Contre Celse

PRÉFACE

Jésus-Christ, notre Seigneur et notre Sauveur, demeura dans le silence lorsqu’on le chargea par de faux témoignages, et il ne répondit rien quand on l’accusa. Il s’assurait que tout le cours de sa vie et les actions qu’il avait faites au milieu des Juifs le justifiaient plus hautement que tous les discours et toutes les apologies qu’il aurait pu employer pour détruire ces faux témoignages et pour repousser ces accusations. Cependant, pieux Ambroise, vous avez voulu, je ne sais pour quelle raison, que j’entreprisse de défendre les chrétiens et de soutenir la foi de leurs églises contre les fausses accusations de l’écrit injurieux de Celse comme s’il n’y avait pas, dans les choses mêmes, plu de force et plus d’évidence que dans toutes les paroles du monde pour confondre la calomnie et pour la mettre tellement hors de vraisemblance, qu’il ne lui reste pas le moindre crédit. Saint Matthieu récite comment Jésus garda le silence quand ses faux témoins déposèrent contre lui, et il suffira de le rapporter ici ; car ce qu’en dit Saint Marc est exprimé à peu près dans les mêmes termes. Le grand sacrificateur, dit Saint Matthieu, et tout le conseil cherchaient de faux témoignages contre Jésus, afin de le faire mourir ; et ils n’en trouvaient point, quoique plusieurs faux témoins se fussent présentés. Enfin il s’en présenta deux qui dirent. Celui-ci a dit : Je puis détruire le temple de Dieu, et le rebâtir en trois jours. Alors le grand sacrificateur se levant, lui dit : Ne réponds-tu rien à ce que ceux-ci déposent contre toi ? Mais Jésus demeura dans le silence (Matth., XXVI, 59). Il nous marque dans la suite comment Jésus ne répondit rien lorsqu’on l’accusa. Jésus, dit-il, fut mené devant le gouverneur qui l’interrogea, disant : Es-tu le roi des Juifs ? et Jésus lui répondit, la chose est comme tu le dis. Et quoique les principaux sacrificateurs et les sénateurs l’accusassent, il ne répondit rien. Alors Pilate lui dit : N’entends-tu pas combien de choses ils déposent contre toi ? Mais il ne répondit pas un seul mot ; de sorte que le gouverneur en était tout étonné (Matth. XXVII, 11). En effet, il y avait à s’étonner, pour les personnes même les moins capables de réflexion, qu’un homme accusé et calomnié, qui pouvait faire voir clairement son innocence et qui, par le récit de sa vie digne de tant d’éloges, et par celui de ses miracles pleins de caractères tout divins aurait pu donner lieu à son juge de prononcer en sa faveur, n’en daignât pourtant rien faire et regardât ses accusateurs avec un si généreux mépris. Que Jésus n’eût qu’à se défendre pour être sur le champ mis en liberté, c’est ce qui parait évidemment par la proposition que le juge et lui-même aux Juifs : Lequel voulez-vous que je vous délivre, de Barrabas ou de Jésus qu’on appelle Christ ? Et parce que l’Ecriture ajoute : Car il savait bien que c’était par envie qu’ils le lui avaient livré (Matth., XXVII, 17, 18). La calomnie continue encore à vouloir attaquer Jésus, et comme la malice des hommes est toujours la même, ils le chargent toujours par leurs fausses accusations ; mais Jésus continue aussi à se taire et à ne se défendre que par la pureté des mœurs de ses vrais disciples, qui confond toutes les accusations de leurs ennemis, et dont la voix est plus forte que celle de la calomnie. J’ose même dire que l’apologie que vous m’avez demandée fait tort à celle que leur vie et leurs actions font pour eux, et qu’elle obscurcit l’éclat de la puissance de Jésus, qui frappe les yeux de tous ceux qui ne sont pas aveugles. Néanmoins, pour ne pas donner lieu de croire que je refuse d’exécuter vos ordres, j’ai tâché, autant qu’il m’a été possible, d’appliquer à chacune des objections de Celse les réponses qui m’ont semblé les plus propres à les renverser, bien que je sache qu’il n’y a point de fidèles qui puissent être ébranlés par ses paroles. Et à Dieu ne plaise qu’il se trouve quelqu’un qui, ayant reçu dans son cœur le sentiment de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, soit encore assez faible pour l’en laisser arracher par les discours de Celse ou de ses pareils ! Saint Paul, ramassant ensemble un grand nombre de choses qui ont accoutumé de séparer quelquefois les hommes de l’amour de Jésus-Christ et de l’amour que Dieu nous a témoigne en Jésus-Christ, mais qui toutes ne pouvaient rien sur l’amour dont il sentait l’impression en lui-même, ne met point dans ce nombre les paroles ni les discours. Voyez comme il dit d’abord : Qui nous séparera de l’amour (de Jésus-Christ) de Dieu ? Sera-ce l’affliction, ou les misères, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou l’épée (Rom., VIII, 34, 35) ? (selon qu’il est écrit ; on nous fait mourir tous les jours pour l’amour de toi, on nous traite comme des brebis destinées à la boucherie) (Ps. XLIV, 23). Mais en toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés (Rom., VIII, 37 ou 38). Il fait ensuite un autre ordre de choses capables de causer la séparation de ceux qui ne sont pas assez fermes dans la piété. Je suis assuré, dit-il, que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni aucune hauteur ; ni aucune profondeur, ni quelque autre créature que ce soit, ne nous pourra séparer de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ Notre-Seigneur. Pour nous, nous avons, à la vérité, un juste sujet de nous glorifier de ce que, ni l’affliction, ni les autres choses qui suivent dans le même rang, n’ont aucun pouvoir sur nous ; mais à l’égard de Saint Paul, des apôtres, et de tous ceux qui approchent du degré de perfection où ils étaient, ils les regardent comme beaucoup au-dessous d’eux ; ce qui leur fait dire : En toutes ces choses, nous sommes plus que victorieux par celui qui nous a aimés, ne trouvant pas que ce fût assez de dire : Nous remportons la victoire. S’il faut que les apôtres se glorifient de n’être point séparés de l’amour que Dieu nous a témoigné en Jésus-Christ, Notre-Seigneur, ils se glorifieront de ce que, ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les autres choses de cet ordre, ne les en peuvent séparer. Je ne serais donc pas fort satisfait d’un chrétien dont la foi serait si chancelante qu’elle pût être ébranlée, soit par Celse, qui non seulement n’a plus de part à la vie, mais qui est même depuis longtemps au nombre des morts, soit par la vaine apparence de quelques discours. Je ne sais, dis-je, en quel rang il faut mettre ceux qui, pour ne pas succomber, ont besoin qu’on soutienne et qu’on raffermisse leur foi par des écrits opposés aux accusations de celui que Celse a fait contre les chrétiens.

Mais, après tout, puisque dans le grand nombre de ceux qui font profession de croire, il s’en peut trouver qui, s’étant laissé entraîner aux raisonnements de Celse, seront aisément ramenés, si on leur en montre la faiblesse et qu’on leur fasse connaître la force de la vérité, j’ai pris la résolution de vous satisfaire et de réfuter cet écrit que vous m’avez envoyé. Celse lui donne le titre de Discours véritable ; mais je serais bien trompé s’il passait pour tel dans l’esprit de quelqu’un qui eût (ait le moindre progrès dans la philosophie. Saint Paul, qui savait que dans celle des Grecs il y a des raisons apparentes qui ont assez de couleur pour faire recevoir à plusieurs le mensonge sous la forme de la vérité, nous avertit bien de prendre garde que personne ne nous surprenne par ta philosophie et par une vaine tromperie, en suivant les traditions des hommes, selon les principes de la science mondaine, et non selon Jésus-Christ (Coloss., II, 8). Et c’est parce qu’il remarquait dans les raisons dont se sert la sagesse humaine une certaine grandeur capable de donner dans la vue, qu’il dit que les raisonnements des philosophes sont selon les principes de la science mondaine. Mais pour ceux de Celse, personne de raisonnable ne peut dire qu’ils soient selon les principes de cette science. C’est encore parce que les premiers ont en eux quelque chose qui peut tromper, que Saint Paul les appelle une vaine tromperie, pour les distinguer peut-être d’une autre espèce de tromperie qu’on ne doit pas nommer vaine, et que Jérémie avait en vue lorsqu’il ose dire à Dieu : Tu as usé de tromperie. Seigneur, et j’ai été trompé ; tu as été le plus fort, et tu m’as vaincu (Jérém., XX, 7). Mais je ne pense pas qu’on puisse appeler vaine tromperie, les raisonnements de Celse, puisqu’ils n’ont pas même de quoi tromper, comme pourraient avoir les raisons de ceux qui ont fondé les diverses sectes des philosophes, et qui ont donné en cela même des preuves d’un esprit peu commun. Dans la géométrie, il ne suffit pas qu’une démonstration soit fausse, si elle n’a d’ailleurs quelque chose d’apparent, pour être appelée captieuse et pour mériter d’être proposée à ceux qui veulent s’exercer en cette science : ainsi, il n’y a que des raisonnements semblables à ceux de ces philosophes dont je viens de parler, qui doivent porter comme eux le nom de vaine tromperie et de traditions des hommes selon les principes de la science mondaine.

J’avais avancé ma réponse jusqu’à l’endroit où Celse introduit un Juif disputant contre Jésus, lorsque j’ai formé le dessein de mettre cette préface à la tête de mon ouvrage, afin d’avertir les lecteurs, dès l’entrée, que je ne l’ai pas composé pour les vrais fidèles, mais, ou pour ceux qui n’ont aucun goût de la religion chrétienne, ou pour ceux qui sont encore faibles en la foi, comme les appelle l’Apôtre, qui nous ordonne de les recevoir (Rom., XIV, 1) et d’avoir pour eux de la condescendance. Cette même préface me servira d’apologie, si, l’on remarque de la différence entre le commencement et la suite de mon écrit. Car lorsque j’ai commencé à y travailler, je ne me proposais que d’en faire une simple esquisse, marquant sommairement les chefs d’accusation de Celse et les réponses qu’on y pouvait faire, pour donner ensuite une forme plus achevée à tout mon discours. Mais après quelques réflexions, j’ai cru que, pour ménager mon temps, je devais me contenter de cette ébauche à l’égard du commencement, et m’attacher à répondre au reste avec toute l’exactitude dont je serais capable. Je vous demande donc un peu d’indulgence pour ce qui va suivre immédiatement ma préface ; et si ce que j’aurai plus travaillé dans la suite ne vous satisfait pas non plus, après vous avoir encore demandé la même grâce, je vous renverrai à ceux qui ont plus de lumières que je n’en ai, de qui vous pourrez avoir une réponse pleine et solide à toutes les objections que Celse nous fait, s’il vous en demeure encore quelque désir. Les plus louables au reste sont ceux qui, après avoir lu son livre, n’ont aucun besoin qu’on se mette en devoir de le réfuter, mais qui méprisent tout ce qu’il contient comme font avec justice les plus simples d’entre les fidèles éclairés par l’esprit que Jésus-Christ fait habiter dans leurs Amen.

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