Dialogue avec Tryphon

XLIX

1 Trypbon reprit : – L’opinion de ceux qui ne font de Jésus-Christ qu’un homme marqué du sceau de l’élection divine à la faveur de l’onction qu’il a reçue, et par elle devenu le Christ, paraît bien plus probable que celle que vous défendez ; et nous aussi, nous attendons un Christ qui ne sera qu’un homme né d’entre les hommes, et qui recevra l’onction sainte des mains d’Élie, quand celui-ci viendra. Bien que Jésus vous paraisse le Christ, vous ne devez toujours voir en lui qu’un homme, né comme les autres hommes. Mais comme Élie n’a pas paru, je ne peux pas même admettre que ce soit le Christ.

2 – Voilà votre avis, Tryphon. Mais répondez-moi, le prophète Zacharie ne dit-il pas qu’Élie doit venir avant le grand et terrible jour du Seigneur ?

— Oui, certainement, me répondit-il.

— Eh bien, repris-je, si nous sommes obligés, d’après l’Écriture, de reconnaître que les prophètes ont prédit deux avènements du Christ, l’un qui le fera voir sans éclat, sans beauté, exposé à toutes les douleurs ; l’autre, qui nous le montrera environné de gloire et s’avançant comme le juge de tous les hommes, ainsi que nous l’avons prouvé plus haut par tant d’endroits de l’Écriture, comment ne pas voir qu’il s’agit du second avènement dans ces mots de jour grand et terrible, et que c’est de ce dernier avènement qu’Élie est annoncé comme précurseur ?

— Oui, je vous l’accorde encore, me dit-il.

3 – Jésus-Christ lui-même, continuai-je, nous apprend qu’Élie doit venir en personne. Mais nous savons qu’il parle du jour où le Christ viendra du ciel dans toute sa gloire. Quant au premier avènement, on peut dire aussi qu’Élie a paru ; car l’esprit de Dieu qui était en lui s’est manifesté comme précurseur dans la personne de saint Jean, un des prophètes sortis de votre nation et le dernier qui parut parmi vous. Car voici ce qu’il disait, assis sur les bords du Jourdain :

« Je baptise dans l’eau pour la pénitence ; mais celui qui doit venir après moi, et dont je ne suis pas digne de porter les souliers, est plus puissant que moi ; celui-là vous baptisera dans l’esprit et dans le feu. Il tiendra le van à sa main, et il nettoiera son aire, et il amassera son froment dans le grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteindra jamais. »

4 Votre roi Hérode l’avait fait jeter dans les fers ; mais lorsqu’il célébrait le jour de sa naissance, la fille de son frère l’ayant charmé par sa manière de danser, il l’obligea de lui demander tout ce qu’elle voudrait. La jeune princesse, d’après le conseil de sa mère, demanda la tête de Jean. Le roi l’envoya couper et la fit apporter dans un bassin.

5 Jésus notre maître, quand il a paru sur la terre, dit-il à ceux qui prétendaient comme vous qu’Élie devait précéder le Christ : « Oui, Élie doit venir et rétablir Israël ; mais je vous déclare qu’Élie est déjà venu, et ils ne l’ont pas connu, et ils ont fait contre lui tout ce qu’ils ont voulu. ». Il est écrit qu’alors ses disciples comprirent qu’il leur avait parlé de Jean-Baptiste.

6 – Vous me paraissez encore, reprit Tryphon, blesser les idées reçues, quand vous dites que l’esprit de Dieu qui était dans Élie fut aussi dans Jean-Baptiste.

— Est-ce que vous ne savez pas, lui dis-je, que c’est précisément ce qui est arrivé à Jésus, fils de Navé, qui fut chargé après Moïse de conduire le peuple d’Israël ? Est-ce Dieu lui-même, lorsqu’il ordonna à Moïse de lui imposer les mains, n’a pas dit en propres termes : « Et moi, je transporterai sur lui l’Esprit saint qui est en toi ? »

7 – Oui, dit Tryphon.

— Ainsi, continuai-je, de même que du vivant de Moïse Dieu transporta sur le fils de Navé l’esprit qui était en lui, de même Dieu a pu transporter celui d’Élie sur Jean. Le premier avènement du Christ était sans gloire ; ainsi devait être le premier avènement de l’esprit précurseur, qui restait toujours en Élie pur et intact. Il est dit que Dieu combat Amalec d’une main invisible ; qu’Amalec ait été vaincu, vous ne le nierez pas. Mais si on prétend qu’il ne doit succomber qu’au jour où le Christ viendra dans sa gloire, pourquoi l’Écriture dit-elle que la main invisible du Seigneur poursuit Amalech ? Il faut donc reconnaître que la vertu de Dieu était cachée dans le Christ crucifié, qui fait trembler les démons et toutes les puissances et principautés de la terre. Ainsi la vertu d’Élie était cachée dans Jean-Baptiste.

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