Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre XL

Conséquemment aussi, il connaît quand il doit souffrir, celui dont la loi ancienne figure la passion, Parmi tant de solennités chez les Juifs, il choisit le jour de Pâque. C’était pour préluder à ce mystère que Moïse avait dit au peuple : « Ce sera la Pâque du Seigneur. » Voilà pourquoi il témoigne de son amour en ces mots : « J’ai désiré d’un vif désir, manger la Pâque avant de souffrir. » Singulier destructeur de la loi, qui désirait de conserver même la pâque ! Il trouvait donc un grand plaisir à la victime du judaïsme ?

Ou bien était-il celui-là même qui, « devant être conduit à la mort comme un agneau, et ne pas ouvrir la bouche plus qu’une brebis sous la main qui la tond, » désirait accomplir le symbole qui figurait son sang rédempteur ? Il était indifférent qu’il fût trahi par un étranger, si je n’avais pas dû voir l’oracle prophétique vérifié encore ici. « L’homme qui mangeait à ma table se lèvera insolemment contre moi. » Il était indifférent qu’il fût livré sans être mis à prix. Qu’était-il besoin d’un traître auprès de celui qui, se montrant tous les jours au milieu du peuple, pouvait aussi bien être saisi par la violence que livré par la perfidie ? Sans doute ; mais j’aurais reconnu à ces traits tout autre Christ que le Christ qui accomplissait les prophéties. Car il est écrit : « Ils ont vendu le Juste pour une pièce d’argent. » Il y a plus. Jérémie fixe d’avance avec la même précision que l’Evangéliste Matthieu, et la quantité de l’argent, et la destination qu’il reçut, lorsque, renvoyé aux prêtres par le repentir de Judas, il servit à payer le champ du potier. « Et ils reçurent les trente pièces d’argent, prix de celui qui avait été vendu pour cette somme, et ils en achetèrent le champ du potier. » Ayant donc déclaré « qu’il désirait d’un grand désir manger la Paque, » sa Pâque (il serait indigne d’un Dieu de convoiter le bien d’autrui), Jésus prend le pain, le distribue à ses disciples, et en l’ait son propre corps, en disant : « Ceci est mon corps, » c’est-à-dire, est la figure de mon corps. Il n’y aurait pas eu figure, s’il n’y avait pas eu corps véritable. D’ailleurs, une chose vaine et sans réalité, telle qu’un fantôme, ne serait pas susceptible de figure. Ou s’il se donna pour corps un pain, parce qu’il n’avait pas un corps véritable, c’est donc du pain qu’il a dû livrer pour nous. Il appuyait les rêves de Marcion en crucifiant un pain. Mais pourquoi « appeler son corps du nom de pain, » plutôt que du melon que Marcion avait en place de cœur, puisqu’il ne reconnaît pas dans ce pain l’antique figure du corps de Jésus-Christ, lorsqu’il dit par Jérémie : « Ils ont tramé des complots contre moi ?

« Venez ; jetons le bois sur son pain, » c’est-à-dire la croix sur son corps. Aussi le Dieu qui éclaircit les symboles a-t-il déclaré suffisamment ce qu’il a voulu entendre par pain en donnant ce nom à son corps. De même, dans le souvenir du calice, lorsqu’il établit le testament qu’il scella de son sang, il confirma de nouveau la réalité de son corps. Point de sang dans un corps, à moins que ce corps ne soit de chair. Vainement on nous oppose des corps qui ne sont pas de chair, toujours est-il qu’aucun corps n’aura de sang, s’il n’est de chair. La réalité du corps se fortifie donc par le témoignage du sang. Isaïe va t’aider aussi à reconnaître dans le vin l’antique symbole du sang. « Quel est, dit-il, celui qui vient d’Edom et de Bosra avec des habits teints de sang ? Quel est cet homme beau dans sa parure et qui marche avec tant de majesté ? Pourquoi votre robe est-elle rouge et pareille aux vêtements de ceux qui foulent la vendange ? » C’est qu’en effet l’esprit prophétique, contemplant déjà le Seigneur qui marchait au-devant de sa Passion avec les vêtements de sa chair mortelle, dans laquelle il allait souffrir, désigne sous la pourpre éclatante des habits cette chair mutilée et broyée sous le pressoir de la tribulation, parce que les vendangeurs descendent du pressoir comme ensanglantés par le vin. La Genèse, dans la bénédiction de Juda, de la tribu duquel devait sortir le Christ fait homme, signalait déjà plus clairement encore la personne du Christ : « Il lavera sa robe dans le vin, et son manteau dans le sang de la vigne, » nous montrant ainsi sa chair dans cette robe et ce manteau, de même que son sang dans ce vin mystérieux. Voilà pourquoi celui qui représentait alors son sang par le vin, consacre aujourd’hui son sang sous les apparences du vin.

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