Histoire de la Réformation du seizième siècle

20.7

Discussion entre les évangéliques et les catholiques – Union de la science et de la vie – Les laïques : Tewkesbury – Sa comparution devant la cour épiscopale – Il est mis à la torture – Deux classes d’adversaires – Un duel théologique – L’Écriture et l’Église – Affranchissement des esprits – Mission dans les Pays-Bas – Embarras de Tyndale – Tonstall veut acheter les livres – Ruse de Packington – Tyndale part pour Anvers – Son naufrage – Il arrive à Hambourg – Il y trouve Coverdale

D’autres circonstances rendaient de jour en jour plus nécessaire l’émancipation de l’Église. Si derrière les débats politiques ne s’était pas trouvé un peuple chrétien, décidé à ne jamais pactiser avec l’erreur, il est probable que l’Angleterre, après quelques années d’indépendance, serait retombée dans le giron de Rome. L’affaire du divorce n’était pas la seule qui agitât les esprits ; les débats religieux, qui depuis quelques années préoccupaient le continent, étaient toujours plus animés à Cambridge et à Oxford. Les évangéliques et les catholiques (peu catholiques au fond) discutaient avec feu les grandes questions que les événements posaient devant le siècle. Les évangéliques soutenaient que l’Église primitive des apôtres et l’Église actuelle de la papauté n’étaient pas identiques ; les catholiques au contraire maintenaient l’identité de la papauté et du christianisme apostolique. D’autres docteurs romains, trouvant cette thèse embarrassante, ont affirmé plus tard que le catholicisme n’existait qu’en germe dans l’Église apostolique et s’était développé depuis lors. Mais mille abus, mille erreurs, peuvent se glisser dans l’Église au moyen de cette théorie. Une plante sort de sa semence et se développe en suivant des lois immuables ; tandis qu’une doctrine ne saurait se transformer dans l’esprit de l’homme sans subir l’influence du péché. Les disciples de la papauté ont supposé, il est vrai, dans l’Église catholique, une action continue de l’Esprit divin, qui exclut toute influence d’erreur. Pour imprimer au développement de l’Église le caractère de la vérité, ils ont imprimé à l’Église même le caractère de l’infaillibilité ; quod erat demonstrandum. Leur raisonnement est une pétition de principe. Pour savoir si le développement romain est identique avec l’Évangile, on doit l’examiner d’après l’Écriture.

Ce n’étaient pas seulement les hommes des universités qui s’occupaient de la vérité chrétienne. La séparation que l’on a remarquée en d’autres temps entre l’opinion du peuple et celle des docteurs n’existait pas. Ce que les savants exposaient, les bourgeois le mettaient en pratique ; Oxford et la Cité se donnaient la main. Les théologiens savaient que la science a besoin de la vie, et les bourgeois croyaient que la vie a besoin de cette science qui puise la doctrine dans les profondeurs des Écritures de Dieu. Ce fut l’accord de ces deux éléments, l’un théologique, l’autre pratique, qui fit la force de la Réformation anglaise.

La vie évangélique dans la Cité alarmait plus le clergé que la doctrine évangélique dans les collèges. Puisque Monmouth avait échappé, il en fallait frapper un autre. Parmi les marchands de Londres, on remarquait John Tewkesbury, l’un des plus anciens amis des saintes Écritures en Angleterre. Il en possédait, déjà en 1512, un exemplaire manuscrit et l’avait étudié avec soin ; quand le Nouveau Testament de Tyndale parut, il le lut avec un nouveau zèle ; enfin l’injuste Mammon avait achevé l’œuvre de sa conversion. Homme de cœur et d’intelligence, habile dans tout ce qu’il entreprenait, d’une élocution prompte et facile, aimant à tout approfondir, Tewkesbury devint, avec Monmouth, l’un des hommes évangéliques les plus versés dans les Écritures et les plus influents de la Cité. Décidés à consacrer à Dieu les biens qu’ils en avaient reçus, ces généreux chrétiens furent les premiers dans cette série de laïques qui devaient être plus utiles à la vérité que beaucoup de ministres et d’évêques. Ils surent trouver le temps de s’occuper des moindres détails du règne de Dieu ; et l’histoire de la Réformation britannique doit inscrire les noms de Tewkesbury et de Monmouth à côté de ceux de Tyndale et de Latimer.

L’activité de ces laïques ne pouvait échapper au cardinal. Clément VII abandonnait l’Angleterre : il fallait que les évêques anglais, foulant aux pieds les hérétiques, montrassent qu’ils ne voulaient pas abandonner la papauté. On comprend le zèle de ces prélats, et sans excuser leurs persécutions, on est disposé à atténuer leur faute. Les évêques résolurent la perte de Tewkesbury. Un jour que le marchand était au milieu de ses pelleteries, en avril 1529, des sergents entrèrent dans ses magasins, se saisirent de lui et le conduisirent dans la chapelle de l’évêque de Londres, où siégeaient, outre l’ordinaire (Tonstall), les évêques d’Ély, de Saint-Asaph, de Bath, de Lincoln et l’abbé de Westminster. La composition de ce tribunal indiquait l’importance qu’on attachait à cette cause. L’émancipation des laïques, pensaient ces juges, est une hérésie plus dangereuse peut-être que la justification par la foi.

« John Tewkesbury, dit l’évêque de Londres, je vous invite à vous moins confier dans votre science et dans votre intelligence, et davantage dans l’autorité de votre sainte mère l’Église. » Tewkesbury répondit, qu’il croyait n’avoir pas d’autre doctrine que celle de l’Église de Christ. Tonstall aborda alors l’inculpation principale, celle d’avoir lu sans horreur l’Injuste Mammon, et en ayant cité plusieurs passages, il s’écria : « Abandonnez ces erreurs ! — Je ne trouve aucune erreur dans ce livre, répondit Tewkesburyi. Il a éclairé ma conscience et consolé mon cœur. Mais il n’est pas pour moi l’Évangile. Voilà dix-sept ans que j’étudie les saintes Écritures et que j’y découvre les taches de mon cœur, comme dans un miroir j’aperçois les taches de mon visage. S’il y a dissidence entre vous et le Nouveau Testament, mettez vous d’accord avec lui, plutôt que de vouloir le mettre d’accord avec vous. » Les évêques se demandaient comment il se faisait qu’un marchand parlât si bien, et citât les Écritures si à propos qu’ils se trouvaient incapables de lui répondrej. Pleins de dépit de se voir catéchisés par ce laïque, Bath, Saint-Asaph et Lincoln crurent le réduire plus facilement avec le chevalet qu’avec leurs raisonnementsk. On le conduisit à la Tour ; ils ordonnèrent qu’on l’appliquât à la torture. On brisa ses membres, ce qui était contre les lois de l’Angleterre, et la force des tourments lui arracha un cri de douleur, auquel les prêtres répondirent par un cri de joie ; l’inflexible marchand avait enfin promis de rejeter l’Injuste Mammon de Tyndale. Tewkesbury sortit de la Tour presque estropiél, et retourna dans sa maison pleurer le mot fatal que la question lui avait arraché, et se préparer dans le silence de la foi à confesser bientôt sur un bûcher le nom précieux de Jésus-Christ.

i – That he findeth no fault in it. (Fox, Ads, IV, p. 690.)

j – That they were not able to resist him. (Ibid., p. 689.)

k – He was sent to be racked in the Tower. (Ibid.)

l – Till he was almost lame. (Ibid.)

La question n’était pas, il faut le reconnaître, le seul argument de Rome. L’Évangile avait au seizième siècle deux classes d’adversaires, comme dans les premiers temps de l’Église. Les uns l’attaquaient avec la torture, les autres avec des écrits. Thomas More devait plus tard avoir recours à la première de ces preuves ; mais pour le moment, ce fut la plume qu’il saisit. Il avait d’abord étudié les écrits des Pères et des Réformateurs, mais en avocat plus qu’en théologien ; puis armé de toutes pièces, il s’était lancé dans la polémique et avait porté dans ses attaques « ces convictions de plaidoierie, et cette subtilité malveillante, dit l’un de ses grands admirateursm, auxquelles n’échappent pas les hommes les plus honnêtes de sa profession. » Les plaisanteries, les sarcasmes étaient sortis de sa plume dans sa dispute avec Tyndale, comme dans sa Controverse avec Luther. Peu après l’affaire de Tewkesbury, en juin 1529, on vit paraître unDialogue de sir Thomas More, chevalier, concernant la secte empestée de Luther et de Tyndale, que le premier a établie en Saxe, et que le second introduit en Angleterren.

m – Nisard, Hommes illustres de la Renaissance, (Revue des Deux Mondes.)

n – Le dialogue avait 250 pages et fut imprimé par John Rastels, beau-frère de More. La réponse de Tyndale ne parut que plus tard, mais on a cru devoir en faire mention ici.

Tyndale eut promptement connaissance de l’écrit de More, et l’on vit s’établir un combat singulier entre ces deux représentants des deux doctrines qui devaient partager la chrétienté, Tyndale champion de l’Écriture, et More champion de l’Église. More ayant intitulé son livre Dialogues, Tyndale adopta cette forme dans sa réponseo, et les deux combattants croisèrent vaillamment l’épée par-dessus les mers. Ce duel théologique a son importance dans l’histoire de la Réformation. Des luttes de diplomatie, de sacerdotalisme et de royauté, ne suffisaient pas ; il fallait des luttes de doctrine. La hiérarchie avait été mise par Rome au-dessus de la foi ; la foi devait être remise par la Réforme au-dessus de la hiérarchie.

oAnswer to Sir Thomas More's Dialogue. (Tynd., Works, 2e vol.)

Thomas More

« Christ n’a pas dit que le Saint Esprit écrira, mais que le Saint-Esprit enseignera. Les opinions que l’Église enseigne sans l’Écriture ont donc la même autorité que l’Écriture elle même.

Tyndale

Quoi ! Christ et les apôtres n’auraient pas parlé des Écritures !… Je vous écris ces choses, dit saint Jean, à cause de ceux qui vous égarent 1Jean.2.1 ; Rom.15.4 ; Matth.22.29).

Thomas More

Les apôtres ont enseigné de bouche bien des choses qu’ils n’ont pas écrites, de peur qu’elles ne tombassent dans les mains des païens qui s’en seraient moqués.

Tyndale

Est-il une doctrine plus propre à ex citer les moqueries des païens, que celle d’une résurrection, ou celle d’un homme-Dieu qui meurt entre deux brigands ? Voilà pourtant ce que les apôtres ont écrit. Au contraire, qu’y a-t-il de plus conforme aux superstitions des païens que le purgatoire, les pénitences, les satisfactions pour le péché, l’invocation des saints ? Voilà pourtant, selon vous, ce que les apôtres ont craint d’écrirep !…

p – Tyndale’s Works, II, p. 26 et 29.

Thomas More

Il ne faut pas examiner la doctrine de l’Église au moyen des Écritures ; mais il faut comprendre les Écritures au moyen de ce que l’Église dit.

Tyndale

Quoi donc ! est-ce l’air qui éclaire le soleil, ou le soleil qui éclaire l’air ? L’Église est elle avant l’Évangile, ou l’Évangile avant l’Église ? Le père n’est-il pas plus âgé que le fils ? Nous sommes engendrés par la Parole, dit saint Jacques (Jac.1.18). Si celui qui engendre est avant celui qui est engendré, la Parole est donc avant l’Église, ou, pour mieux parler, avant la congrégation.

Thomas More

Th. More. Pourquoi dites-vous congrégation et non Église ?

Tyndale

Parce que par Église vous entendez cette multitude d’hommes rasés, tondus et huilés, que l’on appelle aussi clergé ; tandis que la vraie Église, ou la congrégation, est la multitude de tous ceux qui croientq.

qIbid., p. 12, 13.

Thomas More

L’Église, c’est le pape et ceux qui le suivent.

Tyndale

Selon le pape, on est sauvé par les œuvres, les pénitences, les mérites des saints et les capuchons des moinesr. Or celui qui croit être sauvé autrement que par Jésus-Christ n’est pas de l’Église de Christ.

rIbid., p. 40.

Thomas More

L’Église romaine, d’où les luthériens sont sortis, est plus ancienne qu’eux, et par conséquent elle est la véritable.

Tyndale

Vous pourriez dire de même : L’Église pharisaïque, d’où les apôtres de Christ sont sortis, était plus ancienne qu’eux, et par conséquent elle était la véritable, et Christ et ses disciples étaient des hérétiques.

Thomas More

Non ; les apôtres sont sortis de l’Église des pharisiens parce qu’ils n’y trouvaient pas Jésus-Christ ; mais vos prêtres, en Allemagne et ailleurs, sont sortis de notre Église romaine parce qu’ils voulaient prendre femme.

Tyndale

Erreur… Ces prêtres se sont d’abord attachés à ce que vous appelez des hérésies, et alors ils ont pris une femme ; mais les vôtres se sont d’abord attachés à la sainte doctrine du pape, et alors ils ont pris des prostituéess.

s – Tyndale’s Works, p. 104.

Thomas More

Les livres de Luther sont ouverts ; lisez-les, si vous ne voulez pas nous croire.

Tyndale

Vous et vos amis avez bien su les fermer ; et même les brûlert !…

tIbid., p. 193-198.

Thomas More

Si vous niez le purgatoire, Monsieur Tyndale, c’est, je pense, parce que votre intention est d’aller en enfer.

Tyndale

Je ne connais d’autre purgatoire que la foi seule en la croix de Jésus-Christ ; mais vous, vous achetez du pape, pour six ou quatre sousu, je ne sais quelles mystérieuses pilules ou indulgences, qui vous purifient, pensez-vous, de vos fautes.

u – By out their purgatory there of the pope, for a groat or six pence. (Tyndale’s Works, p. 223.)

Thomas More

La foi seule est votre purgatoire, dites-vous ; il n’est donc pas besoin des œuvres. Oh ! doctrine immorale…

Tyndale

C’est la foi seulement qui nous sauve, mais ce n’est pas une foi qui demeure seule. Si un cheval porte une selle, Monsieur More, et qu’il y ait un homme dessus, nous disons que c’est le cheval seul qui porte la selle, mais nous ne voulons pas dire par là, qu’il porte la selle sans cavalier. »

C’est ainsi que combattaient alors l’évangélique et le catholique. Selon Tyndale, ce qui constituait la vraie Église, c’était l’œuvre du Saint-Esprit au dedans ; selon More, c’était la constitution de la papauté au dehors. Le caractère spirituel de l’Évangile était ainsi opposé au caractère formaliste de l’Église romaine. La Réformation restituait aux croyances la base solide de la Parole de Dieu ; au sable elle substituait le roc. Dans la lutte dont nous venons d’être témoins, ce ne fut pas au catholique que l’avantage demeura. Érasme, ami de More, embarrassé de la marche que celui-ci prenait, écrivit à Tonstall : « Je ne félicite pas extrêmement Thomas Morev. »

v – Thomaæ Moro non admodum gratulor. (Erasm. Epp. p. 1478.)

Henri vint interrompre dans ses luttes le célèbre chevalier, pour l’envoyer à Cambrai, où se négociait la paix entre l’Empire et la France. Wolsey eût fort désiré s’y rendre ; mais les ducs, ses ennemis, dirent au roi « que c’était uniquement pour ne pas expédier l’affaire du divorce. » Henri envoya donc à Cambrai Thomas More, Tonstall et Knight ; mais Wolsey avait suscité tant de longueurs qu’ils arrivèrent après la conclusion de la paix des Dames (août 1529). Le dépit du roi fut extrême. En vain Du Bellay lui avait-il fait passer ce qu’il appelait un bon juillet préparatoire pour lui faire avaler la médecine. Henri était indigné contre Wolsey, Wolsey jetait la faute sur Du Bellay, et l’ambassadeur se défendait, nous dit-il, « du bec et des onglesw. »

w – Du Bellay à Montmorency. (Le Grand, III, p. 348.)

Pour se dédommager, les envoyés anglais conclurent avec l’Empereur un traité qui interdisait, de part et d’autre, l’impression et la vente de tout livre luthérienx. Quelques-uns auraient voulu une bonne persécution, peut-être même quelques bûchers. Une occasion unique se présentait. Au printemps de 1529, Tyndale et Fryth avaient quitté Marbourg pour Anvers, et se trouvaient ainsi tout près des envoyés d’Angleterre. Ce que West n’avait su faire, les deux hommes les plus intelligents de la Grande-Bretagne ne pouvaient manquer de l’accomplir : « Tyndale sera pris, dirent More et Tonstall. — Vous ignorez dans quel pays vous êtes, leur répondit Hacket. Savez-vous que le 7 avril, à Anvers, Harmann m’a fait arrêter pour l’indemniser des dommages que sa prison lui a causés ! — Si l’on a quelque chose contre ma personne, dis-je à l’officier, je suis prêt à répondre ; mais si l’on m’arrête comme ambassadeur, je ne reconnais d’autre juge que l’Empereur. Sur quoi le procureur dudit Harmann a eu l’audace de me répondre que c’était bien comme ambassadeur que j’étais arrêtéy ; et Messeigneurs d’Anvers ne m’ont mis en liberté que sous la condition de me présenter au premier appel. Ces marchands sont si fiers de leurs franchises, qu’ils résisteraient même à Charles-Quint. » Cette anecdote n’était pas propre à encourager More. Ne se souciant pas d’une poursuite dont il prévoyait l’inutilité, il retourna en Angleterre. Mais l’évêque de Londres, demeuré seul, persista dans son projet et se rendit à Anvers pour l’exécuter.

x – Herbert, p. 316.

y – Harman’s Procurator answered that I was arrested as ambassador. » (Hacket to Wolsey, Brussels, 13 april 1529. (Bible Annals, I, p. 199.)

Tyndale était alors dans un grand embarras ; des dettes considérables, contractées vis-à-vis des imprimeurs, l’obligeaient à suspendre ses travaux. Ce n’est pas tout ; le prélat qui l’a repoussé si durement à Londres arrive dans la ville même où il se trouve caché… Que va-t-il devenir ?… Un marchand nommé Augustin Packington, homme habile, même un peu dissimulé, qui se trouvait à Anvers pour son commerce, s’empressa de rendre ses devoirs à l’évêque de Londres. Celui-ci lui dit dans la conversation : « J’aimerais bien m’emparer des livres dont on empoisonne l’Angleterre ! — Je puis peut-être vous servir en cette affaire, répondit le marchand ; je connais les Flamands qui ont en mains les livres de Tyndale, et si Votre Seigneurie veut les bien payer, je me fais fort de les lui procurer. — Oh ! oh ! pensa l’évêque, maintenant, comme dit un proverbe, je vais prendre Dieu par l’orteilz. — Gentil maître Packington, dit-il d’un ton flatteur, je payerai tout ce que l’on voudra. Je veux brûler ces volumes à la croix de Saint-Paul. » L’évêque, ayant déjà la main sur les Testaments de Tyndale, se croyait sur la voie pour saisir Tyndale lui-même.

z – The bishop thinking he had God by the toe. » (Fox, Acts, IV, p. 670.)

Packington était de ces esprits qui aiment à se concilier tous les partis ; il courut chez Tyndale avec lequel il était lié : « William, lui dit-il, es-tu embarrassé pour tes payements ? je veux te tirer de peine. Tu as un tas de Nouveaux Testaments et autres livres de ta façon, pour lesquels tu t’es ruiné ; eh bien, je viens de te trouver un marchand qui t’achètera le tout, et te payera comptant. — Qui est-il ? dit Tyndale. — L’évêque de Londres. — Tonstall !… S’il achète mes livres, ce sera pour les brûler ! — Sans doute, répondit Packington, mais qu’y gagnera-t-il ? Le monde tout entier criera contre un prêtre qui ose brûler la Parole de Dieu, et les yeux de plusieurs seront ouverts. Allons, décide-toi, William ; l’évêque aura les volumes, toi l’argent, et moi les remerciements — » Tyndale répugnait à cette proposition ; Packington insista. La question se réduit à ceci, lui dit-il : « L’évêque payera-t-il les livres ou ne les payera-t-il pas ?… car fais-en ton compte… il les aura… — J’y consens, dit en fin le réformateur ; j’acquitterai mes dettes, et j’imprimerai une nouvelle édition du Testament plus correcte que les premières. » Le marché fut conclu.

Bientôt le danger augmenta autour de Tyndale. Des placards, affichés à Anvers et dans toute la province, annonçaient que l’Empereur, conformément au traité de Cambrai, allait sévir contre les réformateurs et leurs écrits. Il ne paraissait pas dans la rue un officier de justice sans que les amis de Tyndale ne tremblassent pour sa liberté. Comment, en de telles circonstances, imprimer sa traduction de la Genèse et du Deutéronome ? Il résolut, vers la fin d’août, de quitter Anvers et de se rendre à Hambourg. Il prit son passage sur un navire en chargement, y monta avec ses livres, ses manuscrits et le reste de son argent, puis descendit l’Escaut et se trouva bientôt dans les eaux de la Hollande.

Mais à un danger en succéda un autre. A peine avait-il passé l’embouchure de la Meuse, qu’une tempête l’assaillit, et son navire, comme jadis celui qui portait l’apôtre Paul, fut presque englouti par les flots. — « Satan, dit le chroniqueur, regardant avec l’œil de la haine les succès de l’Évangile, mettait tout en œuvre pour arrêter les travaux de cet homme de Dieua. » Les matelots manœuvraient ; Tyndale priait ; on était battu de la tempête, et chacun perdait espérance. Tyndale seul était plein de courage, ne doutant pas que Dieu ne le gardât pour l’accomplissement de son œuvre. Tous les efforts de l’équipage furent inutiles ; le navire se brisa sur la côte, et les passagers ne sauvèrent que leur vie. Tyndale contemplait avec douleur cette mer qui venait d’engloutir ses chers livres, ses précieux manuscrits, et de le priver de ses dernières ressourcesb. Que de travaux, que de dangers ! l’exil, la pauvreté, la soif, les injures, les veilles, la persécution, la prison, le bûcher… Comme Paul, il est en péril de sa nation, en péril des autres peuples, en péril dans les villes, en péril sur la mer. Toutefois, ranimant ses esprits, il monta sur un autre navire, entra dans l’Elbe et atteignit enfin Hambourg.

a – To hinder the blessed travail of that man. (Fox, Acts, V, p. 120.)

b – Having lost both his money, his copies… (Fox, Acts, V, p. 120.)

Une grande joie lui était réservée dans cette cité. Coverdale, nous dit Fox, l’y attendait pour conférer avec lui, et l’aida aussitôt dans son travailc. On a cru que Coverdale se rendit alors à Hambourg pour inviter Tyndale, de la part de Cromwell, à revenir en Angleterred ; mais cette invitation n’est qu’une supposition que rien ne confirme. Dès 1527, Coverdale avait manifesté à Cromwell son désir de traduire les Écriturese. Il était naturel que rencontrant des difficultés dans ce travail, il désirât s’en entretenir avec Tyndale. Les deux amis, logés chez une veuve pieuse, Marguerite d’Emmersen, passèrent donc quelque temps ensemble dans l’été de 1529, sans s’inquiéter de la suette qui exerçait alors autour d’eux de cruels ravages. Peu après, Coverdale retourna en Angleterre ; les deux réformateurs avaient reconnu, sans doute, qu’il valait mieux traduire, chacun à part, les saintes Écritures.

c – Coverdale larried for him and helped him. (Ibid.)

dBible Annals, I, p. 240.

e – C’est la date indiquée dans les Coverdale’s Remains, p. 490.

Avant le retour de Coverdale, Tonstall était revenu à Londres, tout glorieux d’apporter avec lui les livres qu’il avait si bien payés. Mais arrivé dans la métropole, il pensa devoir attendre pour l’autodafé qu’il méditait, quelque événement un peu saillant qui relevât l’éclat des flammes. Pour le moment, d’ailleurs, c’était de tout autre chose qu’il s’agissait sur les rives de la Tamise, et les plus vives émotions y agitaient tous les esprits.

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