Théologie Systématique – II. Apologétique et Canonique

2. Du rapport de la religion à la révélation

La Divinité, qu’elle soit conçue comme une substance finie ou infinie, purement spirituelle ou composée de matière et d’esprit, unique ou multiple, étant en tout cas reconnue supérieure à l’homme, et supérieure en particulier à sa faculté de connaissance, ne pouvait être adorée et servie que moyennant une communication faite par elle-même aux hommes, de la partie de son essence qui devait devenir l’objet de leur culte. Toute révélation attend une religion comme sa conséquence. Toute religion suppose une révélation à ses origines, et elle est le résultat d’un acte initial de foi accompli par un certain nombre d’adhérents à l’égard de cette révélation vraie ou prétendue. Ce sont les rapports divers de cette révélation vraie ou prétendue faite par Dieu à l’homme, avec les diverses formes religieuses qui se sont succédé dans l’humanité, qui expriment la valeur ou le degré de vérité qui est à attribuer à toute religion particulière.

Nous distinguons la religion de la philosophie, et même la vraie religion de la vraie philosophie, en considérant leur siège et leur nature plutôt que leur objet. La religion est un fait de pratique résidant dans le cœur, au siège de la volonté de l’homme ; elle est un acte de volonté auquel a concouru l’intelligence. La philosophie est un fait scientifique, résidant dans la raison humaine et s’adressant à elle ; une satisfaction donnée au besoin de savoir, à laquelle a concouru la volonté. Ainsi les deux facultés de l’intelligence et de la volonté sont concomitantes dans l’une et l’autre, à cette différence près que la volonté est le principal dans l’une et l’intelligence dans l’autre.

S’il en est ainsi, si la religion n’est pas une simple disposition ou une aptitude seulement, mais une activité, il n’est pas plus vrai de dire de la religion que de la philosophie qu’elle serait un fait inné à l’homme et universel. La philosophie ne l’est pas, étant réservée à l’élite des intelligences ; et la religion ne l’est pas non plus, étant remise à l’exercice de volontés libres.

A l’opposite de l’adage courant : Toutes les religions sont bonnes, et tout en accordant que plusieurs religions vraies ont pu se succéder au cours de l’histoire de l’humanité, nous affirmons que, s’il y a un seul Dieu (Romains 3.29-30), il ne peut et ne doit y avoir à un moment déterminé qu’une religion vraie répondant au degré véritable de la révélation vraie de Dieu à l’homme, et qui, aussitôt que reconnue, doit être pratiquée, à l’exclusion de toute autre, sous peine de forfaiture ; et toute religion préparatoire ou imparfaite qui s’érigerait en forme religieuse absolue et définitive, alors même qu’elle eût été vraie en son lieu et à son heure, devrait être classée, à raison de cette prétention même, au nombre des fausses religions.

Les deux termes extrêmes de cette relation de la révélation et de la religion seront l’un, la religion vraie, qui, si elle existe, sera la rencontre d’une révélation vraie de Dieu à l’homme et d’une croyance sincère de l’homme envers Dieu ; l’autre, l’irréligion consistant dans la négation de toute révélation et le refus de toute croyance en un Dieu et en des révélations divinesg.

g – Le cas le plus intéressant se rattachant à ce terme extrême est celui de la Morale indépendante.

De l’un à l’autre de ces termes extrêmes, se placent les divers degrés et variétés de la religion faussée.

Le cas immédiatement inférieur à celui de la religion vraie sera celui de la rencontre d’une révélation vraie et d’une activité morale dégénérée. Supposons l’intégrité d’une tradition révélée persistant à travers les déformations successives de la foi traditionnelle, et nous avons l’altération de la religion par le formalisme, soit doctrinal, sous le nom d’orthodoxie morte, soit pratique, sous celui de formalisme ou de ritualisrne.

Mais la forme ne saurait se conserver longtemps elle-même, et la religion même vraie qui a dégénéré dans l’orthodoxisme ou le ritualisme, car ces deux formes s’accompagnent, fera bientôt place à l’anarchie morale d’un côté, au scepticisme et à l’incrédulité de l’autre. Le dogmatisme ou le ritualisme n’est plus que le linceul d’un être qui a vécu. Ce dernier souvenir est destiné à disparaître, et la décomposition envahira le corps d’où l’âme s’est envolée.

Supposons, d’un autre côté, une révélation déjà corrompue par la faute collective des porteurs de la tradition, et, en même temps, chez le sujet lui-même, la sincérité de la disposition morale, il résultera du concours de ces deux facteurs la superstition à ses différents degrés, qui, elle non plus, ne saurait subsister intacte indéfiniment.

Ou bien, en effet, la disposition morale du sujet, si elle est accompagnée de sincérité et de persévérance, épurera la superstition, en retrouvant et en ressaisissant les éléments primitifs et véritables au sein de la tradition corrompue ; les altérations de la révélation seront rejetées par le sens moral demeuré intègre. Ou bien la tradition corrompue finira par avoir raison des protestations du sens moral individuel. La religion traditionnelle et collective étouffera les restes de la révélation et de la religion primitives dans la conscience individuelle.

Toute fausse religion est donc le résultat d’une falsification de la révélation de Dieu à l’homme par le sens moral perverti, ou d’un pervertissement du sens moral par une tradition falsifiée, ou de tous les deux ensemble ; car ici, comme partout dans l’ordre moral, il y a action et réaction réciproque de l’objet sur le sujet et du sujet sur l’objet, et il n’est pas toujours possible d’assigner dans chaque cas particulier à l’un ou à l’autre facteur, avec une rigoureuse impartialité, la part d’influence bonne ou mauvaise qui lui appartient.

Une erreur assez commune, et qui fait le fond de l’adage rappelé plus haut : Toutes les religions sont bonnes, est que la sincérité subjective suffît à établir l’excellence de la religion elle-même ou supplée à l’absence même de toute vérité. Nous disons que la sincérité ne constitue pas la vérité de la religion ; elle n’est que la condition indispensable de l’appropriation effective et salutaire de la vérité une fois révélée. Bien plus, la sincérité appliquée au faux est un des instruments les plus redoutables de l’erreur, et ne répond qu’imparfaitement d’ailleurs à son titre ; car à l’origine de cette sincérité dans le mensonge, on trouverait toujours, à ce que je crois, à un degré quelconque, une infidélité à l’égard de la vérité, fût-ce sous la forme de la négligence ou de la paresse attachée à sa recherche. La sincérité n’en demeure pas moins un auxiliaire indispensable de la vérité, et dans le cas même où elle sert l’erreur, elle est un gage de relèvement et une excuse (1 Timothée 1.13).

Aussi le plus faible vestige de vraie religion, recouvert même d’erreurs et de superstitions, vaut-il encore mieux pour l’état moral de l’homme que l’absence totale de religion. C’est ce que l’on a vu chez les peuples antiques qui conservèrent leurs vertus et leurs mœurs avec l’antique foi aux dieux, et qui se vautrèrent dans la fange, lorsque les dieux s’étant corrompus comme les hommes ne méritèrent plus même l’épithète de faux, et furent renversés à leur tour par la philosophie.

Comme il serait injuste de juger de la vérité d’une religion d’après les dégénérescences ou les déformations qu’elle a subies dans le cours de l’histoire, l’apologie scientifique d’une religion particulière se résumera dans la justification de la révélation à laquelle elle se rapporte et dont elle est historiquement dérivée ; et l’élément subjectif, toujours variable et appréciable seulement par approximation, savoir le mode d’appropriation de cette révélation, n’exprimera que le degré d’efficacité de cette religion pour l’homme et pour l’individu.

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