La Légende dorée

LXXXVII
SAINTS JEAN ET PAUL, MARTYRS

(26 juin)

Jean et Paul étaient officiers de Constance, fille de l’empereur Constantin. Or, comme les Scythes occupaient la Thrace et la Dacie, Gallican, le chef de l’armée romaine envoyée contre eux, demandait que, en récompense, on lui donnât pour femme la fille de Constantin ; et les principaux citoyens de Rome insistaient en faveur de sa demande. Mais Constantin s’en affligeait fort ; car il savait que sa fille, depuis qu’elle avait été guérie par sainte Agnès, avait fait vœu de virginité, et se laisserait tuer plutôt que d’enfreindre son vœu. Cependant Constance, confiante en l’aide de Dieu, conseilla à son père de consentir à son mariage avec Gallican, le jour où celui-ci reviendrait vainqueur, à la condition seulement que Gallican lui permît de garder près d’elle les deux filles qu’il avait eues d’un premier mariage, et qu’en échange il prît avec lui ses deux officiers Jean et Paul. Et ainsi fut convenu. Mais Gallican, s’étant mis en route avec une nombreuse armée, fut battu par les Scythes et assiégé par eux dans une ville de Thrace. Alors Jean et Paul, s’approchant de lui, lui dirent : « Fais un vœu au Dieu du ciel, et tu seras vainqueur ! » Et lorsque Gallican eut fait le vœu de devenir chrétien, un jeune homme, portant la croix sur l’épaule, lui apparut et lui dit : « Prends ton épée et suis-moi ! » Gallican, suivant l’ange, se précipita dans le camp ennemi, parvint jusqu’au roi des Scythes, le tua, épouvanta l’armée ennemie, et la soumit à la domination romaine. Et l’on raconte que deux chevaliers en armes lui apparurent, qui se tinrent à ses côtés jusqu’à la fin du combat. Il se convertit donc au christianisme ; et, reçu à Rome avec de grands honneurs, il demanda à Constantin de ne pas épouser sa fille, car il avait promis au Christ, de vivre désormais dans la continence. Ses deux filles, converties par Constance, étaient devenues, elles aussi, de pieuses chrétiennes. Et bientôt Gallican, renonçant à son commandement, distribua tous ses biens, et se mit à servir Dieu dans la pauvreté. Et il faisait tant de miracles que, à sa seule vue, les démons s’enfuyaient des corps des possédés. Aussi la renommée de sa sainteté se répandit-elle dans le monde entier ; et de l’Orient et de l’Occident on venait voir ce patricien, cet ancien consul, qui lavait les pieds aux pauvres qui leur versait de l’eau sur les mains, qui les servait à table, qui soignait les malades, et vivait ainsi en esclave de Dieu.

À la mort de Constantin l’empire échut à son fils Constance, qui s’était laissé corrompre par l’hérésie des ariens. Et comme le frère de Constantin avait laissé deux fils, Gallus et Julien, Constance promut Gallus au titre de César et l’envoya contre les Juifs révoltés, mais, plus tard, il le tua. Alors Julien, craignant d’avoir le sort de son frère, entra dans un monastère, où, à force de simuler la piété, il fut ordonné lecteur ; et là le démon consulté par lui, lui apprit qu’il serait promu à l’empire. Et, quelque temps après, Constance, pressé par la nécessité, éleva Julien au titre de César, et l’envoya en Gaule, où il montra une grande valeur.

À la mort de Constance, Julien, devenu empereur, ordonna que Gallican eût à sacrifier aux dieux où à s’éloigner de Rome : car il n’osait pas mettre à mort un tel homme, Gallican se rendit donc à Alexandrie, où les infidèles lui transpercèrent le cœur, lui donnant ainsi la couronne du martyre.

Quant à Julien, il colorait du témoignage de l’Évangile l’avidité sacrilège dont il était possédé. Il dépouillait les chrétiens et leur disait : « C’est votre Christ lui-même qui dit, dans son Évangile, que celui-là ne saurait être son disciple qui ne renonce pas à tout ce qu’il a ! » Aussi, quand il apprit que Jean et Paul, avec l’argent que leur avait laissé la pieuse Constance, subvenaient aux besoins des chrétiens pauvres, il les fit venir tous deux et leur dit qu’ils devaient le servir de la même façon qu’ils avaient servi Constantin. À quoi ils répondirent : « Nous servions le glorieux empereur Constantin parce que lui-même se proclamait le serviteur du Christ ; mais toi, comme tu as abandonné la sainte religion, nous nous sommes retirés de toi, et nous dédaignons de t’obéir ! » Et Julien leur dit : « Sachez que j’ai été clerc dans votre Église, et que, si j’avais voulu, je m’y serais élevé aux premières dignités : mais, considérant que c’était chose vaine de pratiquer la paresse, je me suis livré à l’art de la guerre ; et ayant sacrifié aux dieux, j’ai été par eux élevé à l’empire. Quant à vous, nourris à la cour, vous avez le devoir de rester près de moi, où vous serez au premier rang de mes serviteurs. Mais que si vraiment vous me méprisez, je serai forcé d’agir, pour vous en empêcher ! » Et les deux saints répondirent : « Nous mettons Dieu au-dessus de toi ; et nous ne craignons pas tes menaces, mais seulement d’encourir l’inimitié de Dieu tout-puissant. » Et Julien : « Si, dans dix jours, vous ne venez pas de votre plein gré près de moi, vous ferez, contraints, ce que vous aurez refusé de faire volontairement ! » Et eux : « Imagine que les dix jours sont déjà passés, et accomplis dès aujourd’hui ce dont tu nous menaces ! » Et Julien : « Vous croyez que les chrétiens vont faire de vous des martyrs ? Sachez donc que, si vous ne m’obéissez, ce n’est pas en martyrs que je vous punirai, mais en ennemis publics ! »

Alors Jean et Paul, pendant dix jours, redoublant leurs aumônes, distribuèrent aux pauvres tout l’argent qui leur restait. Le dixième jour, ils virent arriver près d’eux un certain Térentien, qui leur dit : « Notre maître Julien vous envoie cette petite statue de Jupiter, pour que vous brûliez de l’encens devant elle : si vous ne le faites pas, vous périrez tous deux. » Et les saints lui dirent : « Si tu as pour maître Julien, obéis à ses ordres : mais nous, nous n’avons d’autre maître que Jésus-Christ ! » Alors Térentien les fit décapiter en secret, et fit ensevelir leurs corps dans leur maison ; et il répandit le bruit qu’ils étaient partis en exil. Mais bientôt son fils fut possédé d’un démon qui le faisait beaucoup souffrir : ce que voyant, Térentien avoua son crime, se fit chrétien, et écrivit lui-même le récit du martyre des deux saints ; en échange de quoi son fils fut délivré.

Saint Grégoire raconte, dans une de ses homélies, qu’une femme, qui visitait souvent l’église des deux martyrs, aperçut un jour devant sa porte, en revenant de cette église, deux moines en manteaux de pèlerins. Elle leur fit, aussitôt, donner l’aumône par son intendant. Mais eux, s’approchant d’elle, lui dirent : « Puisque tu aimes à nous faire visite, nous te réclamerons au jour du jugement, et, tout ce que nous pourrons faire pour toi, nous le ferons ! » Puis, cela dit, ils disparurent.

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