Synonymes du Nouveau Testament

63.
Ἀγαθωσύνη, χρηστότης
Bonté, douceur

Ἀγαθωσύνη est un de ces mots dont la religion révélée a enrichi la langue grecque. Il ne se présente nulle part ailleurs que dans les traductions grecques de l’A. T. (Néhémie 9.25 ; Ecclésiaste 9.18), dans le N. T. et dans les écrits qui en dépendent directement. A la vérité, en aucun temps, les grammairiens n’ont reconnu le mot ; ils ne lui ont point accordé pas plus qu’à ἀγαθότης de permis de séjour, mais ils ont demandé qu’on substituât à ce dernier mot χρηστότης, qui, nous le verrons, ne lui est point absolument identique (Lobeck, Pathol. Serm. Græc. p. 237). Dans le N. T., nous le trouvons quatre fois et toujours dans les écrits de saint Paul (Romains 15.14 ; Galates 5.22 ; Éphésiens 5.9 ; 2 Thessaloniciens 1.11). Dans Galates 5.22, ἀγαθωσύνη fait partie d’une longue liste de vertus ou de grâces chrétiennes, et doit signifier quelque grâce spéciale et distincte, tandis que « bonté » (si on le traduisait par ce mot) semblerait embrasser toutes ces grâces. L’expliquer dans le passage indiqué, comme fait Phavorinus : ἡ ἀπηρτισμένη ἀρετή, c’est donner un sens peu satisfaisant, quoiqu’il soit vrai que ce vocable est quelquefois (comme au Psaumes 52.5,) opposé à κακία et a ce sens général. Avec tout cela, il est difficile de proposer aucune autre version ; comme, sans doute, il est encore plus difficile de saisir l’idée-mère d’ἀγαθωσύνη que celle de χρηστότης, difficulté qui gît surtout dans le fait que nous n’avons point de passage dans la littérature grecque classique qui nous vienne en aide ; car, quoiqu’on ne puisse jamais admettre que cette littérature fasse la loi d’une manière absolue dans l’explication des mots de l’Ecriture, nous sommes pourtant bien embarrassés quand les passages classiques nous manquent tout à fait. Nous ferons donc bien de considérer χρηστότης en premier lieu, et quand nous aurons vu quel domaine le mot embrasse, nous pourrons mieux déterminer celui qui reste pour ἀγαθωσύνη.

Χρηστότης mot charmant, puisqu’il est l’expression d’une grâce magnifique (cf. χρηστοήθεια, Sira.37.13), ne paraît, comme ἀγαθωσύνη, dans le N. T., que dans les épîtres de saint Paul. L’apôtre l’unit à φιλανθρωπία (Tite 3.4) ; à μακροθυμία et à ἀνοχή (Romains 2.4) ; et l’oppose à ἀποτομία (Romains 11.22). Χρηστότης est expliqué dans les Définitions qui passent sous le nom de Platon (412 e), comme étant ἤθους ἀπλαστία μετ᾽ εὐλογιστίας. Phavorinus : εὐσπλαγχνία ἡ πρὸς τοὺς πέλας συνδιάθεσις τὰ αὐτοῦ ὡς οἰκεῖα ἰδιοποιουμένη. Clément de Rome associe χρηστότης à ἔλεος (1 Ep.1.9) ; Plutarque à φιλανθρωπία (Démet. 50) ; à εὐμένεια (De Cap. ex In. Util. 9) ; à γλυκυθυμία (Terr. au Aquat. 32) ; à ἁπλότης et à μεγαλοφροσύνη : Philon le groupe avec εὐθυμία, ἡμερότης, ἠπιότης (De Mer. Merc. 3). Ainsi encore Josèphe, parlant de la χρηστότης d’Isaac (Antiq. 1.18.3), jette une vive lumière sur le caractère du patriarche ; voy. Genèse 26.20-22. Calvin commente χρηστότης d’une manière bien trop superficielle. A propos de Colossiens 3.12, il écrit : « Comitatem — sic enim vertere libuit χρηστότητα, qua nos reddimus amabiles. Mansuetudo (πρα"ύτης), quæ sequitur, latius patet quam comitas, nam illa præcipue est in vultu ac sermone, hæc etiam in affecta interiore ». Bien loin de n’être que cette simple grâce qui se traduit dans les paroles et sur les traits, la χρηστότης en est une qui pénètre et envahit toute la nature, tempérant tout ce qui serait dur et austère ; ainsi le vin que l’âge a adouci est χρηστός (Luc 5.39) ; le joug de Christ est χρηστός, car il n’a rien de dur ou de douloureux (Matthieu 11.30). Quant à la distinction entre ce mot et ἀγαθωσύνη, Cocceius (sur Galates 5.23), citant Tite 3.4, ou se trouve χρηστότης, écrit : « Ex quo exemplo patet per hanc vocem significari quandam liberalitatem et studium benefaciendi. Per alteram autem (ἀγαθωσύνη) possumus intelligere comitatem, suavitatem morura, concinnitatem, gravitatem morum et omnem amabilitatem cum decoro et dignitate conjunctam ». Mais ceci non plus ne me paraît pas résoudre exactement le problème. Si les deux termes sont distincts l’un de l’autre, la « suavitas » appartient à χρηστότης plutôt qu’à ἀγαθωσύνη. Je préfère ce qu’a dit Jérôme sur la matière ; je ne connais rien de mieux nulle part (Com. in Ep. ad Gal. 5.22) : « Benignitas sive suavitas, quia apud Græcos χρηστότης utrumque sonat, virtus est lenis, blanda, tranquilla, et omnium bonorum apta consortio ; invitans ad familiaritatem sui, dulcis alloquio, moribus temperata. Denique et hanc Stoici ita definiunt : Benignitas est virtus sponte ad benefaciendum exposita. Non multum bonitas (ἀγαθωσύνη) a benignitate diversa est ; quia et ipsa ad benefaciendum videtur exposita. Sed in eo differt ; quia potest bonitas esse tristior, et fronte severis moribus irrugata, bene quidem facere et praostare quod poscitur ; non tamen suavis esse consortio, et sua cunctos invitare dulcedine. Hanc quoque sectatores Zenonis ita dofiniunt : Bonitas est virtus quæ prodest, sive, virtus ex qua oritur utilitas ; aut virtus propter semetipsam ; aut affectus qui fons sit utilitatum ». Avec ceci s’accorde en général la distinction que trace saint Basile (Reg. Brev. Tract. 214) : πλατυτέραν οἶμαι εἶναι τὴν χρηστότητα εἰς εὐεργεσίαν τῶν ὅπως δηποτοῦν ἐπιδεομένων ταύτης. συνηγμένην δὲ μᾶλλον τὴν ἀγαθωσύνην καὶ τοῖς τῆς δικαιοσύνης λόγοις ἐν ταῖς εὐεργεσίαις συγχρωμένην

Un homme peut faire preuve d’ἀγαθωσύνη, de zèle pour le bien et la vérité, en reprenant, en corrigeant, en châtiant. Christ n’était animé que de l’esprit de cette grâce, quand il chassa du temple les acheteurs et les vendeurs (Matthieu 21.13), ou quand il prononça tous ces terribles anathèmes contre les Scribes et les Pharisiens (Matthieu ch. 23) ; mais nous ne pourrions pas dire qu’il manifestait sa χρηστότης dans ces actes d’une juste indignation. Il fit plutôt éclater sa χρηστότης dans sa réception de la pécheresse (Luc 7.37-50 ; cf. Psaumes 24.7-8), et dans toute sa conduite miséricordieuse envers les fils des hommes. C’est ainsi qu’avec les Constitutions apostoliques nous pourrions parler de la χρηστότης τῆς ἀγαθωσύνης de Dieu, mais difficilement de l’inverse. Cette χρηστότης était si éminemment le caractère du ministère de Christ, qu’il n’est pas étonnant d’apprendre par Tertullien (Apol. 3), de quelle manière, dans la bouche des païens, « Christus » fut transformé en « Chrestus », et « Christiani », en « Chrestiani » — il est vrai, avec cet arrière ton de méprisb que le monde sent, et qu’il apprend bientôt à exprimer en paroles, pour une bonté qui ne lui paraît avoir en partage que la simplicité de la colombe et rien de la prudence du serpent. Un tel dédain, sans doute, le monde est justifié en le ressentant pour une bonté qui serait inerte à ses yeux, sans vie, sans généreuse indignation contre le péché, sans volonté de le punir. Que ce qui était appelé du nom toujours honorable de χρηστότης, ait quelquefois dégénéré à ce point et ait fini par ne plus désigner aucune bonté quelconque, nous en avons la preuve dans un remarquable fragment de Ménandre (Meineke, Fragm. Com. Græc. p. 982) :

b – Le χρηστός fut appelé ἠλίθιος par ceux qui voulaient prendre tout par le mauvais bout (Aristot., Rhet. 1.9.3 ; cf. Eusebius, Præp. Evang. 5.5.5).

ἡ νῦν ὑπό τινων χρηστότης καλουμένη
μεθῆκε τὸν ὃλον εἰς πονηρίαν βίον.
οὐδεὶς γὰρ ἀδικῶν τυγχάνει τιμωρίας.c

c – « Ce que certains appellent aujourd’hui bonté est un abandon du monde à sa vie mauvaise ; car aucun de ceux qui agissent injustement ne reçoit son châtiment. » (ThéoTEX)

Selon moi, la différence entre χρηστότης et ἀγαθωσύνη se réduit à ceci : χρηστότης est la bonté pour autant qu’elle se manifeste dans les rapports avec le prochain (le mot vient de κράομαι, avoir des rapports), elle implique bienveillance, bienfaisance, bénignité, débonnaireté, charité, aussi bien que probité, honnêteté. Ἀγαθωσύνη, (simple variété de forme de ἀγαθότης, comme ἁγιοσύνη de ἁγιότης) est le terme générique, qui s’applique à la notion abstraite de bon, et exprime la vertu qui fuit le mal sous tous ses aspects. (Dr A. Scheler.)

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