Théologie Systématique – IV. De l’Église

2. Sacrements

Sens Du Mot « Sacrement ». — Nombre des sacrements. — Grande diversité d’opinions à cet égard. — Efficacité des sacrements : — « Opinions Catholique », « Grecque », « Anglicane », « Luthérienne », « Calviniste », « Zwinglienne », « Socinienne ». — Deux classes générales : 1° « Canaux de la grâce » ; 2° « Signes de la grâce ».

Le mot sacrement n’est point scripturaire ; il n’est nulle part appliqué dans le Nouveau Testament aux cérémonies qu’il désigne aujourd’hui. C’est un terme purement ecclésiastique, et d’origine latine. L’expression sacramentum avait diverses significations, dont la plus commune était celle de serment ; elle marquait spécialement l’engagement ou le vœu d’obéissance absolue des soldats romains envers leurs chefs ; et l’on a cru généralement que c’est de là qu’elle a passé aux cérémonies où se prononcent les engagements et les vœux du Christianisme. Les Pères ont fait, en effet, des allusions à ce serment militaire en exposant les devoirs du baptême et de la Cène. Mais l’expression prit de bonne heure dans l’Église latine une signification spéciale qui fut plus probablement la raison de son application à nos rites sacrés ; elle devint synonyme de mystère, La Vulgate traduit fréquemment μυστήριον, dans sa double acception de chose cachée et d’emblème, de type, par sacramentum ; ainsi Éphésiens 3.9 ; 5.32 ; Colossiens 1.27 ; 1 Timothée 3.16 ; Apocalypse 1.20 ; 17.7. Or, nous savons que les Grecs aimaient à appeler du nom de mystères les cérémonies comme les doctrines chrétiennes, et qu’ils le faisaient en particulier pour le baptême et l’Eucharistie ; les Latins durent employer et employèrent en effet dans le même sens le terme de sacrement, dès qu’ils lui eurent donné une signification identique. Ils font de tous les dogmes de la foi comme de tous les actes du culte, des sacrements ; ils parlent du sacrement de l’unité, du salut, de la rémission des péchés, de la croix, etc., etc. ; c’est-à-dire qu’ils font de ce terme un usage analogue à celui que les Grecs faisaient du mot mystère.

Carlstadt rejeta ce terme comme ambigu et non biblique ; Zwingle l’improuva sans le rejeter ; toutes les Églises l’ont retenu, On peut, on doit même le conserver, puisqu’il est consacré par l’usage. Il suffit de le bien définir.

On a donné des sacrements des définitions nombreuses, et certains théologiens, Bellarmin par exemple, en ont voulu conclure qu’il était impossible de les définir exactement. D’après saint Augustin (qu’ont suivi la plupart des scolastiques), les sacrements sont : « les signes des choses sacrées, ou des formes visibles de grâces invisibles ; Signum rei sacræ aut invisibilis gratiæ visibilis forma. ». — Hugues de Saint-Victor accuse cette définition d’être insuffisante, et y substitue celle-ci : « Le sacrement est un élément matériel et sensible, représentant par sa similitude, signifiant par son institution, contenant par sa consécration une grâce invisible et spirituelle. ». La définition d’Augustin, quoique retenue par l’Église catholique, est en effet plus d’accord avec le dogme protestant qu’avec le dogme romain. — D’après le Concile de Trente et le Catéchisme romain : « des actes joints à des paroles solennelles où nous est marqué et conféré un effet de la grâce ; actio verbis junicta solennibus, qua significatur et exhibitur effectus gratiosus. » — D’après Mœhler : « des choses sensibles qui, par l’institution divine, possèdent la vertu de signifier et de produire la sainteté et la justice. » — D’après les luthériens : « des actions solennelles, divinement instituées, dans lesquelles Dieu offre et donne sa grâce et les biens célestes à ceux qui y participent avec foi »b. — D’après Calvin : « des témoignages de la grâce divine confirmés par signes extérieurs et des gages de notre piété. » — D’après la Confession de La Rochelle : « des gages et marreaux de la grâce de Dieu qui aident et soulagent notre foi, et qui sont tellement signes extérieurs que Dieu opère par eux en la vertu de son Esprit, afin de ne nous y rien signifier en vain » (art. 34). — D’après la Confession anglicane : « des signes efficaces de la grâce et de la bonne volonté de Dieu envers nous, par lesquels il opère invisiblement au dedans de nous, n’excitant pas seulement, mais aussi fortifiant et confirmant la foi que nous avons en lui » (art. 25). — D’après le Catéchisme de l’Église écossaise : « de saintes institutions où, par des signes sensibles, Christ et les bienfaits de la Nouvelle Alliance sont représentés, scellés et appliqués aux croyants ».

bConf. d’Aug., art. 13.

Sous toutes ces définitions, se trouve la même idée générale, savoir que les sacrements sont des cérémonies symboliques, établies de Dieu, et destinées à être le signe, le sceau, le gage ou le canal des grâces évangéliques. Les deux points principaux sur lesquels on diffère sont : leur nombre et leur, efficacité.

Nombre des sacrements. — Avec la signification si large, si vague, si indéterminée des mots sacramentum, μυστήριον, on aurait pu multiplier indéfiniment les sacrements. Quelques scolastiques en comptèrent jusqu’à douze. Raban Maur en posait seulement quatre : le baptême, le corps de Christ, le sang de Christ et l’onction ou le chrême, la confirmation. (Au fait le baptême et la Cène seuls, car la confirmation n’est que le complément du baptême). Paschase Radbert, trois ; réunissant en un seul le corps et le sang de Christ. Arnold, cinq, parmi lesquels l’ablution des pieds. (Saint Bernard fit aussi de ce dernier acte un sacrement.)

Hugues de Saint-Victor établissait trois classes de sacrements : 1° Ceux sur lesquels se fonde le salut : le baptême et la Sainte Cène, en y joignant la confirmation ; 2° Ceux qui avancent la sanctification sans être nécessaires au salut, tels que l’usage de l’eau bénite, des cendres, etc. ; 3° Ceux qui semblent avoir été établis uniquement pour servir de préparation et de consécration aux autres, ainsi l’ordination, la bénédiction des vêtements ecclésiastiques, etc.— Les catholiques et les grecs, depuis Pierre Lombard et Thomas d’Aquin, en reconnaissentsept : le baptême, la Sainte Cène, la confirmation, la pénitence, l’ordination, le mariage, l’extrême-onction. (Tout en admettant les sept, Alexandre de Halès fait remarquer que le baptême et la Cène sont les seuls qui aient été institués par Jésus-Christ. Cette remarque se trouve plusieurs fois chez les scolastiques, de même que chez les grecs). Les protestants n’en ont retenu que deux, le baptême et la Cène ; (quoique, dans le principe, Luther ait paru en faire un de l’absolution, ainsi que Zwingle du mariage et Calvin de l’ordination).

Toujours et partout, le baptême et la Cène ont été considérés comme des sacrements de la Nouvelle Alliance ; les Pères les plus distingués, tels que Chrysostômec et saint Augustind, les ont regardés comme l’étant seuls au sens propre, et cette opinion a été exprimée par les docteurs, même après la détermination ecclésiastique. Ces deux rites sacrés représentent, en effet, les deux grandes grâces auxquelles se réduit l’Évangile : la justification et la régénération ; ils sont donc, selon la définition générale, le signe, le gage, le sceau des promesses. Mais les autres rites que l’Église romaine place à côté, et au même rang, n’ont pas ce caractère essentiel. La pénitence (attrition, confession, satisfaction) est simplement un devoir ou une condition de salut, et l’absolution qui l’accompagne, ramenée à l’idée chrétienne, n’est que la déclaration du pardon attaché à la conversion et à la foi. Le mariage est un contrat (la pensée de le placer parmi les sacrements n’a pu naître que de la traduction d’Éphésiens 5.32, par la Vulgate). l’ordination est un simple mode d’investiture. La confirmation n’est point une institution du Nouveau Testament ; les passages qu’on allègue pour la légitimer, comme Actes 8.14-17, et surtout Actes 19.6 : « Après que Paul leur eût imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient », ont trait à un acte miraculeux qui, par sa nature même, n’a pu se perpétuer. Il en est de même de l’extrême-onction ; Marc 6.13 : « Ils oignirent d’huile plusieurs malades, et ils les guérirent », et Jacques 5.14 : « Quelqu’un est-il malade, qu’il appelle les pasteurs de l’Église, et qu’ils prient pour lui, et l’oignent d’huile… Et la prière faite avec foi sauvera le malade, etc. », se rapportent aussi à l’exercice d’un pouvoir surnaturel et, par conséquent, temporaire. Le baptême et la Cène, ayant seuls les caractères et les éléments constitutifs des sacrements, doivent donc seuls être tenus pour telse.

c – 1re Epître. aux Cor. homélie 7 — sur Jean, hom. 84.

dContre Faust. — Epître à Bonif. — Des peines et de la rémission des péchés.

e – Voyez les considérations que fait valoir le catholicisme pour légitimer ces cinq sacrements dans Burnet, Dyck, Bossuet : (Expos. 80) ; Mœhler, Chenevière, etc.

Efficacité des sacrements. — Sur ce point, les opinions sont aussi très diverses.

Opinion catholique. — Les catholiques croient que les sacrements confèrent par eux-mêmes (opere operato) les grâces dont ils sont la représentation ; ils leur attribuent une énergie propre, une vertu inhérente, indépendante des dispositions de ceux qui les reçoivent, et que le péché mortel peut seul empêcher d’agir : « Si quelqu’un dit que les sacrements de la loi nouvelle ne contiennent pas la grâce qu’ils représentent ou qu’ils ne la confèrent pas à ceux qui n’y opposent pas d’obstacles, et qu’ils ne sont que des signes extérieurs de la justice reçue par la foi, qu’il soit anathèmef. » « Si quelqu’un dit que la grâce n’est point conférée opere operato par les sacrements de la loi nouvelle, mais que la foi à la promesse divine suffit seule pour obtenir la grâce, qu’il soit anathèmeg. »

fConc. de Trente, Sess.7. can. 6.

gIbid., ibid, can. 8.

Les catholiques disent généralement que ce qui fait la supériorité des sacrements du Nouveau Testament sur ceux de l’Ancien, c’est que ces derniers n’étaient efficaces que ex opere operantis, c’est-à-dire par la foi de ceux qui y participaient, tandis que les mystères évangéliques le sont par leur vertu propre ou opere operato, selon l’expression consacrée.

Les « sacrements de la Nouvelle Alliance, dit Bossuet, ne sont pas seulement des signes sacrés qui nous représentent la grâce, ni des sceaux qui nous la confirment, mais des instruments du Saint-Esprit qui servent à nous l’appliquer, et qui nous la confèrent en vertu des paroles qui se prononcent et de l’action qui se fait sur nous au dehors, pourvu que nous n’y apportions aucun obstacle par notre mauvaise dispositionh. » — C’est par les sacrements que les mérites de Christ nous sont appliquési. » — Jésus-Christ, dit M. Maretj, a confié à l’Église et au ministère qu’il y a établi, la parole de vérité qui éclaire les esprits et la grâce qui change les cœurs. — La grâce n’est que l’extension du mystère de l’incarnation ; elle est ordinairement attachée » aux sacrements. — Par là, Jésus-Christ a lié, de la manière la plus efficace, le fidèle à la société religieuse. »

hExpos. 78.

iIbid. 77.

jDu Panthéisme.

Cette doctrine fonde en effet les prérogatives sacerdotales, car elle fait du prêtre le médiateur entre l’âme et Jésus-Christ et de l’Église la dépositaire et la dispensatrice de la grâce. Elle fonde aussi l’absolue nécessité des sacrements.

Les catholiques croient encore que l’intention de l’officiant est requise pour que les sacrements soient valides et salutaires. De sorte que si cette intention (sur laquelle du reste les docteurs catholiques discutent) vient à manquer, on n’a qu’une vaine forme, sans réalité ni vertu, et le chrétien ne trouve rien dans ces mystères, quels que soient les sentiments de repentir ou de ferveur qu’il y porte. Doctrine antiévangélique qui fait dépendre le salut des âmes de causes absolument étrangères à leurs dispositions propres ; doctrine redoutable, qui pourrait fermer toutes les sources de la grâce, puisqu’elles sont toutes placées dans les sacrements d’après le dogme romain, et qui porterait un trouble incessant dans les consciences les plus pures ; doctrine impie, en un sens, qui soumet le don de Dieu à la volonté de l’homme profane et aux caprices de l’incréduliték.

k – Luther raconte que les prêtres italiens faisaient souvent parade d’une scandaleuse audace d’esprit fort, et qu’il leur arrivait de dire en consacrant l’hostie : panis es et panis manebis. (Michelet).

Cette doctrine, les protestants l’ont unanimement rejetée ; ils s’accordent à reconnaître, selon la déclaration anglicane, « que quoiqu’en l’Église visible les méchants soient toujours mêlés avec les bons, et que quelquefois même ils aient la principale autorité en la prédication de la Parole et l’administration des sacrements, néanmoins puisque ce n’est point en leur propre nom qu’ils y vaquent, mais au nom du Christ et en vertu de sa commission, nous pouvons user de leur ministère, tant pour ce qui est de l’ouïe de la Parole de Dieu que pour ce qui est de la participation aux sacrements. Et leur méchanceté n’anéantit point l’effet de l’institution de Christ et ne diminue point la grâce des dons de Dieu en ceux qui les reçoivent avec foil. »

lConf. angl. art. 26.

Opinion orthodoxe. — La doctrine de l’Église grecque ne diffère pas essentiellement de celle de l’Église catholique. Pour elle les sacrements sont des actes saints qui, sous une forme visible, communiquent à l’âme du croyant la grâce invisible, par la médiation de Jésus-Christm. Il faut trois choses pour que le sacrement soit parfait : une matière en harmonie avec la nature du sacrement (pain, vin, eau, huile) ; un prêtre dûment ordonné ou un évêque ; l’invocation du Saint-Esprit et les paroles sacramentelles pour la consécration du sacrement. L’insuffisance de la foi chez celui qui le reçoit ne nuit ni à sa perfection ni à son intégrité.

mIbid., quest. 98-101.

Opinion anglicane. — Elle touche aussi à l’opinion catholique en ce qu’elle reconnaît une certaine vertu intrinsèque aux sacrements. Elle a pour principe qu’ils sont « des signes efficaces, par lesquels Dieu agit invisiblement en nous (art. 25) et comme des instruments de la grâce divine (art. 27) ». Sans doute, en prenant l’esprit des XXXIX Articles, on y trouve l’idée protestante, mais en s’arrêtant à la lettre, on peut y trouver les germes ou les restes de l’idée catholique. De là vient que sur ce point les théologiens anglicans se sont toujours plus ou moins partagés (haut-anglicanisme, anglicanisme modéré ou évangélique). — Ainsi Burnetn se prononce fortement dans le premier sens ; il soutient que les actes rituels, d’après leur naturel ne peuvent rien avoir en eux-mêmes qui soit effectif comme moyen ou comme instrument, à moins qu’on ne leur suppose une vertu magique. D’un autre côté, Tomlineo, évêque de Lincoln, soutient la thèse contraire ; il affirme que le baptême, en particulier, est la régénération, la nouvelle naissance, l’infusion de la vie spirituelle dans l’âme ; il adopte les opinions et les expressions des anciens à cet égard. Tomline est cependant, à tout prendre, un théologien fort modéré et pénétré à beaucoup d’égards de l’esprit du xviiie siècle. C’est que cette idée est répandue dans les livres symboliques de l’Église anglicane et dans sa liturgie. Il y est plusieurs fois question, en particulier, de la régénération baptismale. Le Puseysme a naturellement relevé cette notion d’une vertu inhérente aux sacrements pour relever la notion de l’Église et du sacerdoce. Par là, il a glissé dans le Romanisme.

nExposé des XXXIX art.

oIbid.

Opinion luthérienne. — Les luthériens disaient, en opposition avec les réformés, que les sacrements ne sont pas de purs symboles, des signes nus, nuda et mera signa, qu’ils confèrent réellement la grâce, mais que leur efficacité dépend des dispositions qu’on y porte. C’est à peu près l’opinion anglicane. La vertu surnaturelle du sacrement est maintenue, mais elle n’est pas inhérente aux symboles eux-mêmes ; elle suppose la foi, d’où ressort l’ordre entier du salut. Le Confessionalisme fait fermenter maintenant ce vieux levain de la régénération baptismale et eucharistique dans l’Église luthérienne, comme le Puséysme dans l’Église anglicane.

Opinion zwinglienne et calviniste. — Zwingle et Calvin ne virent dans les sacrements que de simples symboles (nuda et niera signa), sans efficacité propre ni vertu intérieure, qui ne confèrent nullement par eux-mêmes les grâces qu’ils rappellent, mais à l’occasion desquels Dieu, selon sa promesse, répand ces grâces dans les cœurs bien disposés ; de telle sorte que sans être instruments, comme le veulent à des degrés divers le Catholicisme, le Luthéranisme et l’Anglicanisme, ils sont pourtant moyens.

Opinion socinienne. — Les sociniens, et plusieurs arminiens, avec eux, n’ont accordé aux sacrements qu’une action purement symbolique, qu’une influence psychologique et morale ; ou même ils ne les ont considérés que comme de simples déclarations de foi, comme des témoignages extérieurs de christianisme ; n’y voyant rien de spécial, ni en tant qu’instrument, ni en tant que moyen.

Les sociniens nomment les sacrements des signes nus ; les réformés le font aussi bien qu’eux. Mais cette expression est loin d’avoir la même intention et la même portée dans les deux dogmatiques. Absolue dans l’une, elle n’est dans l’autre que relative. Les réformés l’emploient vis-à-vis des opinions qui attachent aux sacrements une vertu intrinsèque, une sorte d’opus operatum, vis-à vis du catholicisme et aussi du haut-luthéranisme et du haut-anglicanisme. Vis-à-vis de l’idée socinienne où les sacrements cessent d’être moyens de grâce, ils la retirent, pour ainsi parler, ils peuvent dire que ces rites solennels ne sont pas des mera et nuda signa, dans le sens qu’on entend. C’est que le terme change en effet d’acception en changeant d’application.

A cette remarque explicative, joignons-en une autre. L’opposition du Catholicisme et du Protestantisme, quant à l’efficacité des sacrements, n’est pas aussi tranchée que la fait généralement la controverse. Les protestants accusent les catholiques de lier tellement la grâce à l’acte sacramentel qu’ils ne tiennent nul compte de l’état religieux et moral de ceux qui y participent. C’est une exagération et une erreur, dont ils s’étonnent et se plaignent à bon droit. Ils exigent des adultes la foi, le repentir, le désir de la justice, etc., plus que ne semblent le porter ou le vouloir certaines de leurs définitions dogmatiques. Il suffit d’observer que chez eux le sacrement de pénitence précède et prépare tous les autres. Leur opus operatum, pris en soi, marque uniquement qu’à leurs yeux les sacrements, « instruments du Saint-Esprit », selon l’expression de Bossuet, contiennent, en eux-mêmes, les grâces ou les vertus célestes dont ils sont le signe et le gage, et qu’ils les communiquent ipso]facto là où ils ne rencontrent pas l’obstacle intérieur qui paralyse leur action. Cela paraît jusque dans la célèbre comparaison de Bellarmin. « Il faut pour la combustion, non seulement du feu, mais des matériaux convenables. Cependant le feu seul la produit. Ainsi en est-il des sacrements et des dispositions. »

De leur côté les catholiques accusent les protestants de faire des sacrements des cérémonies vaines et sans effet. C’est une exagération et une erreur en sens inverse. Cette incrimination n’atteint que le socinianisme, espèce de déisme chrétien qu’ont repoussé toutes les grandes communions protestantes. Sans parler des anglicans et des luthériens, les réformés eux-mêmes enseignent, dans les termes les plus exprès, que les grâces réconciliatrices et régénératrices, figurées par les sacrements, sont réellement reçues par ceux qui y participent avec les sentiments requis. « Il ne faut pas s’imaginer, dit Calvinp, qu’il y ait là quelque vertu inclose… Mais c’est tellement une figure que la vérité est conjointe avec. »

p – Catéchisme.

Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, on peut tomber ou dans un réalisme extrême ou dans un extrême symbolisme, ou dans un mysticisme illusoire ou dans un empirisme superficiel : écueils contraires, contre lesquels il faut se tenir également en garde.

En résumé, deux grandes opinions antagonistes. Les catholiques, les grecs, les protestants, considèrent les sacrements, quoique à des titres et à des degrés divers, comme des moyens de grâces, ce que nient les sociniens, un grand nombre de remontrants, les memnonites et bien des théologiens isolés.

Pour préciser davantage, nous pouvons ranger les diverses opinions sur l’efficacité des sacrements en deux classes générales, subdivisées chacune en une double catégorie :

1° Les sacrements sont des canaux de la grâce :

  1. soit par eux-mêmes, opere operato, à la seule condition que l’état de péché mortel ne leur fasse pas obstacle (catholiques) ;
  2. soit conjointement avec les dispositions qu’on y porte, opere operantis, n’agissant qu’en proportion de la repentance et de la foi (luthériens).

2° Ils sont simplement des signes de la grâce :

  1. mais à l’occasion desquels la grâce est réellement accordée, selon les uns, de telle sorte qu’ils en sont le gage et en deviennent le moyen (réformés) ;
  2. tandis que, selon les autres, ils n’en sont qu’un pur mémorial, ne l’attirant en aucune manière, ni par une vertu propre, ni par une vertu d’institution (sociniens).

Il est inutile de faire observer que cette classification n’a guère trait qu’aux églises ou aux écoles anciennes. Il serait difficile de constater l’idée sacramentelle du mouvement théologique de nos jours, où le rationalisme et le mysticisme se mêlent dans de si étranges proportions, et qui, par cela même, a dû s’allier, en divers sens, d’un côté avec le réalisme romain, de l’autre avec le symbolisme socinien. On peut dire cependant en thèse générale qu’autant le point de vue déistique du siècle dernier portait vers le symbolisme, autant le point de vue panthéistique de nos temps penche vers le réalisme. A part le puseysme anglais et le confessionalisme allemand, bien des symptômes trahissent de toutes parts cette tendance, à laquelle il importe d’être attentif, car elle peut mener loin. Sacramentalisme et cléricalisme ne font qu’un. Et c’est des vertus mystérieuses attachées de bonne heure aux rites sacrés qu’est sorti, à travers les siècles et par la logique des choses, le système romain.

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