Histoire de la Réformation du seizième siècle

Avant-propos du cinquième tome

L’auteur a retracé dans les quatre premiers volumes, les origines et les développements essentiels de la Réformation du seizième siècle sur le continent ; il en vient maintenant à la Réformation d’Angleterre.

On trouvera dans les notes l’indication des principales sources auxquelles il a puisé. La plupart sont connues ; il en est pourtant qui ont été peu ou point explorées ; de ce nombre sont les State papers (Papiers d’État), tirés des Archives du Royaume-Uni, publiés par ordre de la reine d’Angleterre et par les soins d’une commission, dont l’illustre Robert Peel a été le premier président. Les trois derniers ministres de l’intérieur, les très honorables sir James Graham, sir George Grey, et S. H. Walpole, ont fait don à l’auteur des divers volumes de ce grand et important recueil ; quelquefois même ils les lui ont communiqués avant la publication, le tome septième en particulier, dont il a fait un grand usage. Il témoigne ici sa sincère reconnaissance à ces nobles amis des lettres.

On rencontrera dans ce volume quelques mots qui ne sont pas consacrés par l’autorité de l’Académie française, hiérarchisme, sacramentalisme, par exemple. L’auteur a cru que l’emploi de ces termes qui existent dans d’autres langues était facile à justifier. La langue française, si parfaite à tant d’égards, n’est pas très riche en expressions théologiques ; cela se comprend ; et cela excuse peut-être une hardiesse que l’auteur s’interdirait dans toute autre matière.

L’histoire de la Réformation du seizième siècle, reçue sur le continent avec bienveillance, a eu un nombre de lecteurs plus considérable encore dans les États britanniques et les États-Unis. L’auteur regarde les rapports que cet ouvrage a formés entre lui et plusieurs chrétiens éloignés, comme une précieuse récompense de ses travaux. Ce nouveau volume sera-t-il reçu dans ces contrées aussi favorablement que les autres ? Un étranger racontant à des Anglo-Saxons l’histoire de la Réformation religieuse de l’Angleterre, a quelques désavantages ; mais quoique l’auteur eût préféré renvoyer ses lecteurs aux travaux des écrivains anglais, anciens ou modernes, tous plus capables que lui d’accomplir cette tâche, il n’a pas cru qu’il lui fût permis de s’y soustraire.

L’histoire de la Réforme anglaise ne pouvait manquer en aucun temps, dans une histoire générale de la Réformation du seizième siècle ; elle le peut à cette heure moins que jamais.

D’abord, la Réformation d’Angleterre a été et même est encore calomniée par des écrivains de partis divers, qui n’y voient qu’une transformation extérieure, politique, et qui en méconnaissent ainsi la nature spirituelle. L’histoire a appris à l’auteur que ce fut essentiellement une transformation religieuse, et que c’est dans des hommes de foi qu’il faut la chercher, et non pas seulement, comme on le fait ordinairement, dans les caprices du prince, dans l’ambition des seigneurs, et dans la servilité des prélats. Un récit fidèle de cette grande rénovation montrera peut-être qu’en dehors des mesures de Henri VIII, il y avait quelque chose, — tout, pour ainsi dire, — car il y avait l’essentiel de la Réformation, ce qui en a fait une œuvre divine et impérissable.

Un second motif nous a fait sentir la nécessité d’une histoire véritable de la Réforme anglaise. Un parti actif de l’Église épiscopale relève avec ardeur, avec persévérance et avec talent les principes du catholicisme romain, prétend les imposer à l’Église réformée d’Angleterre, et attaque incessamment les bases du christianisme évangélique. Un grand nombre de jeunes gens des universités, séduits par le mirage trompeur que quelques-uns de leurs maîtres placent devant leurs yeux, se jettent dans des théories cléricales et superstitieuses, et courent risque de tomber tôt ou tard, comme déjà tant d’autres l’ont fait, dans le gouffre toujours béant de la papauté. Il faut donc rappeler les principes réformateurs qui furent proclamés dès le commencement de cette grande transformation.

La position nouvelle que la cour romaine prend en Angleterre, et ses agressions hardies, sont une troisième considération qui nous semble démontrer l’importance actuelle de cette histoire. Il est bon de rappeler que le christianisme primitif de la Grande-Bretagne repoussa avec persévérance l’invasion de la papauté, et qu’après la victoire définitive de cette domination étrangère, les voix les plus nobles parmi les rois, parmi les grands, parmi les prêtres, parmi le peuple, protestèrent courageusement contre elle. Il est bon de montrer que, tandis que la Parole de Dieu reconquérait au seizième siècle, dans la Grande-Bretagne, ses droits inaliénables, la papauté, agitée par des intérêts tout politiques, rompait elle-même la chaîne dont elle avait si longtemps enlacé l’Angleterre. On verra, dans ce volume, le gouvernement anglais se prémunir, par exemple sous Édouard III, contre les envahissements de Romea.

a – Les diverses lois rendues de 1343 à 1364, sous Édouard III, et en 1393 sous Richard II, pour se prémunir contre la papauté, peuvent être désignées sous le nom commun de Præmunire. Édouard III étant le véritable représentant de cette opposition, l’auteur a signalé plus spécialement dans ce volume la date de 1353, qui est celle de la loi la plus importante promulguée par ce prince ; toutefois, la loi de 1393 est la plus connue et l’auteur lui a emprunté quelques expressions.

On a prétendu de nos jours, et ce ne sont pas seulement des ultramontains qui l’ont fait, que la papauté étant une puissance purement spirituelle, il ne faut lui opposer que des armes spirituelles. Si la première partie de ce raisonnement était vraie, personne ne serait plus empressé que nous à en proclamer la conclusion. A Dieu ne plaise qu’aucun État protestant refuse jamais aux doctrines catholiques-romaines la plus complète liberté ! Sans doute nous désirons qu’il y ait réciprocité ; nous demandons que l’ultramontanisme ne jette plus en prison d’humbles fidèles qui cherchent leur consolation et celle de leurs amis dans les saintes Écritures. Mais quand même un déplorable fanatisme continuerait à ramener dans le dix-neuvième siècle les scènes lugubres du moyen âge, nous persisterions à demander que la plus complète liberté, non seulement de conscience, mais de culte, fût garantie dans les États protestants aux catholiques-romains. Nous le demanderions à cause de la justice, dont l’injustice de nos adversaires ne peut nous faire oublier les immuables lois ; nous le demanderions pour le triomphe final de la vérité ; car si nos réclamations ne sont pas utiles, peut-être qu’avec le secours de Dieu notre exemple le sera. Quand il y a deux mondes en présence, dans l’un desquels se trouve la lumière et dans l’autre les ténèbres, ce sont les ténèbres qui doivent s’évanouir devant la lumière, et non la lumière qui doit céder aux ténèbres. Il y a plus ; nous voudrions que loin de gêner en rien les catholiques anglais, on les aidât au contraire à être encore plus libres qu’ils ne le sont, à récupérer des droits dont l’évêque romain les a dépouillés dans des temps postérieurs à l’établissement de la papauté, par exemple l’élection des évêques et des pasteurs, qui appartient au clergé et au peuple. En effet, Cyprien écrivant à un évêque de Rome (Corneille), demandait pour la légitimité de l’élection épiscopale trois éléments : « La vocation de Dieu, le suffrage du peuple, et le consentement des co-évêques (co-episcoporum)b. » Et le concile de Rome de l’an 1080 disait lui-même : « Il faut que le clergé et le peuple, avec le consentement du siège apostolique ou du métropolitain, se choisissent un pasteur selon Dieuc. » Dans les jours où nous sommes, qui se distinguent par une grande liberté, l’Église sera-t-elle moins libre qu’elle ne l’était au moyen âge ?

b – « Divinum judicium, populi suftragium, coepiscoporum consensus. » (Epist. LV.)

c – « Clerus et populus, apostolicæ sedis vel metropolitain sui consensu, pastorem sibi eligat. » (Mansi, XX, p. 533.)

Mais si nous ne craignons pas de réclamer pour les catholiques les droits de l’Église des premiers siècles, et une liberté plus grande que celle qu’ils ont à cette heure, même dans les pays de la papauté, faudra-t-il dire pour cela que l’État, soit sous Édouard III, soit plus tard, n’eût dû opposer aucune barrière aux invasions romaines ? S’il est dans l’esprit et dans l’essence de la papauté de franchir les limites religieuses et d’entrer dans le domaine politique, alors pourquoi trouver étrange que l’État cherche à se défendre quand on vient l’attaquer sur son propre terrain ? L’État n’aurait-il aucune précaution à prendre contre un pouvoir qui a prétendu être suzerain de l’Angleterre, qui en a donné en conséquence la couronne à un monarque français, qui a obtenu d’un roi anglais le serment de vasselage, et qui pose comme premier dogme son infaillibilité, et son immutabilité ? Si le pape veut porter atteinte, de manière quelconque, aux droits de l’État, alors que l’État lui résiste avec une sagesse éprouvée et une inébranlable fermeté. Gardons-nous d’un ultra-spiritualisme qui oublie les enseignements de l’histoire et méconnaît les droits des peuples et des rois. S’il se trouve chez des théologiens, c’est une erreur ; si chez des hommes d’État, c’est un danger.

Enfin, et cette considération relève nos espérances, il est un quatrième motif qui donne à cette heure une importance particulière à l’histoire que nous allons raconter. La Réformation entre maintenant dans une phase nouvelle. Le mouvement du seizième siècle s’était ralenti pendant le dix-septième et le dix-huitième, et ce fut souvent à des Églises plongées dans la mort que l’historien dut alors raconter cette grande vivification. Il n’en est plus de même. Un mouvement nouveau et plus vaste succède, après trois siècles, à celui que nous décrivons dans ces volumes. Les principes de la régénération religieuse que Dieu accomplit il y a trois cents ans, sont portés maintenant jusqu’au bout du monde, avec une grande énergie. La tâche du seizième siècle se représente au dix-neuvième ; mais plus dégagée du pouvoir séculier, plus spirituelle, plus universelle ; et c’est principalement de la race anglo-saxonne que Dieu se sert pour accomplir cette œuvre œcuménique. La Réforme anglaise acquiert donc de nos jours une importance spéciale.

L’œuvre commencée au temps des apôtres, renouvelée au temps des réformateurs, doit être reprise partout de nos jours avec un saint enthousiasme ; et cette œuvre est bien simple et bien belle, car elle consiste à établir, dans l’Église et sur la terre, le trône de Jésus-Christ.

La foi évangélique ne place pas sur le trône de l’Église la raison humaine ou la conscience religieuse, comme quelques-uns le veulent. Elle y place Jésus-Christ, qui est à la fois la science enseignée et le docteur qui l’enseigne ; qui explique sa Parole, par sa Parole, et par les lumières de son Saint-Esprit ; qui rend par elle témoignage à la vérité, c’est à dire à sa Rédemption, et enseigne les lois essentielles qui doivent régir la vie intérieure de ses disciples. La foi évangélique fait appel à l’intelligence, au cœur et à la volonté de chaque chrétien, mais pour leur imposer le devoir de se soumettre à l’autorité divine de Jésus-Christ, d’écouter, de croire, d’aimer, de comprendre et d’agir, comme Dieu le demande.

La foi évangélique ne place pas sur le trône de l’Église la puissance civile, le magistrat séculier. Elle y place Jésus-Christ, qui a dit : Je suis Roi ; qui communique à ses sujets le principe de la vie, qui établit son royaume ici-bas, le conserve, le développe, et qui dirigeant toutes les choses humaines, fait maintenant la conquête progressive du monde, en attendant qu’il exerce en personne son divin empire dans le royaume de sa gloire.

La foi évangélique, enfin, ne place pas sur le trône de l’Église les prêtres, les conciles, les docteurs et leurs traditions, — ce vice-Dieu (Veri Dei vicem gerit in terris, comme dit la glose romaine), ce pontife infaillible, qui renouvelant les erreurs des païens, attribuent le salut aux opérations du culte et aux œuvres méritoires de l’homme. Elle y place Jésus-Christ, le grand Pontife de son peuple, le Dieu-homme, qui par un acte de son libre amour a porté à notre place dans son sacrifice expiatoire la peine du péché, a enlevé la malédiction de dessus nos têtes, et s’est fait par là même le créateur d’une race nouvelle.

Telle est l’œuvre essentielle du christianisme, que l’âge apostolique transmit aux réformateurs, et qu’il transmet maintenant aux chrétiens du dix-neuvième siècle. Tandis que les pensées d’un grand nombre s’égarent au milieu des rites, des prêtres, des élucubrations de l’homme, des fables pontificales, des rêveries philosophiques, et s’agitent dans la poussière de ce monde, la foi évangélique s’élève jusqu’aux cieux, et se prosterne devant Celui qui est assis sur le trône.

La Réformation, c’est Jésus-Christ.

« A qui irions-nous, Seigneur, si ce n’est à toid ? » Que d’autres suivent leurs propres imaginations, se prosternent devant des superstitions traditionnelles, ou baisent les pieds d’un homme pécheur… ô Roi de gloire ! nous te voulons Toi seul !

dJean 6.68.

Genève, Eaux-Vives, janvier 1853.

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