Contre Marcion

LIVRE III

Chapitre IV

– M’y voici ! il a dédaigné de procéder à la manière d’un Dieu qu’il désapprouve, et dont il venait réformer les œuvres. Dieu nouveau, il a trouvé bon d’apparaître d’une façon nouvelle ; fils, il a devancé la déclaration du père ; ambassadeur, l’autorité qui l’envoyait, afin d’étaler dans tout son jour cette foi la plus absurde qui croit à l’avènement du Christ avant de connaître son existence.

Ici arrive encore naturellement cette question : Pourquoi n’est-il pas venu après le Christ ? Lorsque je contemple son maître se résignant avec une patience qui tient du prodige et pendant des milliers d’années, aux barbaries du Créateur qui durant cet intervalle promettait son Christ à l’univers, quels que soient les motifs auxquels il a cédé en ajournant sa reconnaissance, ou son intervention, les mêmes motifs le condamnaient encore à la même réserve. Il fallait attendre que le Créateur eût accompli ses desseins dans son Christ, afin que, survenant après la maturité et la consommation des œuvres d’un Dieu rival et d’un Christ rival, à chacune de ces dispositions il ajoutât ses dispositions personnelles. D’ailleurs qu’a-t-il produit en abjurant sa longue résignation ? Rien que d’intervertir les plans de son compétiteur. Vainement le laisse-t-il proclamer son Christ, s’il lui enlève le loisir de le manifester pleinement ! Point de milieu. Ou il a interrompu étourdiment les révolutions d’un temps qui lui était étranger, ou bien il n’avait pas de motif pour en ajourner jusque-là l’interruption. Explique-moi ses langueurs, ou son réveil ! Mais que dis-je ? il a failli doublement, contre le Créateur par une tardive révélation, contre le Christ par une révélation anticipée. Il y a des milliers de siècles qu’il devait avoir triomphé de l’un ; l’heure n’était pas encore venue de triompher de l’autre. Convenait-il d’opposer aux violences du père un calme si prolongé, ou d’inquiéter le sommeil du fils par tant de précipitation ? Des deux côtés, je le surprends dérogeant à la bonté souveraine dont on le gratifie, capricieux et versatile, le fait le prouve ; s’agit-il du Créateur ? froid et apathique ; s’agit-il du Christ ? bouillant et emporté ; vain et stérile des deux parts, fin effet, il n’a pas plus réprimé la marche du Créateur qu’il n’a entravé l’avènement du Christ. Le Créateur ! il demeure absolument ce qu’il est ; le Christ ! il viendra tel qu’il est écrit. A quoi bon conséquemment venir après le Créateur qu’il n’a pu changer ? A quoi bon se manifester avant le Christ dont il n’a pu arrêter la marche ?

Ou bien s’il a réformé le Créateur, il s’est révélé après lui pour que les réformes à accomplir précédassent son apparition ; donc il aurait dû attendre aussi la naissance du Christ, afin de corriger ses œuvres en venant après elles comme il avait procédé pour le Créateur.

Aimes-tu mieux qu’il descende une seconde fois après le dernier avènement du Christ ? Descendu d’abord pour détruire son antagoniste, la loi et les prophètes, veux-tu qu’il vienne une seconde fois après la consommation des jours pour combattre le Christ et renverser son empire ? Absurdité plus révoltante encore ! Alors le Christ fermera le cercle de sa mission : alors, ou jamais, il faudra avoir cru en lui ; alors son œuvre sera entièrement achevée. Ton Dieu descendrait donc inutilement dans un monde où il ne resterait plus rien à faire.

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