Explication du Psaume 51

Verset 8

Fais-moi entendre la joie et l’allégresse, et que les os que tu as brisés se réjouissent.

Ce n’est pas sans raison que je répète si souvent, que nous avons dans ce psaume non seulement un exemple de justification en David, mais aussi une pleine et parfaite explication de cette céleste doctrine de la justification, de quelle manière elle se fait dans tous les hommes. De sorte que ce psaume est comme une règle générale qui marque comment tous les hommes peuvent être justifiés. Les deux versets précédents nous ont proposé une partie de cette règle, le prophète y a réfuté et détruit tous les autres fondements et les moyens inutiles que les hommes emploient pour se délivrer du péché et pour se réconcilier à Dieu, qui sont ou les bonnes œuvres de la Loi, ou les autres bonnes œuvres que les hommes se choisissent par un surcroît de dévotion. Car il ne demande pas seulement la vérité cachée pour la destruction de l’hypocrisie, mais il demande aussi une autre aspersion que celle de la Loi. Afin de mieux expliquer ce qu’il veut dire, il ajoute : Tu me feras entendre la joie et l’allégresse ; comme s’il voulait dire, tu me laveras d’une telle manière, que par là j’en ressentirai de la joie et de l’allégresse, et j’aurai la paix du cœur et de la conscience par la parole de ta grâce.

§ 68. La foi vient de ce que l’on entend.

L’emphase est dans ce mot ouïr ; par où il veut faire comprendre que la rémission des péchés qui est ce qui seul apporte une véritable joie, se donne par la parole et se reçoit en l’entendant. Car quand même tu te martyriserais et te mortifierais jusqu’à mourir, et que tu répandrais ton sang, et que tu ferais d’un prompt courage tout ce qui pourrait dépendre de l’homme, tu ne ferais rien par là ; le seul ouïr de la parole de Dieu est ce qui cause la joie au cœur, c’est le seul moyen par lequel il est tranquillisé et assuré devant Dieu ; toutes les autres choses laissent encore dans les âmes des craintes et des doutes.

Remarquez donc ces choses qui sont comprises dans les énergiques expressions dont le Saint-Esprit se sert, car il veut encore continuer à réfuter et à rejeter les fausses doctrines qu’il a déjà censurées ci-dessus. Car ici il veut taxer d’insuffisance toutes les différentes voies par lesquelles les consciences troublées cherchent quelque soulagement, lesquelles, quoiqu’elles aient une pompeuse et belle apparence, ne donnent et ne procurent pourtant point cette joie que l’ouïe de la parole donne. Car quand les pauvres âmes sont pressées en leurs consciences, elles courent de côté et d’autre, elles se donnent beaucoup de mouvement, et entreprennent tantôt une bonne chose tantôt une autre, ne faisant par là que de s’accroître un travail inutile, dans le temps qu’elles devraient chercher ce seul et unique remède que David nomme ici une aspersion, une purification qui se donne par l’ouïe et la réception de la parole.

Toute l’œuvre de notre justification se fait d’une manière passive, quant à nous ; mais quand nous nous sentons quelque sainteté, nous voulons ainsi influer d’une manière active à notre justification, c’est-à-dire que nous voulons être justifiés par nos œuvres. Mais selon notre psalmiste, nous ne devons faire aucune autre chose en cette affaire que de prêter nos oreilles et notre attention (comme le psaume 45e le déclare aussi) à ce qu’il nous dit, et le recevoir par la foi ; cela seul est la cause de la joie, et c’est là la seule chose que nous faisons, aidés du Saint-Esprit dans l’œuvre de notre justification. C’était une parole d’allégresse que le paralytique entendit quand Jésus lui dit : Aie bon courage, mon fils, tes péchés te sont pardonnés ; c’était aussi une cause de joie quand David entendit de la bouche de Nathan : Tu ne mourras point.

Voici donc en quoi consiste toute la chose, c’est que quand tu es pénétré de tristesse et d’angoisse dans le sentiment de tes péchés et de la colère de Dieu, tu ne cherches et n’admettes aucune autre consolation que celle de la parole de la promesse, soit qu’elle te soit adressée par un de tes frères présent, soit qu’elle le tombe dans l’esprit par l’assistance et les mouvements du Saint-Esprit qui te rappelle en mémoire et te fait ressouvenir de la parole que tu pourrais avoir ouïe ou lue. Comme il te fera ressouvenir ou te fera dire : Je ne veux point la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive ; ou, il y a toute une vie en sa faveur ; Dieu est le Dieu des vivants ; Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, etc. De pareilles paroles produisent la joie, soit qu’elles nous soient dites par d’autres, soit qu’elles nous soient mises dans le cœur par le Saint-Esprit : mais ceci est aussi une de ces vérités cachées que les hommes ignorants ne comprennent point : c’est pourquoi ils cherchent bien d’autres moyens de remédier aux plaies des pauvres âmes affligées.

Ce passage nous fournit un excellent témoignage de l’estime qu’on doit faire du ministère de la Parole ; car, puisque le Prophète demande d’ouïr la joie et l’allégresse, il fait voir que la Parole est nécessaire pour consoler les âmes, soit qu’elle soit dite par un autre, soit que cette Parole, autrefois ouïe, nous soit remise dans le cœur par le Saint-Esprit. Ainsi, ce passage censure tous ceux qui négligent ou qui haïssent la Parole extérieure, et se livrent à leurs spéculations inutiles et oiseuses ; il condamne aussi ceux qui, étant angoissés et troublés dans leur âme, ne veulent point recevoir et admettre la Parole Évangélique, mais demeurent dans l’incrédulité, ou cherchent du soulagement dans leurs œuvres ; mais par là on s’égare, au lieu que dans ce seul moyen d’ouïr et de recevoir la Parole on ne se fourvoie point.

C’est aussi la doctrine pour laquelle nous souffrons tant de persécutions, et sommes regardés comme des hérétiques, parce que nous attribuons tout à l’ouïr de la Parole ou à la foi dans la Parole (car par l’ouïr de la Parole et par la foi nous entendons la même chose), et rien aux œuvres. Même aussi dans l’usage des saints Sacrements, il faut toujours surtout regarder à la Parole, détourner toutes nos réflexions de nos propres œuvres et les attacher à la Parole ; car dans le baptême, il y a un ouïr d’allégresse, lorsqu’il est dit : Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé. Dans la Cène il y a un ouïr d’allégresse, quand on entend dire : Ceci est mon corps qui est livré pour vous ; ceci est la coupe en mon sang qui a été répandu pour vous en rémission des péchés. Dans l’usage de l’absolution, il y a un ouïr de joie, quand on entend dire : Crois que tes péchés te sont pardonnés par la mort de Jésus-Christ. D’où il paraît que, quoique nous exhortions les hommes à l’usage des Sacrements et des clés du royaume des Cieux, cependant nous n’enseignons pas qu’il y ait en eux quelque propre dignité de nos œuvres, ni que ces usages des Sacrements soient des choses qui sortent et aient leurs effets par un opus operatum, ou que la simple cérémonie soit par elle-même efficace ; mais nous rappelons toujours les hommes à la foi, à l’ouïe et à la réception de la Parole qui est renfermée dans toutes ces choses-là.

Au lieu que nos adversaires, en négligeant la Parole, disputent sur la vertu et sur la forme des Sacrements, ils parlent des attritions et des contritions ; il est vrai que j’ai été moi-même si gâté par ces sortes de doctrines, qu’à peine puis-je déjà par la grâce de Dieu m’attacher au seul ouïr, car si tu devais attendre d’admettre l’ouïr d’allégresse jusques à ce que tu sois suffisamment attristé ou contristé, tu ne le recevrais jamais. Je l’ai expérimenté souvent dans mon monastère, car je suivais cette doctrine des attritions et des contritions. Mais plus je me contristais et m’affligeais, plus ma conscience aggravait et grossissait ses accusations, de sorte que je ne pouvais pas admettre les consolations que l’absolution de ceux à qui je me confessais aurait pu me donner, car je pensais toujours, qui sait s’il faut croire à ces paroles de consolation qu’ils te donnent ? Il arriva une fois, que me plaignant avec un grand torrent de larmes auprès de mon Précepteur des grandes tentations dont j’étais agité (qui à la vérité étaient en grand nombre pour mon âge), mon Précepteur me répondit : Que fais-tu, mon fils, de t’affliger ainsi ? Ne sais-tu pas que le Seigneur lui-même nous a commandé d’espérer ? Cette seule parole, nous a commandé, frappa tellement mon esprit, et me fortifia si puissamment, que je crus que je devais croire aux paroles de l’absolution et de la rémission des péchés, que Dieu nous fait offrir dans l’Évangile : paroles que j’avais déjà souvent entendues ; mais rempli que j’étais de tristes et d’affligeantes pensées, je ne croyais pas que je dusse ajouter foi à ces paroles, mais je les écoutais comme des choses qui ne me concernaient pas.

Profitez de ma triste expérience, et apprenez cette excellente doctrine de la justification, que ce verset nous enseigne, c’est-à-dire que nul n’est justifié que celui-là seul qui croit à la Parole, afin que vous sachiez mettre une aussi grande différence entre la Parole de celui qui absout et remet le péché, et vos dispositions et votre contrition, comme il y en a entre le ciel et la terre. Car lors même que la contrition est la plus parfaite, elle est encore bien au-dessous de l’excellence de la justification, et même c’est un rien en comparaison, et sans doute que nous sommes bien éloignés de mériter quelque chose ou de satisfaire pour nos péchés par notre contrition ; car quel mérite est-ce de reconnaître le péché et d’en être affligé ? C’est pourquoi, détourne ton attention de la nature de ta contrition, et tourne-la toute entière du côté de la Parole de celui qui veut t’absoudre, et ne doutes point que la voix de ton frère que tu entends ne vienne de Dieu même, et ne soit la voix de Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, afin que tu ne sois attaché qu’à la Parole que tu entends, et non à ce que tu fais ou à ce que tu penses, ou aux dispositions dans lesquelles tu es.

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