Théologie Systématique – IV. De l’Église

5. Infaillibilité : argument dit de Bossuet

« Perpétuelle visibilité et éternelle durée de l’Église ». — Les promesses de Jésus-Christ se rapportent surtout à l’Église invisible. — Différence radicale entre la « visibilité » et « l’infaillibilité ». — Église grecque. — Sens de la promesse de perpétuité et d’indéfectibilité faite à l’Église générale.

Il est un argument qui a fait beaucoup de bruit et que nous ne saurions négliger. Les catholiques ont essayé de déduire l’infaillibilité de l’Église de « sa perpétuelle visibilité » combinée avec « son éternelle durée ». Pour eux, ces deux dogmes n’en font qu’un ; ils les établissent l’un par l’autre, en les appuyant sur les mêmes textes (Matthieu 16.18 ; 28.20). Nos observations précédentes démontrent que ces textes se rapportent à l’Église universelle, au Royaume des Cieux ici-bas, à la Chrétienté. C’est par conséquent en abuser que de les appliquer à telle ou telle église particulière, pour en inférer qu’elle ne peut ni périr, ni faillir, ni cesser d’être visible au monde. Il n’y a là qu’une promesse générale dans laquelle on ne peut trouver le dogme romain qu’après l’y avoir mis, par des interprétations arbitraires.

Aussi, à défaut de titres bibliques, clairs et formels, a-t-on encore recours ici à des raisonnements. Voici celui de Bossuetc :

cHist. des variations, art. Église.

« La doctrine de l’Église catholique consiste en quatre points, dont l’enchaînement est inviolable : l’un, que l’Église est visible ; l’autre, qu’elle est toujours ; le troisième, que la vérité de l’Évangile y est toujours professée par toute la société ; le quatrième, qu’il n’est pas permis de s’éloigner de sa doctrine, ce qui veut dire en d’autres termes, qu’elle est infaillible.

Le premier point est fondé sur un fait constant, c’est que le terme église signifie toujours dans l’Ecriture, et ensuite dans le langage commun des fidèles, une société visible. Les catholiques le posent ainsi, et il a fallu que les protestants en convinssent.

Le deuxième point, que l’Église est toujours, n’est pas moins constant, puisqu’il est fondé sur les promesses de Jésus-Christ, dont on convient dans les deux partis.

De là on infère clairement le troisième point, que la vérité est toujours professée par la société de l’Église ; car l’Église n’étant visible que par la profession de la vérité, il s’ensuit que si elle est toujours et qu’elle soit toujours visible, il ne se peut qu’elle n’enseigne et ne professe toujours la vérité de l’Évangile.

D’où suit aussi clairement le quatrième point, qu’il n’est pas permis de dire que l’Église soit dans l’erreur ou de s’écarter de sa doctrine.

Et tout cela est fondé sur la promesse qui est avouée dans tous les partis ; puisqu’enfin la même promesse qui fait que l’Église est toujours, fait qu’elle est toujours dans l’état qu’emporte le terme d’église, par conséquent toujours visible et toujours enseignant la vérité.

Voilà certes un argument serré et spécieux. Mais il croule si la première proposition est niée ou contestée ; car c’est sur cette proposition que reposent toutes les autres. Or, nous avons prouvé que quand l’Ecriture parle de l’Église en général, elle désigne fréquemment par là l’Église intérieure, l’ensemble des vrais disciples, inconnus du monde et connus de Dieu seul, les âmes justifiées et régénérées par la foi, les saints, les élus, le corps mystique de Christ ; distinction d’autant plus importante ici que c’est à cette Église intérieure que se rapportent la plupart des promesses. Lorsque Bossuet affirme que les protestants ont été forcés de convenir que le mot église signifie toujours dans l’Ecriture une société visible, il avance un fait manifestement erroné. Ce peut être l’opinion de quelques théologiens protestants, ce n’est pas et ce n’a jamais été l’opinion protestante. Mais cette proposition fondamentale une fois reconnue fausse, toute l’argumentation tombe, puisque sa base lui manque.

Du reste l’existence et la perpétuité de l’Église extérieure elle-même, n’emporte pas nécessairement qu’elle soit toujours visible au monde comme société. Les membres dont elle se compose, les personnes, converties ou inconverties, qui tiennent au Christianisme par un lien quelconque, peuvent en certaines circonstances vivre les uns à côté des autres sans se connaître, ils peuvent se connaître plus ou moins sans se réunir en une association distincte, ils peuvent avoir une organisation et un culte sans être remarqués, parce qu’ils peuvent avoir besoin de s’envelopper de mystère. Ainsi, au temps d’Elie. l’Église mosaïque subsistait en Israël, inconnue au monde et à elle-même, chaque fidèle se croyant, comme le Prophète, le seul adorateur du vrai Dieu qui fût demeuré de reste (1 Rois 18.19). Ainsi l’Église chrétienne, après la crucifixion du Sauveur, se tenait cachée (Jean 20.19,26 ; Actes 1.12, 15), et passait pour anéantie. Ainsi l’Église orthodoxe sous certains empereurs, lorsque l’univers s’étonna de se trouver arien ; ainsi l’Église protestante, en France, après la révocation de l’Edit de Nantes ; ainsi, pendant la Révolution, cette même église et l’Église catholique qui, privées l’une et l’autre de temples, de culte public, de tout moyen de manifester leur foi, furent censées ne plus exister. Or, ce qui a lieu pour les églises particulières peut avoir lieu également pour l’Église universelle.

De plus, la visibilité de l’Église et son infaillibilité, au sens romain, sont choses si différentes, qu’on ne saurait conclure de l’une à l’autre que par un abus logique. L’Église peut se maintenir, et conserver le dépôt de la vérité en conservant les Saintes Ecritures, et remplir ainsi sa mission, sans le privilège ou le don surnaturel qu’on lui attribue : son existence perpétuelle n’emporte donc pas cette haute prérogative.

Enfin, en accordant le fait de la perpétuelle visibilité, et celui de l’infaillibilité ou de l’indéfectibilité comme sa conséquence, ce double caractère ne prouve rien encore jusqu’à ce qu’on ait démontré qu’il appartient à Rome seule.

L’argument de Bossuet, ainsi que bien d’autres, porte plus loin que ne le veulent les catholiques. S’il prouve pour l’Église latine, il prouve tout autant pour l’Église grecque et pour l’Église orientale, qui sont plus anciennes, et auxquelles il faut bien reconnaître aussi la perpétuité et la visibilité. Les déclarera-t-on également infaillibles, d’après le principe de l’argumentation ? Mais alors, que deviennent les prétentions romaines ? Réservera-t-on la prérogative d’infaillibilité à l’Église d’Occident en restreignant arbitrairement les conséquences du principe ? Mais alors, que devient le principe lui-même ? que vaut-il ici, s’il ne vaut pas là ?

Répétons que les promesses du Nouveau Testament, où l’argument prend son point d’appui, se rapportent à l’Église générale, et encore, pour la plupart, à l’Église intérieure ou mystique plus qu’à l’Église extérieure. Aucune église particulière n’est autorisée à se les appliquer spécialement et surtout exclusivement, parce qu’aucune n’est à l’abri de la menace adressée à celle d’Ephèse (Apocalypse 2.5). Tout ce que ces promesses annoncent d’ailleurs, c’est la perpétuité du Royaume de Jésus-Christ et, par son moyen, la conservation de l’Évangile. Mais de là à l’indéfectibilité de telle ou telle communauté, à l’infaillibilité de tel corps de pasteurs ou de leur chef, il y a loin. L’Église, dans sa généralité, peut durer et remplir son but, (le maintien de la vérité sur la terre), quoiqu’elle tombe à certains égards ou à certaines époques dans des erreurs plus ou moins graves ; il suffit à l’accomplissement de sa mission qu’elle garde avec intégrité le dépôt des Saintes Ecritures. Il en fut ainsi de l’Église judaïque qui, à travers ses égarements, ne nous en a pas moins transmis pures les révélations anciennes. L’Église chrétienne n’a pas reçu sous ce rapport de privilège spécial. Bien des déclarations bibliques lui ont prédit, au contraire, des temps d’aberration et de corruption profonde : — « Quand le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ? » (Luc 18.8). — « Ce jour-là ne viendra point que la révolte ne soit arrivée auparavant, et qu’on n’ait vu paraître l’homme de péché, le fils de perdition : qui s’oppose et qui s’élève au-dessus de tout ce qu’on appelle Dieu, ou qu’on adore, jusqu’à s’asseoir comme un Dieu dans le temple de Dieu, voulant passer pour un Dieu… Le mystère d’iniquité se forme déjà… Alors paraîtra ce méchant, que le Seigneur détruira par le souffle de sa bouche, et qu’il abolira par l’éclat de son avènement. Ce méchant viendra avec la force de Satan, avec toute sorte de puissance, avec des signes et de faux miracles, et avec toutes les séductions qui portent à l’iniquité ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont point reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. C’est pourquoi Dieu leur enverra un esprit d’égarement, en sorte qu’ils croiront au mensonge… » (2 Thessaloniciens 2.3-12). — « Dans les derniers temps, quelques uns se révolteront de la foi, s’attachant à des esprits séducteurs et aux doctrines des démons ; enseignant des mensonges par hypocrisie, étant cautérisés dans leur propre conscience ; défendant de se marier, commandant de s’abstenir des viandes, etc. » (1 Timothée 4.1-3). — « Dans les derniers jours, les hommes seront amateurs d’eux-mêmes, avares, vains, orgueilleux, médisants,… sans affection naturelle, sans fidélité, calomniateurs,… cruels, ennemis des gens de bien ; traîtres, emportés, enflés d’orgueil, amateurs des voluptés plutôt que de Dieu ; ayant l’apparence de la piété, mais ayant renoncé à sa force. » (2 Timothée 3.2-5).

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