Notes sur les Miracles de notre Seigneur

17. La marche sur la mer

Matthieu 14.22-33 ; Marc 6.45-52 ; Jean 6.14-21

Les trois évangélistes qui racontent ce miracle sont d’accord pour le placer immédiatement après la multiplication des pains, le soir du même jour. Les deux premiers Évangiles nous disent que lorsque la multitude eut été rassasiée, le Seigneur « obligea, aussitôt après, ses disciples à monter dans la barque, » probablement parce que la multitude voulait s’emparer de Jésus pour le faire roi ; on peut penser que les disciples connaissaient ce désir de la foule, qui correspondait au leur, en sorte qu’ils eussent mieux aimé ne pas quitter leur Maître dans un tel moment.

Saint Jérôme dit qu’ils n’aimaient pas, en général, être séparés de leur Maître ; tandis que Jésus congédiait l’assemblée, ils devaient retourner à Bethsaïda, la ville de Philippe, d’André et de Pierre, située de l’autre côté du lac, dans le voisinage de Capernaüm ; mais, en l’absence du Seigneur, ils ne purent avancer beaucoup dans leur voyage, « le vent était contraire, » la mer était agitée. C’était « la quatrième veille de la nuit, » vers le matin, et, malgré tous leurs efforts, ils n’avaient parcouru que « vingt-cinq ou trente stades, » la moitié de leur course, le lac ayant quarante ou quarante-cinq stades de largeurb. Ils se voyaient toujours plus incapables d’avancer, le danger devenait toujours plus menaçant, lorsque soudain ils virent le Seigneur « marchant sur la mer » et déjà près de leur barque. Après qu’ils eurent quitté Jésus, et que le Sauveur eut « renvoyé la foule, il alla sur la montagne pour prier à l’écart ; et, comme le soir était venu, il était là seul ; » de cette montagne, avec l’œil vigilant de son amour, « il vit qu’ils avaient beaucoup de peine à ramer » (Exode 3.7 ; Psaumes 56.8), et il alla vers eux, lorsqu’ils eurent bien compris que, sans lui, ils ne pouvaient rien faire. Dans tous les événements de cette nuit, Jésus se proposait de discipliner ses apôtres et de les conduire vers des choses supérieures à celles qu’ils avaient apprises ; lors de la première tempête (Matthieu 8.24), il était dans la barque avec eux ; ils sentaient que si le danger devenait pressant, ils n’avaient qu’à l’éveiller ; sa présence était pour eux un gage de sécurité. Mais Jésus ne veut pas qu’ils aient toujours besoin de sa présence corporelle, c’est pourquoi il les envoie seuls au-devant du danger, comme un oiseau qui fait sortir du nid ses petits, pour qu’ils apprennent à se servir de leurs ailes ; il les amènera à la confiance en son secours toujours prêt. Quand l’épreuve est suffisante, « à la quatrième veille de la nuit, » il apparaît près d’eux, leur enseignant ainsi que, plus tard, dans toutes leurs épreuves, il sera avec eux, alors même qu’ils ne pourront le voir de leurs yeux.

b – Environ 8 km.

Cette barque sur la mer agitée par la tempête représente bien l’Église. Il semble parfois que le Seigneur la laisse à elle-même, tellement elle est ballottée par les orages de ce monde. Mais son regard est sur elle ; il prie sur la montagne ; Sauveur vivant, il intercède pour son peuple ; lorsque la détresse arrive, il se montre aussitôt pour le conduire au port. Les disciples furent terrifiés en voyant apparaître le Seigneur, « ils crurent que c’était un fantôme. » Souvent il est méconnu, maintenant encore, lorsqu’il s’approche de son peuple sous une forme extraordinaire, par quelque moyen spécial, sous la forme de quelque affliction ; alors on s’effraie, et pourtant le Seigneur apporte une bénédiction ; on le prend pour un fantôme, jusqu’à ce que sa voix se fasse entendre : « C’est moi, ne craignez point ! » Cependant, quoique Jésus vint réellement au secours de ses disciples, ceux-ci furent angoissés en voyant qu’« il voulait les dépasser » (Marc 6.48) ; ils furent troublés un instant. On a dit : « Pourquoi Jésus voulait-il aller plus loin, puisqu’il était venu pour secourir ses disciples ? » Cette manière d’agir, comme toute dispensation de Dieu à l’égard de son peuple, ne peut être comprise de ceux qui ne connaissent pas la vie de la foi ; Jésus dépassait la barque, pour obliger ses disciples à crier à lui, afin d’implorer son secours. De même, sur le chemin d’Emmaüs, après sa résurrection, « il parut vouloir aller plus loin, » pour obliger les deux disciples à réclamer sa présence ; dans un grand nombre de dispensations de Dieu, nous retrouvons quelque chose de semblable.

Jésus apaise les terreurs de ses disciples : « Rassurez-vous, c’est moi, n’ayez pas peur ! » Alors Pierre répondit : « Seigneur, si c’est toi, ordonne que j’aille vers toi sur les eaux. » Ce mot « si » ne signifie pas que Pierre eût des doutes au sujet de la présence du Seigneur ; ces paroles signifient plutôt : « Puisque c’est toi, ordonne que j’aille vers toi. » Il comprend qu’avant d’aller à Christ, il faut un ordre de sa part ; dans l’expression de son désir, on doit reconnaître l’amour de Pierre pour le Seigneur, amour qui lui fait souhaiter d’être avec son Maître (Jean 21.7). Il voulait compenser, en quelque sorte, par un acte héroïque de courage, son cri de détresse ; mais il y avait aussi, dans son désir, beaucoup d’orgueil. Il voulait aller à Jésus avant les autres disciples et se signaler par un témoignage de foi qui le rendît supérieur à ses compagnons. Sous une autre forme, c’est la parole : « Quand même tous seraient scandalisés, je ne le serais point. » Il faut remarquer et admirer la sagesse et l’amour du Seigneur dans sa réponse. Il dit à Pierre, non pas : « Je t’ordonne, » ni : « Viens à moi, » mais simplement : « Viens ! » c’est-à-dire : « Viens, si tu le veux ; fais un essai, si tu le désires. » Dans ce mot : « Viens » est renfermée l’assurance que Pierre ne serait pas englouti par les eaux, mais on n’y trouve aucune garantie quant au succès de l’expérience ; l’issue dépendait de Pierre lui-même ; il fallait qu’il persévérât dans sa confiance jusqu’à la fin. Jésus savait qu’il n’en serait pas ainsi, et que, dans le désir de son disciple, il y avait aussi beaucoup de présomption charnelle. C’est ce qui devint évident. Aussi longtemps que Pierre ne regarda qu’à Jésus, il fut capable de marcher sur la mer ; mais lorsqu’il prit conseil de la chair et du sang, quand il regarda ailleurs, quand « il eut peur, voyant que le vent était fort, » il commença à enfoncer ; il dut alors confesser sa crainte et révéler la faiblesse de sa foi.

« Ici, ses talents de nageur ne lui servent de rien, dit Stier, car il s’agit du monde de la grâce, et non de la nature ; mais Pierre a près de lui quelqu’un qui ne le laissera pas succomber, et il fera la même expérience que le psalmiste : « Quand je disais : Mon pied a glissé, ta miséricorde, ô Éternel ! m’a soutenu. » — « Il s’écria : Seigneur, sauve-moi ! Aussitôt Jésus étendit la main, le saisit, et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » encourageant ainsi les impulsions futures de son courage, lui montrant qu’il pouvait tout par Christ qui le fortifiait et lui enseignant que son tort était non d’avoir fait une trop grande entreprise, mais d’avoir eu trop peu de confiance dans la force qui le soutiendrait. Jésus adresse ce tendre reproche à Pierre après lui avoir rendu sa confiance et lui avoir montré qu’il pouvait marcher sur les eaux ; le disciple a retrouvé son courage, en sorte que le Maître peut lui parler de son doute comme d’une chose passée : « Pourquoi as-tu douté ? » Avant que le doute s’élevât dans ton cœur, tu as marché sur les eaux ; et maintenant que tu as retrouvé ta foi, tu marches de nouveau sur elles ; tu vois donc qu’il ne s’agit pas d’une chose impossible, mais que cela dépend de ta volonté ; tout est possible à celui qui croit.

Il y a, dans ce miracle, un élément symbolique. Pierre est ici l’image des croyants de tous les siècles ; lorsqu’ils sont fermes dans leur foi, ils sont capables de surmonter les agitations du monde ; mais lorsqu’ils perdent courage, lorsque, au lieu de regarder à Jésus, ils regardent l’orage et les eaux, alors ils commencent à enfoncer, et si la main de Christ ne les soutenait pas, ils seraient engloutis.

Ni saint Matthieu, ni saint Marc ne mentionnent l’arrivée très prompte de la barque « au lieu où ils allaient ; » ils disent seulement que le « vent cessa » dès que Jésus fut entré dans la barque. Saint Marc parle de l’étonnement des disciples après tout ce qui s’était passé : « Ils furent en eux-mêmes tout stupéfaits et remplis d’étonnement ; » saint Matthieu dit que d’autres, qui naviguaient avec eux, probablement l’équipage, « vinrent se prosterner devant Jésus, et dirent : Tu es véritablement le Fils de Dieu ; ils comprenaient qu’ils avaient affaire à Celui qui était en relation surnaturelle avec Dieu (Habakuk 3.15 ; Job 9.8).

Les docètes pensent que le corps de Christ était affranchi des lois de la pesanteur ; les eaux auraient été rendues solides sous ses pieds ; mais, bien plutôt, Jésus fut soutenu par sa volonté ; de même, la volonté de Pierre rendue énergique au plus haut degré par sa foi au Fils de Dieu, le rendit capable de marcher sur la mer. Nous avons déjà fait remarquer que le miracle n’est pas la violation, ni la suspension de la loi, mais l’intervention d’une loi supérieure, spirituelle, dans la sphère des lois naturelles. Nous voyons, dans le miracle qui nous occupe, ce que peut la volonté de l’homme, lorsque cette volonté est en harmonie absolue avec celle de Dieu.

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