Histoire de la Réformation du seizième siècle

20.6

Maladie du pape – Désir de Wolsey – Conférence sur les membres du conclave – Instruction de Wolsey – Le pape se rétablit – Discours des envoyés anglais au pape – Clément veut abandonner l’Angleterre – Les Anglais demandent au pape de renier le bref – Alarme de Wolsey – Intrigues – Clairvoyance de Bryan – Menaces de Henri – Nouveaux efforts de Wolsey – Il demande l’appel à Rome et se rétracte – Wolsey et Du Bellay à Richmond – Le navire de l’Angleterre

Le 6 janvier, jour de l’Épiphanie, au moment où l’on célébrait la grand’messe, le pape se trouva mal ; on l’emporta, le croyant perdu. Cette nouvelle étant parvenue à Londres, le cardinal résolut de se hâter d’abandonner l’Angleterre, dont le sol tremblait sous ses pieds, et de monter hardiment sur le trône des pontifes. Bryan et Vannes, alors à Florence, se rendirent précipitamment à Rome, à travers des chemins infestés de brigands. A Orviéto on leur dit que le pape n’était pas mort ; à Viterbe, on ne savait s’il était mort ou vivant ; à Ronciglione on leur affirma qu’il avait rendu l’âme ; enfin, arrivés le 14 janvier dans la métropole de la papauté, ils apprirent que Clément ne pouvait échapper et que les impériaux, soutenus par les Colonnes, s’efforçaient d’avoir un pape dévoué à Charles-Quint.

Mais quelque grande que l’agitation fût à Rome, elle l’était plus encore à Whitehall. Si Dieu faisait descendre Médicis du trône pontifical, ce ne pouvait être, pensait Wolsey, que pour l’y faire monter lui-même. « Il faut un pape qui sauve le royaume, dit-il à Gardiner. A l’âge où je me trouve, la tiare ne peut que m’incommoder ; mais, examen fait de tous les cardinaux, je suis, soit dit sans jactance, le seul qui puisse et qui veuille mener le divorce à bonne fin. S’il ne s’agissait pas de sauver le roi et l’Église, il n’y a ni richesses, ni honneurs qui me fissent accepter la triple couronne ; mais il faut que je m’immole. Courage donc, maître Etienne, et pour que cette affaire réussisse, faites effort, mettez-y tout votre esprit, n’épargnez ni argent, ni travail. Je vous donne les plus amples pouvoirs, sans limites et sans conditionsa. » Gardiner partit pour aller conquérir au profit de son maître la tiare tant désirée.

a – Omnes nervos ingenii tui… amplissima potestas, nullis terminis aut conditionibus limitata seu restricta. (Fox, Acts, IV, p. 601.)

Henri VIII et Wolsey, qui contenaient à peine leur impatience, apprirent bientôt de divers lieux la mort du pontifeb. « C’est l’Empereur, dit alors Wolsey aveuglé par sa haine, qui a mis fin à la vie de Clémentc. — Charles, répliqua le roi, va s’efforcer d’obtenir, par violence ou par fraude, un pape selon ses désirs. — Oui, répondit Wolsey, pour en faire son chapelain, et abolir peu à peu le pape et la papautéd … — Il faut courir à la défense de l’Église, reprenait Henri, et pour cela, Monseigneur, vous résoudre à être pape. — Cela seul, répliquait le cardinal, peut mener à bonne fin la grande affaire de Votre Majesté, et en vous sauvant sauver l’Église… — et me sauver moi-même, pensait-il tout bas. — Voyons, comptons les voix. »

b – By sundry ways hath been advertised of the death of our holy father. (Ibid. The king’s instructions.)

c – By some detestable act committed for the late pope’s destruction. (Ibid. 603.)

d – By little and little utterly to exclude and extiguish him and his authority. (Ibid.)

Henri et son ministre écrivirent alors sur un grand parchemin les noms de tous les cardinaux, en marquant de la lettre A ceux qui étaient du côté des rois d’Angleterre et de France, et de la lettre B ceux de l’Empereur. « Il n’y eut pas un C, dit ironiquement un chroniqueur, pas un cardinal qui fût du côté de Christ. » La lettre N désigna les neutres. « Les cardinaux présents, dit Wolsey, ne dépasse ront pas trente-neuf, et il nous en faut les deux tiers, c’est-à-dire vingt-six. Or, il y en a vingt sur lesquels nous pouvons compter ; il nous faut donc à tout prix en gagner six parmi les neutres. »

Wolsey, pénétré de l’importance d’une élection qui devait décider si l’Angleterre serait ou non réformée, s’empressa de rédiger des instructions que Henri signa et que l’histoire doit enregistrer. « Nous voulons, nous ordonnons, y était-il dit aux ambassadeurs, que vous assuriez l’élection du cardinal d’York, n’oubliant pas qu’après le salut de son âme, il n’est rien que Sa Majesté désire avec plus d’ardeur.

Pour gagner les cardinaux indécis, vous emploierez surtout deux moyens.

Voici le premier. Les cardinaux étant assemblés et ayant Dieu et le Saint-Esprit devant euxe, vous leur montrerez que le cardinal d’York peut seul sauver la chrétienté.

e – Having God and the Holy Ghost before them. (Fox, Acts, IV, p. 604.)

Voici le second. La fragilité humaine pouvant s’opposer à ce que l’on prenne en considération de si graves motifs, vous vous efforcerez, pour la consolation de la chrétienté, de subvenir à cette fâcheuse infirmitéf… non pour corrompre, comprenez-le bien !… mais pour réparer les défauts de l’humaine nature. C’est pourquoi vous promettrez des promotions, des offices ecclésiastiques, des dignités, des rétributions d’argent, et autres choses qui vous paraîtront propres à faire pencher la balance du bon côtég.

f – To the comfort of all Christendom, to succour the infirmity (Ibid.)

g – With policitation of promotion, spiritual offices, dignities, regards of money, orother things. (Ibid.)

Puis vous unirez tous les cardinaux qui nous seront favorables, de manière à en former un indissoluble faisceauh. Et pour lui donner plus de force, vous offrirez les troupes du roi d’Angleterre, du roi de France, du vicomte de Turin et de la république de Venise.

h – With good dexterity combine and knit those, in a perfect fasteness and an indissoluble knot. (Ibid, p. 605.)

Si malgré tous vos efforts l’élection échouait, alors les cardinaux du roi se rendraient en une place sûre, pour y procéder à une élection selon le bon plaisir de Dieui.

i – As may be to God’s pleasure. (Fox, Acts, IV, p. 605.)

Pour gagner plus d’amis au roi, vous promettrez d’un côté au cardinal de Médicis et à son parti notre faveur spéciale, et de l’autre aux Florentins, l’exclusion de ladite famille des Médicisj. De même, vous assurerez d’une part aux cardinaux la restitution et l’intégrité du patrimoine de l’Église, et d’autre part vous confirmerez aux Vénitiens la possession de Ravenne et de Cervia qui font partie de ce patrimoine, et qu’ils convoitent si fortk. »

j – Inculke unto them (le parti des Médicis) the singular devotion and special favour… and semblably put the Florentines in comfort of the exclusion of the said family the Medicis. (Ibid., p. 606.)

k – Likewise putting the cardinal in perfect hope of recovery of the patrimonies of the Church. (Ibid.)

Voilà par quelles voies le cardinal prétendait arriver au siège de Saint-Pierre. A droite il dirait oui, à gauche il dirait non. Qu’importe que ces perfidies se découvrent un jour, pourvu que ce soit après l’élection ! La chrétienté pouvait se tenir assurée que le choix du futur pontife serait l’œuvre du Saint-Esprit. Alexandre VI avait été un empoisonneur ; Jules II s’était adonné à l’ambition, à la colère et au vice ; le libéral Léon X avait passé sa vie dans la mondanité ; le malheureux Clément VII avait vécu de ruse et de mensonge ; Wolsey serait leur digne successeur :

Les sept péchés mortels ont porté ta tiarel.

l – Casimir Delavigne, Derniers chants, le Conclave.

Wolsey trouvait son excuse dans la pensée que s’il réussissait, le divorce était assuré, et l’Angleterre asservie pour jamais à la cour de Rome.

Le succès parut d’abord probable. Plusieurs cardinaux parlaient hautement en faveur du prélat anglais ; l’un d’eux demandait un récit détaillé de sa vie, afin de le présenter comme modèle à l’Église ; un autre le vénérait, disait-il, comme une divinité… On en avait vénéré, à Rome, parmi les dieux et parmi les papes, qui ne valaient pas mieux. Mais bientôt d’alarmantes nouvelles arrivent en Angleterre. O douleur ! le pape se rétablit. « Cachez vos instructions, écrivit le cardinal, et Conservez-les in omnem eventum. »

Wolsey n’ayant pas obtenu la tiare, il fallait du moins gagner le divorce. Dieu déclare, dirent au pape les ambassadeurs d’Angleterre, que si Christ ne bâtit pas la maison, ceux qui la bâtissent y travaillent en vainm. Le roi donc, prenant Dieu seul pour son guide, vous demande en premier lieu un engagement de prononcer le divorce dans l’espace de trois mois, et en second lieu l’appel à Rome. — D’abord la promesse et seulement ensuite l’appel, avait dit Wolsey ; car je crains que si le pape commence par l’appel, il ne prononce jamais le divorce. — Au reste, dirent les envoyés, les secondes noces du roi ne souffrent pas de refusn, quels que soient les bulles et les brefs. La seule issue à cette affaire, c’est le divorce ; le divorce d’une manière ou d’une autre, mais enfin le divorce. »

m – Where Christ is not the fundament, surely no building can be of goodwork. (State Papers, VII, 52.)

n – Convolare ad secundas nuptias non patitur negativum. (Ibid. p. 138.)

Wolsey avait recommandé aux envoyés de prononcer ces paroles avec une certaine familiarité et en même temps avec un sérieux propre à faire de l’effeto. Son attente fut déçue ; Clément resta plus froid que jamais. Il s’était décidé à abandonner l’Angleterre pour s’assurer les États de l’Église, dont Charles-Quint disposait seul alors ; il sacrifiait ainsi le spirituel au temporel. « Le pape ne fera pas la moindre chose pour Votre Majesté, écrivit Bryan au roi ; votre affaire peut bien être dans son Pater noster, mais elle n’est certainement pas dans son Credo.p — Redoublez d’instances, répondit le roi, que le cardinal de Vérone ne quitte jamais le pape et contre-balance l’influence de De Angelis et de l’archevêque de Capoue. Plutôt perdre mes deux couronnes que d’être vaincu par ces deux moines ! »

o – Which words, fashioned with a familiarity and somewhat with earnestness and gravity. (Ibid.)

p – It might well be in his Pater noster, but it was nothing in his Credo. (State Papers p. 330.)

Ainsi la lutte allait devenir plus vive encore, quand une rechute de Clément remit tout en question. Il était toujours entre la vie et la mort ; et cette alternative perpétuelle agitait en tous sens le roi et l’impatient cardinal. Celui-ci avisa que le pape avait besoin de mérites pour entrer dans le ciel. Arrivez jusqu’au pape, écrivit-il aux envoyés, fût-il même dans l’agonie de la mortq ; et représentez-lui que rien n’est plus propre à sauver son âme que la bulle de divorce. » On n’admit pas les commissaires de Henri ; mais vers la fin de mars, les députés s’étant présentés tous ensembler, le pape promit d’examiner la lettre d’Espagne. Vannes commençait à craindre ce document ; il représenta que ceux qui avaient su le fabriquer, sauraient bien lui donner l’apparence de l’authenticité. « Déclarez plutôt immédiatement que ce bref n’est pas un bref, dit-il au pape. Le roi d’Angleterre, qui est le fils de Votre Sainteté, ne l’est pas comme tout le monde. On ne peut chausser les pieds de tous avec un seul et même souliers. » Cet argument un peu vulgaire ne toucha pas Clément : « Si pour contenter votre maître dans cette affaire, dit-il, je ne puis y mettre toute la tête, j’y mettrai au moins le doigtt. — Expliquez-vous, répliqua Vannes, qui trouvait le doigt trop peu de chose. — Je veux dire, reprit le pontife, que je mettrai tous les moyens en œuvre, pourvu qu’ils soient honnêtes. » Vannes se retira découragé.

q – And though he were in the very agony of death. (Burnet, I, p. 63.)

r – Postquam conjunctim omnes… (State Papers, 7 p. 154.)

s – Uno eodemque calceo omnium pedes velle vestire. (Ibid. p. 156.)

t – Quod forsan non licebit toto capite assequi, in eo digitum imponam. (Ibid. p. 157.)

Il conféra aussitôt avec ses collègues, et tous ensemble, effrayés à la pensée de la colère de Henri VIII, revinrent à la charge auprès du pontife ; ils repoussèrent à droite et à gauche les valets qui essayaient de les arrêter, et se frayèrent un passage jusqu’à son lit. Clément leur opposa cette force d’inertie avec laquelle la papauté gagne ses plus belles victoires ; siluit, il se tut. Qu’importaient au pontife, Tudor, son île et son Église, quand Charles d’Autriche le menaçait avec ses armées ? Clément, moins fier qu’Hildebrand, se soumettait volontiers au pouvoir de l’Empereur, pourvu que l’Empereur le protégeât. « Plutôt, disait-il, être le domestique de César, non seulement dans un temple, mais s’il le faut dans une écurie, que de me voir exposé aux insultes d’hommes de rien, de rebellesu. » En même temps il écrivait à Campeggi : « N’aigrissez pas le roi, mais prolongeons le plus possible cette affaire ; le bref d’Espagne nous en donne les moyensv. »

u – Malle Cæsari a stabulo nedum a sacris inservire, quam inferiorum hominum subditorum, vassalorum, rebellium injurias sustinere.(Herbert, vol. 1 p. 261.)

v – Le Grand, vol. 1 p. 131.

En effet, Charles-Quint avait exhibé deux fois à Lee l’original de ce document, et Wolsey, d’après le rapport de cet ambassadeur, commençait à croire que ce n’était pas Charles qui avait forgé le bref, et que c’était bien le pape Jules qui avait donné le même jour deux actes contradictoires. Aussi le cardinal appréhendait-il maintenant de voir cette lettre entre les mains du pontife. « Faites tout pour dissuader le pape de chercher l’original en Espagne, écrivit-il à l’un des ambassadeurs ; cela pourrait irriter l’Empereur. » On sait comment le cardinal en était aux ménagements avec Charles. L’intrigue atteignait alors son plus haut paroxysme, et Anglais et Romains faisaient assaut de ruse. « Dans des affaires si chatouilleuses, dit Burnet (un peu diplomate lui-même), cela fait partie des instructions des ambassadeursw. » Les envoyés de Henri VIII auprès du pape interceptaient les lettres qui partaient de Romex et faisaient saisir celles de Campesgi. De son côté le pape usait de sourires flatteurs et de réticences perfides. Bryan écrivait à Henri : « Le pape n’a jamais répondu à vos bienfaits que par de belles paroles et de belles écrituresy. Vous n’en manquerez pas à l’avenir, mais quant à des faits, vous n’en verrez jamais. » Bryan avait compris la cour de Rome, mieux peut-être que bien des politiques. Enfin Clément lui-même, voulant préparer le roi au coup dont il allait le frapper, lui écrivit : « Nous n’avons rien pu trouver qui satisfasse vos ambassadeursz. »

w – Burnet, I, p. 69

x – De intercipiendis literis. (State Papers, vol. 7 p. 185.)

y – With fayre wordys and fayre wrytinges. (Ibid., p. 107)

z – Tametsi noctes ac dies per nos ipsi, ac per jurisperitissimos viros omnes vias tentemus. (Ibid. p. 165.)

Henri crut comprendre ce que ce message voulait dire, qu’on n’avait rien trouvé et que l’on ne trouverait rien à l’avenir ; aussi ce prince qui, s’il faut en croire Wolsey, avait montré jusqu’alors une patience et une douceur incroyablesa, s’abandonna-t-il à toute sa violence. « Eh bien, dit-il, moi et mes nobles, nous saurons nous soustraire à l’autorité du saint-siège. » Wolsey pâlit et conjura son maître de ne pas se précipiter dans cet affreux abîmeb ; Campeggi, de son côté, s’efforça de ranimer les espérances du roi. Mais tout fut inutile ; ce prince rappela ses ambassadeurs.

a – Incredibili patientia et humanitate. (Burnet, Records, p. 32.)

b – Ne præceps huc vel illuc rex hic ruat curamus. (Ibid. p. 33.)

Henri, il est vrai, n’avait pas encore atteint l’âge où des caractères violents deviennent inflexibles par l’habitude qu’ils ont prise de céder à leurs penchants. Mais le cardinal, qui connaissait son maître, savait que l’inflexibilité n’attendait pas chez lui le nombre des années ; il crut Rome perdue en Angleterre, et, placé entre Henri et Clément, il s’écria : « Comment faire pour éviter les rochers de Scylla, sans tomber dans le gouffre de Charybdec ! » Il supplia pourtant le roi de faire un dernier effort en envoyant le docteur Bennet au pape avec ordre d’appuyer l’appel à Rome, et lui donna une lettre dans laquelle il déployait toutes les ressources de son éloquence. « Comment imaginer, écrivait-il, que c’est l’empire des sens qui porte le roi d’Angleterre à rompre une union dans laquelle il a saintement passé les ardentes années de sa jeunessed ?… C’est de tout autre chose qu’il s’agit. Je suis sur les lieux, je connais l’état des esprits… Veuillez m’en croire… Le divorce n’est que la question secondaire ; il s’agit de la fidélité de ce royaume au siège papal. Les grands, les nobles, les bourgeois s’écrient tous, dans leur indignation : Faut-il que le sort de notre fortune et même de notre vie dépende d’un mouvement de tête fait par un personnage étranger ? Il faut abolir ou du moins diminuer l’autorité du pontife romaine… — O très saint Père ! nous ne pouvons sans horreur rapporter de tels discours !… » Cette nouvelle tentative fut encore inutile. Le pape demanda à Henri comment il pouvait douter de sa bonne volonté, puisque lui, roi d’Angleterre, avait tant fait pour le saint siège apostoliquef … Ceci parut à Tudor une sanglante ironie ; le roi demandait au pape un bienfait, et celui-ci répondait en rappelant ceux que la papauté avait reçus de sa main. « Est-ce donc là, disait-on en Angleterre, la manière dont Rome paye ses dettes ? »

c – Hanc Charybdin et hos scopulos evitasse. (Ibid. p. 32.)

d – Sensuum suadela eam abrumpere cupiat consuetudinem. (Ibid. p. 33.)

e – Qui nullam aut certe diminutam hic Romani pontificis auctoritatem vellent. (Burnet, Records, p. 33.)

f – Dubitare non debes si quidem volueris recordare tua erga nos merita.

Wolsey n’était pas au terme de ses malheurs. Gardiner et Bryan venaient d’arriver à Londres ; ils déclarèrent que demander l’appel à Rome, était perdre leur cause. Aussitôt Wolsey, qui tournait à tout vent, ordonna à Da Casale, si Clément prononçait l’appel, d’en appeler du pape, le faux chef de l’Église, au vrai vicaire de Jésus-Christg. Ceci était presque du Luther. Qui était ce vrai vicaire ? Probablement un pape nommé sous l’influence de l’Angleterre.

g – A non vicario ad verum vicarium Jesu Christi. (Ibid. p. 191.)

Mais cette démarche ne rassurait pas le cardinal ; il perdait la tête. Déjà peu auparavant, Du Bellay, revenant de Paris, où il s’était rendu pour retenir la France dans les intérêts de l’Angleterre, avait été invité à Richmond par Wolsey. Les deux prélats se promenant dans le parc, sur les hauteurs d’où la vue domine ces campagnes riches et ondulées où la Tamise étend çà et là les nappes tranquilles de ses eaux : « Ma peine, disait à l’évêque le malheureux Wolsey, est la plus grande qui fut jamais !… J’ai suscité et poursuivi cette affaire du divorce, pour rompre l’union des deux maisons d’Espagne et d’Angleterre, en mettant entre elles la mésintelligence comme si je n’y étais pour rienh. C’était, vous le savez, dans l’intérêt de la France ; je supplie donc le roi votre maître et Madame, de tout faire pour la réussite du divorce. J’estimerai plus une telle faveur que s’ils me faisaient pape ; mais s’ils me refusent, ma ruine est inévitable. » Puis, s’abandonnant à son désespoir, il s’écria : « Hélas ! je voudrais être prêt à être mis en terre dès demain ! »

h – Du Bellay à Montmorency, 22 mai. (Le Grand, preuves, p. 319.)

Ce malheureux buvait la coupe amère que ses perfidies lui avaient préparée. Tout semblait conspirer contre Henri, et peu après Bennet fut rappelé. On disait à la cour et parmi le peuple : « Puisque le pape nous sacrifie à l’Empereur, sacrifions le pape ! » Clément VII, intimidé par les menaces de Charles-Quint et agité sur son trône, repoussait follement du pied le navire de l’Angleterre. L’Europe était attentive, et commençait à croire que le fier vaisseau d’Albion, se passant de la remorque des pontifes, déploierait hardiment ses voiles, et désormais naviguerait seul, avec le vent du ciel.

L’influence de Rome sur l’Europe, est en grande partie politique. Elle perd un royaume par une brouillerie royale, et pourrait ainsi en perdre dix.

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