Histoire de l'Église - Théodoret de Cyr

LIVRE V

CHAPITRE XXXII
RÉPONSE HARDIE DE JEAN ÉVÊQUE DE CONSTANTINOPLE

Ce que je viens de dire peut faire voir le soin avec lequel il veillait à l'imitation du grand Apôtre, sur les besoins de toutes les Églises. Ce que j'ajouterai sera voir la générosité de son cœur. Gainas, Goth de nation, fier, et insolent de son naturel, était alors Maître de la Milice Romaine, avait sous soi plusieurs Commandants de son pays, et force troupes tant de cavalerie, que d'infanterie. Il était redouté de tout le monde, et de l'Empereur même, qui le soupçonnait d'usurper l'autorité Souveraine. Comme il était infecté de l'erreur d'Arius, il demanda à Théodose une Église pour ceux de sa communion. Ce Prince lui ayant répondu qu'il tâcherait de lui donner contentement, envoya quérir Jean, lui proposa ce que Gaïnas lui avait demandé, lui représenta la grandeur de son pouvoir, lui marqua même, bien qu'en termes un peu obscurs, la défiance qu'il avait de ses desseins, et l'exhorta à consentir qu'il lui accordât ce qu'il désirait, et qu'il l'adoucit par ce moyen. Le généreux Évêque fit cette réponse a l'Empereur :

Ne promettez point ce que Gainas demande. Ne donnez point aux chiens les choses saintes. Rien ne me portera jamais à chasser des Églises ceux qui publient hautement la divinité du Verbe, pour y introduire ceux qui le déshonorent par leurs blasphèmes. N'appréhendez point la puissance de ce Barbare. Envoyez-nous quérir, lui, et moi, et quand nous serons présents, demeurés dans le silence, pour écouter ce que nous aurons à dire, et je lui fermerai de telle sorte la bouche, qu'il ne demandera plus ce qu'on ne lui saurait accorder avec justice.

L'Empereur sort réjoui de cette proposition, les envoya quérir tous deux le jour suivant. Gainas ayant fait la demande, Jean dit qu'il n'était pas permis à l'Empereur d'accorder une demande contraire au bien de la Religion, dont il faisait profession. Gainas ayant soutenu qu'il devait avoir une Église où il pût faire ses prières, l'illustre Évêque lui répondit qu'elles lui étaient toutes ouvertes, et qu'il n'y en avait aucune qui lui fût fermée.

Je suis, répartit Gainas, d'une autre communion, et je demande pour moi, et pour ceux de ma communion une Église particulière. Les services que j'ai rendus à l'Empire en des guerres très-périlleuses, méritent bien cette grâce.

Vos services ont été mieux récompensés qu'ils ne méritaient, répondit l'Évêque. Vous commandez les troupes Romaines, et vous êtes revêtu de la robe Consulaire. Considérez ce que vous avez été autrefois, et ce que vous êtes maintenant. Comparés votre ancienne pauvreté avec vos richesses présentes. Souvenez-vous des habits dont vous étiez couvert avant que de passer le Danube, et regardez ceux dont vous l'êtes aujourd'hui. Ainsi avouez que les récompenses que l'Empereur vous a données surpassent les services que vous lui avez rendus, et ne manquez pas de reconnaissance envers un Prince si libéral.

Ce Docteur du monde réduisit Gaïnas au silence par ce discours. Quelque temps après ce Barbare fit éclater le dessein qu'il avait conçu longtemps auparavant, d'usurper la Souveraine puissance, amassa des troupes en Thrace, et y fit du dégât. La nouvelle de cette révolte répandit une consternation si générale dans les esprits des Grands, et du peuple, qu'il n'y avait non seulement ni Officier, ni Soldat qui osât prendre les armes, pour combattre l'ennemi commun, mais aussi ni Magistrat, ni Évêque qui voulût se charger d'une ambassade pour tâcher de l'adoucir.

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