Contre Marcion

LIVRE II

Chapitre XXVIII

Enfin, aux abaissements, aux malices, et aux mille censures de Marcion, j’opposerai des antithèses rivales. Mon Dieu, dis-tu, a ignoré qu’il y eût un dieu supérieur à lui. Mais le tien n’a pas su qu’il y eût un dieu inférieur à lui ; car selon le ténébreux Heraclite, de haut en bas, ou de bas en haut, même distance. S’il ne l’eût pas ignoré, n’eût-il pas remédié au mal dès le principe ? Mon Dieu a livré le monde au péché, à la mort, et au démon instigateur du péché. Mais ton dieu n’est pas moins coupable ; il a tout enduré. Mon Dieu a changé de résolution. Mais le tien en a fait autant. Le jour où, réveillé de sa longue apathie, il abaissa ses regards sur le genre humain, n’a-t-il pas renoncé à une indifférence de plusieurs siècles ? Mon Dieu se repent dans quelques rencontres. Même reproche pour le tien. Quand il avisa enfin à la réhabilitation de l’humanité, ne s’est-il pas repenti de son long silence à l’égard du mal ? Oui, l’insouciance du salut de la terre fut un crime, dont votre dieu ne se corrigea que par le repentir. Mon Dieu a commandé le vol : un vol d’or et d’argent. Mais plus la valeur de l’homme l’emporte sur un vil métal, plus ton dieu annonce un esprit de rapine et de violence, quand il dérobe l’homme à son créateur et à son maître légitime. Mon Dieu demande œil pour œil. Mais le tien, en défendant les représailles, perpétue la violence. En effet, l’agresseur ne réitérera-t-il point ses outrages s’il a la certitude de n’être point repoussé ? – Mon Dieu n’a pas su qui il choisissait. Le tien n’a pas fait moins. Eût-il admis au nombre des siens le traître Judas, si sa prescience l’avait connu ? Si tu prétends que le Créateur a menti quelque part, le mensonge est bien plus grand dans ton christ dont le corps était fantastique. La cruauté de mon Dieu a perdu des milliers de mortels. Mais tous ceux que le tien ne sauve pas, il les abandonne à la perdition. Mon Dieu a ordonné qu’on tuât quelques individus. Mais le lieu a voulu être immolé, doublement homicide envers lui d’abord, puis envers l’assassin par qui il a voulu être immolé. Je ne dis point assez. Je prouverai à Marcion que son dieu a donné la mort à une nation tout entière, en faisant d’elle un peuple d’homicides, à moins qu’il n’ose affirmer qu’elle n’a point péché contre le Christ. Toutefois la vérité marche d’un pas libre et ferme. Pour convaincre, il lui faut peu de paroles ; de longs discours sont nécessaires au mensonge.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant