flambeaux, ensuite de quoi on peut dire que quand Dieu a commis la dispensation de sa Parole aux anges, il l’a mise dans des vaisseaux précieux. Quand il l’a annoncé par lui-même immédiatement, à savoir, dans les visions, dans les songes, et dans les entretiens familiers qu’il a eus avec les saints, elle était dans sa source, sans vaisseaux. Quand il l’a fait annoncer par les cieux et par le soleil, elle est dans un vaisseau à la vérité, mais dans un vaisseau éclatant d’une matière grande et belle, à cause de quoi David, Psaumes 19, lorsqu’il dit que les cieux racontent la gloire de Dieu, relève en même temps le prix même des cieux et la gloire de leur soleil. Quand Dieu a commis sa Parole à Moïse et aux prophètes, on peut dire qu’il l’a mise dans des vaisseaux de fer et d’airain ; mais quand il l’a mise dans ses apôtres, elle a été à parler proprement dans des vaisseaux de terre. Là on peut comparer les différentes manières dont il a plu à Dieu de communiquer sa parole aux hommes, à savoir :

  1. par soi-même, et par son Fils ;
  2. par les anges et par les cieux ;
  3. par Moïse et par les prophètes.
  4. par les apôtres.

les comparer, dis-je, à la statue de Nébucadnestsar, dont la tête était d’or, la poitrine et les bras d’argent, le ventre d’airain, les jambes de fer, et les pieds en partie de fer, et en partie de terrea. Car en Dieu et en Jésus-Christ son Fils, le trésor de la Parole est encore fin et précieux ; dans les anges, il est comme dans des vaisseaux d’argent ; dans les cieux, il est comme dans des vaisseaux d’airain, car aussi il est dit au chapitre 37 de Job, que les cieux sont comme des miroirs de fonte ; dans Moïse, il est comme dans du fer, et dans les prophètes et les apôtres qui sont comme les pieds de la statue, il est en partie de fer, et en partie de terre, les prophètes vaisseaux de fer ; et les apôtres vaisseaux de terre.

a – Comparaison étrange en vérité, dont on ne saisit pas le but. La statue décrite dans Daniel ch. 2 est un emblème des divers empires du monde, hostiles au Royaume de Dieu, et qui seront totalement détruits lors de l’apparition en gloire de Jésus-Christ. Mettre cette construction humaine érigée par l’orgueil d’un despote en parallèle avec la Parole de Dieu semble inapproprié. Les justifications que donnent Claude, sont tout-à-fait fantasques : les cieux sont comme des miroirs d’airain...

Les apôtres sont des vaisseaux, non les auteurs de l’Évangile, ni les fondateurs, mais de simples instruments, des vaisseaux qui contiennent le trésor, mais qui ne lui donne pas le prix qu’il a, car ce n’est pas de la dignité de leurs personnes que se tire l’excellence de l’Évangile ; ce n’est point à cause d’eux que nous croyons ; au contraire c’est le trésor qu’ils portent, qui leur donne du prix et de l’autorité.

Vaisseaux de terre, par la bassesse de leur condition, pauvres pêcheurs, etc. ; saint Paul un faiseur de tente, un pharisien enivré de l’amour de soi-même, un persécuteur.

Vaisseaux de terre par les afflictions auxquelles ils étaient sujets, exposés à toutes sortes d’accidents, aux accidents de la nature comme les autres hommes, aux persécutions, prisons, bannissements etc. Par leurs propres infirmités : la dissimulation de saint Pierre dont saint Paul le reprit en face, sa hardiesse à détourner Jésus-Christ de la mort, ce qui lui attira le titre de satan ; son étourdissement sur le Thabor ; sa chute dans la maison du souverain sacrificateur ; l’incrédulité de Thomas ; l’aigreur qu’il y eut entre saint Paul et Barnabas ; l’esprit de domination qui les faisait disputer à qui serait le plus grand ; l’esprit de vengeance contre les Samaritains sur qui ils voulaient faire descendre le feu du ciel etc.

Il faut remarquer aussi la sagesse des apôtres, quand leurs infirmités et leur terre les font mépriser, alors ils se relèvent par le trésor. Ils s’appellent Serviteurs de Jésus-Christ, Ambassadeurs de Dieu etc. Ils relèvent leur ministère comme fait saint Paul. Mais quand l’excellence de leur ministère est en danger de les faire trop estimer, ils s’humilient et s’anéantissent, s’appellent vaisseaux de terre. Quand Paul et Barnabas furent chassés d’Icone et contraints de s’enfuir à Lystres, pour relever la gloire de leur ministère ils firent un miracle, mais quand le peuple les prit pour des dieux, alors ils déchirèrent leurs vêtements et dirent, nous sommes des hommes.

Quant à la seconde partie de ce texte il faut pour la traiter, examiner deux choses. L’une, l’excellence de la force de l’Évangile. Et l’autre, le dessein de Dieu en mettant son trésor dans des vaisseaux de terre, à savoir que l’excellence de cette force fut de lui et non des hommes.

L’excellence de cette force, c’est :

1° Les heureux succès de l’Évangile dans la conversion des hommes. Ce qu’il faut représenter comme une force victorieuse et triomphante, c’est-à-dire, admirable, toute-puissante. Or on peut représenter cela par l’étendue des conversions ; car en peu de temps toute la terre se vit remplie de chrétiens.

2° Par les difficultés que l’Évangile surmontait ; obstacles au dedans, la corruption naturelle des hommes, les préjugés de leur naissance, l’amour des fausses religions ; obstacles au dehors, contradiction des philosophes, persécutions des Juifs, calomnies contre l’Évangile et contre ses ministres, persécutions des rois et des magistrats ; obstacles dans l’Évangile même, qui prêche un crucifié, qui est folie au Grec et scandale au Juif. Nonobstant tout cela, conversions partout.

L’excellence de cette force consiste dans cette admirable et divine vertu qui est dans la doctrine de l’Évangile, pour humilier l’homme, le consoler, l’instruire, le remplir de joie et de courage, d’espérance, pour le sanctifier. En un mot pour le convertir et le transformer en un autre homme

L’excellence de cette force consiste dans les miracles qui accompagnaient la prédication des apôtres. Miracles grands et dignes de toute l’admiration des hommes : guérisons de malades, prédictions de choses à venir, résurrections des morts etc.

L’excellence de cette force consistait en la vertu du Saint Esprit qui accompagnait la prédication de l’Évangile, Esprit d’illumination, Esprit de patience, Esprit de paix. Et même avec des dons extraordinaires, dont des langues, etc.

Cette excellence de force ainsi expliqué, il faut passer à la considération de la fin que Dieu s’est proposé, à savoir, que cette excellence fut de lui et non point des hommes, et que c’est pour cela qu’il a mis ce trésor dans des vaisseaux de terre. Or ce raisonnement de saint Paul est établi sur ce principe, à savoir, que les hommes sont enclins à rapporter aux causes secondes les effets qui n’appartiennent qu’à la cause première. Quand nous voyons quelque grand événement dont nous sommes éblouis, au lieu de nous élever jusqu’à Dieu pour lui en attribuer la gloire, nous demeurons bassement attachés aux créatures, comme si l’événement était à elles. C’est ce qui paraît :

1° Par l’exemple des païens qui voyant les merveilles de la nature ont adoré et servi la créature, en délaissant le Créateur, comme saint Paul le leur reproche. Voyant cette belle lumière du soleil et ces admirables effets qu’il produit dans le monde, ils ne se sont pas élevés plus haut, mais ils l’ont pris pour un dieu, sans considérer qu’il n’était que le serviteur et l’image d’un soleil invisible.

2° C’est ce qui paraît par l’exemple des Lycaoniens dont nous avons déjà parlé, qui voyant faire à Paul et Barnabas un miracle, voulurent leur sacrifier comme à des dieux, sans considérer qu’il n’était que des instruments de la puissance infinie qui règne dans le monde.

3° C’est ce qui paraît encore par l’exemple des Juifs, lesquels quoiqu’instruits en la connaissance du vrai Dieu, néanmoins voyant Pierre et Jean qui avaient guéri un impotent, coururent à eux en foule, ce qui obligea saint Pierre à leur dire, hommes Israélites, pourquoi avez-vous l’œil sur nous, comme si par notre puissance ou sainteté nous avions fait cheminer celui-ci.

4° C’est ce qui paraît par l’exemple même de saint Jean qui tout apôtre qu’il était ne laissa pas de se laisser surprendre à cette imprudente inclination, tant elle est naturelle à tous les hommes ; car ébloui de la lumière de l’ange qui lui parlait, il tomba sur sa face en terre et le voulut adorer, ce qui fait que l’ange lui dit, garde que tu ne le fasses, je suis ton compagnon de service, adore Dieu.

Mais après tant de funestes exemples nous voyons encore cela même dans ceux de la communion de Rome. Car c’est de là qu’est venue l’adoration des reliques, celle des saints et des anges, et je ne sais combien d’autres superstitions qui les attachent aux créatures, lorsqu’ils s’imaginent que par leur ministère ils reçoivent quelque particulière bénédiction. Dieu donc pour arrêter ce torrent, et pour empêcher qu’on abusât de même de ses apôtres, en leur attribuant d’admirables effets de la parole de l’Évangile, a voulu tempérer l’honneur qu’il leur faisait de les employer à la conversion des hommes, par la bassesse et la fragilité de leur condition. Il les avait laissés vaisseaux de terre comme ils étaient, afin que leur terre et leur poudre, leurs faiblesses et leurs imperfections servissent de correctif ou de contrepoids à la gloire qu’ils avaient d’être employés à un si grand et si admirable ministère. D’ailleurs il est certain que leur bassesse contribuait beaucoup à relever l’éclat de la puissance divine dans l’œuvre de l’Évangile, et à faire connaître que cette œuvre était uniquement de Dieu. Car jamais Dieu ne paraît davantage, que quand il se sert d’instruments qui n’ont nulle proportion avec ce qu’ils opèrent. Jamais la puissance divine ne parut davantage que quand elle abattit la fierté de Pharaon et de toute son Égypte par la seule verge de Moïse. S’il y eût employé des armées, quelqu’admirables qu’eussent été les succès, la force des armes humaines eût diminué l’éclat de la force divine. Jamais cette même puissance de Dieu ne parut davantage que dans la ruine de Jéricho, lorsque les murailles en tombèrent aux simples sons des trompettes de Josué. Appliquez à cela la pensée de Monsieur Capelle dans les thèses De origine scripturæ Thesi 29. p.40 Sub. finem. Jamais la puissance de Jésus-Christ ne parut plus, que quand il a subjugué les principautés et les puissances et a triomphé d’elles par le ministère d’une croix. Il en est ici d’eux-mêmes : des pêcheurs, des péagers, des faiseurs de tente, des gens idiots et sans lettres, sans armes, sans force, sans intrigues, sans appui, sans philosophie, sans éloquence, des persécutés, des misérables, en un mot des vaisseaux de terre, qui triomphent de tout le monde au son de leur voix. Les idoles sont abattues ; les temples sont renversés ; les oracles deviennent muets ; le règne de démon est aboli ; les plus fortes inclinations de la nature sont vaincues ; les anciennes habitudes des peuples sont changées ; les vieilles superstitions sont anéanties ; tous les charmes de Satan dont il avait endormi les hommes sont rompus ; les peuples viennent en foule adorer Jésus-Christ ; les grands et les petits, les savants et les ignorants, les rois et les sujets, les provinces entières se viennent présenter au pied de la croix. Et toute pensée est amenée prisonnière à l’obéissance de Dieu. Il ne faut plus dire, c’est ici le doigt de Dieu, mais il faut dire, c’est ici le bras de l’Éternel. Heureux vaisseaux de terre glorifiez-vous de ce que vous n’êtes que cendre et que poudre, votre faiblesse et votre fragilité, votre néant contribuent plus que mille fois à relever la gloire du grand Maître qui vous emploie que si vous étiez des vaisseaux d’or, des anges ou des chérubins.

Explication simple et explication confirmative.

Outre ce que je viens de dire, il faut encore remarquer qu’il y a de deux sortes d’explications. L’une simple, qui n’a besoin que d’être proposée, éclaircie, et tout au plus réchauffée de quelques pensées agréables. Mais il y en a une autre, où après avoir proposé et expliqué la chose dont il s’agit, il la faut confirmer par des preuves. Quelquefois c’est une chose de fait, qui n’a besoin d’être confirmée que par des preuves de fait. Quelquefois c’est une chose de droit, qui a besoin d’être confirmée par des preuves de droit. Et quelquefois c’est une chose où le droit et le fait sont mêlés ensemble, et où par conséquent il faut apporter, tant des preuves de droit, que des preuves de fait. Je donnerai des exemples de ces trois différentes espèces.

Pour la première je mets en avant ce texte : Jésus-christ était en forme de Dieu, et ne réputait point rapineb d’être égal à Dieu. Après avoir expliqué ce que c’est qu’être en forme de Dieu, et ne réputer point rapine d’être égal à Dieu, à savoir, que c’est être Dieu, essentiellement égal au Père, coéternel avec lui, etc. Chacun voit que c’est un fait lequel il est nécessaire de prouver, non simplement par la force des termes de saint Paul, mais aussi par plusieurs autres preuves tirées de l’Écriture, par lesquelles on conclut de la divinité de Jésus-Christ. Et il n’y a que les preuves de fait qui puissent avoir lieu dans cette occasion.

b – Le verbe réputer dans sa forme active signifie : considérer, estimer. De nos jours on ne l’emploie plus qu’à la forme passive (être réputé). Cette expression tirée de la Bible Martin est l’équivalent de la traduction classique Segond Philippiens 2.6il n’a point regardé comme une proie à arracher

Mais si j’avais à traiter ce passage du même chapitre de Philippiens : Faites toutes choses sans murmure, ni question, afin que vous soyez sans reproche, et simples enfants de Dieu, irrépréhensibles au milieu de la génération tortue et perverse, entre lesquels vous reluisez comme des flambeaux au monde, qui portent au-devant de la parole de vie. Il est évident qu’après avoir expliqué les vices que saint Paul nous défend, et les vertus qu’il nous commande, il faudrait confirmer cela par des raisons de droit, qui fissent voir combien ces vices sont indignes et contraires à notre vocation, et ces vertus dignes de ce que nous sommes ; et combien nous sommes obligés à nous abstenir des uns, et à pratiquer les autres.

Mais si j’avais à traiter ce passage qui est dans le même chapitre : Jésus-Christ s’est anéanti soi-même, ayant pris forme de serviteur, fait à la semblance des hommes, où le suivant : Et étant trouvé en figure comme un homme, il s’est abaissé soi-même, et a été obéissant jusqu’à la mort, voire la mort de la croix. Ou encore les suivants qui parlent de l’exaltation de Jésus-Christ. Il est certain qu’après avoir expliqué la chose dont il s’agit, il faudrait la confirmer non seulement par des preuves de fait, mais aussi par des preuves de droit ; en faisant voir 1° que la chose est ainsi que saint Paul a dit. 2° En faisant voir qu’elle devait être ainsi par des raisons prises de la sagesse divine. De même si l’on avait à traiter ce texte : Le Seigneur châtie celui qu’il aime, et fouette tout enfant qu’il avoue, il ne faut pas douter qu’après avoir proposé en peu de mots la doctrine de l’apôtre, il la faudrait confirmer, tant par des preuves de fait, qui feraient voir que Dieu en a toujours usé la sorte, que par des preuves de droit, qui montreraient que c’est avec beaucoup de sagesse qu’il en a usé ainsi. On trouvera un nombre presque infini de textes de cette nature.

Il y a quelquefois des textes d’explication, où l’on se trouve obligé d’expliquer une matière grande et importante, et qui a plusieurs branches, comme sont par exemple la matière de la prédestination et celle de la grâce qui nous convertit. En ce cas on peut prendre l’une de ces deux voies : ou bien réduire la matière à un certain nombre de propositions, et les traiter l’une après l’autre ; ou bien la réduire à un certain nombre de questions, et les traiter aussi l’une après l’autre. Mais dans l’une et dans l’autre de ces deux voies, il faut bien prendre garde de ne mettre en place ni aucune proposition, ni aucune question qui ne soit formellement contenue dans votre texte, ou qui ne s’en puisse tirer par une conséquence prochaine et facile à entendre. Car autrement ce serait s’écarter dans le lieu commun.

Par exemple ayant à traiter ce texte : Dieu produit en nous avec efficace et le vouloir et le parfaire selon son bon plaisir. Après avoir expliqué ce que c’est que ce vouloir, et ce parfaire, et avoir dit en peu de mots que le sens de saint Paul est que Dieu en est l’auteur en nous par la force de sa grâce, il faudrait réduire toute l’explication de l’opération de la grâce à cinq ou six propositions.

La première est que Dieu par son Saint Esprit illumine l’entendement des hommes. Car s’agissant de produire en nous le vouloir, il faut nécessairement que cela se fasse par l’illumination de l’entendement.

La seconde que l’opération de la grâce qui illumine l’entendement est pratique et non simplement spéculative, mais qu’elle descend jusqu’au cœur, saint Paul disant que Dieu produit en nous le parfaire.

La troisième que les premières dispositions à la conversion sont des effets de la grâce, aussi bien que la conversion même, parce que saint Paul ne dit pas seulement que Dieu produit en nous le parfaire, mais qu’il y produit le vouloir ; or ce vouloir n’est autre chose que les dispositions à la conversion.

La quatrième, que l’opération de la grâce ne consiste pas simplement à nous mettre en état de nous pouvoir convertir, comme le disent les auteurs de la grâce suffisante, mais à nous convertir actuellement ; car l’apôtre dit que Dieu produit en nous le vouloir et le parfaire.

La cinquième, que l’opération de la grâce qui nous convertit est

d’une efficace pleinement victorieuse, et qui obtient son effet malgré toutes les résistances de la nature. Car saint Paul dit que Dieu produit en nous ce vouloir et ce parfaire avec efficace. Ce qui veut dire que quand il déploie cette grâce il n’y a rien qui lui puisse lui résisterc.

c – Toute cette explication de Claude est hors contexte, car Paul n’écrit pas à des gens qui vont se convertir, mais à des chrétiens ; déjà convertis donc. Et il leur écrit relativement aux bonnes œuvres que le Saint Esprit fait naître dans leur volonté.

Le sixième que quand Dieu nous convertit, quelque efficace irrésistible qu’il y ait en sa grâce, il la déploie néanmoins en nous d’une manière qui ne détruise point notre nature, ni qui ne force aucunement notre volonté ; car saint Paul dit que Dieu produit en nous le vouloir, c’est-à-dire, qu’il nous convertit en nous inspirant de l’amour pour son Évangile, par des voies douces et conformes aux facultés de notre âme.

Il faut surtout prendre garde quand on suit cette méthode, de bien ranger les propositions, en mettant les plus générales les premières et en suivant l’ordre de la connaissance, en sorte que les premières propositions servent comme de degré aux secondes, et les secondes aux troisièmes, et ainsi du reste.

Division du texte selon la diversité des expressions.

Quelquefois ce qu’on explique dans les textes consiste en un ou plusieurs termes simples. Quelquefois il consiste en de certaines façons de parler particulières à l’Écriture, ou qui du moins méritent d’être pesées et expliquées quand elles contiennent un grand sens. Quelquefois il consiste en quelque particule qu’on appelle terme syncatégorique, et quelquefois il consiste dans une proposition. Les termes simples sont, par exemple les attributs divins, la bonté, la gratuité, la vérité, la sagesse, la miséricorde, etc. les vertus de l’homme, la foi, l’espérance, la charité, les vices, les passions, l’ambition, l’avarice, la vengeance, la colère, etc. En un mot les termes simples sont tous ceux qui s’énoncent en un seul mot. Ils sont ou figurés, ou propres. Pour l’explication des figurés, il faut donner en peu de mots l’intelligence de la figure, et sans s’y arrêter extrêmement, il faut passer à la chose même. En général on doit observer cette règle, à savoir, de n’insister jamais beaucoup sur la tractation d’un terme simple, à moins que ce soit le lieu de le faire ; car de vouloir épuiser tout ce qui se peut dire sur un mot, c’est une imprudence à un prédicateur, lorsqu’il y a dans le texte d’autres matières importantes.

Par exemple, si quelqu’un en expliquant ses paroles d’Ésaïe : On appellera son nom, l’Admirable, le Conseiller, le Dieu fort et puissant, le Père d’éternité, le Prince de paix, on voulait insister sur chacun de ces termes et les épuiser, cela s’appellerait traiter le lieu commun et ennuyer l’auditeur. On doit donc dans ces occasions choisir les meilleures choses, et s’arrêter principalement aux remarques essentielles. Quelquefois il y a des termes simples qu’il ne faut toucher qu’en passant, par rapport à l’intention de l’auteur sacré, comme par exemple dans ces salutations ordinaires de saint Paul : Grâce vous soit et paix de par Dieu notre Père et de par Jésus-Christ notre Seigneur. il ne faut nullement s’imaginer qu’il faille traiter ex professo, ni la grâce, ni la paix, ni Dieu le Père, ni Jésus-Christ ; mais il faut considérer que c’est une salutation, une bénédiction, une entrée d’épître, et dans ces vues faire sur les termes des remarques nécessaires (sur quoi l’on peut faire voir de quelle manière Monsieur Daillé a fait dans l’exposition des Épîtres aux Philippiens et aux Colossiens). En un mot il faut prendre garde de traiter des termes simples, autant qu’il se pourra par rapport à l’intention présente de l’auteur sacré et aux circonstances du texte. Car par ce moyen on évitera le lieu commun, et on dira des choses particulières. Ce n’est pas qu’il n’y est quelquefois des textes où il faut traiter les termes simples ex professo, et en donner l’idée claire et pleine.

Par exemple dans ce texte : La fin du commandement est charité procédante d’un cœur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi non feinte. Après avoir divisé le texte en trois parties, dont la première sera ce que c’est que ce commandement dont l’apôtre parle. La seconde, qu’elle en est la fin, à savoir, la charité. Et la troisième, de quels principes cette charité doit procéder, à savoir, d’un cœur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi non feinte. Il faut traiter exactement ce que c’est que ce commandement et rapporter trois divers sens qu’on peut donner à ce terme. L’un, en le prenant simplement pour la loi morale ; l’autre en le prenant pour la prédication, car le terme grec souffre cette signification ; et le troisième en le prenant en général pour la vraie religion. Ensuite expliquant le premier sens, il faut faire voir pourquoi la loi est appelée le commandement, à savoir, par l’autorité naturelle des choses mêmes, car la loi ne contient rien qui ne soit du devoir de la créature, et par l’autorité aussi de celui qui nous l’a donnée, qui est Dieu notre souverain Maître etc. Expliquant le second sens il faut dire quelque chose sur la nécessité de la prédication, afin que les mystères de l’Évangile fussent mis devant les yeux des hommes, remarquer la sagesse de Dieu qui a voulu non seulement nous envoyer ses apôtres au commencement ; non seulement nous ordonner de nous instruire les uns les autres, en nous communiquant mutuellement nos lumières ; non seulement nous donner les Écritures saintes afin que nous les lisions, et que nous y puisions de quoi nous avancer en connaissance, mais qui a aussi établi l’ordre du ministère dans son Église, afin que la parole fut prêchée en commun à tous. Remarquer les fruits et les utilités qui nous reviennent de cette prédication. Remarquer aussi que Jésus-Christ lui-même, pendant qu’il était sur terre, a voulu sanctifier ces admirables moyens par la pratique. En expliquant le troisième, auquel il me semble qu’on doit principalement s’arrêter, il faut faire voir pourquoi la religion est appelée un commandement :

1° Parce que ce n’est pas une chose indifférente et qui soit remise à notre liberté, mais une obligation qui impose nécessité à tous les hommes, parce qu’elle doit venir de Dieu dans toutes ses parties ; et que comme il n’est point libre à l’homme d’avoir une religion ou de n’en point avoir, il ne dépend pas aussi de sa volonté, ni de sa fantaisie de s’en faire une telle qu’il lui plaira ; à cause de quoi saint Paul appelle les superstitions ἐθελοθρησκεία, des cultes volontaires. En effet la religion doit consister en obéissance de foi, obéissance de service, obéissance de mœurs ; et ce qui ne porte point ce caractère ne peut jamais être agréable à Dieu. En vain, dit Jésus-Christ, m’honorent-ils, enseignant des doctrines qui ne sont que des commandements d’homme. Dieu, dit saint Paul vous rende accomplis en toute bonne œuvre pour faire sa volonté, faisant en vous ce qui est agréable devant lui, par Jésus-Christ. A cause de quoi non seulement les pasteurs, mais aussi tous les fidèles s’appellent les serviteurs de Dieu, pour signifier qu’ils exécutent ses commandements, et qu’ils se tiennent exactement attachés à ses ordres.

Passant au second point, il faut examiner deux choses : l’une, ce que c’est que cette charité ; et l’autre comment elle est ici la fin du commandement ; et l’une, et l’autre doive être traitées assez exactement. Pour la première, il faut d’abord marquer que l’objet principal de notre charité, c’est Dieu, vers qui l’âme s’élève pour s’unir à lui par des mouvements d’estime, comme à la souveraine perfection ; par des mouvements de désir, comme étant le souverain bien de la créature ; par des mouvements de reconnaissance, comme étant la source unique de tous les biens que nous possédons ; et comme nous ayant aimé le premier, et témoigné de cet amour par un nombre infini de bienfaits ; par des mouvements de tendresse et d’intéressement, comme étant un original dont nous sommes les images, et un Père dont nous sommes les enfants, ce qui fait que nous nous trouvons plus en lui, que nous nous trouvons en nous-mêmes, par des mouvements d’acquiescement et de joie pour la possession de la communion ; et enfin par des mouvements de zèle et de service pour sa gloire, puisqu’il est la dernière fin, à laquelle nous devons rapporter et tout ce que nous sommes, et tout ce que nous faisons. On peut encore remarquer que cette charité fait régner Dieu sur nous de la manière du monde la plus noble et la plus digne de lui. Car il règne sur toutes les créatures, ou par son influence ou par sa providence, ou par sa justice. Par son influence il règne sur les cieux, sur les éléments, et sur toutes les créatures inanimées, les mouvant et les portant à l’action. Il règne par sa providence sur les méchants, tournant et fléchissant leurs pensées comme bon lui semble. Il règne dans les Enfers par sa justice. Ses manières de régner ne sont pas comparables au règne que lui donne notre amour. Car parce qu’il remplit nos cœurs tout entiers, il en pénètre tous les principes, il est dans tous les mouvements, et en qualité de cause, et en qualité de fin, et en qualité d’objet, de sorte qu’il y a une parfaite proportion entre lui et notre cœur. Quand il règne par cette puissance sur les créatures inanimées, il n’est à proprement parler ni leur fin ni leur objet, il est seulement la vertu qui les fait agir. Car ces créatures ne sont pas capables de connaissance, elles ne songent point à Dieu, ni ne le regardent quand elles agissent. Quand il règne sur les méchants par sa providence, les méchants ont une autre fin et un autre objet. Et quand il règne dans les enfers par sa justice, les misérables qu’il punit, bien loin d’acquiescer aux coups de sa vengeance, murmurent, criant et blasphémant contre lui. Mais quand il règne dans le cœur de ses saints par la charité, non seulement il y déploie sa vertu, mais il est lui-même l’objet sur lequel les saints agissent, il est la fin qu’ils se proposent, et il y règne dans une paix parfaite entre lui et la créature.

On peut remarquer aussi que quand nous donnons notre amour aux créatures en le dérobant à Dieu, cela même est une injustice qui nous déshonore, et un outrage que nous faisons et à Dieu, et à nous-mêmes. A Dieu, car nous lui ôtons ce qui lui appartient ; à nous-mêmes, car nous nous privons d’une gloire pour laquelle nous sommes faits, et à laquelle nous pourrions légitimement aspirer. Ainsi nous sommes doublement injustes et doublement outrageux. Mais outre cela, comme ces sortes d’union sont toujours mal faites, sans justesse et sans proportion, elles sont accompagnées d’un nombre presque infini d’inconvénients. Car si nous aimons des choses inanimées, comme l’avare qui aime son or et son argent ; ou comme le mondain qui aime les divertissements, la chasse, les jeux, les conversations ; ou comme le peuple qui aime les arts et les sciences, nous aimons ce qui ne nous aime point. Nous donnons notre cœur à ce qui n’a point de cœur pour payer le présent que nous lui faisons. Et quelle douceur y a-t-il à aimer ce qui ne nous peut aimer ? La joie de l’amitié ne vient-elle pas d’une possession mutuelle ? Et quelle possession mutuelle y peut-il dit avoir entre un cœur et ce qui n’est point cœur, entre nous est une chose qui non seulement ne se donne point à nous, mais qui même ne nous saurait recevoir quand nous nous donnons à elle, et dont nous ne pouvons pas même recevoir cette consolation qu’elle nous possède, ni qu’elle goûte le moindre plaisir du monde en nous possédant ? Si nous aimons le monde je veux dire les hommes, j’avoue qu’ils ont un cœur aussi bien que nous, et qu’ils sont capables de nous aimer quand nous les aimons ; mais outre que le plus souvent ils ont, ou un cœur ingrat et incapable de se donner, ou un cœur qui a déjà disposé de soi-même et qui a pris parti ailleurs, ou un cœur partagé qui n’aime point, parce qu’il aime trop, ou un cœur léger et infidèle, dont on ne saurait s’assurer. Outre cela, il faut confesser que les cœurs des hommes ne sont point faits les uns pour les autres ; ils sont tous vides, imparfaits, misérables, pauvres, nus, aveugles. Et quelle alliance pouvez-vous faire d’un vide avec un vide, d’un imparfait avec un imparfait, d’un pauvre avec un pauvre, d’un aveugle avec un aveugle ? Le vide naturellement demande de s’unir avec l’abondance, l’imperfection avec la perfection, la pauvreté avec la richesse, et les ténèbres avec la lumière. Notre cœur n’est donc fait que pour Dieu, car c’est en lui seul qu’il peut trouver ce qu’il désire, et ce qui lui manque.

Après avoir ainsi traité la charité, en tant qu’elle regarde Dieu, il faut passer au second objet qu’elle a, qui est le prochain, et remarquer d’abord que quoique l’on vienne de dire que les cœurs des hommes ne sont pas faits les uns pour les autres, il faut néanmoins expliquer cela par la distinction de deux temps.

Le premier est, lorsque notre cœur est encore vide, pauvre, misérable, aveugle, et incapable par conséquent de faire le bonheur d’autrui, et capable seulement de lui être à charge. Dans ce temps il ne faut pas songer d’aimer la créature, puisque étant faite de même que nous, nous ne saurions ni lui donner de soulagement, ni en recevoir d’elle, il faut uniquement aimer Dieu. Le second temps est, lorsque nous étant unis à Dieu nous avons déjà senti les effets de cette heureuse communion, en tant qu’il nous a fait participant de son abondance, de sa perfection et de ses lumières. C’est dans ce temps que nous devons aimer la créature ; car alors nous sommes en état de lui bien faire, et de répandre sur elle ce que nous avons reçu. Ce ne sera plus alors la misère jointe à la misère, l’aveuglement à l’aveuglement ; mais ce sera la lumière rejointe à la lumière, et l’abondance à l’abondance, si ce que nous aimons sont gens de bien de même que nous ; et s’ils ne le sont pas, notre raison pourra dissiper leurs ténèbres, notre perfection corriger leur imperfection, et notre richesse subvenir à leur pauvreté. Il faut pourtant bien remarquer les différences qui doivent être entre ces deux mouvements de la charité, l’un vers Dieu, et l’autre vers l’homme. L’un est un amour premier, original, indépendant. L’autre n’est que second et dépendant, une réflexion du premier. L’un doit régner dans nos cœurs, c’est-à-dire, non seulement y tenir le premier rang, et être élevé au-dessus de tout autre amour, mais régner sur le cœur même, de sorte que ce ne soit point le cœur qui soit maître de l’amour, mais l’amour au contraire qui soit maître du cœur. L’autre y doit obéir, y occuper la seconde place, et l’occuper de telle sorte que le cœur en soit toujours le maître. L’un doit être infini, sans borne et sans mesure, proportionné à son objet qui est infini, mais l’autre doit être fini, réglé et mesuré à la proportion de la créature qui est finie.

Après cela il faut passer à la seconde chose, qui est de faire voir comment cette charité est la fin du commandement et ramener les trois sens qu’on a donnés à ce terme.

Elle est la fin de la loi morale, dont le sommaire est que nous aimions Dieu de tout notre cœur, et le prochain comme nous-mêmes. En effet tous nos péchés, tant contre la première que contre la seconde table, ne procèdent que de l’absence ou de l’imperfection de cette vertu. Et si nous aimions Dieu et notre prochain comme nous devrions, nous ne connaîtrions jamais de faute, ni contre la majesté divine, ni contre nos frères. A cause de quoi saint Paul appelle la charité le lien de perfection, c’est-à-dire, un lien parfait qui nous unit à Dieu et à nos prochains, sans permettre que rien nous en sépare, ni sans souffrir qu’il y ait en nous rien de contraire à cette sainte communion. Toutes les vertus donc qui nous sont commandées dans les articles particuliers de la loi mosaïque morale, ne sont autre chose que des branches de celle-ci de laquelle est une vertu générale, la mère et la nourrice de toutes les autres ; vertu répandue dans toutes, qui leur donne le mouvement, l’action, et le prix. Je dis et le mouvement et l’action, car c’est elle qui nous fait religieux envers Dieu, et juste envers les hommes, et qui nous fait avoir soin de leurs intérêts. Un cœur vide de charité n’étant nullement capable ni de servir Dieu, ni de servir ses frères. Je dis aussi le prix, quand il se pourrait faire qu’on observa exactement tout ce que la loi nous commande, si nous n’avions point de charité, et que nous fissions ces choses, ou par un principe de crainte, ou par une simple considération de notre devoir, il est certain que toute notre obéissance ne saurait être agréable à Dieu. D’ailleurs la charité est le but que la loi morale se propose ; car elle aboutit à nous rendre Dieu un objet aimable, en nous le faisant voir comme notre Dieu, et en éloignant de devant nos yeux tout autre divinité que la sienne. Et de même elle aboutit à nous inspirer de l’amour pour les hommes, en nous les faisant considérer comme des créatures que Dieu a faites avec nous, et sur qui il a répandu une même bénédiction, nous ayant tous faits d’un même sang, tous formés d’une même matière, et nous ayant à tous donné son image.

Pour ce qui regarde le second sens auquel on peut entendre le terme de commandement, qui est la prédication, il est clair que le but qu’elle se doit proposer est la charité. Pour la faire naître dans l’esprit des auditeurs un prédicateur ne se doit proposer ni sa propre gloire, ni un gain déshonnête, pour me servir des termes de l’Écriture, ni même de s’acquitter simplement de sa charge et de son devoir. Il doit se proposer de gagner les cœurs des hommes à Dieu, et de les lier les uns avec les autres. C’est pour cela que la prédication se fait en commun, afin que tous ensemble nous ne soyons qu’un cœur et qu’une âme en Dieu. L’Écriture sainte a eu sans doute égard à cela, quand elle nous a proposé notre communion avec Jésus-Christ, sous l’image d’un corps, dont Jésus-Christ est le chef, et nous les membres, et non seulement membres de ce chef, mais aussi membres les uns des autres, comme parle saint Paul, et nous disant que nous sommes animés d’un même esprit, qui est l’Esprit du Seigneur, n’ayant tous qu’une mêmes vie, tant avec Jésus-Christ qu’avec tous les autres fidèles. Car comme l’union que la nature a établi entre les parties de notre corps est telle, qu’il ne peut y avoir entre elles aucune différence d’intérêt, ni aucun combat, ni aucune antipathie de l’une à l’autre, de même l’union que la grâce fait entre nous sous un même chef qui est Jésus-Christ, forme une telle unité que quelques différences qu’il y ait, nous ne sommes pourtant tous ensemble qu’une même chose, tant avec le Seigneur, qu’entre nous. Or la fin du ministère, c’est de faire cette admirable union. C’est pourquoi saint Paul dit, que : Dieu a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être prophètes, les autres pour être évangélistes, les autres pour être pasteurs et docteurs. Pour l’assemblage des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ, jusqu’à ce que nous nous rencontrions tous en l’unité de la foi, et de la connaissance du Fils de Dieu, en homme parfait à la mesure de la parfaite stature de Christ, afin que suivant piété avec charité nous croissions en tout en celui qui est le chef, à savoir Christ, duquel tout le corps bien ajusté et serré ensemble par toutes les jointures du fournissement, prend l’accroissement du corps, selon la vigueur qui est en la mesure de chaque partie, pour l’édification de soi-même en charité.

Enfin à prendre ce terme de commandement pour la religion en général, il n’est pas moins évident que sa fin est la charité. Car tout ce qu’elle nous propose de mystère, de préceptes, de doctrines, d’objet de foi, d’objet d’espérance, tout cela ne sont que des fruits de l’amour paternel de Dieu envers nous, et par conséquent des motifs pour nous porter à l’aimer de toute notre âme. L’Église qu’elle forme et qu’elle compose n’est qu’une grande famille, où nous sommes tous frères, tous participants d’un même héritage, nourris des mêmes aliments, et vivant sous une même discipline. La société civile distingue les personnes, les familles, les villes, les provinces, et laisse à chacun ses droits particuliers ; à cause de quoi elle est fondée sur l’amour que chacun se porte à soi-même, et réglée par les lois de la justice qui nous ordonne de rendre à chacun ce qui lui appartient. Elle se propose donc de satisfaire à l’amour que chaque particulier se porte à soi-même, en jouissant des avantages qui naissent du commerce et de la paix publique, et afin que cet amour-propre puisse longtemps jouir de ces avantages, la société veut que nous ne fassions à autrui que ce que nous voulons nous être fait. Mais la religion établit une autre société dont le lien est la charité, et non l’amour propre. Et c’est pourquoi elle fait de l’Église une seule cité, une seule maison, une seule province, un seul bien, un seul intérêt, tout y est possédé par indivis, tout y est commun ; ils ne s’y agit pas de rendre à chacun ce qui lui appartient, car rien n’appartient à chacun, tout appartient à tous, Dieu est le Dieu de tous, Jésus-Christ est le sauveur de tous ; son sang, son mérite, son Esprit, son Ciel, son Royaume, tout est à tous, sans distinction, sans partage. Et saint Paul avait bien senti l’effet de cette admirable communion, lorsqu’il disait, que le soin de toutes les églises le tenait assiégé de jour en jour. Qui est affaibli, ajoute-t-il, que je ne sois aussi affaibli ? Et qui est scandalisé que je n’en sois aussi brûlé ? (2 Corinthiens 11.29)

Quant à la troisième partie de ce texte qui consiste à savoir de quel principe doit procéder la charité, soit d’un cœur pur, d’une bonne conscience, et d’une foi non feinte. Il faut remarquer :

Que ce cœur pur peut signifier un cœur sincère et véritable, par opposition à un cœur double et hypocrite. Car il est vrai que notre charité doit être accompagnée de franchise et d’intégrité. Elle doit avoir son siège dans une âme droite, sans tromperie, et sans dissimulation. Une charité feinte est une haine couverte du voile de l’amitié, ou pour le moins, une froideur et une indifférence qui se cache sous les apparences du zèle. Tels sont les amitiés mondaines qui ne durent autant qu’elles servent à l’amour propre, et qui s’évanouissent dès qu’elles lui sont inutiles. Combien y a-t-il de personnes qui ne sont touchées que de cette fausse charité. Elles font semblant d’aimer Dieu et d’aimer leur prochain, elles en donnent au-dehors toutes les marques, mais tout cela ne procède pas d’un cœur pur. Si vous pouviez pénétrer leurs âmes, vous n’y verriez autre chose qu’un intérêt particulier ; et à l’égard de Dieu et du prochain, rien que négligence et mépris. Combien y en a-t-il qui aiment en effet Dieu et le prochain, mais d’un amour bas est intéressé, parce que Dieu a un salut à leur donner, et qu’il y a quelques profits à faire dans le commerce de leurs frères. Si ces considérations venaient à cesser, leur amour cesserait aussi. Ce n’est pas aimer d’un cœur pur. La charité sincère doit être indépendante de l’amour propre. Il faut aimer Dieu par la seule raison qu’il est souverainement aimable, et le prochain parce qu’il est l’image de Dieu, et que nous faisons avec lui qu’un seul corps mystique de Jésus-Christ.

De plus par ce cœur pur on peut entendre un cœur sanctifié et dégagé de toutes sortes de souillure et de vice. Ce qui distingue la charité chrétienne :

1° de l’amour que les fausses religions donnent aux hommes par leurs idoles, car cet amour procède d’un cœur engagé. Le crime d’un cœur souillé de péché, ce n’est qu’une chaleur aveugle de la chair et du sang, une impétuosité téméraire vers le faux objet dont l’esprit est préoccupé. La charité chrétienne au contraire procède d’un cœur pur, c’est-à-dire véritablement régénéré ; d’un cœur où le péché n’a plus de place, où il ne règne plus, mais où règne la sainteté et la justice.

2° Cela même distingue la charité chrétienne d’avec l’amitié des mondains ; cette dernière est une sympathie de plusieurs cœurs qui conspirent ensemble pour le service d’un même maître qui est le vice. Ainsi les débauchés s’aiment entre eux, les ivrognes se cherchent mutuellement, les larrons s’unissent, et les voluptueux se plaisent dans la conversation les uns des autres, le vice fait ses liaisons aussi bien que la vertu, et la conformité qui se trouve entre les méchants produit quelque espèce d’amour. La charité chrétienne n’est pas de cette nature, elle procède d’un cœur pur, c’est la sympathie et la communion de plusieurs âmes jointes ensemble par les liens d’une même piété, d’une même droiture, et d’une même sanctification.

3° Il me semble aussi qu’on peut entendre ces termes d’un cœur pur, par opposition à un cœur brouillé, telles qu’est celui d’une personne superstitieuse. Car la superstition forme un mélange confus de divers sentiments contraires et inégaux. Tantôt elle donne une hardiesse excessive, et puis tout d’un coup elle se jette dans la timidité et dans le scrupule ; tantôt elle donne de la fierté, et tantôt elle épouvante : ses tons comme ceux d’une fausse musique sont sans ordre, sans mesure et sans règle. La vraie charité ne peut point procéder d’une âme qui est en cet état. Elle demande un cœur pur, un cœur uniforme et bien réglé, et qui a de Dieu et du prochain les idées qu’il en faut avoir.

A cela l’apôtre ajoute la bonne conscience, ce qui est à peu près la même chose que ce cœur pur dont il vient de nous parler. Car aimer Dieu en bonne conscience c’est l’aimer de bonne foi, sans fraude et sans hypocrisie, sans mélange d’intérêt, et sans dépendance de l’amour propre. C’est l’aimer non par quelque impétuosité passagère de notre cœur, ni par des désirs imparfaits de jouir de sa communion et de sa présence, mais c’est l’aimer par une véritable et fidèle application à tout ce qui regarde sa gloire, c’est-à-dire à l’obéissance de ses commandements et à l’obéissance de ses lois. En un mot c’est l’aimer d’une telle manière que nous nous puissions rendre à nous-mêmes ce témoignage assuré que nous l’aimons, et quand nous examinant nous-mêmes sur ce point, nous puissions être contents de notre cœur.

Enfin saint Paul dit que cette charité procède d’une foi non feinte. Ce qui veut dire que la foi en est la mère ; parce que c’est de la connaissance et de la persuasion que nous avons de l’amour de Dieu envers nous, que naît l’amour réciproque que nous avons pour lui, et ensuite celui que nous avons pour les hommes. Sur quoi l’on peut rapporter sommairement tout ce que la foi nous enseigne touchant la grandeur ineffable de l’amour que Dieu a eu pour nous, et particulièrement en nous donnant son Fils et son Saint Esprit, qui sont les deux plus admirables effet de l’amour de Dieu. Cela marque aussi cette idée parfaite et souverainement admirable de la Divinité, que la foi nous fait concevoir par opposition aux lumières de la nature, qui ne nous en donnent qu’une imparfaite. Mais s’il faut remarquer que cette foi doit être non feinte, vraie et vive, ne consistant pas dans une simple spéculation des mystères de l’Évangile, ni dans une connaissance étendue de ce que la religion chrétienne enseigne, mais dans une pleine persuasion de la vérité de la révélation céleste.

Il faut parfois traiter plusieurs termes simples par comparaison.

Quand dans un texte il y a plusieurs termes simples, il faut prendre garde, s’il ne serait pas plus à propos de les traiter par comparaison l’un avec l’autre, que de les traiter séparément ou chacun à part ; car il est vrai que quelquefois il serait hors de propos de les traiter chacun à part, et il est au contraire fort bon de le faire par comparaison.

Par exemple, si l’on avait à traiter ces paroles de saint Luc : Or il y avait en la même contrée des bergers couchant aux champs, et gardant les veilles de la nuit sur leur troupeau. Et voici, l’ange du Seigneur survint vers eux, et la clarté du Seigneur resplendit autour d’eux, dont ils furent saisis d’une fort grande peur. Alors l’ange leur dit, n’ayez point de peur, car voici je viens annoncer une grande joie, laquelle sera à tout le peuple : c’est qu’aujourd’hui en la cité de David, le Sauveur vous est né qui est le Christ le Seigneur.

Il me semble qu’il y aurait de l’absurdité de vouloir s’attacher à traiter séparément ces termes simples : bergers, anges, joie, pour expliquer ce que c’est qu’un berger ce que c’est qu’un ange etc. Mais de la comparaison de ces termes entre eux il en peut naître de fort belles et agréables considérations, comme il paraîtra par l’analyse ne nous allons donner de ce texte. Il faut donc diviser en deux parties, dont la première sera la rencontre de l’ange et des bergers avec toutes les circonstances que l’histoire remarque. Et la seconde, le discours que l’ange leur tient. La première est contenue dans les versets 8 et 9, et la seconde dans les versets 10 et 11.

Quant à la première, il faut d’abord dire que l’on ne s’arrête pas à rechercher curieusement qui étaient ces bergers, ni qui était cet ange du Seigneur, ni pourquoi l’ange s’arrêta plutôt à ces bergers-ci, qu’à d’autres. Les deux premières questions sont des questions de fait, sur lesquels l’Écriture sainte ne disant rien, ce serait une témérité que de les vouloir pénétrer ; outre que cela même est d’une très petite importance pour notre édification. Et quant à la troisième on n’en saurait donner d’autres raisons que le seul bon plaisir de Dieu. Ensuite passant à des considérations plus solides, il faut remarquer que cette rencontre de l’ange et des bergers ne s’est pas faite par hasard ou par accident, mais par l’ordre de la providence divine, qui a fait trouver là ces bergers, et qui leur a envoyé son ange. Sur quoi il faut considérer premièrement que Dieu fait descendre sa grâce non seulement sur les grands et les puissants du monde, mais sur les plus petits et les plus simples, de la même manière que le ciel fait tomber son influence non seulement sur les grands arbres, mais aussi sur les plus menues herbes. Dieu ne rejette pas absolument les grands de la terre ; quand il lui a plu il a appelé les rois et les princes à l’obéissance de la vérité, mais il ne rejette pas les petits. Jésus-Christ qui a écouté favorablement la prière d’un Jaïrus, principal de la synagogue, et d’un seigneur de cour qui lui demandait la guérison de leurs enfants, n’a pas rejeté celle de la pauvre cananéenne, ni repoussé ce misérable aveugle et mendiant qui lui criait : Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi.

Il semble même qu’il a pris beaucoup plus de plaisir à faire sentir sa grâce aux plus petits, qu’à la distribuer aux personnes les plus élevés : Je te rends grâces, ô Père ! Seigneur du ciel et de la terre, disait-il, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux entendus, et que tu les as révélés aux petits enfants. Vous savez, disait l’apôtre aux Corinthiens, que vous n’êtes pas beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de forts, ni beaucoup de nobles. Et on en voit ici un exemple, car pendant que Dieu envoie des mages d’Orient vers Hérode, il envoie un ange du ciel vers les bergers, et les conduits jusqu’au berceau du Sauveur du monde.

Dans cette rencontre d’anges et de bergers vous voyez un caractère perpétuel de l’économie de Jésus-Christ, où les choses les plus hautes et les plus sublimes sont jointes avec les plus viles et les plus basses. En sa personne la Parole éternelle est jointe avec la créature, la nature divine avec l’humaine, la puissance infinie avec l’infirmité, et en un mot le Seigneur de gloire avec le néant. Dans son baptême il est plongé dans l’eau, et le Père lui rend témoignage du ciel ; il est sous la main de Jean-Baptiste, et le Saint Esprit descend sur lui. Dans la tentation il a faim, mais il soutient miraculeusement un jeûne de quarante jours. Le démon le tente, et les anges le servent. Sur la croix il est nu, couronné d’épines, puis exposé aux douleurs ; mais il fait en même temps trembler la terre, éclipser le soleil. Ici de même les anges se trouvent avec les bergers ; les anges pour marque de sa majesté ; les bergers pour marque de son humilité ; les anges, parce qu’il est le Créateur et le Maître de toutes choses ; les bergers, parce qu’il s’est anéanti jusqu’à prendre la forme de serviteur.

Enfin cet envoi des anges vers les bergers a du rapport avec la fin, pour laquelle le Fils de Dieu est venu au monde, car il est venu pour établir le commerce entre Dieu et les hommes, et pour faire la paix des hommes avec les anges. A cela il faut rapporter ce que saint Paul dit, que le bon plaisir du Père a été de réconcilier par lui toutes choses à soi (Colossiens 1.20).

Après cela il faut faire réflexion sur la circonstance du temps marqué par saint Luc, qui dit que les bergers couchaient aux champs, et gardaient les veilles de la nuit. Sur quoi il faut en peu de mots faire la remarque ordinaire, et que, selon toutes les apparences, Jésus-Christ n’est pas né le 25 de décembre, comme l’opinion commune des latins le porte, car ce n’est pas un temps propre pour tenir les troupeaux dans les champs, ni pour garder les veilles de la nuit. Mais il ne faut pas insister sur cela, parce qu’en effet c’est une chose de très petite importance et où il n’y a aucune édification, étant une chose fort indifférente aux chrétiens de savoir précisément en quelle saison de l’année le Sauveur du monde est né.

Il est mieux de remarquer que quand ces bergers s’occupaient à leur vocation, Dieu leur envoya son ange ; et que quelque simple et vile que soit l’emploi des hommes, c’est toujours une chose fort agréable à Dieu qu’ils s’en acquittent en bonne conscience. Dieu qui est le souverain pasteur des hommes, qui les tient sous sa garde de sa providence, faisait à l’égard de ces bergers, ce que ces bergers faisaient à l’égard de leurs brebis, il les gardait, il les avait sous les yeux, et quand il fut temps il leur donna cette grande marque de son amour, en leur envoyant son ange. Il importe beaucoup, tant pour notre consolation, que pour nous contenir dans les bornes de notre devoir, de nous souvenir que cela même que nous sommes dans notre vocation, Dieu l’est au-dessus de nous. Un père appelé à la conduite de sa famille, ne doit pas oublier que Dieu est lui-même son Père ; un magistrat élevé sur un peuple, doit aussi considérer que Dieu est son Magistrat, et ainsi des autres professions. Ce qui d’un côté nous engage à nous bien acquitter de nos emplois, si nous voulons attirer sur nous les soins de la Providence, et de l’autre cette pensée nous console et nous réjouit, car nous sommes assurés que Dieu aura pour nous les mêmes soins, que nous avons pour les choses ou pour les personnes sur lesquelles nous nous employons. Un bon père s’assurera que de la même manière qu’il en use envers ses enfants, Dieu en usera envers lui ; un bon prince la même chose, jusqu’aux conditions les plus basses ; un bon berger prendra la même confiance.

Il faut remarquer l’autre circonstance, qui est que la clarté du Seigneur resplendit autour des bergers. Sur quoi il faut considérer premièrement que quand les anges empruntent des formes humaines pour apparaître aux hommes, comme il y a de l’apparence que celui-ci le fit quand il apparut au berger, ils ont toujours été accompagnés de quelque caractère de grandeur et de majesté, qui marquait que c’était non de simples hommes, mais des anges. Ainsi les anges qui apparurent en la résurrection de Jésus-Christ étaient vêtus de vêtements blancs ; il en fut de même de ceux qui apparurent aux disciples après l’ascension du Seigneur. Et ici l’ange est accompagné d’une grande lumière qui resplendit à l’entour des bergers.

Deuxièmement, cette nuit en laquelle les bergers étaient, et cette lumière qui leur apparut peuvent fort bien être prises pour des symboles mystiques ; car la nuit représentait les hommes dans un état de corruption quand le Fils de Dieu vint au monde, état d’erreur et d’ignorance, de misère et de corruption qui a beaucoup de rapport avec une profonde nuit. D’autre part la lumière représentait la grâce salutaire que Jésus-Christ nous a apportée quand il est venu vers nous. En effet cette grâce a dissipé ces tristes obscurités qui enveloppaient la terre, et au lieu de l’erreur et de l’ignorance où nous étions, nous a donné la véritable connaissance de Dieu ; et au lieu de la misère et de la corruption où nous étions plongés, la sanctification, la joie et l’espérance.

Troisièmement on peut aussi remarquer que l’ange du Seigneur avec la clarté apparut aux bergers, lorsqu’ils ne songeaient à rien moins, et qu’ils ne s’attendaient point à une si grande grâce. C’est ainsi que Dieu en use le plus souvent avec ses enfants, il ordonne ses plus grandes bénédictions lorsqu’il ne s’y attendent pas, et en particulier il est vrai que c’est ainsi que Jésus-Christ a été donné aux hommes lorsqu’ils ne pensaient pas à lui, et que leurs pensées étaient toutes remplies autres objets.

La troisième circonstance que l’Évangile remarque, et que les bergers furent saisis d’une fort grande peur. Premièrement ce fut l’effet de la surprise où il furent. Les grands objets, quand ils se présentent tout d’un coup à nous, ne peuvent que nous donner beaucoup de frayeur et d’étonnement, parce que l’esprit en ces occasions n’a pas la liberté d’user de ses forces ; au contraire ses forces se dissipent, et dans cette dissipation il est impossible que nous ne soyons effrayés.

Deuxièmement cette peur vient aussi des mouvements de la conscience. L’homme est naturellement pécheur, et par conséquent objet de la justice et de la vengeance de Dieu. Quand donc il lui paraît quelque chose d’extraordinaire et de divin, il faut nécessairement qu’il tremble. Pendant que Dieu se manifeste pas à lui, le sentiment de son péché demeure comme assoupi, mais quand Dieu se fait voir à lui, il n’est pas possible que ce sentiment ne se réveille ; c’est comme un criminel qui tremble à l’approche de son juge, ou comme un sujet rebelle qui s’effraie pour la présence de son seigneur irrité. On peut rapporter à cela l’exemple d’Adam, qui après avoir péché s’enfuit et se cacha dès le moment qu’il entendit la voix de Dieu. On peut y rapporter aussi l’exemple des Israélites, qui furent effrayés quand Dieu leur apparut sur la montagne ; et c’est de là même que vient le proverbe qui était entre eux : Nous mourons, car nous avons vu Dieu.

Troisièmement en particulier ils avaient un juste sujet de frayeur, là voyant devant eux un ange du ciel accompagné des enseignes de sa majesté ; car déjà les anges avaient accoutumé d’être les ministres de la vengeance de Dieu sur les hommes, et les exécuteurs de ses jugements. Ils savaient qu’un ange avec une épée de feu avait interdit pour jamais l’entrée du paradis au premier homme, après son péché ; ils avaient ouï parler de ces anges qui firent tomber le feu du ciel sur les cinq villes de la plaine, et qui les réduisirent en cendre ; ils avaient ouï ce que l’ange avait fait dans l’Égypte, lorsqu’il en fit mourir tous les premiers-nés, et ce qu’un autre ange avait fait dans l’armée de s’enquérir, quand en une seule nuit il tua 180 000 hommes. Il ne faut donc pas trouver étrange s’ils sont saisis d’une fort grande peur. Dans cette occasion, ces tristes exemples des vengeances de Dieu que les anges avaient exécutées, leur pouvaient en ce moment revenir devant les yeux, et leur faire appréhender que cet ange n’eût reçu quelque ordre semblable de les détruire.

Mais comme les pensées de Dieu sont fort différentes de celles des hommes, ces pauvres bergers ne demeurèrent pas longtemps en cet état, et la joie succéda bientôt à la peur : N’ayez point de peur leur dit l’ange, voici je vous annonce etc. Agréable surprise ! Bien contraire à celle qui arrivera aux méchants au dernier jour ; quand ils diront paix, paix, alors adviendra la soudaine destruction. Mais ici lorsque les bergers tremblent et sont saisis d’un funeste épouvantement qui leur fait tout appréhender, il leur arrive la plus grande de toutes les joies, la plus sensible de toutes les consolations, la nouvelle de la naissance du Sauveur du monde.

Premièrement l’ange leur dit, n’ayez point de peur, il use de cette préface pour leur rendre l’attention, que la peur avait sans doute presque entièrement dissipée. La peur est une passion qui glace les esprits, qui anéantit les forces de l’âme, et qui enveloppe notre intelligence d’un voile ténébreux, nous rendant incapables ni de rien faire, ni de rien penser. C’est donc pour les faire revenir de cet étourdissement, et pour les remettre en état de bien entendre ce qu’il avait à leur dire, qu’il commence par ces paroles, n’ayez point de peur. Cette disposition où il les met a du rapport avec la nouvelle qu’il avait dessein de leur annoncer ; car comment peut subsister la peur avec la naissance du Sauveur du monde ? Puisque cette naissance est la plus illustre marque du retour de l’amour de Dieu vers les hommes, le fruit de la grande miséricorde, et de la première source de notre salut. Après cette préface l’ange s’acquitte du ministère qui lui avait été commis, il annonce aux bergers cette grande et mystérieuse nouvelle de la naissance du Rédempteur : Voici, leur dit-il, je vous annonce une grande joie, laquelle sera à tout le peuple. C’est qu’aujourd’hui, en la cité de David, le Sauveur vous est né, qui est le Christ, le Seigneur.

D’abord il faut remarquer à la tête de son discours la particule voici, qui est toujours employé dans l’Écriture, pour marquer premièrement la grandeur et l’importance des choses dont il s’agit, deuxièmement pour attirer et arrêter l’attention ; les prophètes s’en étaient déjà servi ; dans un sujet semblable Ésaïe avait dit : Voici, une vierge sera enceinte. Zacharie avait dit : Fille de Sion, voici, ton Roi viendra à toi, étant juste, et qui se garantit de par soi-même, monté sur un âne, sur un ânon, poulain d’une ânesse. Malachie avait dit : Voici, je m’en vais envoyer mon messager, et il accoutrera le chemin devant moi. Il est aisé de remarquer que l’ange ne pouvait jamais mieux se servir de cette particule, que dans cette occasion ; et afin que vous n’en doutiez pas, écoutez la nouvelle qu’il leur annonce : Je vous annonce, leur dit-il, une grande joie. Pour bien examiner ces paroles il faut commencer par la description que l’ange fait de la personne dont il parle. C’est, dit-il, le Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Ensuite, nous verrons ce qu’il en dit, il vous est né, dit-il ; il en marque le temps, aujourd’hui, il désigne le lieu, en la cité de David. Et enfin il spécifie de quelle nature est cette importante nouvelle : c’est, dit-il, une grande joie laquelle sera à tout le peuple.

Par ces trois titres qu’il lui donne, il est évident qu’il veut désigner la personne du Messie, que tant d’oracles avait prédite, que tant de prophètes avait promise, et que tant de figures avait représentée. Ce Messie, dis-je, qui depuis si longtemps était l’attente de tous les fidèles, l’objet des désirs et de l’espérance de cette Église, celui après lequel, tout ce que Dieu avait alors de serviteurs sur la terre soupiraient incessamment. Le Sauveur, dit-il, le Christ, le Seigneur, c’est-à-dire, celui de la main de qui vous attendez votre délivrance et votre salut, le véritable Oint de Dieu, le grand et unique Roi et Sacrificateur de l’Église, souverain Maître de toutes choses. Par ces noms il ramène devant leurs yeux tout ce que l’ancienne Écriture avait de plus mystérieux, tout ce que la religion avait de plus solennel, il réveille leur conscience et touche leur cœur par l’endroit le plus tendre et le plus sensible, et sur lequel il n’avait pas besoin d’une grande préparation. Pour dire quelque chose en peu de mots sur chacun de ces titres, le Messie est appelé le Sauveur, non d’un salut temporel, comme Josué le fut parmi les Juifs, Marcellus parmi les Grecs, mais d’un salut céleste et éternel. Un véritable salut regarde non seulement le corps, mais le corps et l’âme, non cette vie, mais la vie à venir. C’est ce Nom qui distingue son Évangile d’avec la parole de Moïse ; car Moïse promettait bien la vie : Fais ces choses, dit-il, et tu vivras, mais il ne promettait pas le salut, car la loi avec tous ses sacrifices et ses remèdes ne pouvaient jamais délivrer les hommes de la servitude du péché, et de la mort dans laquelle ils étaient ; au lieu que Jésus-Christ nous a véritablement sauvés, c’est-à-dire, nous a retirés de l’abîme de l’enfer, et de la malédiction sous laquelle nous étions, pour nous donner sa gloire et son immortalité.

Il est appelé de ce nom de Christ, terme qui, comme vous savez, signifie Oint, et qui répond à celui de Messie dont les Hébreux se servaient. Et en effet Jésus est le véritable oint de Dieu, et qui rassemble en soi tout ce que les différentes onctions anciennes avaient de plus efficace et de plus mystérieux. Ce n’est pas d’une huile matérielle dont il est oint, mais d’une huile mystique, étant rempli des grâces du Saint Esprit, et revêtu d’une dignité et d’une autorité souveraine sur toutes les créatures, souverain Prophète, souverain Sacrificateur, souverain Roi de son Église.

Et quant à l’autre titre qu’il lui donne qui est celui de Seigneur, c’est le nom dont les Septante interprètes dans la traduction de la Bible s’étaient servis, pour représenter le nom ineffable de Dieu que nous avons marqué dans nos versions par celui d’Éternel. Et ce n’est pas sans raison que dans le Nouveau Testament ce nom de Seigneur est principalement donné à notre Seigneur Jésus-Christ ; c’est pour nous apprendre qu’il est essentiellement ce même Dieu, ce même Éternel que l’ancien peuple d’Israël avait adoré. Le Seigneur, c’est-à-dire, celui qui venait renverser l’empire tyrannique du démon, et établir sa domination naturelle et légitime parmi les hommes. Véritable Seigneur, si vous avez égard à la justice de ses droits ; car à qui le monde peut-il plus légitimement appartenir, qu’à celui qui l’a créé, et de qui peut être l’Église, si ce n’est de celui qui l’a rachetée ? Véritable Seigneur, si vous avez égard à l’étendue de sa domination, car il règne depuis l’Orient jusqu’à l’Occident, depuis un bout du monde jusqu’à l’autre. Véritable Seigneur, si vous avez égard à la puissance avec laquelle il gouverne son empire, et à l’obéissance qu’il tire de toutes les créatures ; car toutes choses lui sont soumises au ciel et sur la terre, et il n’y a créature aucune qui puisse résister à sa volonté. Véritable Seigneur, si vous avez égard à la fin de son règne, qui n’est que grâce, paix et bénédiction. Car le démon qui avait jusqu’alors possédé le monde pouvait bien en être appelé le tyran et l’usurpateur, mais il n’en pouvait pas être appelé le Seigneur, non seulement parce qu’il n’en était pas le maître légitime, mais aussi parce que la fin de sa domination n’était que la mort, la désolation et la ruine des créatures.

Après avoir considéré ces trois titres premièrement en gros et en général, deuxièmement chacun en particulier, on peut aussi, troisièmement, les considérer dans la vue de la comparaison. Cette comparaison se peut faire en trois manières, 1° en les comparant l’un avec l’autre, 2° en les comparant avec les autres parties du texte, 3° en les comparant avec les paroles suivantes qui ne sont pas de notre texte.

Dans la première vue, on peut dire que l’ange a voulu premièrement donner aux bergers l’idée des biens qu’ils devaient attendre du Messie ; et que c’est pour cela qu’il a commencé par le titre de Sauveur, afin de les toucher par leur propre intérêt, et par le plus grand de tous les intérêts. Ensuite pour affermir sur ce point-là leur espérance, il les a élevés jusqu’au principe d’où ce Sauveur nous vient, à savoir, la miséricorde de Dieu qui nous l’envoie, et c’est pour cela qu’il dit que c’est le Christ, c’est-à-dire, le Messie promis. Enfin il a voulu leur mettre devant les yeux le respect profond, avec lequel les hommes le doivent recevoir, les avertissant qu’il est le souverain Seigneur. Dans le titre de Sauveur, il marque la fin pour laquelle il vient au monde ; dans celui de Christ, il marque le droit qu’il a d’entreprendre une si grande œuvre, à savoir la mission du Père qui l’a oint pour cela ; et dans celui de Seigneur, il marque la puissance souveraine avec laquelle il exécute heureusement la charge que le Père lui a commise.

Comparant ensuite ces trois titres avec les autres parties du texte, on peut dire qu’il l’appelle le Sauveur, pour justifier cette grande joie qu’il a dit qu’il leur annonce ; qu’il l’appelle le Christ, le Messie promis, le Fils de Dieu, par rapport à ce qu’il dit, il est né en la cité de David ; et qu’il l’appelle le Seigneur, pour rendre en quelque manière la raison de ce que c’est un ange qui le leur annonce ; comme s’il disait, je vous l’annonce, parce que c’est le Seigneur de vous et de nous.

Dans la troisième comparaison, on peut dire qu’il appelle le Sauveur, le Christ, le Seigneur, afin de prémunir les bergers contre le scandale qu’il pouvait prendre de ce qu’il allait leur dire, à savoir qu’ils trouveraient le petit enfant emmailloté et gisant dans une crèche ; comme s’il eût dit, ne vous arrêtez pas à ces tristes apparences, celui que vous verrez dans le berceau, dans ces langes, et dans cette crèche, est le Rédempteur du monde, le véritable Oint de Dieu, le Maître de tout l’univers.

Ce Sauveur, ce Christ, ce Seigneur vous est né, dit l’ange. Dans cette naissance il faut considérer premièrement, que le Fils de Dieu a voulu pour l’amour de nous se faire Fils de l’homme, participer à notre chair et à notre sang, et en un mot être fait semblable à nous en toutes choses hormis le péché. C’est ce grand mystère que les évangélistes et les apôtres ont proposé, et que la sagesse divine avait-elle même si souvent marqué dans les écrits des prophètes. La parole, dit saint Jean, a été faite chair, et a habité entre nous. Quand l’accomplissement des temps est venu, dit saint Paul, Dieu a envoyé son Fils fait de femme, et fait sujet à la loi. Dans un autre endroit, le secret de piété est grand, Dieu manifesté en chair. Et ailleurs : Il n’a pas pris les anges, mais il a pris la semence d’Abraham. Comme les enfants participent à la chair et au sang, il a voulu aussi participer aux mêmes choses. Mystère ineffable ! où l’on voit deux natures, la divine et l’humaine unies ensemble en une même personne. Économie étonnante ! où le Créateur devient créature, où le Père d’éternité se voit soumis aux révolutions du temps, où le Maître du monde, celui qui ne répute point rapine d’être égal à Dieu, se revêt de la forme de serviteur fait à la semblance des hommes. Je ne sais ce que nous devons plutôt admirer, ou de voir le Seigneur de gloire couvert de cet opprobre, le ciel descendu par manière de dire de sa place pour s’associer avec la terre, le premier de tous les êtres allié avec le néant, ou de voir le néant élevé à la participation d’une majesté infinie, la terre, la chair et le sang montés sur un trône éternel, pour y régner au-dessus des anges, une poignée de poudre qui devient l’objet de l’adoration de toutes les créatures.

La seconde réflexion qu’il faut faire, c’est que non seulement le Fils de Dieu a voulu prendre notre nature, mais que même il a voulu passer par toutes les faiblesses auxquelles le reste des hommes est sujet. Il a voulu bégayer dans un berceau, souffrir les infirmités de l’enfance, et venir au monde par les voies ordinaires de la naissance. Quand Dieu créa le premier Adam, il le créa dans un âge parfait ; mais le second Adam n’a pas eu cet avantage, il a voulu être conçu dans le sein d’une mère, il a voulu naître petit enfant. Les raisons de cette dispensation sont prises, 1° de la parfaite conformité qu’il a voulu avoir avec le reste des hommes, il a voulu non seulement être leur frère et leur compatriote, non seulement être sujet à toutes les infirmités qui accompagnent leur vie, mais il a voulu aussi participer à leur enfance, afin d’avoir une plus grande communion avec nous. 2° Dieu a voulu par ce moyen accomplir ce qu’il avait déclaré autrefois par ses oracles, et ce qu’il avait promis aux patriarches. Il avait dit dès le commencement, que la semence de la femme briserait la tête du serpent. Il avait dit par son prophète Ésaïe : L’enfant nous est né, le Fils nous a été donné. Il avait promis à David que le Messie serait son Fils. Il fallait donc pour remplir ses oracles et ses promesses, non seulement qu’il fut immédiatement créé de Dieu, comme Adam, mais qu’il fut conçu et prit naissance comme le reste des hommes.

La troisième réflexion qu’il faut faire, et que le Messie n’est pas né pour soi-même : Il vous est né dit l’ange ; ce qui se rapporte à peu près aux paroles d’Ésaïe que nous venons d’alléguer, l’enfant nous est né, etc. S’il s’agissait d’un autre homme, je ne trouverais pas étrange cette expression. Nul ne vient au monde pour soi-même ; nous sommes à Dieu ; nous sommes aux lois ; nous sommes à la patrie ; nous sommes à nos pères ; nous sommes à nos prochains. Nul de nous n’est indépendant. Nul de nous n’a un droit souverain et absolu sur soi-même. De sorte que quand nous naissons, les lois, la république, nos parents, nos prochains peuvent dire, il nous est né. Mais il n’en est pas de même de Jésus-Christ, lui qui est Dieu béni éternellement, égal et coessentiel à son Père, il ne se doit à personne ; il a un droit souverain et absolu sur soi-même. Comment donc l’ange dit-il maintenant : Il vous est né ? je réponds, que comme la naissance de Jésus-Christ est un fruit, non de la nature, mais de la grâce, l’ange a dû ici parler dans les termes de la grâce, et non de la nature. La nature l’a fait indépendant et maître de soi-même mais la grâce nous le donne. La nature nous fait être siens ; mais la grâce le fait être à nous ; c’est son économie volontaire et son amour qui nous le donne. Il nous est né, parce que sa naissance même et son incarnation n’a été destinée que pour notre salut.

La quatrième réflexion est que l’ange ne dit pas, il nous est né, mais il vous est né ; ce qui nous enseigne la même vérité que saint Paul a remarquée dans son Épître aux Hébreux, qui est que le Fils de Dieu n’a pas pris les anges, mais la semence d’Abraham. En effet Jésus-Christ est bien le Seigneur des anges, mais il n’en est pas le Sauveur ; les anges le servent, mais il ne sert pas les anges. Car quant à ceux qui ont gardé leur origine, n’ayant pas de péché, ils n’ont pas besoin de Médiateur. Et quant aux autres qui sont tombés dans la rébellion, Dieu ne s’est pas tourné de leur côté, pour leur procurer aucune réconciliation. Leur chute est sans retour et sans espérance ; il n’est donc pas né pour les anges, mais pour nous.

Après cela l’ange marque le temps de cette heureuse naissance, aujourd’hui, dit-il, il vous est né. Il ne faut pas ici se jeter dans des recherches curieuses et inutiles de l’année, du mois et du jour auquel le Sauveur du monde est né : l’Écriture a gardé sur cela un profond silence que nous devons respecter. D’ailleurs il y a un si grand embarras à vouloir précisément déterminer ce temps, qu’après s’être fort fatigué on est contraint de reconnaître, qu’il n’est pas possible d’en venir à bout. Et enfin de quelle nécessité sont ces recherches, et quels fruits et quelle édification en peut-on tirer ? Il suffit de savoir :

1. Que Jésus-Christ naquit sous l’empire de César Auguste, dans un temps où toute la terre possédait une paix profonde, un peu avant la mort du grand Hérode.

2. Il est venu précisément au monde dans le temps que les oracles avaient marqué, c’est-à-dire peu avant que le sceptre se départit de Juda, et que le législateur fut ôté d’entre ses pieds, selon la prédiction de Jacob ; dans cette période de temps qui coula entre le retour des Juifs de la captivité de Babylone et leur troisième captivité, peu de temps avant la destruction de la ville de Jérusalem et de toute la Judée par les armes des Romains, selon qu’il avait été prédit par le prophète Daniel.

3. Que Dieu accomplit fidèlement les promesses qu’il en avait faites, dans un temps auquel il semblait qu’il ne dût plus se souvenir des hommes, ni être touché pour eux d’aucune compassion, car il est vrai que quand le Seigneur vint au monde, il n’y avait presque plus ni foi, ni piété, ni sainteté sur la terre. La superstition et les erreurs régnaient paisiblement sur toutes les nations, le démon semblait avoir affermi pour jamais son empire au milieu des peuples. Les Samaritains qui étaient les frères des Juifs selon la chair, vivait dans un schisme déplorable depuis longtemps. Ce peu qui leur restait de la religion mosaïque était enseveli dans une ignorance crasse, et dans des erreurs grossières. Et quant au peuple des Juifs, qui ne sait qu’il n’y avait presque rien d’entier au milieu d’eux. Ce n’était plus que fausses traditions, que dépravations horribles, intrigues mondaines, que mœurs sales et scandaleuses. Là régnaient l’hypocrisie des Pharisiens, la fierté des sacrificateurs, l’impiété des Sadducéens, l’avarice des péagers, la débauche des Hérodiens. Le sens de la loi était gâté par mille fausses gloses ; la religion avait perdu toute son efficace ; le temple était profané par des vendeurs et des acheteurs ; le souverain sacerdoce même était entré dans le commerce, et les Romains le donnaient à qui il leur plaisait, le plus souvent à des garnements et à des scélérats, qui sous la dignité de la tiare cachaient mille crimes et mille impiétés. Cependant dans un temps si malheureux, si digne de l’aversion de Dieu, il se souvint de ses promesses, il se réveilla et envoya son Bien-aimé dans le monde.

On a fait autrefois une question que saint Augustin traite en quelque endroit de ses œuvres, à savoir pourquoi Dieu avait différé l’envoi de Jésus-Christ au monde jusqu’à la fin des siècles ? Pourquoi ne l’avait-il pas plus tôt envoyé, immédiatement après la chute du premier homme ? Cette question est trop curieuse, car n’eût-on pas pu demander de même, si cet envoi eût été prématuré, pourquoi Dieu ne l’avait pas différé jusqu’à la fin des siècles ? Je sais qu’on pourrait alléguer plusieurs raisons de cette dispensation de la sagesse divine ; comme que Dieu a voulu laisser les hommes durant plusieurs siècles dans l’état de leurs péchés, afin qu’ils sentissent mieux la nécessité de la grâce, et qu’ils pussent mieux reconnaître la grandeur de leur misère, par la grandeur des désordres où leurs péchés les avaient mis ; qu’il a voulu laisser couler plusieurs siècles, afin de donner lieu aux préparations qui devaient précéder le Messie, et mettre les hommes en état de le recevoir. Mais que sert-il de chercher des raisons en une chose, qui a dépendu purement et absolument du bon plaisir et de la volonté de Dieu ? Il a fait venir son Fils au monde quand il lui a plu, et cela doit suffire sans pénétrer plus avant. Il est le Maître des temps et des saisons, et il les a réservés en sa propre puissance. C’est assez de savoir que les temps des événements sont marqués dans les décrets éternels, et que les choses ne manquent pas d’arriver selon que Dieu les a déterminés.

Quant au lieu de la naissance de Jésus-Christ, l’ange le marque expressément : En la cité de David, dit-il. Vous savez que cette cité de David est Bethléem, appelé cité de David, parce que David lui-même y était né, comme nous l’apprenons de son histoire. Le prophète Michée avait déjà des longtemps auparavant marqué ce lieu la pour la naissance du Messie : Toi, Bethléem terre de Juda, tu n’es nullement la plus petite entre les gouverneurs de Juda ; car de toi sortira le conducteur qui paîtra mon peuple Israël. Et la sagesse divine voulut tellement conduire les choses que par cette naissance du Seigneur en Bethléem il parut manifestement qu’il était de la famille et de la postérité de David. Car l’empereur Auguste ayant fait un édit qui ordonnait que tous les Juifs fussent dénombrés, les personnes qui composaient ce grand peuple furent obligées pour satisfaire à son ordonnance, de se rendre chacune dans les lieux dont elles étaient originaires, afin d’être dénombrées chacune dans sa famille. Ainsi cela même que Joseph et Marie se rendirent à Bethléem, c’est une marque assez évidente qu’ils étaient de la postérité de David, puisque ce fut uniquement cette raison qui les y fit aller.

Mais s’il n’est pas nécessaire d’insister davantage sur le lieu, ce qui nous reste de plus important, est de considérer la qualité de cette grande nouvelle. Je vous annonce, dit l’ange, une grande joie, laquelle sera à tout le peuple. La joie est le premier fruit de l’entrée de Jésus-Christ au monde, témoin Jean-Baptiste, lequel étant encore dans le sein de sa mère Élisabeth, tressaillit de joie à l’approche du divin enfant que Marie avait conçu. Mais cette joie n’est pas d’un ou de deux, de Jean-Baptiste ou d’Élisabeth seulement ; c’est une joie publique, la joie de tout le peuple, dit l’ange. Ce n’est pas même une joie ordinaire ou médiocre, c’est une grande joie, le plus grand de tous les biens qui pouvait arriver à l’Église, la première et la plus illustre de toutes les bénédictions de Dieu.

Pour vous le faire bien connaître, permettez-nous que quittant l’explication de ce texte et laissant désormais à part l’ange et les bergers, dont nous avons déjà parlé, nous nous tournions vers vous-même pour vous faire bien sentir la grandeur de cette joie, que nous devons avoir au souvenir de la naissance de Jésus-Christ.

Là on doit commencer une vive exhortation à la joie, et cette exhortation doit être prise des motifs qui nous y doivent porter, lesquels seront pris, autant qu’il se pourra, des termes du texte, à savoir de ce qu’il est le Sauveur, de ce qu’il est le Christ, de ce qui est le Seigneur de ce qu’après avoir été attendu pendant un si long temps, à la fin il est venu, de ce qu’il est né pour nous, de l’intérêt que nous y avons par-dessus les anges, les témoignages d’amour qu’il nous a voulu donner dans les faiblesses même de sa naissance. On peut ensuite comparer son premier avènement avec le dernier, et disposer les auditeurs à sentir encore un jour une plus grande joie, quand il viendra pour nous réveiller du sommeil de la mort, et pour mettre la dernière main à l’œuvre de notre rédemption. Alors il paraîtra comme un véritable Sauveur, quand il achèvera le salut de ses fidèles. Il paraîtra comme leur véritable Christ, car il achèvera l’œuvre de son onction, et nous fera nous-mêmes rois et sacrificateurs à Dieu son Père. Il paraîtra comme véritable Seigneur, car toutes choses lui seront assujetties. Il triomphera de tous nos ennemis ; il engloutira la mort en victoire ; il nous élèvera dans la possession de la gloire éternelle.

Expressions particulières à l’Écriture.

Après avoir parlé des termes simples, il faut maintenant dire quelque chose de ces expressions qui sont particulières à l’Écriture, et qui, tant pour cela même qu’elles sont particulières, que parce qu’aussi elles contiennent un grand sens, méritent d’être expliquées et traitées avec quelque insistance. Je mets en ce rang ces façons de parler : être en Jésus-Christ, venir à Jésus-Christ, venir après Jésus-Christ, vivre en la chair, vivre selon la chair, de foi en foi, de gloire en gloire, cheminer selon la chair, cheminer selon l’Esprit, le vieil homme, le nouvel homme, Jésus-Christ vit en nous, vivre à Jésus-Christ, vivre à nous-mêmes, mourir au monde, mourir à nous-mêmes, être crucifié au monde, le monde être crucifié à nous, Jésus-Christ a été fait péché pour nous, nous sommes faits justice de Dieu en lui, mourir au péché, vivre à la justice, Jésus-Christ mortifié en chair, vivifié en Esprit, éteindre le Saint Esprit, contrister le Saint Esprit, résister au Saint Esprit, pécher contre le Saint Esprit, etc..

Et je ne sais combien d’autres expressions semblables qui ne se trouvent presque que dans l’Écriture.

Lorsque quelqu’une de ces façons de parler se présente, il ne faut pas passer légèrement, mais il la faut expliquer et en tirer le suc et la substance. Pour cet effet il serait bon qu’un jeune homme en fît un recueil assez exact, et qu’il eût devant les yeux le sens de chacune ; ce qui mériterait bien un traité particulier. Je donnerai ici un exemple de la manière dont il faut traiter ces sortes d’expression. Car si on avait à prêcher sur ces paroles : Quiconque veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même et charge sur soi sa croix pour suivre Jésus-Christ ; il me semble qu’il ne serait pas mal de diviser l’action en deux parties. Dans la première on traiterait les expressions dont Jésus se sert, à savoir, venir après lui, renoncer à soi-même, charger sur soi sa croix, et dans la seconde on examinerait le sens entier de toute la proposition du Sauveur.

Pour commencer donc par l’explication de chacune de ces expressions, venir après Jésus-Christ ne signifie autre chose, si ce n’est être son disciple, le prendre pour la règle et le modèle de sa conduite, en un mot faire profession de le reconnaître pour Chef et pour Maître, pour souverain Prophète et Docteur, pour Patron et Exemplaire. Et pour réduire en quelque ordre toutes les idées qui sont contenues en cette expression on les peut rapporter à ces quatre.

La première est que nous tirions de lui et de son instruction toutes nos lumières et nos connaissances, comme de celui qui nous parle de la part de Dieu, et que Dieu nous commande d’écouter, sur quoi l’on peut rapporter l’oracle de Moïse, l’Éternel vous suscitera un prophète tel que moi d’entre vos frères, vous l’écouterez. Et la voix qui fut entendue dans la transfiguration de Jésus-Christ : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le. Et parce que c’est l’ordinaire des disciples de se ranger auprès de leurs maîtres et d’aller après lui, le Seigneur exprime cette instruction par le terme de venir après lui.

La seconde est que nous lui rendions toute sorte de service et d’obéissance comme à notre souverain Seigneur. Car c’est l’ordinaire des serviteurs de marcher après leur maître et de ne s’éloigner pas de leur présence, afin d’être prêt à recevoir leurs ordres, et à s’employer de tout leur pouvoir à l’avancement de leurs intérêts. C’est à quoi la profession chrétienne nous engage à l’égard de Jésus-Christ, nous obligeant de le reconnaître comme notre souverain Roi, et à avoir sans cesse sa gloire et son service devant les yeux. A cela on peut rapporter le titre que saint Paul et les autres apôtres se donnent de serviteur de Jésus-Christ, au même sens que Moïse est appelé serviteur de Dieu, c’est-à-dire son ministre et son officier, qui agissait par ses ordres, et ce que tous les fidèles sont appelés les serviteurs de Jésus-Christ, là où je vais, là aussi sera celui qui me sert.

La troisième que nous concourions avec lui et sous lui à un même dessein, à une même œuvre, de la même manière que les officiers subalternes et les soldats dans une armée marchent après leur général, concourant avec lui et sous lui à la gloire du roi qu’ils servent les uns et les autres. C’est encore à quoi nous engage la profession chrétienne où Jésus-Christ est considéré comme le chef de la guerre mystique que nous avons contre les ennemis de Dieu, pour détruire l’empire de Satan et du péché, et rétablir celui du Créateur.

La quatrième est que nous imitions ces grands et admirables exemples de vertu qu’il nous a laissé et en sa vie et en sa mort, avec espérance qu’en marchant sur ses traces nous serons un jour participants avec lui d’une même gloire. Car il est assez ordinaire de dire que nous allons après quelqu’un, ou que nous suivons le même chemin que lui, ou que nous allons sur ses pas, lorsque nous nous le proposons comme un exemplaire que nous voulons imiter.

On pourrait y ajouter une cinquième idée, qui est celle d’attendre et de recevoir les grâces de Jésus-Christ. Car il est assez ordinaire dans le monde, que les pauvres et les misérables marchent après ceux de qui ils attendent des faveurs. Les fidèles donc sont représentés comme des hommes qui reconnaissant leur naturelle indigence, suivent Jésus-Christ, afin de puiser de sa plénitude grâce sur grâce.

Renoncer à soi-même, est une de ces expressions si particulières à l’Évangile qu’elle semble choquer la raison et la nature, et suppose une chose, ou difficile, ou absolument impossible, ou du moins extrêmement criminelle. Car qui a jamais ouï parler de renoncer à soi-même ? Pouvons-nous nous séparer ou nous diviser de nous-mêmes ? Pouvons nous éteindre cet amour ardent que la nature nous a donné pour nous-mêmes ; et ceux qui tombent dans cette extrémité que de se haïr soi-même ne sont-ils pas justement regardés comme des personnes que la fureur et la rage a subjugués ? Cependant il est certain qu’il n’y a rien de plus simple, rien de plus nécessaire, rien de plus juste, que ce renoncement à soi-même, que Jésus-Christ nous ordonne ici. Car il ne nous ordonne pas, ni de nous diviser de nous-mêmes, ni de nous haïr nous-mêmes, ce qui serait criminel ou impossible, mais il nous ordonne :

1. En général de renoncer à tout ce qu’il y a en nous d’excessif, de vicieux et de déréglé ; et il appelle cela, nous-mêmes, car la corruption nous est devenue comme naturelle, puisque nous n’avons été conçus en péché et échauffés en iniquité. Et en effet bien que le vice, l’erreur, et les excès soient nos plus grands ennemis, si est-ce que nous les distinguons pas de nous-mêmes, les regardant comme nos plus chers et nos plus essentiels intérêts. C’est pourquoi ailleurs l’Écriture veut que nous soyons faits de nouvelles créatures et transformés en hommes nouveaux, parce que la conversion nous fait tout autre que nous n’étions auparavant.

2. Il nous ordonne en particulier de renoncer à cet amour violent, immodéré, et infini que l’homme dans l’état de corruption a pour soi-même, faisant de l’amour propre son particulier et principal principe ; et en un mot étant Dieu à soi-même. Jésus-Christ veut donc que nous nous aimions mais d’un amour qui soit subalterne à celui que nous devons à Dieu, lequel il faut aimer sur toutes choses, et plus que nous-mêmes.

3. Il veut que nous corrigions et changions la nature même de cet amour que nous avons accoutumé de nous porter. Car au lieu de nous attacher à la recherche des plaisirs ordinaires, des intérêts temporels, et de tout ce qui peut flatter nos sens et nos passions, il veut que nous nous aimions d’un amour plus véritable et plus solide, par la recherche des biens spirituels qui regardent l’âme et non le corps, la vie à venir et non celle qui ne fait que passer. Or il appelle cela renoncer à soi-même, parce que dans le sentiment d’un homme pécheur et mondain, choquer ce faux amour qui regarde les intérêts temporels, c’est se choquer et se détruire soi-même.

4. Il nous ordonne de renoncer à cette fausse et perverse prétention que tous les pécheurs ont, qu’ils sont les maîtres d’eux- même, que nul n’a plus de droit sur eux qu’eux-mêmes, et que c’est précisément à eux-mêmes qu’appartient la disposition de leurs actions, de leurs pensées, et de leurs paroles. Le Sauveur veut qu’en renonçant à cette injuste et folle prétention, nous nous soumettions au gouvernement et à la direction de Dieu, mettant notre confiance sous la conduite de sa sagesse, et le faisant régner dans nos cœurs par son Esprit et par sa Parole.

Charger sa croix, c’est une expression consacrée par Jésus-Christ qui n’est que du style de son Évangile. Elle signifie deux choses : la première est la croix mystique de la conversion, et la seconde la croix des afflictions. Or la conversion est appelée dans l’Écriture une croix, tant parce que nous faisons mourir au-dedans de nous-mêmes le péché et les convoitises charnelles que l’Écriture appelle crucifier le vieil homme, parce que cette mort de nos convoitises ne se fait qu’avec des douleurs sensibles et violentes, et avec des combats qui ne ressemblent pas mal à ce que la nature souffre lorsqu’elle sent la dissolution du corps et de l’âme ; et parce qu’aussi comme les crucifiés devenaient l’objet de l’opprobre et de l’horreur de tout le monde, pour avoir mérité un supplice si ignominieux, de même dans la conversion, nos convoitises que nous crucifions, nous deviennent un objet de mépris, d’aversion et d’horreur. Quant aux afflictions elles sont appelées fort justement, une croix, non seulement parce que la nature y souffre d’étranges douleurs, mais aussi parce que par ce moyen nous devenons l’horreur et l’opprobre du monde, qui n’a jamais plus d’aversion pour l’Évangile et pour les personnes qui le professent, que quand ils les voit persécutées.

Enfin suivre Jésus-Christ, c’est être son disciple, croire sa doctrine, approuver ses maximes, être persuadé de la vérité de ses mystères et de la sainteté de ses lois. Le suivre c’est l’imiter, se le proposer dans toute la conduite de la vie pour Exemplaire et pour Patron, marcher par le même chemin que lui, pour parvenir à la communion de sa gloire. Le reconnaître pour Maître et Seigneur, obéir à ses ordres, etc. En un mot c’est la même chose que nous avons déjà expliquée, à savoir, venir après lui.

Voilà la première partie. La seconde consiste à considérer le sens entier de toute la proposition de Jésus-Christ. Il veut dire donc que pour être vraiment du nombre de ses fidèles et de ses disciples, il faut se soumettre à deux conditions, l’une est la sanctification, et l’autre, l’affliction. Quant à la sanctification, il faut entrer dans la chose même, et faire savoir comment il est impossible d’appartenir à Jésus-Christ que l’on ne se résolve à changer entièrement de vie, et à abandonner sa première manière d’agir. La grâce salutaire, dit saint Paul, est clairement apparue nous enseignant qu’en renonçant au péché et aux mondaines convoitises, nous vivions en ce présent siècle sobrement, justement et religieusement, attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire du grand Dieu, qui est notre Sauveur, Jésus-Christ. Où il faut remarquer trois choses, la grâce, la sainteté et la gloire ; mais il faut bien prendre garde que la grâce ne conduit à la gloire que par le moyen de la sainteté. Si vous ôtez ce milieu, la grâce et la gloire ne seront plus jointes ensemble. C’est pourquoi l’apôtre ne dit pas que la grâce salutaire nous est donnée afin que nous ayons part à la glorieuse apparition etc. Mais qu’elle nous est donnée afin qu’en renonçant au péché et aux mondaines convoitises, nous vivions en ce présent siècle sobrement, justement et religieusement. Attendant la bienheureuse espérance et l’apparition glorieuse du grand Dieu, qui est notre Sauveur Jésus-Christ. La gloire vient de la grâce il est vrai, mais ce ne peut être que par l’intervention de la sainteté. On peut aussi alléguer sur ce sujet les raisons pour lesquelles Jésus-Christ est venu non seulement pour détruire le péché, en tant qu’il nous oblige aux peines éternelles, mais aussi en tant que péché, et faire voir comment il importe pour la gloire du Père et pour la sienne, et pour la solidité et la plénitude de son salut, que ses vrais fidèles soient sanctifiés.

Quant aux afflictions, on peut traiter deux choses. Premièrement la vérité de ce fait, que les vrais fidèles sont exposés aux afflictions du monde. Deuxièmement les raisons qui meuvent la sagesse divine à soumettre les fidèles à ces épreuves. Pour la vérité du fait, elle résulte de l’exemple de tous les grands serviteurs de Dieu, qui ont été jusqu’à présent au monde, comme d’un Noé, d’un Abraham, d’un Lot, d’un Moïse, d’un saint Paul, et des autres apôtres de Jésus-Christ. Troisièmement elle résulte de l’histoire de l’Église qui s’est toujours nourrie et accrue dans les afflictions, figurée à cet égard par le buisson ardent qui apparut à Moïse, et par la nacelle où Jésus-Christ et ses apôtres entraient souvent, laquelle était agitée des flots, et exposée à la violence des vents et de l’orage.

Les raisons pour lesquelles la providence divine en use de la sorte, doivent être prises du lieu commun des afflictions, et pour en marquer ici quelques-unes :

1. C’est par ce moyen que Dieu réprime le mouvement impétueux de nos passions, lesquelles dans la prospérité deviennent indociles et farouches, au lieu qu’elles se calment dans l’affliction, sur quoi l’on peut alléguer l’exemple des abeilles qui se tiennent en repos durant le mauvais temps, et qui au retour du soleil sortent de leurs ruches, et mènent beaucoup de bruit. La comparaison aussi des serpents qui semblent morts et privés de sentiments durant la rigueur de l’hiver, mais qui s’élancent et deviennent fiers dès qu’ils sentent la chaleur.

2. Par le moyen des afflictions Dieu donne de l’exercice à nos vertus, à notre foi, à notre patience, à notre prière, etc. A quoi l’on peut appliquer la comparaison de l’encens qui jette son odeur lorsqu’il est mis dans le feu.

3. En particulier Dieu nous détache du monde par le moyen des afflictions. Car il n’y a rien qui nous en fasse mieux connaître la vanité, il n’y a rien qui nous le fasse plus mépriser que quand nous voyons ses biens qui sont mêlés avec tant d’amertume. En même temps aussi Dieu nous élève par les afflictions à l’espérance de cette vie meilleure qu’il nous a préparée ; car il n’y a rien qui nous en donne plus de désir que le sentiment des angoisses que nous avons à souffrir ici-bas. La chair et l’esprit sont en nous comme les deux plateaux d’une balance, à mesure que l’un est abaissé l’autre s’élève, et ce que l’un perd l’autre le gagne.

4. Dieu par ce moyen relève la gloire de cette admirable providence qui nous gouverne. Car si toutes choses dans le monde nous étaient favorables, la conservation de l’Église ne serait point une grande merveille. Mais qu’il plaise à Dieu de nous conserver au milieu des contradictions du siècle, et de nous faire subsister parmi les tempêtes continuelles, c’est là que paraît avec éclat sa puissance infinie et sa sagesse ; comme ces mêmes vertus parurent dans le passage qu’il donna aux Israélites au travers de la mer Rouge, et dans la conservation qu’il en fit au désert, et comme elles parurent aussi quand il conserva les trois enfants dans la fournaise de Babylone. L’Église est un flambeau que Dieu tient allumé au milieu d’un air orageux ; les vents soufflent contre elle de toutes parts, mais au lieu de l’éteindre ils ne font qu’augmenter sa lumière.

5. Les afflictions sont un honneur particulier que Dieu nous fait de nous faire marcher sur les traces de Jésus-Christ, et de nous rendre conformes à ce divin Chef. C’est encore un honneur qu’il nous fait de nous choisir pour soutenir sa querelle, et pour sceller par nos souffrances la vérité et la sainteté de son Évangile. Par ces raisons et plusieurs autres semblables on peut mettre en avant, il paraît que c’est avec juste sujet que Jésus-Christ nous a appelé aux afflictions, et qui les a jointes à la possession du vrai christianisme.

Cas où il faut concentrer l’explication sur un terme syncatégorique.

Nous avons dit ci-dessus qu’outre les termes simples et les expressions singulières qui sont propres à l’Écriture, il y avait aussi quelques fois dans les textes des particules qu’on appelle syncatégoriques qui servent ou à l’augmentation, ou à la limitation du sens de la proposition, comme le mot, tant, dans ce passage : Dieu a tant aimé le monde. Le mot de maintenant dans celui de Romains 8.1 : Ainsi donc maintenant il n’y a nulle condamnation à ceux qui sont en Jésus-Christ, et plusieurs autres de cette sorte. Il est certain que quand ces termes se rencontrent il les faut examiner. Quelquefois toute la force de l’explication, ou au moins la plus grande partie tombe sur ces particules ; et on l’a déjà remarqué dans ce passage, Dieu a tant aimé le monde. Car le principal de l’explication qu’on doit faire de l’amour de Dieu doit consister à en faire voir la grandeur, exprimée par le terme de tant. Il en est de même de cet autre passage, ainsi donc maintenant il n’y a nulle condamnation à ceux qui sont en Jésus-Christ, car ce maintenant signifie que c’est une conclusion tirée de la doctrine de la justification, que l’apôtre a enseignée dans les chapitres précédents ; et c’est autant que s’il disait, que de ces principes qu’il venait d’établir, il s’en suit qu’il n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. Après avoir donc expliqué 1° ce que c’est qu’être en Jésus-Christ, 2° ce que c’est que de n’avoir plus de condamnation, il faut 3° insister fortement sur ce maintenant et faire voir comment c’est une doctrine qui suit nécessairement des choses que saint Paul a établies touchant la justification de l’homme dans les chapitres précédents, de sorte que ce terme qui n’est que syncatégorique ne laisse pas de faire une véritable partie de l’explication, et qui est même la plus importante.

Quelques fois le terme syncatégorique n’est pas d’une telle conséquence qu’il faille s’y arrêter longtemps ; alors il suffit d’en faire la matière de quelque remarque. C’est ainsi qu’il faut traiter le terme de, voici, qui se trouvent souvent à la tête des propositions de l’Écriture ; et il se faut bien donner de garde ni d’en faire une partie, ni d’y insister trop longuement. Je dis la même chose de cette expression familière à Jésus-Christ, en vérité, en vérité, qui est une affévérationa si vous voulez, un serment sur lequel il ne faut pas extrêmement s’arrêter. Il en est de même de l’Amen ou Ainsi soit-il, qui finit quelques textes. De même aussi de ce, Malheur sur vous, que Jésus-Christ répète assez souvent dans l’Évangile, et plusieurs autres semblables. Or pour en bien faire le discernement on ne saurait donner de règles assurées, il faut que cela dépende du bon sens de celui qui traite le texte ; et pour peu qu’il y prenne garde, ce discernement ne sera pas malaisé.

a – Une forte affirmation ; vient du latin affeverare.

Textes constitués d’une proposition.

Lorsque ce qu’on explique dans un texte consiste en une proposition, il faut 1° en donner le sens clair et net en la développant de toute sorte d’ambiguïté. 2° Le cas échéant il faut faire voir combien il est important dans la religion de n’ignorer pas cette vérité, et pour cet effet on peut montrer la liaison qu’elle a avec d’autres vérités importantes, les inconvénients qui naissent de la négligence que l’on en peut faire, les secours que la piété tire de là, et autres choses de cette nature. 3° Après l’avoir éclaircie et en avoir montré l’importance, il faut la confirmer, si c’est une chose qui demande confirmation. Ou en tout cas il faut tâcher de l’illustrer, ou par quelque raisonnement, ou par quelques exemples, ou par la voie de la comparaison par laquelle on compare les choses les unes avec les autres ; soit pour remarquer les rapports qu’elles ont entre elles ; soit pour en faire voir les conformités, soit aussi pour en marquer les différences, et pour relever celles que vous traitez. Vous pouvez aussi illustrer une proposition par ses suites, en faisant voir de quelle importance elle est, et combien de choses elle enferme. On peut encore la relever par son évidence, en montrant qu’elle est de la lumière de la nature ; ou bien la relever par son inévidence, en faisant voir que ce n’est point la lumière naturelle qui nous l’enseigne, mais la révélation seule. Enfin on peut aussi la relever par la personne qui la propose, par l’état où il était quand il l’a proposée, par les personnes auxquelles il l’a proposée, et par les circonstances des temps et des lieux. Tout cela peut donner de grandes ouvertures, mais il en faut user discrètement et avec jugement. Car de vouloir rassembler tout cela dans la tractation d’une proposition se serait se jeter dans une longueur ennuyeuse et tomber dans la pédanterie.

Quelquefois une seule proposition enferme plusieurs vérités qu’il est nécessaire de distinguer, et en ce cas il le faut faire ; mais il faut prendre garde que les vérités sur chacune desquelles vous avez dessein d’insister soit de quelque importance dans la religion, et que même elle ne soit ni trop communes, ni trop connues et c’est ce qu’il faut discerner par le bon sens.

Quelquefois une proposition doit être traitée par ces différents égards, selon lequel elle doit être prise diversement, et en ce cas il faut remarquer cette différence d’égards.

Quelquefois la chose contenue dans la proposition a des différents degrés qu’il sera aussi nécessaire de remarquer.

Quelquefois la proposition est générale, et dans cette généralité elle semble être de très petite importance. En ce cas il faut voir si elle n’a point des parties dans lesquelles elle devient plus considérable, ce qui obligerait à la traiter par application particulière à ces parties. Mais il faut donner des exemples de tout ce que nous venons de dire.

Premièrement pour ce qui regarde de donner le sens net et clair d’une proposition, et ensuite de la confirmer et de l’illustrer, je mettrai en avant par exemple Éphésiens 1.18 : Dieu vous donne les yeux de votre entendement illuminés, afin que vous sachiez quelle est l’espérance de sa vocation, et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage aux saints. Ce texte doit être divisé en deux parties, la première est le souhait de l’apôtre, Dieu vous donne les yeux de votre entendement illuminés. La seconde est la fin de cette illumination, afin que vous sachiez quelle est l’espérance de sa vocation, et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage aux saints.

Quant au souhait il contient une proposition qui est, que c’est Dieu qui illumine les yeux de notre entendement. Mais pour en donner le sens net et clair, il faut d’abord remarquer en peu de mots que l’Écriture emprunte souvent les noms et les images des facultés du corps pour représenter celle de l’âme, et que c’est pour cela qu’elle nous donne des pieds pour marcher dans le chemin de la justice, des mains pour travailler à notre salut, des genoux pour nous humilier devant le nom de Jésus-Christ, des oreilles pour recevoir les sacrées vérités de son Évangile, une bouche pour manger la chair et boire le sang de Jésus-Christ, et enfin des yeux pour voir les mystères de son Royaume. Tout cela fondé non seulement sur la naturelle conformité ou ressemblance qu’il y a entre les facultés de la l’âme et les organes corporels, mais aussi sur ce que l’Écriture a accoutumé d’appeler toute notre régénération et l’œuvre de notre conversion un nouvel homme. Ici donc, les yeux de l’entendement, est une expression qui suit le style ordinaire de l’Évangile, et qui signifie simplement notre entendement, cette faculté par laquelle nous en jugeons.

Mais il faut outre cela remarquer que nos yeux ont deux usages fort différents. Le premier qui ne consiste qu’à voir d’une vue indifférente les objets, sans que cela serve à autre chose qu’à notre divertissement, comme quand la nuit nous voyons le ciel et les étoiles, ou quand dans une promenade nous voyons l’étendue des plaines et la beauté des rivières, ce que nous pouvons appeler une vue de simple contemplation. L’autre qui va plus avant, et qui consiste non simplement à voir les objets, mais à les voir pour conduire et pour régler ce que nous devons faire ; comme quand un voyageur voit les chemins par où il doit passer ; quand un ami voit son ami pour lui confier ses secrets, et lui demander ses conseils ; quand un misérable voit son libérateur pour le lui demander protection : ce que nous pouvons appeler une vue d’action ou de direction. Il en est de même de l’entendement ; il a deux fonctions. L’une de simple connaissance des objets, quand nous connaissons les vérités de la physique ou de la métaphysique, ce qu’on appelle dans l’École l’entendement spéculatif. L’autre quand nous connaissons les objets pour agir ensuite sur eux, et pour nous servir de règle et de guide ; comme quand on connaît la nature de la vertu et les préceptes de la morale, les règles et les arts, et les voies et les maximes de la jurisprudence ; et c’est ce qu’on appelle dans l’École l’entendement pratique. Or ici il s’agit de l’entendement, non dans le premier sens, ou à l’égard de ses premières fonctions, mais dans le second. car les mystères de la religion chrétienne ne sont pas des mystères de simple contemplation, l’Écriture ne les propose ni à notre curiosité, ni à notre divertissement ; mais ce sont des mystères de pratique que nous devons connaître pour agir sur eux, en les embrassant de toutes les forces de notre cœur, et pour recevoir l’impression et nous laisser toucher à leur efficace, en un mot pour en faire la règle de notre conduite. La proposition donc de l’apôtre est, que c’est Dieu qui par la lumière intérieure de son Esprit éclaire les yeux de nos entendements pour recevoir comme il faut les vérités de sa Parole, pour en bien juger, et pour aller jusqu’à les aimer et les suivre, et en faire les règles de notre vie.

Cette proposition étant ainsi nettement éclaircie, il faut ensuite la confirmer, ce que l’on peut faire par deux voies, l’une indirecte, et l’autre directe. L’indirecte est de produire divers passages de l’Écriture qui représente la grandeur de la corruption naturelle, et de l’impuissance ou l’homme est de se pouvoir convertir lui-même. Or ces passages sont en grand nombre, comme ceux où notre cœur est appelé un cœur de pierre, un léopard qui ne saurait changer les taches de sa peau etc.. La directe contient les passages, où formellement notre conversion est attribuée à Dieu et à l’efficace de son Esprit qui sont aussi en grand nombre.

A mesure que vous confirmerez cette proposition par l’Écriture, vous pouvez aussi l’illustrer par le raisonnement, en faisant voir que les liens qui nous attachent au monde sont en si grand nombre et si forts qu’il faut une grâce surnaturelle pour les rompre ; que les obscurcissements de l’esprit qui viennent ou de nos préjugés, ou de nos passions, ou de nos vieilles habitudes, ou des premières couleurs sous lesquelles l’Évangile se présente à nous, sont tels, qu’il nous est impossible de nous-mêmes de ne pas faire de mauvais jugements ; et c’est ce que l’on peut particulièrement inférer dans cette voie indirecte.

Dans la voie directe vous pouvez y mêler aussi le raisonnement, en faisant voir que la sagesse divine veut que notre régénération soit toute céleste ; que ni la chair et le sang, ni les principes de la nature n’y contribuent en rien ; que l’homme nouveau soit le pur ouvrage du Saint Esprit pour être plus conforme à Jésus-Christ, selon ce que dit saint Paul ici que Dieu nous a prédestinés pour être rendus conformes à l’image de son Fils. Car quand Jésus-Christ vint au monde il n’y est pas venu par les principes ordinaires de la nature, mais par une loi au-dessus de toutes les lois du monde. De quelle matière a-t-il été tiré ? D’une matière impropre et contraire même à la naissance, de la substance d’une vierge. Par quelle puissance a-t-il été formé ? Par celle du Saint Esprit. Dieu a donc voulu que nous ne fussions nés, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté du sang, ni de la volonté de l’homme, mais que nous fussions nés de lui-même, pour être plus parfaitement ses enfants, et plus parfaitement frère de son Fils bien-aimé.

On peut aussi, en confirmant cette proposition, l’illustrer par des exemples, comme par celui du bon larron, par celui de saint Paul, par celui des Juifs convertis le jour de la Pentecôte à la prédication de saint Pierre etc. En un mot par des exemples où reluit hautement la puissance de la grâce en la conversion des hommes.

Vous pouvez l’illustrer par la comparaison avec l’action toute-puissante de Dieu dans la création de l’univers, et en marquer en peu de mots les conformités et les différences.

Vous pouvez l’illustrer par ses suites, en faisant voir la grandeur et l’importance des changements qui arrivent dans l’homme lorsque Dieu illumine les yeux de son entendement.

Vous pouvez l’illustrer par son inévidence, en montrant qu’il n’y a eu que Jésus-Christ qui ait appris au monde cette vérité que c’est Dieu qui nous convertit ; au lieu que toutes les fausses religions attribuent cette œuvre à l’homme même ; et la philosophie ignore ce que c’est que de cette grâce d’en haut.

Enfin vous pouvez l’illustrer par la personne qui nous la propose qui est saint Paul, qui en avait senti toute l’efficace et pénétré tout le fond, et par conséquent qui en pouvait bien parler. Par la personne aussi des Éphésiens qui avaient été tirés de la plus grande superstition qui était entre les païens, à savoir du service de leur Diane.

Mais il ne faut pas oublier la manière dont saint Paul propose cette vérité, car c’est par forme de souhait ou de vœu : Dieu vous donne les yeux de votre entendement illuminés ; ce qui relève la nécessité et l’importance de la grâce, sans laquelle tout ce que Dieu fait à notre avantage nous serait plus nuisible que profitable. On pourrait remarquer la circonstance du temps et du lieu ; car saint Paul fit cette épître pour les Éphésiens lorsqu’il était dans les prisons de Rome, accablé de chaînes, et lorsque l’Évangile était le plus persécuté. Car en effet c’est alors principalement que pour notre conversion, il faut que le Saint Esprit déploie toute sa force.

En second lieu pour donner un exemple de ces propositions qui enferment diverses vérités lesquelles il faut distinguer, nous ne saurions mieux choisir, qu’en prenant le second point du texte dont nous venons d’expliquer la première partie. Afin dit saint Paul, que vous sachiez quelle est l’espérance de votre vocation et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage aux saints. La proposition de l’apôtre est, que par l’illumination de la grâce nous savons quels sont les biens admirables auxquels Dieu nous appelle par son Évangile ; or cette proposition enferme plusieurs vérités qu’il est nécessaire de distinguer.

1. Que l’Évangile est une vocation de Dieu, une grande voix qui crie : Réveille toi, toi qui dors et te relève des morts ; et Christ t’éclairera. C’est pourquoi il est dit, Psaumes 50, que l’Éternel appelle la terre depuis le soleil levant jusqu’au soleil couchant. L’Église n’est ni une assemblée téméraire ou tumultueuse que le hasard produise, comme sont la plupart des peuples ou des sociétés. Ce n’est pas une société humaine que la raison ou les intérêts de la nature aient faite. C’est une société qui a Dieu pour son auteur. Car c’est sa parole il nous appelle et qui nous assemble.

2. C’est une vocation où Dieu propose quelque chose à notre espérance, à cause de quoi il est dit que nous sommes régénérés en espérance vive. Or cela se peut traiter ou par opposition à une vocation de simple autorité, lorsque nous sommes appelés à faire notre devoir sans aucune proposition de récompense. Ainsi les princes appellent d’ordinairement leurs sujets à leur service. Ou par opposition à la vocation du péché qui pour récompenser les services que nous lui rendons, nous donne la mort. Les gages du péché c’est la mort, dit saint Paul. Ces paroles nous donnent l’idée du péché comme d’un tyran qui nous appelle à son service, mais pour nous faire mourir. Ou par opposition à la naissance naturelle qui nous appelle à souffrir mille opprobres et mille misères. Ce sont des vocations, ou ingrates et sans espérance, ou funestes et tendant au désespoir. Mais la vocation de l’Évangile est une vocation d’espérance, semblable non à celle que Dieu fit d’Adam pour le juger et pour le maudire : Adam où es-tu ? Mais semblable à celle qu’il fit d’Abraham : Sort de ton pays et de ton parentage et je te donnerai la terre dans laquelle tu entreras. Semblable non à celle qu’Ésaïe adressait à Ézéchias : Dispose de tes biens car tu es mort, mais à celle que Jésus-Christ fit du Lazare : Lazare, sort dehors !

3. Que cette espérance proposée à notre vocation est un héritage, c’est-à-dire, non une récompense proposée à notre mérite, mais un bien que Dieu nous donne comme notre Père en vertu de son adoption ; un bien aussi que nous avons par la communion de Jésus-Christ ; car nous ne sommes les héritiers de Dieu, qu’en tant que nous sommes cohéritiers de Jésus-Christ. Un bien encore inaliénable, que nous ne pouvons jamais perdre, qui ne nous peut être ravi. Car c’était anciennement le caractère des héritages de ne pouvoir jamais sortir des familles, ni passer dans des mains étrangères. Héritage enfin par opposition à la félicité d’Adam que Dieu lui donna comme à un mercenaire, sous le titre de loyer, et non comme à un fils sous le titre d’héritage.

4. C’est un héritage céleste ; car c’est ainsi qu’il faut prendre ce dernier terme, aux saints, aux lieux saints, au ciel ; non seulement pour marquer la nature des biens divins qui sont spirituels et célestes, mais aussi pour marquer le lieu où nous les irons posséder, savoir, au ciel qui est le domicile de la majesté de Dieu.

5. Que ce sont des biens d’un prix et d’une abondance infinie ; car c’est ce que veulent dire ces termes, les richesses de la gloire de son héritage : façon de parler propre aux Hébreux, qui pour marquer la grandeur ou l’excellence d’une chose entassent l’une sur l’autre plusieurs expressions synonymes. Ainsi l’apôtre, pour représenter aux Corinthiens cette même félicité dont il parle maintenant, dit que c’est un poids de gloire excellemment excellente. Et dans ce même chapitre, au verset suivant, pour représenter la force de la grâce qui nous convertit, il dit : l’excellente grandeur de la puissance de Dieu, l’efficace de la puissance de sa force. Ici donc, les richesses de la gloire de l’héritage signifient son prix, son excellence, son abondance ou sa plénitude.

6. L’apôtre veut que nous sachions la grandeur admirable de cette espérance. Car tous nos égarements et notre attachement au monde ne viennent que de l’ignorance où nous sommes de cette gloire. Dès que nous la connaissons bien, c’est une chaîne qui nous lie, c’est un attrait qui nous attire, et une force invincible qui se rend maîtresse de toutes nos affections. Un ancien poète nous a parlé d’une chaîne d’or que son Jupiter avait jeté du ciel sur la terre. On peut sanctifier cette pensée en disant que cette chaîne d’or jeté du haut des cieux, est cette divine espérance de notre vocation, et les richesses de la gloire de ce grand héritage que Dieu nous a préparé. Je vous ferai, dit Jésus-Christ à ses apôtres, pêcheurs d’hommes. En effet ils ont jeté dans la mer leur ligne mystique pour prendre des poissons, et ils en ont pris un nombre infini. Mais l’hameçon de leur ligne qui seul les a rendus heureux dans leur divine pêche, c’est cette grande espérance de la vocation de Dieu et les richesses de la gloire de son héritage aux saints.

7. Enfin la dernière vérité est, que cette connaissance que nous en avons nous vient de l’illumination céleste ; elle ne saurait venir d’ailleurs, comme nous l’avons déjà vu ; mais aussi elle vient infailliblement de cette source ; et quand Dieu nous illumine, il n’est pas possible que nous ne sachions, ce qu’il a dessein de nous faire connaître.

Propositions qui doivent être considérées à divers points de vue ou degrés.

Nous avons dit qu’il y avait des propositions qui devaient être considérées à différents égards. Pour en donner un exemple nous prendrons ces paroles : Ils m’ont donné du fiel en mon repas, et en ma soif ils m’ont abreuvé de vinaigre. Car ces paroles doivent être considérées à quatre différents égards : 1. par égard à David ; 2. par égard à Jésus-Christ ; 3. par égard à l’Église ; 4. par égard à chaque fidèle en particulier.

Il en est de même de ses paroles : Dès ma jeunesse ils m’ont souvent tourmenté ; toutefois ils n’ont point encore eu le dessus de moi. Car ces paroles appartiennent, tant à l’Église d’Israël, qu’à l’Église chrétienne. En un mot il en est de même de tous les oracles typiques.

Quant aux propositions où il y a des degrés à remarquer nous en donnerons cet exemple : J’ai très bien vu l’affliction de mon peuple qui est en Égypte ; et j’ai ouï le cri qu’ils ont jeté à cause de leurs exacteurs ; car j’ai connu leurs douleurs. C’est pourquoi je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens. Ces propositions qui sont contenues dans ce texte, l’une touchant l’affliction du peuple de Dieu, et l’autre touchant sa délivrance, doivent être considéré selon les divers degrés de leur accomplissement. Car elles ont été accomplies :

  1. dans la servitude et dans la délivrance de l’Égypte ;
  2. dans les diverses servitudes et délivrances qui sont ensuite arrivées au peuple d’Israël, et particulièrement dans la servitude et la délivrance de Babylone, qui a été comme une seconde Égypte ;
  3. en un sens plus exquis dans la servitude et dans la délivrance de l’Église par la venue de Jésus-Christ, et par la prédication de l’Évangile ;
  4. dans la délivrance de cette même Église de la servitude de l’Antéchrist.
  5. et enfin elles le seront dans la grande et dernière délivrance que Jésus-Christ nous donnera par son second avènement.

Il en est de même de ses paroles d’Ésaïe rapportées par saint Paul : Me voici, et les enfants que Dieu m’a donnés. Car le premier degré d’accomplissement de ces paroles doit être considéré en Ésaïe et en ses enfants, le second en Jésus-Christ et en ses fidèles au temps de la prédication de l’Évangile ; et le troisième en Jésus-Christ et les fidèles aux derniers jours, lorsqu’il nous présentera à son Père pour être glorifiés.

Je dis la même chose de la vision d’Ézéchiel touchant les os qui ressuscitèrent ; car elle a trois degrés d’accomplissement : le premier dans la délivrance des Juifs de la captivité de Babylone ; le second, dans la délivrance de l’Église par la prédication de l’Évangile, et le troisième dans la dernière résurrection. Il y a un très grand nombre de passages de l’Écriture qui doivent être expliqués de cette manière.

Pour ce qui regarde ces propositions, que nous avons dit qui semblent peu considérables quand elles sont prises dans le sens général, et qui néanmoins se trouve très importantes dans l’application particulière qu’on en fait, on peut en produire cet exemple Psaumes 37.3 : Habite la terre. Car d’abord il semble que ce n’est rien et néanmoins quand on descend à une plus particulière explication, on y trouve de belles choses. On peut encore en donner celui-ci Proverbes 15.3 : Les yeux de l’Éternel sont en tous lieux, contemplant les mauvais et les bons. Dans la notion générale de cette proposition qui ne regarde que la connaissance que Dieu a de toutes choses, il ne semble pas qu’il y ait rien d’extrêmement important ; mais si vous descendez, comme il faut le faire, aux diverses espèces de la connaissance de Dieu, vous trouverez qu’il s’agit là :

  1. D’une connaissance de providence, qui règle et détermine tous les événements et qui les adresse à leurs fins.
  2. D’une connaissance d’approbation à l’égard des bons ; et à l’égard des méchants d’une connaissance de condamnation.
  3. D’une connaissance de protection et de récompenses, d’un côté ; et de châtiments ou de punition, de l’autre.

Ainsi vous y trouverez toute la matière de la providence, celle des peines des méchants, et des bénédictions qui accompagnent les justes.

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