Histoire de la Réformation du seizième siècle

6.2

Luther écrit à l’Empereur – Dangers de Luther – Instructions de Frédéric pour la cour de Rome – Sentiments de Luther – Craintes de Mélanchthon – Les nobles allemands pour la Réforme – Schaumbourg – Sickingen – Ulrich de Hütten – Confiance de Luther – Érasme sur Luther – Luther devient plus libre – La foi source des œuvres – Ce que donne la foi – Luther jugeant ses écrits

Luther avait prévu que la cause de la Réformation serait bientôt portée devant le nouvel empereur. Il écrivit à Charles, lorsque ce prince se trouvait encore à Madrid : « Si la cause que je défends, lui dit-il, est digne de se présenter devant le trône de la majesté céleste, elle ne doit pas être indigne d’occuper un prince de ce monde. O Charles ! prince des rois de la terre, je me jette en suppliant aux pieds de votre Sérénissime Majesté, et je vous conjure de daigner recevoir sous l’ombre de vos ailes non pas moi, mais la cause même de cette éternelle vérité, pour la défense de laquelle Dieu vous a confié l’épéea. » Le jeune roi d’Espagne mit de côté cette singulière lettre d’un moine allemand, et n’y répondit pas.

a – « Causam ipsam veritatis… » (Luth. Ep., I, p. 392, 15 janvier 1520.)

Tandis que Luther se tournait vainement vers Madrid, l’orage semblait croître autour de lui. Le fanatisme s’allumait en Allemagne. Hochstraten, infatigable dans ses efforts de persécution, avait extrait quelques thèses des écrits de Luther. Sur sa demande, les universités de Cologne et de Louvain avaient condamné ces ouvrages. Celle d’Erfurt, toujours irritée de ce que Luther lui avait préféré Wittemberg, allait suivre leur exemple. Mais l’ayant appris, le docteur écrivit à Lange une lettre si énergique, que les théologiens d’Erfurt, tout effrayés, se turent. La condamnation prononcée à Cologne et à Louvain suffisait cependant pour enflammer les esprits. Il y a plus : les prêtres de la Misnie, qui avaient épousé la querelle d’Emser, disaient hautement, c’est Mélanchthon qui le rapporte, que celui qui tuerait Luther serait sans péchéb. « Voici le temps, dit Luther, où les hommes croiront rendre service à Jésus-Christ en nous mettant à mort. » Ces paroles homicides devaient porter des fruits.

b – « Ut sine peccato esse eum censebant qui me interfecerit. » (Luth. Ep., I, p. 383.)

Un jour, dit un biographe, que Luther était devant le cloître des Augustins, un étranger, qui tenait un pistolet caché dans sa manche, l’aborda et lui dit : « Pourquoi allez-vous ainsi tout seul ? — Je suis dans les mains de Dieu, répondit Luther. Il est ma force et mon bouclier. Que peut me faire l’homme mortel ? » Là-dessus, cet inconnu pâlit, ajoute l’historien, et s’enfuit en tremblantc. Serra-Longa, l’orateur de la conférence d’Augsbourg, écrivit, vers le même temps, à l’Électeur : «  Que Luther ne trouve aucun asile dans les États de Votre Altesse ; que, repoussé de tous, il soit lapidé à la face du ciel : cela me sera plus agréable que si je recevais de vous dix mille écusd. »

c – « Was kann mir einMensch thun ? » (Keith, L. Umstande, p. 89.)

d – Tenzel, Hist. Ber., II, p. 168.

Mais c’était surtout du côté de Rome que grondait l’orage. Un noble de Thuringe, Valentin Teutleben, vicaire de l’archevêque de Mayence, et zélé partisan de la papauté, représentait à Rome l’Électeur de Saxe. Teutleben, honteux de la protection que son maître accordait au moine hérétique, voyait avec impatience sa mission paralysée par cette conduite imprudente. Il s’imagina qu’en alarmant l’Électeur il le déciderait à abandonner le théologien rebelle. « On ne veut point m’entendre, écrivait-il à son maître, à cause de la protection que vous accordez à Luther. » Mais les Romains se trompaient s’ils pensaient effrayer le sage Frédéric. Ce prince savait que la volonté de Dieu et le mouvement des peuples étaient plus irrésistibles que des décrets de la chancellerie papale. Il ordonna à son envoyé d’insinuer au pape que, loin de défendre Luther, il l’avait toujours laissé se défendre lui-même ; qu’au reste, il lui avait déjà demandé de quitter la Saxe et l’université ; que le docteur s’était déclaré prêt à obéir, et qu’il ne serait plus dans les États électoraux si le légat lui-même, Charles de Miltitz, n’avait supplié le prince de le garder près de lui, dans la crainte qu’en se rendant dans d’autres contrées Luther n’agît avec plus de liberté qu’en Saxe mêmee. Frédéric fit plus encore : il voulait éclairer Rome. « L’Allemagne, continue-t-il dans sa lettre, possède maintenant un grand nombre d’hommes savants, instruits en toutes sortes de langues et de sciences ; les laïques eux-mêmes commencent à avoir de l’intelligence, et à aimer l’Écriture sainte ; si donc l’on refuse les conditions équitables du docteur Luther, il est fort à craindre que la paix ne puisse jamais se rétablir. La doctrine de Luther a jeté de profondes racines dans un grand nombre de cœurs. Si, au lieu de la réfuter par des témoignages de la Bible, on cherche à l’anéantir par les foudres de la puissance ecclésiastique, on causera de grands scandales, et l’on suscitera de pernicieuses et terribles révoltesf. »

e – « Da er viel freyer und sicherer schreiben und handeln möchte was er wollte… » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 298.)

f – « Schreckliche, grausame, schädliche und verderbliche Empörungen erregen. » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 298.)

L’Électeur, plein de confiance dans Luther, lui fit communiquer la lettre de Teutleben et une autre lettre qu’il avait reçue du cardinal Saint-George. Le réformateur fut ému en les lisant. Il vit aussitôt tous les dangers qui l’entouraient. Son âme en fut un instant accablée. Mais c’était en de tels moments qu’éclatait toute la puissance de sa foi. Souvent faible, prêt à tomber dans l’abattement, on le voyait se relever et paraître plus grand au sein de la tempête. Il voudrait être délivré de tant d’épreuves ; mais il comprend à quel prix on lui offre le repos, et il le rejette avec indignation. « Me taire ! dit-il ; je suis disposé à le faire si l’on me le permet, c’est-à-dire si l’on fait taire les autres. Si quelqu’un a envie de mes places, qu’il les prenne. Si quelqu’un veut détruire mes écrits, qu’il les brûle. Je suis prêt à me tenir en repos, pourvu qu’on n’exige pas que la vérité évangélique se reposeg. Je ne demande pas le chapeau de cardinal ; je ne demande ni de l’or, ni rien de ce que Rome estime. Il n’y a rien au monde qu’on ne puisse obtenir de moi, pourvu qu’on ne ferme pas aux chrétiens le chemin du saluth. Toutes leurs menaces ne m’épouvantent pas, toutes leurs promesses ne peuvent me séduire. »

g – « Semper quiescere paratus, modo veritatem evangelicam non jubeant quiescere. » (Luth. Ep., I, p. 462.)

h – « Si salutis viam Christianis permittant esse liberam, hoc unum peto ab illis, ac præterea nihil… » (Ibid.)

Animé de tels sentiments, Luther retrouva bientôt son humeur guerrière, et préféra au calme de la solitude le combat du chrétien. Une nuit suffit pour lui rendre le désir de renverser Rome. « Mon parti est pris, écrivit-il le lendemain :  je méprise la fureur de Rome, et je méprise sa faveur. Plus de réconciliation, plus de communication avec elle à jamaisi. Qu’elle condamne et qu’elle brûle mes écrits ! A mon tour, je condamnerai et je brûlerai publiquement le droit pontifical, ce nid de toutes les hérésies. La modération que j’ai montrée jusqu’à cette heure a été inutile ; j’y renonce ! »

i – « Nolo eis reconciliari nec communicare in perpetuum… » (Ibid., p. 466, 10 juillet 1520.)

Ses amis étaient loin d’être aussi tranquilles. La consternation était grande à Wittemberg. « Nous sommes dans une attente extraordinaire, disait Mélanchthon. J’aimerais mieux mourir que d’être séparé de Lutherj. Si Dieu ne nous prête secours, nous périssons — Notre Luther vit encore, écrivit-il un mois plus tard, dans son anxiété ; plaise à Dieu qu’il vive longtemps ! car les sycophantes romains mettent tout en œuvre pour le faire périr. Priez afin qu’il vive, cet unique vengeur de la sainte théologiek. »

j – « Emori mallim, quam ab hoc viro avelli. (Corp. Ref., » p. 160 et 163.)

k – « Martinus noster spirat, atque utinam diu… » (Corp. Ref., I, p. 190 et 208.)

Ces prières devaient être entendues. Les avertissements que l’Électeur avait fait donner à Rome par son chargé d’affaires n’étaient pas sans fondement. La parole de Luther avait retenti partout, dans les cabanes, dans les couvents, dans les demeures des bourgeois, dans les châteaux des nobles, dans les académies et dans les palais des rois. « Que ma vie, avait-il dit au duc Jean de Saxe, ait seulement servi à la conversion d’un seul homme, et je consentirai volontiers à ce que tous mes livres périssentl. » Ce n’était pas un homme seul, c’était une grande multitude, qui avait trouvé la lumière dans les écrits de l’humble docteur. Aussi partout se trouvaient des hommes prêts à le protéger. L’épée qui devait l’atteindre se forgeait au Vatican ; mais des héros se levaient en Allemagne pour lui faire un bouclier de leur corps. Au moment où les évêques s’irritaient, où les princes gardaient le silence, où le peuple était dans l’attente, et où les foudres grondaient déjà sur les sept collines, Dieu suscita la noblesse allemande pour en faire un boulevard à son serviteur.

l – Luth. Op. (Leips.), XVII, p. 392.

Sylvestre de Schaumbourg, l’un des plus puissants chevaliers de la Franconie, envoya à cette époque son fils à Wittemberg, avec une lettre pour le réformateur. « Votre vie court des dangers, lui écrivait Schaumbourg. Si le secours des électeurs, des princes ou des magistrats vous manque, je vous en supplie, gardez-vous de vous rendre en Bohême, où jadis des hommes très savants ont eu beaucoup à souffrir ; venez plutôt vers moi. J’aurai bientôt, si Dieu le veut, rassemblé plus de cent gentilshommes, et avec leur secours je saurai vous préserver de tout périlm. »

m – « Denn Ich, und hundert von Adel, die Ich (ob Gott will) aufbringen will, euch redlich anhalten… » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 381.)

François de Sickingen, ce héros de son siècle, dont nous avons déjà vu l’intrépide couragen, aimait le réformateur, parce qu’il le trouvait digne d’être aimé, et aussi parce qu’il était haï des moineso. Mes services, mes biens et mon corps, tout ce que je possède, lui écrivait-il, est à votre disposition. Vous voulez maintenir la vérité chrétienne : je suis prêt à vous aider en cela. » Harmuth de Cronberg tenait le même langage. Enfin, Ulrich de Hütten, ce poète, ce vaillant chevalier du seizième siècle, ne cessait de parler en faveur de Luther. Mais quel contraste entre ces deux hommes ! Hütten écrivait au réformateur : « Ce sont des glaives, ce sont des arcs, ce sont des javelots et des bombes qu’il nous faut pour détruire la fureur du diable. » Luther, en recevant ces lettres, s’écriait : « Je ne veux pas que l’on ait recours, pour défendre l’Évangile, aux armes et au carnage. C’est par la parole que le monde a été vaincu ; c’est par la parole que l’Église a été sauvée, c’est par la parole aussi qu’elle sera rétablie. — Je ne méprise point ses offres, disait-il encore en recevant la lettre de Schaumbourg, dont nous avons fait mention ; mais je ne veux cependant m’appuyer sur aucun autre que sur Christp. » Ce n’était pas ainsi que parlaient les pontifes de Rome, quand ils marchaient dans le sang des Vaudois et des Albigeois. Hütten sentit la différence qu’il y avait entre la cause de Luther et la sienne ; aussi lui écrivit-il avec noblesse : « Moi je m’occupe des choses de l’homme ; mais toi, l’élevant bien plus haut, tu es tout entier à celle de Dieuq ; » puis il partit pour gagner à la vérité, s’il lui était possible, Ferdinand et Charles-Quintr.

n – « Equitum Germaniæ rarum decus, » dit à cette occasion Mélanchthon. (Corp. Réf., I, p. 201.)

o – « Et ob id invisus illis. » (Ibid., p. 132.)

p – « Nolo nisi Christo protectore niti. » (Luth. Ep., I, p. 148.)

q – « Mea humana sunt : tu perfectior, jam totus ex divinis pendes. » (Luth. Op. lat., II, p. 175.)

r – « Viam facturas libertati (cod. Bavar. veritati) per maximos principes. (Corp. Ref. I, p. 201.)

Luther trouva alors un défenseur plus illustre encore. Érasme, que les catholiques romains citent si souvent contre la Réformation, prit la défense du réformateur, toutefois à sa manière, c’est-à-dire en ayant l’air de ne pas le défendre. Le 1er novembre 1519 ce patriarche des lettres écrivit à Albert, électeur de Mayence et primat d’Allemagne, une lettre où, après avoir peint avec énergie la corruption de l’Église, il ajoutait : « Voilà ce qui a ému Luther et ce qui l’a soulevé contre l’intolérable impudence de certains docteurs ; car quel autre motif pourrait-on attribuer à celui qui ne recherche pas les honneurs et qui ne désire pas la fortunes ? Luther a osé douter des indulgences ; mais d’autres, avant lui, avaient osé les affirmer avec impudence. Il a osé parler d’une manière peu modérée de la puissance du pontife romain ; mais d’autres avant lui l’avaient exaltée sans retenue. Il a osé mépriser les décrets de saint Thomas ; mais les dominicains les mettent presque au-dessus des Évangiles. Il a osé exposer ses scrupules sur la confession ; mais les moines ne cessaient de s’en servir, au tribunal de la pénitence, comme d’un filet où ils prenaient les consciences des hommes. Les âmes pieuses étaient tourmentées de ce que dans les saintes assemblées on entendait fort peu de chose sur Christt ; et de ce que le sermon n’était qu’une affaire de gain, de flatterie, d’ambition et d’impostureu. C’est à un tel état de choses qu’il faut imputer les paroles excessives de Luther. » Tel fut le jugement d’Érasme sur l’état de l’Église et sur le réformateur. Cette lettre publiée par Ulrich de Hütten, qui vivait alors à la cour de Mayence, fit une sensation profonde.

s – « Quid enim aliud suspicer de eo qui nec honores ambit nec pecuniam cupit ? (Erasm. Opp. III, p. 515.)

t – « Imo in sacris concionibus minimum audiri de Christo. » (Ibid.)

u – « Totam orationem jam palam quæstum, adulationem, ambitionem ac fucum præ se ferre. » (Erasm. Opp. III, p. 515.)

En même temps, des hommes plus obscurs que Érasme se rangeaient de toutes parts autour de Luther. Le docteur Botzheimus Abstemius, chanoine de Constance, lui écrivait : « Maintenant que vous êtes devenu l’ami de l’univers entier, il faut aussi que vous deveniez le mienv. Il n’y a rien dont je me réjouisse comme de vivre en un temps où les lettres divines reprennent leur antique éclatw. » Et Gaspard Hédion, prédicateur à Bâle, écrivait au réformateur : « Ne vous arrêtez pas, ô libérateur. Soyez, vous, le général, et nous, nous marcherons autour de vous comme des soldats que rien ne dispersex. »

v – « Postquam orbi, aut saltem potiori orbis parti, hoc est bonis et vere christianis, amicus factus es, meus quoque amicus eris, velis, nolis. (Botzheim et ses Amis, par Walchner, p. 107.)

w – « Et divinæ pristinum nitorem recuperant. (Ibid.)

x – « Tu dux esto, nos indivulsi milites erimus. (Kappens Nachlese, II, p. 433.)

Ainsi, tantôt les ennemis de Luther l’accablent, et tantôt ses amis se lèvent pour le défendre. Mon navire, dit-il, flotte çà et là au gré des vents … l’espérance et la crainte y règnent tour à tour ; mais qu’importey ! » Cependant les témoignages de sympathie qu’il recevait ne furent pas sans influence sur son esprit. Le Seigneur règne, dit-il ; il est là, nous pouvons le toucherz. » Luther vit qu’il n’était plus seul ; ses paroles avaient porté des fruits, et cette pensée le remplit d’un nouveau courage. La crainte de compromettre l’Électeur ne l’arrêtera plus, maintenant qu’il a d’autres défenseurs, disposés à braver le courroux de Rome. Il en devient plus libre et, s’il est possible, plus décidé. C’est une époque importante dans le développement de Luther. « Il faut que Rome comprenne, écrivit-il alors au chapelain de l’Électeur, que quand elle parviendrait par ses menaces à me chasser de Wittemberg, elle ne ferait qu’empirer sa cause. Ce n’est pas en Bohême, c’est au sein de l’Allemagne que se trouvent ceux qui sont prêts à me défendre contre les foudres de la papauté. Si je n’ai pas fait encore à mes ennemis tout ce que je leur prépare, ce n’est ni à ma modestie ni à leur tyrannie qu’ils doivent l’attribuer, mais au nom de l’Électeur et à la prospérité de l’université de Wittemberg, que j’ai craint de compromettre : maintenant que je n’ai plus de telles craintes, on me verra avec une force nouvelle me précipiter sur Rome et sur ses courtisansa. »

y – « Ita fluctuat navis mea : nunc spes, nunc timor regnat… » (Luth. p., I, p. 443.)

z – « Dominus regnat, ut palpare possimus. (Ibid., p. 451.)

a – « Sævius in Romanenses grassaturus… » (Ibid., p. 465.)

Et cependant ce n’était pas dans les grands que Luther mettait son espoir. On l’avait souvent sollicité de dédier un livre au duc Jean, frère de l’Électeur. Il n’en avait rien fait. « Je crains, avait-il dit, que cette suggestion ne vienne de lui-même. La sainte Écriture ne doit servir qu’à la gloire du seul nom de Dieub. » Luther revint de ses craintes, et dédia au duc Jean son discours sur les bonnes œuvres. C’est l’un des écrits dans lesquels le réformateur expose avec le plus de force la doctrine de la justification par la foi, cette vérité puissante dont il met la force bien au-dessus de l’épée de Hütten, de l’armée de Sickingen, de la protection des ducs et des électeurs.

b – « Scripturam sacram nolim alicujus nomini nisi Dei servire. » (Luth. Ep., I, p. 431.)

« La première, la plus noble, la plus sublime de toutes les œuvres, dit-il, c’est la foi en Jésus-Christc. C’est de cette œuvre que toutes les œuvres doivent procéder : elles sont toutes les vassales de la foi, et reçoivent d’elle seule leur efficace.

c – « Das erste und höchste, alleredelste… gute Werck ist der Glaube in Christum… » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 394.)

Si un homme trouve dans son cœur l’assurance que ce qu’il fait est agréable à Dieu, l’œuvre est bonne, ne fît-il même que relever un brin de paille ; mais s’il n’y a point en lui cette assurance, son œuvre n’est pas bonne, quand même il ressusciterait les morts. Un païen, un juif, un turc, un pécheur, peuvent faire toutes les autres œuvres ; mais se confier fermement en Dieu et avoir l’assurance qu’on lui est agréable, c’est ce que le chrétien affermi dans la grâce est seul capable de faire.

Un chrétien qui a la foi en Dieu fait tout avec liberté et avec joie ; tandis que l’homme qui n’est pas un avec Dieu est plein de soucis et retenu dans la servitude ; il se demande avec angoisse combien d’œuvres il devra faire ; il court çà et là ; il interroge celui-ci, il interroge celui-là ; il ne trouve nulle part aucune paix, et fait tout avec déplaisir et avec crainte.

En conséquence, j’ai toujours exalté la foi. Mais il en est autrement dans le monde. Là, l’essentiel est d’avoir beaucoup d’œuvres, grandes, hautes et de toutes les dimensions, sans que l’on se soucie nullement que la foi les anime. On bâtit ainsi sa paix, non sur le bon plaisir de Dieu, mais sur ses propres mérites, c’est-à-dire sur le sable… (Matthieu 7.27)

Prêcher la foi, c’est, dit-on, empêcher les bonnes œuvres ; mais quand un homme aurait à lui seul les forces de tous les hommes ou même de toutes les créaturesd, cette seule obligation de vivre dans la foi serait une tâche trop grande pour qu’il pût jamais l’accomplir. Si je dis à un malade : Aie la santé, et tu auras l’usage de tes membres, dira-t-on que je lui défends l’usage de ses membres ? La santé ne doit-elle pas précéder le travail ? Il en est de même quand nous prêchons la foi : elle doit être avant les œuvres, pour que les œuvres elles-mêmes puissent exister.

d – « Wenn ein Mensch tausend, oder alle Menschen, oder alle Creaturen ware. » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 398.)

Où peut-on donc trouver cette foi, direz-vous, et comment la recevoir ? C’est, en effet, ce qu’il importe le plus de connaître. La foi vient uniquement de Jésus-Christ, promis et donné gratuitement.

O homme ! représente-toi Christ, et contemple comment en lui Dieu te montre sa miséricorde sans être prévenu par aucun mérite de ta parte. Puise dans cette image de sa grâce la foi et l’assurance que tous tes péchés te sont remis. Les œuvres ne sauraient la produire. C’est du sang, c’est des plaies, c’est de la mort de Christ qu’elle découle, c’est de là qu’elle jaillit dans les cœurs. Christ est le rocher d’où découlent le lait et le miel. » (Deutéronome 32.13)

e – « Siehe, also must du Christum in dich bilden, und sehen wie in Ihm Gottseine Barmherzigkeit dir fürhält und anbeut… » (Luth. Op. (L.), XVII, p. 401.)

Ne pouvant faire connaître tous les ouvrages de Luther, nous avons cité quelques courts fragments de ce discours sur les bonnes œuvres, à cause de ce qu’en pensait le réformateur lui-même. « C’est, à mon jugement, dit-il, le meilleur des écrits que j’aie publiés. » Et il ajoute aussitôt cette remarque profonde : « Mais je sais que quand je me plais dans ce que j’écris, l’infection de ce mauvais levain empêche que cela ne plaise aux autresf. » Mélanchthon, en envoyant ce discours à un ami, l’accompagnait de ces mots : « Il n’est personne entre tous les écrivains grecs et latins qui ait approché davantage que Luther de l’esprit de saint Paulg. »

f – « Erit meo judicio omnium quæ ediderim optimum : quanquam scio quæ mihi mea placent, hoc ipso fermento infecta, non solere aliis placere. » (Luth. Ep., I, p. 431.)

g – « Quo ad Pauli spiritum nemo propius accessit. » (Corp. Ref., I, p. 202.)

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant