Le Réveil Américain

Chapitre XVIII

Réveil parmi les marins. — Diversité des langues. — La prière vaut mieux que le rhum. — Un catholique irlandais. — Un vieux matelot. — Un vaisseau qui sombre et qui est sauvé pendant une prière. — Un matelot suédois au gouvernail. — Scène terrible sur l’Austria. — Coïncidence frappante. — Six capitaines de vaisseau amenés à Christ. — Expérience remarquable d’un autre capitaine.

C’est parmi les marins de nos divers ports et parmi les équipages qui les fréquentent que le réveil a exercé son influence la plus extraordinaire. Jamais je n’ai rien lu, rien entendu d’aussi surprenant, relativement à la puissance de la prière, que les récits qui nous sont parvenus, soit des vaisseaux qui revenaient de voyages en pleine mer, soit des réunions de matelots qui se tiennent à terre. Le petit nombre de faits qui vont être relatés dans ce chapitre seront lus avec une gratitude et une adoration profondes par quiconque aime le Sauveur et se réjouit de ce que « la plénitude des mers » lui a été donnée.

Le rév.d C. C. Jones, pasteur de l’église des marins, dont les travaux ont été exclusivement consacrés à cette classe particulière d’hommes, a rédigé le récit des traits suivants, récit que je me bornerai à transcrire tel quel :

L’église des marins mérite réellement le titre d’église vivante et agissante. Un grand nombre de ses membres et de ses fonctionnaires, ainsi que les membres de la « société des marins » (Port society), travaillent ensemble avec une activité incessante pour le bien des « hommes de mer ». Quatre réunions de prière pendant la semaine et trois le dimanche y ont toujours été tenues régulièrement, en outre des prédications proprement dites et des classes bibliquesa.

a – Culte où on lit et explique les Saintes Ecritures.

La réunion de prière du lundi est consacrée aux Suédois, aux Danois et aux Finlandais, et les prières qu’on y a présentées en faveur des matelots appartenant à ces pays lointains, ont été abondamment bénies et ont opéré parmi eux un très grand nombre de conversions.

— Dans ces réunions, comme dans beaucoup d’autres, on est souvent obligé de parler autant de langues qu’il y en avait à Jérusalem au jour de la Pentecôte. Soixante et seize nationalités différentes, en y comprenant les îles de la mer, se trouvent représentées dans un nombre d’environ quatre mille marins qui ont visité soit le pasteur, soit le zélé missionnaire Joseph H. Gardiner. La plupart de ces hommes parlent de deux à six langues. Il n’y a pas longtemps que le pasteur reçut la visite d’un finlandais qui en parlait dix, et qui, de ces dix, pouvait en écrire sept correctement. Il avait fréquenté dans le temps les universités de son pays, mais il n’en avait pas moins voulu conserver le rang de simple matelot et travailler de toutes ses forces à l’œuvre de Christ.

Dans une autre occasion, huit matelots se présentèrent ensemble devant le pasteur, et, en examinant les choses de près, il se trouva qu’entre eux huit ils parlaient vingt-six langues. Le groupe se composait d’un norvégien, deux français, un anglais, un portugais et trois italiens. Le norvégien parlait trois langues ; le portugais, trois ; l’anglais, deux ; l’un des français en parlait trois, l’autre deux, et des trois italiens, l’un en parlait six, l’autre quatre et le dernier trois. Ces langues étaient l’anglais, le français, l’espagnol, le portugais, l’italien, l’allemand, le norvégien, le hollandais, l’arabe, le turc et le bengalais.

On comprend facilement que lorsque l’Esprit de Dieu se saisit avec puissance d’hommes munis de tant de facilités pour communiquer à d’autres leurs pensées, ils deviennent littéralement des épîtres vivantes, connues et lues de tous les hommes, et l’un des moyens de propagation les plus efficaces dans l’évangélisation du monde et dans la formation du corps de Christ, qui est l’Eglise. Parmi ceux qui ont passé ici par la nouvelle naissance, il en est dont la conversion est une preuve éclatante de la promptitude avec laquelle l’Esprit de Dieu répond à la prière.

Nous avons toujours été dans l’habitude d’offrir aux personnes qui pouvaient désirer une part dans nos prières, une occasion de nous le manifester en se levant dans l’assemblée. Or, il n’est pas rare qu’il s’en lève de six à quinze ou seize dans une même réunion, et il ne s’est pas écoulé de semaine que nous n’ayons vu des fruits de nos supplications, et qu’une ou plusieurs âmes ne soient venues se jeter au pied de la Croix.

— Un pauvre garçon qui avait été convaincu de péché, et qui avait trouvé son refuge en Jésus-Christ, fut rencontré par le pasteur dans l’auberge, au moment où il faisait sa malle pour retourner à bord et se remettre en voyage. L’hôtelier était activement occupé à remplir de liqueur certains flacons qu’il remettait aux matelots comme provision de traversée (en les leur faisant payer, bien entendu), et il voulait à toute force en placer un dans la valise du marin. Mais celui-ci refusait et persistait dans son refus, malgré les sollicitations répétées du maître de maison ; puis, regardant le missionnaire : « J’aimerais bien mieux, dit-il, emporter sur mer vos prières que tout le rhum du monde entier. »

— Dans une autre circonstance, on disait à un matelot qu’il devait s’abstenir de l’usage des boissons enivrantes, et qu’il ne pourrait rien faire sans recourir au secours de Dieu par la prière. Décidé à commencer de suite, et poussé par cet esprit de détermination et de spontanéité qui caractérise les marins, il se jeta à genoux dans la salle même où l’on débitait les liqueurs, et se mit à demander la force de résister à la tentation et de garder son vœu. Ce vœu, il l’a gardé, et dans une de ses tournées, plus tard, M. Gardiner fut accosté brusquement par la femme de l’aubergiste, qui lui dit dans son jargon irlandais : « Vrai, Monsieur, je crois que vous avez converti Pierre ! Ainsi, sa conduite avait changé au point de convaincre chacun qu’il avait appris à connaître Jésus.

— La femme d’un matelot, qui tenait une pension alimentaire pour les marins, vint un dimanche après midi à la réunion de prière, et, pénétrée du danger qu’elle courait comme pécheresse, demanda les prières des chrétiens en sa faveur. Après un temps assez court, pendant lequel elle resta sous la conviction de ses péchés et fit part à son mari des craintes qui la tourmentaient, ils renoncèrent tous deux à leur débit de liqueurs et commencèrent à chercher sérieusement le Seigneur. Fidèle à ses promesses, Il se fit bientôt trouver d’eux. Aujourd’hui, cette femme est membre de l’Église et son mari va le devenir bientôt. Ils sont tous deux très fermes et très résolus dans leur marche chrétienne, et, non contents de venir eux-mêmes aux divers cultes, ils font tous leurs efforts pour y amener leurs amis.

— Un autre homme, irlandais de naissance et rigide catholique, se laissa persuader de venir à la réunion de prière. Là, il se sentit tellement saisi par le sentiment de ses péchés, qu’il se leva de suite pour demander les prières des assistants. Après quelques entrevues avec le pasteur, il comprit que Jésus était son Sauveur, et, laissant là la Vierge et les Saints, il demanda qu’on priât pour sa femme et son enfant, qu’il amenait avec lui à la réunion. Sa femme suivit peu après son exemple et commença à faire la guerre aux croyances qu’elle venait d’abandonner. Quant à lui, son travail l’appelant dans des lieux très fréquentés, il se munissait d’une provision de traités qu’il distribuait à ses anciennes connaissances. Plein d’un zèle qui le dévorait, il leur lisait lui-même ces traités, leur démontrant avec puissance, par les Ecritures, que Jésus est le Christ. Tous deux sont aujourd’hui des membres fidèles de l’église des marins.

— Je n’ajouterai plus qu’un trait qui me revient en mémoire, comme nouvel exemple de la manière dont Dieu répond aux prières et comme preuve des fruits que le réveil actuel a déjà portés.

Il s’agit d’un vieux marin qui a passé quarante-trois ans de sa vie à courir aventureusement les mers. La première fois qu’il parut à l’église, c’était pendant le service du dimanche soir. Il était accompagné de sa femme et légèrement pris d’ivresse. Tous d’eux s’étaient placés près de la porte. Le sujet traité ce soir-là était : « Voici l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ». Peu après le commencement du sermon, on vit le vieux matelot, dont les cheveux et la barbe étaient tout blancs, se lever, remonter le couloir et se diriger vers la chaire, suivi de sa compagne, aussi âgée que lui. Arrivé au pied même de la chaire, il s’y arrêta, et ne quitta pas des yeux le prédicateur jusqu’à ce qu’il eût fini de prêcher. Pendant le discours, il avait beaucoup pleuré. En descendant de la chaire, le pasteur alla droit à lui, et, mettant amicalement la main sur son épaule, lui dit :

— Hé bien ! mon ami, pouvez-vous regarder à cet Agneau de Dieu ?

— Je ne sais !… répondit-il avec une vive émotion. Je ne sais ! ce n’est pas trop facile.

— Mais, reprit le pasteur, désirez-vous voir en Lui votre Sauveur ?

— Si je le désire !…

Comme la foule s’écoulait, le pasteur le pressa de venir le voir dans son cabinet, le lendemain matin. Il le promit et n’y manqua pas. Au coup de dix heures, le vieux matelot fit son apparition, accompagné de cinq autres marins, qui venaient demander des explications sur le sermon de la veille. Le vieillard s’avança, appuyé sur son bâton, et la conversation suivante commença :

— Hé bien ! mon ami, dit le pasteur, comment allez-vous ce matin ? Etes-vous toujours inquiet sur le salut de votre âme ? Vous voilà bien âgé, bien près de la tombe, et vous n’êtes pas encore en état de paraître devant Dieu ?

— Je ne crains pas la mort, Monsieur. Mais, croyez-vous que Jésus veuille sauver un homme tel que moi ?

En me faisant cette question, son regard cherchait à pénétrer ma pensée la plus intime, et l’on sentait que, pour lui, tous les intérêts temporels et éternels se résumaient dans ce seul point.

— Et pourquoi me faites-vous cette question ? Y a-t-il dans votre cas quelque chose de particulier ?

— Oh ! Monsieur, reprit-il, j’ai été un si grand pécheur, que je crains bien d’en avoir trop fait. Dieu a été si bon à mon égard, et je l’ai traité d’une manière si indigne ! J’ai été quarante-trois ans sur mer, tant sur le tillac que sous les ponts, et j’ai échappé, par la grâce de Dieu, à des dangers sans nombre. J’ai fait naufrage trois fois. La première fois, je n’étais encore qu’un enfant. Notre bâtiment avait été jeté par les courants sur la plage, dans la mer du Nord. Une vague me balaya de dessus le pont avec deux rames dans les mains qui me servirent pour me tenir à flot. Je criai à Dieu dans ce moment, et je répétai la prière que ma mère m’avait apprise. Quelques heures plus tard, comme je luttais avec la mer, on me jeta de terre une corde munie d’un plomb ; je l’attachai aux deux rames et l’on me tira sur le bord. Sur onze que nous étions, il n’y en eut que trois de sauvés. Une autre fois, je me trouvais sur un baleinier allant dans la mer du Sud. Nous étions près des îles Falkland. Je faisais partie d’un équipage de sept rameurs, chargé de l’un des bateaux de pêche, et nous désertâmes le navire avec des provisions pour une semaine. Mais nous payâmes cher notre folie : nous demeurâmes soixante jours sur cette frêle embarcation, et vingt-six de ces jours sans une seule goutte d’eau pour humecter nos lèvres. Quand les provisions se trouvèrent épuisées, nous fûmes réduits à vivre de la chair crue et du sang des penguins. Une autre fois, nous fûmes brisés par la tempête au-dessus de Barnegat, et sur trente et une personnes, tant matelots que passagers, il n’y en eut que quatre de sauvées. On me recueillit après trois ou quatre heures de lutte contre les vagues, dans le fond d’un bateau où j’avais prié avec ardeur pour que Dieu voulût bien me délivrer. Je suis tombé neuf fois à la mer, et j’ai été exposé, soit dans les combats, soit ailleurs, à une foule de périls. Mais, ce qui me tue, dans tout cela, c’est qu’à peine avais-je retrouvé des vêtements secs, je me retournais vers le mal et me mettais à blasphémer de nouveau le Saint Nom de l’Eternel.

— Hé bien ! mon ami, reprit le pasteur, vous repentez-vous de tous ces péchés ?

— Oui, Monsieur, bien sincèrement.

— Etes-vous résolu à abandonner tout ce qui peut offenser Dieu, comme l’habitude de boire, et tant d’autres péchés ?

— Oui, Monsieur, je le veux, et je le ferai quand je devrais même en mourir.

Voyant cela, le pasteur s’agenouilla et se mit à prier.

Le marin s’en retourna chez lui, bien décidé à ne plus vivre pour lui-même, mais pour Christ, qui était mort pour ses péchés. Il assista à la réunion suivante et demanda les prières du peuple de Dieu en sa faveur. Ces prières furent entendues, et maintenant il marche humblement sous le regard de l’Eternel.

Trois mois après cette entrevue, le vieux matelot comparaissait devant le conseil d’église, et était admis à en devenir membre, ainsi qu’à prendre place à la table du Seigneur, après avoir confessé sa foi en Christ. Aujourd’hui, la congrégation ne possède pas un homme plus humble, plus fidèle et plus attentif à pratiquer la Parole de vie, que ce vieux marin tout couvert de cheveux blancs.

— M. Jones ajoute que l’œuvre s’étend toujours davantage, et que l’Esprit de Dieu continue à opérer avec la même puissance ; « en sorte, dit-il, que nous sommes encore en plein réveil ». Depuis le mois de mars 1856, on a reçu parmi les membres de l’église environ 350 personnes. Il n’y en avait eu que 60 jusqu’à cette date. Quoiqu’on prenne la cène tous les mois, cette solennité n’a jamais eu lieu sans que l’église n’ait eu à se réjouir de quelque nouveau triomphe de la grâce, et plus d’une fois le nombre des admissions s’est élevé jusqu’à soixante. Parmi ces 350 personnes, 300 ont été reçues sur la profession de leur foi en Christ. Aujourd’hui, 146 d’entre elles, embarquées sur divers bâtiments dispersés aux quatre vents, travaillent activement pour Christ, ainsi que le prouvent leurs correspondances avec leur pasteur et les nouvelles données par des chapelains étrangers.

En outre de ceux qui ont pu être admis dans l’église, il doit y en avoir au moins une centaine qui se sont embarqués sous la conviction de leurs péchés, et promettant de chercher le Seigneur ou possédant déjà quelques lueurs d’espérance, mais sans être restés assez longtemps à terre pour fournir à l’église des preuves suffisantes de leur soumission complète à Jésus-Christ. Les uns sont en Californie, d’autres en Australie, quelques-uns se sont joints à d’autres communautés, et d’autres enfin ont propagé la connaissance de l’Evangile parmi les équipages auxquels ils appartenaient. Ceux-là sont partis, pour la plupart, en pleurant, et ils ont pendant longtemps jeté, on peut le dire, « leur pain sur la face des eaux » ; mais ils sont en-suite revenus avec chant de triomphe et chargés de gerbes.

— La réunion de prière rattachée à l’œuvre des marins a fourni, elle aussi, des cas de conversion très frappants. En voici quelques-uns :

Dans une de ces réunions, un matelot prit la parole : « J’apporte, dit-il, de bonnes nouvelles de la pleine mer. Il y a quelque temps qu’un gros navire s’étant mis à faire eau, la tempête survint ; l’eau augmentait, et il était sur le point de sombrer. Le capitaine fit tout ce qu’il put pour sauver son bâtiment et son équipage ; mais, à la fin, voyant que ses efforts étaient inutiles, il abandonna tout espoir. Il rassembla alors ses hommes autour de lui (vingt-deux personnes en tout) et leur dit :

— Mes enfants, je ne puis plus vous sauver. Nous allons couler bas dans très peu de temps. Etes-vous prêts ?

Le capitaine n’était nullement un homme pieux. Deux matelots s’avancèrent et dirent :

— Capitaine, nous croyons être prêts.

— Hé bien ! répondit celui-ci, priez pour vos camarades et pour moi, car je reconnais, pour mon compte, que je ne suis pas du tout prêt.

Tous s’agenouillèrent sur le tillac, et les deux matelots se mirent à prier. Ils demandèrent à Dieu de les sauver, si c’était possible, et en tous cas de les préparer soit à vivre, soit à mourir. Leur prière était fervente. Avant de la commencer, leurs regards avaient découvert à l’horizon les voiles d’un gros navire ; mais ce navire était encore si loin qu’ils ne songèrent pas même à le signaler aux autres, tant ils croyaient impossible d’attirer son attention à pareille distance. Ils continuèrent donc de prier, sans faire les signaux d’usage pour demander du secours. C’est à Dieu qu’ils demandaient la délivrance, selon son bon vouloir, le suppliant de faire que, morts ou vivants, ils pussent être trouvés du nombre de ses enfants. Pendant qu’ils étaient encore à genoux, ils entendirent du bruit sur l’eau ; leurs regards se portèrent vers la mer, et ils virent un grand bateau de sauvetage que le vaisseau envoyait à leur délivrance. L’embarcation les recueillit tous et les amena sains et saufs à bord du navire libérateur. Malgré la distance, le capitaine avait découvert la situation périlleuse de ces malheureux, et leur avait aussitôt expédié une forte chaloupe. L’équipage qui venait d’être ainsi arraché à la mort en fut vivement impressionné et y vit la main de Dieu, en réponse aux prières des deux matelots. Ils résolurent donc de tenir chaque jour une réunion de prière. Ils le firent, et quand, peu de temps après, ils prirent terre à Fayal, les trente-deux marins étaient tous devenus sincèrement pieux. »

Quelle autre puissance que celle de Dieu avait pu amener ce changement ? Combien il est vrai de dire que dans ce grand mouvement religieux la lumière éclate partout, sur mer comme sur terre, et que des milliers d’âmes se réjouissent de toutes parts à cette divine clarté. Le réveil s’est montré même sur des navires qui n’avaient eu encore aucune communication avec la terre.

— M. Burnett racontait un jour, les yeux pleins de larmes, le réveil magnifique et glorieux qui s’est développé depuis quelques mois sur un vaisseau nommé la Caroline du Nord. Ce vénérable serviteur de Dieu s’est dévoué depuis longtemps, à son travail avec un zèle inouï, particulièrement parmi les marins, et il dit avoir rarement vu des manifestations de la grâce divine aussi surprenantes que celles qu’il a observées pendant le réveil actuel.

— Un monsieur se leva un jour à la réunion de Fulton Street, et dit :

« J’ai assisté dimanche passé au service divin sur ce vaisseau. Je demandai au prédicateur le nombre des marins qui étaient devenus pieux. Il me répondit : Au moins 150, peut-être même 200, dont les uns appartiennent à l’équipage du Wabash, les autres à celui de la Savannah et le reste à celui de la Sabine. — Ainsi, ces marins convertis sont dispersés dans tout l’univers, les uns sur un bâtiment, les autres sur un autre, et partout où ils vont ils font luire leur lumière devant les hommes. Il s’en trouve en ce moment 150 sur la Caroline du Nord, dont la plupart assistaient au service dont je parle, quoiqu’ils fussent parfaitement libres de n’y pas venir. Le culte commença par le chant de cette belle hymne :

Jésus, tu es l’ami du pécheur,
Et comme tel, je regarde vers toi !

Deux prières vinrent après, suivies de deux exhortations. J’avais rarement vu une assemblée aussi recueillie et aussi attentive. Il était encourageant de voir ensuite, après la fin des exercices, l’entrain et l’air décidé avec lequel un bon nombre d’auditeurs se présentaient pour signer l’engagement de tempérance et prendre leur certificat. La piété et la tempérance sont sœurs inséparables. »

— Quarante-cinq matelots de l’équipage du Wabash ont envoyé une demande de prières en leur faveur à la Société du Port de New-York. Mais des nouvelles plus récentes nous apprennent qu’une réunion de prière se tient maintenant à bord de ce vaisseau ; que le premier lieutenant est converti, et que non seulement il encourage ces réunions, mais qu’il y prend une part active, travaillant de toutes ses forces à leur prospérité. Plusieurs des matelots et des soldats qui se trouvent parmi l’équipage avaient été amenés à la piété l’hiver précédent sur la Caroline du Nord. Voilà de bonnes nouvelles, surtout quand il s’agit d’un vaisseau de guerre.

— Un matelot suédois, parlant assez mal l’anglais, prit la parole à la réunion. L’Esprit de Dieu avait touché son cœur pendant qu’il se trouvait en pleine mer, et l’avait poursuivi nuit et jour, sans lui laisser de repos. — « J’en étais venu, dit-il, au point de m’écrier : Qui me délivrera ? qui viendra à mon secours ? et mon cœur était dans une désolation étrange. Oh ! combien je me sentais misérable et pécheur ! J’étais malheureux, découragé, dégoûté de la vie ; je ne savais plus que devenir. Je n’avais personne qui pût me donner un conseil, et je passais parfois par des moments d’angoisse inouïe.

Une nuit, étant au gouvernail, je me souvins de Jésus-Christ, et aussitôt toutes mes pensées se tournèrent vers Lui. A peine avais-je pensé au Sauveur, que je le sentis venir à moi. Qu’elles étaient douces et précieuses les paroles qu’il me fit entendre alors dans sa miséricorde et son amour ! Venez à moi, vous qui êtes travaillés et chargés.Je ne mets dehors aucun de ceux qui viennent à moi.Je suis doux et humble de cœur.Apprenez de moi ; prenez mon joug, il est aisé.Prenez mon fardeau, ma grâce l’allégera.

Là, au gouvernail, dans l’obscurité et dans le silence solennel de la nuit, le Seigneur est venu au-devant de moi. Je l’aime parce qu’il m’a aimé le premier. Je ne puis m’exprimer convenablement dans votre langue ; mais Christ me comprend et je le comprends aussi. Depuis qu’il m’a rencontré au gouvernail, cet ami du pauvre pécheur, je me sens toujours près de Lui. Je l’entends lorsqu’il me dit de « déferler » mes voiles sous « la brise » de l’Esprit de Dieu, et je sais que bientôt il me « hissera » dans son ciel. »

— Chacun se souvient du désastre horrible survenu à l’Austria, vaisseau qui a été incendié en pleine mer, avec quatre cents passagers. On a su depuis qu’au moment où il quittait le port, une réunion de prière s’était formée à bord, et que plusieurs personnes avaient été converties. Voici la scène émouvante qui eut lieu un soir à ce sujet à Fulton Street :

Le conducteur de la réunion venait de lire le psaume 91. On avait prié plusieurs fois et l’on avait fait diverses allocutions, lorsqu’un monsieur adressa à l’assemblée des paroles saisissantes sur le devoir de croire et de se confier en Dieu en toutes choses, même dans les circonstances les plus terribles. Pour appuyer ses appels, il se mit à citer un fait qui s’était passé justement à bord de ce même vaisseau l’Austria. Il dit avoir appris (car il ne connaissait pas lui-même les personnes dont il allait être question) qu’un homme, dont la femme et le fils se trouvaient à bord de ce malheureux navire, avait fait dernièrement tous ses efforts pour trouver ceux des passagers qui avaient échappé à la catastrophe, et qui venaient d’arriver dans notre ville. Son désir était d’apprendre quelque chose sur le sort de sa femme et de son fils. Comme il décrivait sa femme à l’un de ces passagers, qu’il avait enfin découvert, celui-ci parut se rappeler d’avoir vu à bord une dame répondant au signalement qu’on lui donnait. Le mari s’empressa de lui présenter alors un daguerréotype. A cette vue, le passager s’était écrié aussitôt : « C’est elle ! c’est bien elle ! Heureux mari que vous êtes ! cher monsieur, car c’est elle qui avait institué à bord la réunion de prière dans laquelle mon âme a été bénie et amenée à la conversion. »

Le passager raconta à ce mari affligé que la dernière fois qu’il avait vu sa femme et son fils, ils s’étaient réfugiés aussi loin des flammes qu’ils l’avaient pu ; puis, quand les progrès de l’incendie eurent atteint le lieu où ils se trouvaient et qu’ils ne purent plus supporter l’ardeur du feu, il avait vu cette femme embrasser son fils d’un air calme et plein de sérénité et s’élancer ensuite avec lui dans les flots.

Mais ce n’est pas là le plus surprenant. Quand la réunion fut terminée, un homme qui était dans le même banc et tout à côté de celui qui venait de parler, lui serra fortement la main, sans pouvoir proférer une seule parole, tant son émotion était grande. « Cette femme, dit-il enfin, c’était ma femme ! et moi, qui suis étranger ici, j’étais venu pour chercher quelque consolation et pour demander vos prières, afin qu’il plût à Dieu d’apaiser ma douleur et de soulager mon cœur brisé. »

La scène était tellement émouvante, qu’elle ne s’effacera jamais du souvenir d’aucun des assistants. — Ce passager échappé au désastre racontait lui-même, dans une autre réunion, que tandis qu’il était dans les flots, se débattant contre une mer houleuse, un de ses amis chrétiens lui demanda comment il se sentait en face de la mort. Il répondit : « Parfaitement heureux. Je puis en ce moment me reposer sur Jésus, et je suis sauf. — Regardant alors vers le vaisseau en flammes, il avait ajouté : « La voilà, là-bas, cette noble femme, tenant dans sa main la main de son fils ! C’est à elle que je dois toutes mes espérances de salut, car c’est elle qui a organisé les réunions de prière ! »

Quelle consolation pour ce mari d’apprendre que, fidèle à sa mission de chrétienne, sa femme avait employé les derniers moments de sa vie à des œuvres d’amour et de salut pour les âmes !

— Un pasteur lut à l’une des réunions de prière de Philadelphie une lettre écrite par un jeune homme qui s’était trouvé à bord du malheureux vaisseau, dans laquelle il décrivait les dernières heures qu’il avait passées avec cinq camarades, tous chrétiens. Aussitôt que la perte du vaisseau eut été reconnue inévitable, ces six jeunes gens s’étaient postés aussi loin du feu qu’ils avaient pu, près du bord, et avaient arrêté de se jeter, au dernier moment, tous ensemble à la mer. Pendant les courts instants qui leur restaient pour contempler leur sort en face, ils se fortifièrent mutuellement dans leur commune espérance en Christ, et lorsque l’approche des flammes les y força enfin, ils se prirent par la main, se dirent un dernier et solennel adieu, en exprimant leur bonheur de se retrouver quelques instants après dans le ciel, et ils sautèrent tous à la fois dans les flots. L’auteur de la lettre ajoute qu’il s’était soutenu sur l’eau pendant quatre heures au moyen d’une ceinture d’air, (life-preserver), et que durant cet intervalle la contemplation de la vie à venir avait fait naître en lui une joie telle qu’il n’en avait jamais ressenti de pareille. Pendant ce temps, un vaisseau avait paru à l’horizon et l’avait recueilli peu après à son bord. La lecture de cette lettre avait produit une impression saisissante dans toute l’assemblée.

— Dans une autre occasion, quinze matelots appartenant au vaisseau de guerre la Savannah avaient envoyé la liste de leurs noms, en demandant les prières de Fulton Street. Treize d’entre eux, disait-on, étaient sérieux et deux étaient inquiets sur le salut de leur âme. Ils avaient écrit au capitaine du vaisseau, pour lui demander la permission de tenir une réunion de prière à bord, s’engageant à la soutenir de tout leur pouvoir et par tous les moyens que Dieu mettrait à leur disposition.

— Un grand nombre de capitaines de la marine sont devenus les humbles adorateurs de Jésus par sa grâce vivifiante, et nous allons en citer plusieurs dont la conversion est extraite d’une lettre écrite par l’un d’eux :

Le capitaine S…, qui commande l’un des paquebots de New-York au Havre, fut converti dans Wall Street par un de ses amis, qui l’invita à venir avec lui à la réunion de prière de midi. Comme l’heure était proche, soit plaisanterie, soit bonhomie, il consentit à se rendre à l’invitation. Lorsqu’on proposa à ceux qui désiraient mener une nouvelle vie de se lever, afin qu’on priât pour eux, à la grande surprise de son ami, le capitaine se leva aussi et demanda pour lui-même les prières des chrétiens, ce qui lui fut aussitôt accordé avec joie. De la réunion, il se rendit à son bâtiment, et là, s’enfermant dans sa cabine, il se jeta à genoux et supplia l’Eternel d’avoir pitié de lui. La réponse à sa prière ne se fit pas attendre : le lendemain soir, il fit devant une foule attentive, dans l’église de M. Home, à Brooklyn, le récit émouvant des miséricordes de Dieu à son égard. Des lettres qu’il a écrites du Havre démontrent que Jésus-Christ s’est acquis en lui un missionnaire fidèle et actif.

— Le capitaine W…, de la barque B…, qui se rendait de Cuba en France, fut pris en chemin par une violente tempête, qui désempara son embarcation et la mit à deux doigts de sa perte. Dans ce triste état, il put néanmoins atteindre le port de New-York. C’était pour la première fois qu’un commandement avait été confié à ce capitaine, et il était tourmenté par la pensée que cet accident lui ferait perdre la confiance de ses commettants. Cette crainte l’atterrait. Son consignataire avait fait son possible pour le rassurer ; aussi, quand il lui demanda de venir avec lui à la réunion de prière, le capitaine accepta avec joie. Ce n’était point qu’il se sentît le moins du monde attiré par cette réunion, mais il était heureux de faire plaisir à son ami. Il y alla donc, et l’Esprit du Seigneur le toucha. D’homme grossier, jureur et batailleur qu’il était, il devint un chrétien plein de zèle et de dévouement. Lui aussi, il a écrit depuis qu’il est en France, et il a donné des preuves incontestables de la solidité de sa conversion.

— Le capitaine C…, aujourd’hui en retraite et à la tête d’un commerce dans South Street (New-York), avait passé vingt ans de sa vie à essayer de devenir chrétien, mais à sa manière ; et ce n’est que pendant un service de l’église de Plymouth qu’il a trouvé, il y a quelques mois, la véritable paix qui est par la foi. Il est chrétien maintenant et chrétien actif et dévoué. Ses premiers efforts pour établir chez lui un culte de famille furent accompagnés de beaucoup de mortifications et de difficultés. A peine avait-il commencé à prendre l’habitude de rendre grâce avant le repas, que certains amis de l’Est vinrent prendre le thé et passer la soirée chez lui. Comment se résoudre à rendre grâce devant eux ? Ses amis ignoraient sa conversion, et il n’osait pas la leur annoncer… Toute réflexion faite, il pensa devoir omettre cette prière pour ce soir-là. Une fois donc qu’il fut assis à table, il saisit son couteau et sa fourchette et se mit à l’œuvre avec vigueur. Mais sa petite fille, qui avait environ six ans, avait croisé ses petites mains et baissé la tête. Après avoir attendu un instant dans cette attitude, elle dit à son père : « Papa, je suis prête ; dis les grâces. » Cette parole le transperça, et depuis lors il n’a plus transigé avec son devoir.

Aussitôt après sa conversion, le capitaine C… se mit en quête de ses cinq frères qui étaient incrédules. Il demanda publiquement les prières en leur faveur à la réunion de l’église de Plymouth, accompagnant cette demande d’une lettre chrétienne pour trois d’entre eux qui se trouvaient à l’ancre dans l’Est. Peu de temps après, tous trois furent convertis à leur tour, quoique l’un d’eux nous ait avoué depuis que pour arriver à briser son cœur, le Seigneur avait dû permettre qu’il se brisât une jambe.

— Le capitaine P…, également en retraite et trafiquant dans ce même South Street (New-York), a embrassé la foi il y a quelques mois ; et peu de chrétiens ont montré plus de zèle et d’activité pour la conversion des autres que celui-là. Comme il avait toujours été très moqueur, ses anciens amis et ses connaissances ne manquaient pas de s’unir pour le plaisanter sur son nouveau zèle. — « Vous pouvez vous moquer tant que vous voudrez, répondait-il, mais si vous espérez, par ce moyen, me faire abandonner ma religion, vous êtes grandement dans l’erreur. »

J’eus un jour à m’acquitter auprès de lui d’une tâche désagréable, celle de lui annoncer la faillite d’une maison qui lui faisait perdre une somme considérable : « Pauvres gens, dit-il, ils me font regret ; ce sont de si honnêtes commerçants ! » Et aussitôt après, il continua de me donner des détails sur son culte de famille, sans faire la moindre allusion à ma mauvaise nouvelle. Après cela, qui doutera de sa conversion ?

— Le capitaine M…, originaire du Maine, vint me voir la veille de son départ pour l’Europe. Je l’invitai à une réunion de midi, où il se rendit. Séance tenante, il conclut que le moment était venu pour lui de « radouber son vaisseau ». Il se leva donc, lorsque l’invitation en fut faite, et demanda aux chrétiens de prier en sa faveur, afin qu’il reçût la force de mener désormais une vie chrétienne, selon qu’il était résolu de le faire. En nous quittant, il nous dit qu’il allait trouver sa femme à son hôtel, pour lui dire ce qu’il avait décidé et lui demander d’en faire autant. Le lendemain matin, il était de nouveau à la réunion de prière de l’église de Plymouth, en compagnie de sa femme. Cette fois, il demanda les prières pour lui-même et pour elle. Dans la matinée, il nous fit appeler à son hôtel pour prier avec lui. Nous y allâmes à onze heures, et j’ai rarement assisté à une réunion de prière aussi saisissante. Il priait avec une grande insistance, ainsi que sa femme ; tous deux semblaient remplis d’humilité, de confiance et de joie. A midi, ils se rendirent à bord. Quel changement en vingt-quatre heures !

— Le capitaine P…, appartenant à un bâtiment de l’Ouest, venait très régulièrement à nos réunions et y prenait évidemment intérêt. Quand on le questionnait sur la religion, il reconnaissait son impiété ; mais il s’était imaginé que lorsque le Seigneur voudrait le rendre religieux, il lui donnerait des sentiments tellement irrésistibles, qu’il n’aurait absolument rien à faire. Quand cette singulière persuasion eut disparu et qu’il eut pris la résolution de se servir des sentiments qu’il avait pour faire le premier pas, son Père céleste, comme dans le cas de l’enfant prodigue, courut à sa rencontre, et, peu de jours après, ce capitaine se mit en mer avec un cœur plein de foi et d’espérance. Depuis qu’il est à l’étranger, il a écrit une lettre qui prouve sa persistance dans la nouvelle vie qu’il a choisie.

— Parmi les nombreuses conversions opérées par le réveil dans la ville de B… (Massachussetts) se trouvent celles de plusieurs capitaines de la marine. Ces conversions manifestent avec évidence la puissance de la grâce divine.

L’un de ces capitaines avait fréquenté les mers pendant plus de quarante ans ; il avait trafiqué longtemps avec les peuplades sauvages de la Polynésie, notamment avec les naturels des îles Fidji, et pendant sa longue carrière maritime il n’était pas de danger qu’il n’eût couru : vingt fois il avait échappé au naufrage, vingt fois son trafic l’avait exposé aux fureurs des cannibales ; bref, il avait vu la mort de près bien des fois et sous ses formes les plus horribles. Enrichi par de rudes travaux, il s’était retiré à l’âge de soixante ans, doué d’une santé vigoureuse qui lui promettait encore de longues années de repos et de jouissances.

Vingt ans avant de quitter la mer, ce capitaine avait reçu des impressions sérieuses. Les dangers incessants qu’il affrontait avaient, comme un appel d’En haut, réveillé dans son cœur la pensée du salut ; mais insensiblement ces impressions s’étaient évanouies ; il était devenu indifférent aux choses de la foi, et les préoccupations de ses intérêts terrestres avaient fini par lui faire oublier complètement ses intérêts les plus précieux, les intérêts de son âme.

Depuis qu’il avait échangé les périls de sa vie aventureuse contre le calme du foyer domestique, cet homme s’était endurci de plus en plus dans son indifférence religieuse ; il ne songeait qu’à jouir du bien-être matériel qu’il avait péniblement acquis. Le réveil qui se manifestait si glorieusement autour de lui le trouvait insensible et sceptique, et les réunions de prière n’avaient pas même eu le privilège d’exciter sa curiosité. Cependant, sur les pressantes instances de sa femme, qui était une chrétienne fidèle, il avait bien voulu condescendre à s’y laisser conduire quelques fois ; mais elles n’avaient produit aucun effet sur lui. Il les condamnait même et disait qu’il n’en sortirait jamais rien de sérieux ; que quelques-unes peut-être, à force de persistance, pourraient marcher un certain temps, mais qu’on se découragerait bientôt, et qu’on ne tarderait pas à les abandonner. Il regardait cette affaire, au total, comme une entreprise risquée et qui devait infailliblement tourner à la confusion de ses promoteurs.

Sa femme insistait, toutefois, pour le conduire aux réunions ; mais il refusait de paraître dans les « salles de lecture ». Il était trop corpulent, disait-il, et il avait besoin d’une plus grande place que cela pour s’asseoir. « Quand on tiendra les réunions dans l’église, ajoutait-il, alors j’y irai ». Il ne croyait pas qu’on en vînt jamais à les tenir dans un local aussi vaste, cette église étant une des plus spacieuses de la ville ; il le disait donc par dérision, et ne pensait pas être appelé à tenir la promesse qu’il faisait alors.

Mais, une semaine s’était à peine écoulée, que le local où se tenaient les réunions de prière devint tellement insuffisant, qu’on annonça l’intention de les transporter à l’église. Il ne fallait rien moins que cet édifice pour contenir les foules qui se présentaient, et force fut bien de le mettre à leur disposition.

Notre capitaine comprit alors qu’il allait être obligé de s’y rendre, mais il résolut de se tirer d’embarras en y paraissant une ou deux fois, uniquement afin de pouvoir dire qu’il avait accompli la lettre de son engagement. Toutefois, à mesure que le moment approchait, il sentait grandir sa répugnance à paraître dans ces assemblées ; il en avait honte. Pour se dégager de sa promesse, il eut l’idée de déclarer à sa femme qu’il n’irait aux réunions qu’à la condition de conserver ses vêtements ordinaires et de se présenter tel quel. Il s’attendait à des objections ; mais, au lieu de cela, elle répondit : « Allez comme vous le voudrez, pourvu que vous alliez ». Il était pris et il fallut s’exécuter. Il le fit donc et de mauvaise grâce ; la honte qu’il ressentait était si grande, que si quelqu’un lui avait demandé en chemin où il allait, il eût certainement préféré mentir plutôt que d’avouer la vérité. Néanmoins, cette première réunion l’intéressa quelque peu ; pas assez, toutefois, pour lui donner l’envie d’y revenir. Il se promettait bien, au contraire, de s’en tenir à cette première visite.

En sortant, il rencontra un autre capitaine de vaisseau qui lui avait paru très attentif à cette réunion de prière. Après un long entretien à ce sujet, il convint de s’y rendre avec lui le lendemain. Cette seconde séance excita son attention à un plus haut degré et le décida à assister à une troisième. Celle-ci le conduisit à revenir à une quatrième. A mesure que ses impressions devenaient plus nettes et plus profondes, il cherchait à éviter l’autre capitaine, sans pouvoir y réussir. En conversant avec lui, il s’aperçut que ce dernier partageait son trouble ; mais la crainte qu’on le vît prendre la route de la réunion de prière le poursuivait encore. Cependant, au bout d’une semaine, ses convictions avaient acquis une force jusqu’alors inconnue pour lui. Il avait perdu le sommeil, et les gens de sa famille ne pouvaient comprendre ce qui se passait en lui. Pour détourner leur attention et leur donner le change : « C’est le printemps qui en est cause, disait-il, toutes les fois qu’il revient je suis un peu tracassé. » On lui conseillait de prendre quelque purgatif ; mais il n’ignorait pas que le mal était ailleurs et que son âme seule avait besoin de remède. En attendant, il s’étudiait à cacher soigneusement à tous, même à sa femme, les préoccupations religieuses qui causaient son inquiétude. Il attendait qu’elle fût couchée, et alors, lui qui n’avait pas pleuré depuis plus de vingt ans, et dont l’âme endurcie par une vie de dangers et d’impénitence n’était certes pas facile à émouvoir, il passait ses nuits à pleurer et à prier. Il se sentait tellement coupable et tellement malheureux, que ses yeux s’étaient changés en deux sources de larmes.

A la longue pourtant, il décida de s’ouvrir à sa compagne, chrétienne pieuse et fervente, et de lui avouer ce qu’il éprouvait ; mais il hésitait toujours, il n’osait pas. En attendant, il fit ses confidences à l’autre capitaine. Ces deux pécheurs confondirent leurs larmes et prirent la résolution de se lever à la réunion pour demander les prières : vaine résolution ! tous deux restèrent cloués sur leur banc. Le travail intérieur n’en faisait pas moins de tels progrès, que notre infortuné capitaine sentit enfin la nécessité de tout découvrir à sa femme. Ce jour-là, il rentra plusieurs fois chez lui bien décidé à le faire, mais toujours sans pouvoir s’y résoudre : à la vue de cette femme de prière, il devenait muet. Il voulait lire la Bible, mais il pensait que toute la maison le saurait bientôt. Il essaya de se réfugier dans sa chambre pour prier : la crainte d’y être surpris l’en faisait sortir sans cesse, et alors, plus angoissé que jamais, il se mettait à courir les rues et les places, cherchant, mais en vain, le calme qui le fuyait toujours.

Un jour, le hasard de ses pas le poussa vers la campagne. Là, dans la solitude, loin des bruits de la ville, son désespoir n’eut plus de bornes, un chagrin immense pesait sur son cœur du poids d’une montagne. Il se jeta la face contre terre et se prit à sangloter et à pleurer amèrement, sans que la prière pût venir à son aide et soulager son angoisse. Mais, pendant ce temps, sa pieuse compagne priait pour lui, et sa prière fut entendue : quelques jours après, l’infortuné capitaine lui révélait les tortures de son âme. Cet aveu, qui lui coûtait si cher, fortifia singulièrement sa conscience réveillée ; et pourtant, ses larmes ne tarissaient pas, le sentiment de son péché devenait toujours plus accablant. Après une cruelle nuit de luttes et de douleurs exceptionnelles, il se trouva totalement épuisé. Cette fois, à mesure que l’heure d’aller à la réunion de prière approchait, il l’attendait avec une anxiété croissante, sans savoir trop pourquoi. Pendant la réunion, le malheureux arriva au paroxysme de l’inquiétude : le service allait finir, sans qu’il eût éprouvé aucun soulagement. Son angoisse devint une sorte d’agonie ; il se sentait mourir. Enfin, au moment même où on licenciait l’assemblée, un marin pieux demanda la permission de dire quelques mots.

« Le chemin du salut est bien simple, dit-il, et tous peuvent faire la traversée de cette terre au ciel. Voyez plutôt ce que nous avons, continua-t-il dans son rude et pittoresque langage de mer. Nous avons un livre de loch, qui nous donne toutes les directions nécessaires ; nous avons une boussole ; nous avons une carte où tous les écueils et les hauts-fonds sont marqués, où notre navigation vers les plages éternelles est indiquée avec soin. Jamais marins ne furent mieux pourvus que nous, et le capitaine qui, avec tant de facilités, ne saurait pas conduire son bâtiment à bon port, serait d’une ineptie inconcevable. »

Ayant dit cela, il se rassit.

Oh ! que ces paroles parurent précieuses à notre pauvre capitaine. Elles lui semblaient infiniment plus précieuses que l’or et l’argent dont il avait, toute sa vie, poursuivi la conquête. Le Saint-Esprit qui les avait seul inspirées les appliquait aussi à son âme meurtrie. Un rayon de lumière perçait en ce moment les épaisses ténèbres de son cœur. Il se souvenait de son ancienne habileté à diriger son navire sur toutes les mers, vers toutes les rades, à travers tous les dangers. « Et moi, se disait-il, moi qui étais toujours si sûr d’arriver au port, si sûr de ma propre expérience comme marin, dois-je donc désespérer en ce moment ? Et qu’importe si je n’ai fait jusqu’ici qu’aller à la dérive sur le grand océan ! Je puis encore retourner mon navire et lui faire suivre une direction nouvelle, suivant les indications du livre de loch. Je puis encore faire force de voiles pour atteindre le ciel. »

Cette pensée semblait soulever le poids qui pesait sur son âme. Il revint chez lui et se mit à lire son « livre de loch », la Bible, qu’il avait négligée à tel point, qu’en dix ans il en avait à peine lu dix chapitres. Il était bien déterminé cette fois à prier le soir même avec sa femme, et il n’y manqua pas. Ils lurent ensemble, puis ils se mirent à genoux, et sa femme pria. Après cela, il essaya de prier aussi ; mais il ne put dire que ces mots : « Dieu ! aie pitié de moi, qui suis pécheur ! » et il répéta ces paroles plus de cinquante fois.

Cette nuit-là, il lui fut impossible de dormir. Tandis que l’horloge frappait lentement les heures, le pauvre capitaine pleurait et priait toujours ; chaque heure qui sonnait semblait lui dire : « Jésus vit ! Jésus vit ! » Tout-à-coup, il se met à parcourir sa chambre dans une extase de joie : il avait entrevu par les yeux de la foi les divines splendeurs de l’éternité bienheureuse. Jamais spectacle plus magnifique ne s’était offert aux regards d’un mortel. Il courut à la fenêtre, appelant de tous ses vœux la venue du jour, afin d’aller dire à tous comment il avait trouvé son Sauveur. Depuis cette nuit, le bonheur, la joie débordent de son cœur ; partout où il va, il répand une lumière extraordinaire. Son zèle chrétien ne connaît aucune limite ; sa vie tout entière est consacrée à glorifier Christ et à chercher le salut des âmes.

Cette victoire surprenante de la grâce divine excita l’admiration générale, car le capitaine dont nous venons de raconter la conversion était un homme très estimé ; aussi, son influence est-elle puissante aujourd’hui parmi les marins, qui l’écoutent avec une attention profonde chaque fois que sa voix émue et pénétrante vient leur parler des choses du ciel dans leurs réunions journalières.

— Il est encore un autre capitaine dont la conversion est bien propre aussi à démontrer la grandeur de la miséricorde de Dieu et la puissance de la prière. Celui-ci était âgé de plus de cinquante ans. Il avait également pour femme une pieuse servante du Seigneur, qui appartenait à l’église depuis plus de vingt-cinq ans et qui ne cessait de prier pour lui. Fort peu soucieux de la piété dans les détails ordinaires de la vie, il allait cependant aux services du dimanche, par égard pour sa femme.

Ce capitaine s’était retiré des voyages et fixé à terre pour le reste de ses jours. Lorsqu’on commença à tenir des réunions de prière, il ne s’y montra pas, quoiqu’il sût bien que sa femme désirait ardemment qu’il profitât de cette occasion pour s’approcher de Dieu. Mais, deux semaines plus tard, il commença à les fréquenter et à y prendre un intérêt réel, tout en ne voulant pas encore en convenir. Il eut à livrer bien des combats avant de devenir chrétien. Adonné à un langage grossier et profane, cette habitude s’était si fortement enracinée chez lui, qu’il ne pouvait guère parler sans proférer des jurements atroces ; mais, à chaque chute, l’Esprit de Dieu le forçait à demander grâce. Il arriva ainsi à sentir le poids de ses péchés et à en être comme écrasé. Pendant longtemps, son âme fut travaillée et chargée, au point qu’il ne savait que faire pour trouver du repos. Ses amis chrétiens s’intéressaient vivement à lui et priaient ardemment en sa faveur.

Cependant, le jour vint enfin où ce capitaine mit toute sa confiance en Jésus, et comprit que tous ses péchés étaient lavés. Quand on annonça dans le monde que le capitaine était converti, ce fut un étonnement universel. Les plus incrédules disaient à cette occasion : « Si celui-là peut rester toute une semaine sans jurer, nous croirons, pour le coup, que la religion est quelque chose. »

Quant à lui, sans hésitations, sans craindre de parler, sans chercher à s’excuser de sa piété, sans mettre sa lumière sous le boisseau, il prit d’emblée une attitude ferme et décidée, remplissant dans sa famille, aussi bien que dans l’église, les devoirs d’un chrétien sincère et fervent. On entendait presque chaque jour sa voix dans les réunions de prière, et rarement il ouvrait la bouche sans faire allusion, par une phrase ou par un mot, à son ancienne habitude de proférer des jurements. Le plus souvent, il débutait par cette parole de l’Ecriture : « Eternel, mets une garde à ma bouche ; garde l’entrée de mes lèvres. »

Voici huit mois qu’il est converti, et il n’a pas encore prononcé un seul mot profane. Rien ne prouve mieux la réalité et la puissance de la religion que la vue de cet homme qui ne proférait jadis que des blasphèmes, et qui ne fait entendre aujourd’hui que de saintes et pieuses paroles. Les contredisants ne savent plus qu’objecter, les incrédules ont la bouche close, et un grand nombre de personnes y reconnaissent le pouvoir de la grâce de Dieu. Sa femme surtout a dû y voir une preuve de la fidélité du Seigneur, elle qui avait prié ardemment et pendant plusieurs années pour la conversion de son mari.

Dans ce réveil, des hommes de la pire espèce ont été renouvelés par la grâce toute-puissante de Dieu, après avoir été longtemps l’objet de prières spéciales et persévérantes. Au lieu de les abandonner et de les considérer comme voués à la perdition, ainsi qu’on avait accoutumé de le faire auparavant, on a eu, au contraire, la réjouissante pensée et l’espérance encourageante que Dieu manifesterait les richesses inouïes de sa grâce, en les amenant à la repentance. Aussi n’avons-nous pas été surpris de voir ces hommes inflexibles et orgueilleux se courber sous le poids de leurs péchés et se prosterner au pied de la croix du Rédempteur. Leurs larmes et leurs angoisses, non plus que leur grande joie dans le sentiment de leur pardon, ne nous ont point étonné. Oh ! si tous les chrétiens voulaient croire que Dieu honore toujours la foi de ses enfants, et qu’il prend son bon plaisir à accomplir cette précieuse parole : « Qu’il te soit fait selon que tu as cru ! »

Le temps est venu où le peuple de Dieu sera amené à croire, non plus théoriquement, mais pratiquement, que rien n’est impossible au Seigneur. Sans doute que jusqu’ici on avait su présenter des requêtes à Dieu, on avait su demander avec instance la conversion d’hommes aussi endurcis, aussi impies que l’était ce capitaine ; mais ce qui manquait jusqu’à ce jour, c’était l’assurance que Dieu le ferait. Le découragement, et parfois même le désespoir, se glissaient dans presque toutes les prières de ce genre ; tandis qu’aujourd’hui on prie avec une joyeuse espérance, une conviction profonde que Dieu entend et exauce les prières, même en faveur des plus grands pécheurs.

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