Lettre sur ceux qui se croient inspirés

Lettre sur ceux qui se croient inspirés

Monsieur,

Puisque vous souhaitez, que je vous dise mon sentiment sur ceux qui croient être inspirés, je le ferai avec que ma sincérité ordinaire.

Vous ne devez pas être surpris, Monsieur, qu’il y ait des personnes qui se vantent d’avoir des inspirations ; il y en a eu de tout temps :

On dit que dans le premier siècle, Cérinthe ce fameux hérétique, dont on rapporte que st. Jean avait tant d’horreur, soutenait qu’il était inspiré, et qu’il avait des révélations.

Dans le second siècle, Irénée parle de Marc Valentinien, qui se mêlait de prophétiser à des femmes, qui le suivaient, et qui débitaient leurs rêveries comme des prophéties. Montanus croyait qu’il était inspiré, ou se vantait de l’être. On l’a accusé de s’appeler le Paraclet ou l’Esprit. L’auteur d’un ancien écrit que le P. Simon a publié, dit que les Cataphrygiens, sectateurs de Montanus, se vantaient que la promesse de Jésus-Christ d’envoyer son Esprit, avait plus eu son accomplissement en eux, que dans les apôtres. Ils se glorifiaient de leurs prophéties et de leurs visions. Montanus et les deux femmes qu’il avait avec lui, Priscille et Maximille, tombaient dans des extases, et paraissaient hors d’eux-mêmes, et entre autres rêveries ils disaient qu’il ne se lèverait plus de prophètes après eux. Ils dépouillaient les peuples crédules de leur argent, de leurs vases précieux, et de leurs habits. Les Montanistes s’appelaient spirituels, et ils nommaient tous les autres hommes animaux.

Dans le troisième siècle, Manèsa a écrit cette lettre fameuse qu’on appelait le Fondement, qui commençait par ces mots : « Maniché, apôtre de Jésus-Christ par la Providence de Dieu le Père. » Lorsqu’on la lisait, ses sectateurs s’écriaient Amen.

a – Ou Mani, le fondateur du manichéisme.

Dans le quatrième siècle, les Messaliensb, qu’on appelait Euchites, Adelphiens, Enthousiastes, disait qu’ils étaient les seuls parfaits, et les seuls spirituels. Ils se jetaient au milieu d’une troupe de gens assemblés, et prophétisaient, comme s’ils étaient saisis d’une sainte fureur, en faisant beaucoup de bruit, avec des gestes extravagants.

b – Secte gnostique apparue vers 360, autour d’Édesse, et qui s’est répandue ensuite en Syrie.

Mahomet, l’impie Mahomet débitait ses prétendues inspirations au septième siècle.

Dans le neuvième siècle, l’an 847 il y avait une fausse prophétesse nommée Thiota, qui usurpait la charge d’enseigner publiquement.

Dans le douzième siècle, il y eut plusieurs femmes visionnaires, Hildegarde, Hildegonde, et Élisabeth de Schönau.

Dans le quatorzième, il y en eut d’autres, Brigitte et Catherinec.

c – Il s’agit de Brigitte de Suède et Catherine de Sienne, mystiques catholiques.

Dans le siècle de la Réformation Nicolas Storck se vantait de révélations angéliques. On en dit autant de Thomas Müntzer, de Balthazar Hubmeyer, de Conrad Grebelius, de Wolffgang Ulmian, de Melchior Hoffmann, de Jean Bucold, de Knipperdolling, de Bernard Crechting, de Valentin Weigel, de Jakob Böhme, d’Isaïe Stiefel, d’Ezékiel Meth qui s’appelait le Christ, et le verbe de Dieu à cause de la lumière substantielle, qu’il disait habiter en lui, de David Joris, de tant d’autres dont il n’est pas nécessaire de vous rapporter les nomsd. Mais cela suffit pour vous montrer que ce n’est pas une chose nouvelle de voir des gens qui se disent inspirés.

d – Nous avons remplacé l’orthographe que Pictet donne de ces noms par celle qu’ils ont aujourd’hui sur le Net.

Je crois qu’il y en a de plusieurs sortes :

1. Il y en a qui savent bien, qu’ils ne sont rien moins qu’inspirés, mais qui veulent passer pour tels, afin de gagner de l’argent, de surprendre les faibles, et de vivre dans la fainéantise ; et il y en a eu qui l’ont avoué, lorsque on les a menacés de leur donner le fouet. Ceux-là méritent certainement d’être châtiés, car ils se moquent de Dieu, et ils veulent faire passer leurs imaginations pour des inspirations du Saint Esprit.

De ceux-là, il y en a qui sont si adroits, qu’ils en imposent non seulement à de pauvres idiots, et idiotes, mais même à des gens d’esprit, qui ensuite reconnaissent qu’ils ont été dupés, et ont honte de s’être laissés surprendre. Ces imposteurs affectent un extérieur de piété qui frappe ; ils ne parlent que de Dieu, que de la piété, que des œuvres de charité. A les entendre, on dirait que ce sont des hommes célestes, qui veulent porter plus loin la piété qu’on ne l’a encore portée. Ils condamnent les actions les plus innocentes. Ils tâchent de se faire beaucoup de sectateurs et de sectatrices, car ordinairement ils attaquent plutôt le sexe féminin, à l’exemple du démon, qui commença par séduire Ève. Il y en avait un de ces imposteurs, qui troubla l’esprit de deux demoiselles, en leur disant que l’Esprit de Dieu lui avait révélé, qu’elles seraient bientôt inspirées, qu’elles n’avaient qu’à faire attention au songe qu’elles feraient la nuit suivante, après les avoir entretenu des songes, qu’il disait avoir eus, et de ses visions, et qui les allant voir le lendemain, comme elles lui racontèrent leurs songes, leur dit qu’il en avait eu un semblable, lorsqu’il commença d’être inspiré. On dit que ce misérable en a gâté bien d’autres.

Ces gens-là sèment des livres, qui éblouissent les gens par la singularité des expressions, et par des titres pompeux. On ne saurait exprimer combien ils sont dangereux, et ils pourraient troubler la société et exciter des séditions si on les laissait faire. Ils sont méchants, et ils rendent fous ceux qui les écoutent, et qui se laissent infatuer par eux.

2. Il y en a d’autres, qui croient de bonne foi être inspirés, parce qu’on leur a fait tourner la cervelle ; mais qui au reste se soumettent à tous les bons ordres établis, fréquentent les sermons, participent aux sacrements, et vivent chrétiennement. J’en ai connu de ce genre-là. Ceux-là sont à plaindre plutôt qu’à blâmer. J’en ai vu un qui me soutint, qu’il avait vu Jésus-Christ percé de clous, lequel s’était présenté à lui, et lui avait dit, que les clous qu’il voyait étaient les péchés, dont les hommes le perçaient encore ; et j’ai toujours cru que cet homme ayant entendu un prédicateur pathétique le jour de la Passion, en fut tellement frappé qu’il cru avoir vu réellement, ce qui n’était que l’effet de son imagination échauffée. Il est bien difficile de désabuser ces personnes, à moins que quelque événement ne les fasse revenir de leur opinion. J’en ai vu un qui me venait fréquemment visiter, et me raconter des visions qu’il avait eues. Comme je n’aime pas à chagriner les gens, et que je crois d’ailleurs que ces esprits doivent être ménagés, je lui représentais que si ce qu’il disait était vrai, que l’Esprit de Dieu lui eut révélé ce qu’il me rapportait, il était bien heureux d’être ainsi honoré de Dieu ; mais je ne lui cachais pas que j’avais vu des gens, qui dans leur maladie rêvant continuellement, avaient dit des choses plus surprenantes. Une chose, qui arriva deux ou trois ans après, lui fit connaître son erreur. Il m’avait fait une prédiction qu’il croyait lui avoir été inspirée ; mais il connut qu’il s’était grossièrement trompé, et depuis ce temps-là il ne m’a plus parlé de ses prétendues révélations.

3. Il y en a d’autres qui, à force d’entendre parler d’inspirés et d’inspiration, croit être inspirés eux-mêmes, parce qu’ils ont de bonnes pensées ; et il y en a qui m’ayant demandé, s’il n’était pas vrai que toutes nos bonnes pensées viennent de Dieu, concluaient, de ce que je leur avouais, que tout ce que nous avons de bien, a Dieu pour auteur, qu’ils étaient donc inspirés ; confondant deux choses qui sont très différentes ; car combien y a-t-il de gens, qui ayant lu l’Écriture sainte, et la méditant continuellement, ont dans l’esprit de beaux passages ? Sont-ils inspirés pour cela ? D’autres qui ne savent pas lire, mais qui ont entendu ces passages, et qui les ont retenus, sont-ils inspirés, parce qu’ils ont ces passages dans la bouche et dans l’esprit ? C’est ce que j’ai fait comprendre à divers, qui ont été désabusés.

4. Il y en a qui se plaisent beaucoup dans la lecture des prophéties, et surtout de ces visions admirables, qui sont contenues dans Daniel, Ézéchiel, Amos, Zacharie et l’Apocalypse, et qui se remplissent tellement l’esprit de ces grandes idées, qu’ils y songent la nuit, et qui prenant leurs songes pour des songes prophétiques, croit par là être inspirés ; mais qui sont revenus de leurs opinions, lorsqu’ils ont suivi le conseil, qu’on leur a donné, de suspendre la lecture de ces prophéties, et de lire l’Évangile, ou les épîtres des Apôtres, car voyant qu’ils n’avaient plus ces songes, d’animaux, de niveau, de sauterelles, de chariot, de roues, etc. ils ont compris qu’ils n’avaient point été inspirés.

5. Il y en a qui croient être inspirés, parce qu’ils ont fait des songes, qui ont eu leur accomplissement ; et on ne peut pas nier qu’il n’y ait des personnes qui font divers songes de choses qui sont arrivées ensuite. On en rapporte plusieurs, et je ne prétends pas les contester. On n’a qu’à lire le livre de M. Amirault sur les songese, et une lettre de Grotius (la n° 405). Un soldat, dit Grotius, étant couché dans la tranchée devant la ville de Landrecies, fut averti par un songe de se retirer promptement, s’il ne voulait pas être accablé par une mine, qui allait exploser. A peine fut-il levé que la mine enleva l’endroit où il était couché. Monsieur de Saumaise disait qu’un certain homme, qui ne savait pas un mot de grec, vint voir Mr. de Saumaise son père, et lui montra ces mots qu’il avait entendus, la nuit en songe, et il qu’il avait écrits en caractères français, dès qu’il avait été réveillé : Apithi ouk osfraine ten sen apsuchianf ; qu’il demanda Mr. de Saumaise s’il ne savait ce que ces mots voulaient dire, et que Mr. de Saumaise lui répondit, que cela signifiait : Va-t-en, ne sens-tu pas ta mort ? Et qu’ensuite cet homme quitta la maison où il demeurait qui tomba la nuit suivante. On n’en pourrait réciter plusieurs autres. Dieu peut révéler aux hommes de ce qui doit arriver, comme il l’a fait à Nebucadnetsar, et à Pharaon.

eDiscours sur les songes divins, par Moyse Amirault, Saumur 1659.

f – La prononciation du grec ancien étant à cette époque plus ou moins arbitraire, la véracité de cette anecdote paraît assez suspecte…

Autre chose est de dire que, que Dieu révèle quelquefois aux hommes, ce qu’il veut faire en diverses occasions. Autre chose est de dire que ces gens à qui il les révèle, doivent passer pour des prophètes. Il n’y a guère de gens, qui n’aient fait des songes qui ont été accomplis, mais qui ne se croient pas inspirés, et qui ont raison de ne pas le croire. Ce serait une petitesse d’esprit de croire que tous les songes qu’on fait sont des révélations. J’ai connu un médecin d’une piété exemplaire, qui avait beaucoup de mérite, mais qui avait la faiblesse de croire que tous ses songes étaient des prédictions de ce qui lui arriverait, ou à d’autres. Quoi qu’il arriva souvent que ces songes le trompaient, je n’ai jamais pu le tirer de son erreur, et je ne sais si l’en est revenu avant sa mort. Mais au reste il vivait exemplairement, et je ne contestais plus avec lui, dès que je vis que mes efforts étaient inutiles.

Ce qu’il y a de plus fâcheux dans ceux qui se mettent ainsi des pensées d’inspiration dans l’esprit, c’est qu’on ne saurait les ramener par des raisons ; ils opposent leurs sentiments à tout ce qu’on leur dit, et il y en a qui écoutent avec pitié tout ce qu’on leur propose, comme si on n’avait rien à leur apprendre, ayant, comme ils le croient, le Saint Esprit pour leur docteur. Pour ramener les gens de leurs erreurs, il faut raisonner : mais comment ramener des gens, qui ne veulent point de raisonnements ? Comment même peuvent-ils espérer de convaincre les autres de leur prétendue imagination, sans alléguer aucune raison ; ou s’ils nous apportent quelque raison, pourquoi ne veulent-ils pas écouter ce que nous leur disons ? Je ne m’inquiéterais pas beaucoup de ces sortes de gens, s’ils ne se croyaient en droit de s’opposer aux bons règlements de l’Église, et s’ils ne faisaient pas tourner la cervelle à bien des esprits faibles.

6. Il y en a qui croit être inspirés, parce qu’ils prient Dieu avec beaucoup de facilité. J’avoue que c’est là un beau don de Dieu ; mais je nie qu’il faille conclure de là que ces gens soient inspirés. Je regarde ces dons comme d’autres. Il y a des gens qui ont le don de parler sur le champ avec une facilité incroyable, et qui parlent avec beaucoup d’éloquence ; il y en a qui ont une mémoire extraordinaire, et surprenante, à qui rien n’échappe. Il y a là qui ont le don d’écrire, et non pas celui de parler. Il y en a qui ont le génie mathématicien, et qui ont appris les mathématiques sans aucun maître ; d’autres ont un génie particulier pour l’architecture, et pour faire des plans qui plaisent à tout le monde, d’autres pour la peinture, d’autres pour la poésie, d’autres pour les langues, d’autres pour faire des supputations chronologiques, d’autres pour les mécaniques. Tous ces dons sont de Dieu, mais ceux qui les ont sont-ils assez fous pour se croire inspirés ?

7. Il y en a qui se croient inspirés parce qui leur est arrivé quelquefois de prédire des choses qui ont eu leur accomplissement ; comme si ce n’était pas arrivé à une infinité de gens, qui ont trop de sens pour se croire inspirés. Ceux qui se mêlent de l’astrologie judiciaire la plus folle de toutes les sciences (si c’en est une) tombent juste quelquefois ; et j’ai connu des gens qui en étaient si infatués, qu’ils me soutenaient qu’ils avaient toujours été heureux dans leurs conjectures ; mais je n’en ai vu aucun qui me dit qu’il était inspiré. Les politiques habiles prédisent quelquefois des choses qui arrivent, des bouleversements, des troubles des révolutions, que personne qu’eux ne prévoit ; mais ils sont trop sages pour se vanter d’inspiration. On admire les conjectures de Cicéron sur le sort de la République Romaine. Combien de prédictions n’a-t-on pas faites sur les Turcs, la conversion des Juifs, le règne de Jésus-Christ sur la terre, le temps de la ruine de l’Antéchrist, et la fin du monde, sur Gustave Adolphe roi de Suède, sur Rákóczig, sur la maison d’Autriche, qui se sont trouvées fausses ? N’a-t-on pas reconnu que ceux qui les débitaient avec emphase s’étaient grossièrement trompés ? Il y a mille choses qu’on peut aisément deviner.

g – Prince de Transylvanie (1676-1735).

Les astronomes prédisent les éclipses. Le démon peut prédire une infinité de choses, comme ce qui dépend de l’ordre de la nature, et ce que Dieu lui permet d’exécuter. D’ailleurs, pour une prédiction, qu’ont faite ces prétendus inspirés, qui a été accomplie, il y en a plusieurs qui ne l’ont point été ; d’autres à qui on pouvait donner deux sens opposés ; d’autres qui étaient vagues, comme quand ils disaient que cela arriverait l’année suivante ; qu’une telle chose se ferait ou dans un temps, ou dans un autre. Il est facile de faire de telles prophéties.

8. Il y en a qui se croient inspirés, parce qu’ils ont des pensées extraordinaires qu’ils n’ont lues nulle part, et dont ils sont enchantés, mais on m’en a communiqué qui étaient si ridicules, et si absurdes, et quelques-unes si impies, que je ne pouvais m’empêcher de leur dire qu’il fallait qu’ils eussent le cerveau fêlé, pour attribuer à l’Esprit de Dieu de telles sottises, et de telles impiétés.

Qui est l’homme de bon sens, qui puisse regarder comme inspiré Jean Tennhardh, quoiqu’il s’appelle Chancelier du Grand Dieu du Ciel et de la Terre, et qu’il dise que son livre a été créé par la Sapience éternelle ; cet homme qui dit que le Seigneur l’avait censuré, parce qu’il avait ajouté, à un petit plat de choux, un hareng grillé, parce qu’il ne mangeait pas ce qui était trop sec dans le pain, et qu’il le donnait à ses enfants, parce qu’il prenait plaisir à une certaine bouillie, où l’on faisait surnager du beurre au lieu de le mêler ; parce qu’il avait mangé avec plaisir un petit plat de choux et de racines, et parce qu’ayant une douleur au bras il y mit une pelisse ?

h – Illuminé de Nurenberg, perruquier de son état, qui fit parler de lui au début du XVIIIe s.

Cet homme, qui dit que le Seigneur lui avait ordonné de s’abstenir du fromage. Cet homme, qui dit qu’ayant demandé au Seigneur s’il oserait prêter le serment, que les magistrats exigeaient de lui, le Seigneur lui répondit : « Je te le permets, quoique ce soit mal fait de prêter serment. Toutefois nécessité n’a point de loi, et la loi n’est point de mise pour le juste. » Cet homme, qui introduit Dieu lui disant : « Je veux être ton serviteur », et ailleurs : « Tu es mon fils bien-aimé, auquel j’ai pris mon bon plaisir. »

Cet homme qui condamne le baptême des petits-enfantsi, le mariage ; qui dit que la sainte cène n’est que pour les chrétiens commençant ; que c’est le Diable et l’Antéchrist qui font célébrer la sainte cène de jour, et debout dans des temples bâtis exprès ; qui blâme les temples, qui soutient que jamais le Diable n’aurait pu mieux séduire les hommes, que par le moyen du culte divin extérieur ; que Dieu n’a jamais commandé de prêcher, que l’Écriture sainte soit la Parole de Dieu vivante dans l’âme ; et qui suivant cela ne croit l’Écriture sainte nécessaire, que quand Dieu ne nous parle point dans le cœur ; qui compare la Parole écrite à une cassette et la voix intérieure à des bijoux, qui sont dans cette cassette !

i – Les Baptistes et tous les Évangéliques modernes apprécieront…

Cet homme qui déclame contre toutes les religions, disant que l’une ne vaut pas mieux que l’autre d’un cheveu de tête. Comment pourrait-on appeler inspiré un tel visionnaire, dont je pourrais décrire plusieurs autres absurdités, comme ce qu’il dit de la Trinité etc. ? N’a-t-on pas plus de raison de croire que c’est un homme à qui le désordre de ses affaires fit tourner la cervelle, comme il l’avoue, qu’après avoir perdu son bien, il pensa se désespérer.

J’apprends dans ce moment que ce Tennhard a fait une rétractation de son livre. Je ne sais si cela est vrai : mais je sais qu’il l’a dû faire, et que ceux qui s’amusent à lire son livre feraient mieux de lire la Parole de Dieu.

9. Il y en a qui se croient inspirés, parce qu’ils remarquent en eux de certains mouvements qu’on a vus en ceux qui se disaient inspirés, et souvent ces mouvements étaient des mouvements forts naturels, qui pouvait fort bien être excités dans des gens qui n’étaient rien moins qu’inspirés ; ou c’étaient des mouvements affectés, comme on en a découvert plusieurs, qui soutenaient que lorsqu’ils étaient endormis, il n’entendaient rien, et ils ne sentaient rien, mais qui se levaient bien vite, lorsque quelqu’un, pour les éprouver disait qu’il fallait les fustiger, ou les charger de coups de bâton.

10. Il y en a qui s’étant plongés dans une profonde mélancolie, et s’étant entièrement séparés des compagnies, viennent à se croire inspirés, parce que s’occupant à des lectures de ceux qui disent qu’ils sont inspirés de Dieu, soit de ceux qui l’ont été véritablement, comme les anciens prophètes, et st. Jean, soit de ceux qui ne le sont point, ils croient voir des choses que leur seule imagination voit, et entendre ce que leur seule imagination entend.

11. Il y en a qui ont l’esprit faible naturellement, et qui croient tout, de sorte que si on leur dit qu’ils sont inspirés, ils croient l’être effectivement et on ne peut les ramener.

12. Il y en a qui par des dévotions outrées, et par des jeûnes excessifs, se sont tellement affaibli le cerveau, qu’ils ont cru être ce qu’ils n’étaient pas. On m’a parlé d’une demoiselle, qu’un de ces imposteurs fit jeûner plusieurs jours, en sorte que cette pauvre fille se mit à débiter je ne sais combien de sottises, qu’on voulait faire passer pour des révélations, et qui fut malade ensuite pendant quelque temps, mais qui enfin, par une bonne nourriture, étant revenue à son bon sens, gémit de l’état où elle avait été, et ne put que détester la fourberie de celui qui l’avait mise dans cette triste situation.

13. Il y en a, qui s’étant dits inspirés au commencement, sans croire l’être, à force de le dire, l’ont cru, comme ceux qui ayant une mauvaise cause à soutenir, à force de la maintenir bonne, croient qu’elle est bonne en effet ; et comme ceux, qui à force de débiter un mensonge, enfin croient que c’est une vérité.

14. Il y en a qui étant sujets à des maux un peu extraordinaires, qui approchent du mal caduc, dans leurs convulsions prononcent quelquefois de certaines paroles qu’on fait passer pour des inspirations. J’en pourrais alléguer plusieurs autres.

Vous voyez, Monsieur, que l’on a aucune raison de croire, que ceux dont j’ai parlé soient inspirés. Ainsi je souhaiterais que ceux qui se sont dits inspirés, fissent quelques réflexions sur ce que j’ai dit, s’ils sont capables d’en faire, car il faut avouer comme je l’ai déjà remarqué, que la plupart de ces sortes de gens la sont tellement entêtés, qu’on ne peut leur faire entendre aucune raison, et à l’égard des imposteurs ils n’en veulent entendre aucune.

Vous me direz qu’il y a pourtant des gens qui croient qu’il y a de tels inspirés. Je le veux et, et je conçois qu’il y en a plusieurs.

1. Il y a quantité du gens fort crédules, à qui on a aucune peine de persuader ce qu’on veut, et à qui on ferait presque croire qu’il est nuit quand il est jour ; qu’on entend des voix quoiqu’on n’en entende point. On a des preuves qu’il y en a de tels.

2. Il y a des gens de bien, qui ne pouvant pas si imaginer qu’on veuille mentir, et les tromper, croient bonnement tout ce que des imposteurs leur disent.

3. Il y a des personnes à qui on a fait croire que de certaines gens à qui ils entendent réciter des passages de l’Écriture, ne les avaient jamais ni lus, ni entendus ; qui sur cela ne doutent pas que ces passages ne leur aient été inspirés, quoiqu’il soit certain cependant, que ces prétendus inspirés ou inspirées les avaient ou lus ou appris, comme quelques-uns l’ont avoué. Il y en a même qui croient effectivement n’avoir jamais entendu les passages qu’ils récitent, parce qu’ils ne s’en souviennent pas. Combien y a-t-il de gens qui se croient auteur de certaines paroles qu’ils ont lues dans des livres ?

4. Il y en a qui prennent pour inspirés des imposteurs, sous prétexte qu’ils leur disent des choses qui se passent ailleurs, ou qui s’y doit passer sans faire réflexion premièrement : que ces adroits fourbes ont d’autres imposteurs semblables à eux, de qui ils savent ce qu’ils n’auraient jamais su sans eux ; deuxièmement : ou que ces gens-là disent des choses qu’il était très facile de conjecturer ; troisièmement : ou que ces gens-là se trompent très souvent, lorsqu’ils ne sont pas sur leur garde ; quatrièmement : ou qu’il y a des gens, à qui ces fourbes font dire que telles et telles choses sont arrivées, quoiqu’elles ne le soient pas.

5. Il y a des personnes, qui disent qu’ils croient que de certaines gens sont inspirés, quoiqu’ils ne le croient point ; mais parce qu’il est de leur intérêt de le publier, de peur qu’on ne châtie, ou leur mari, ou leurs femmes, ou leurs enfants, ou leurs amis, s’ils découvraient leur fourberie.

6. Il y en a qui prennent pour des gens inspirés, des personnes qui ont des yeux égarés, qui font des contorsions, qui jettent de l’écume de leur bouche, quoique ce soient des choses affectées. Aussi je sais, qu’un jour un pasteur ayant dit à un de ces fourbes, qu’il pouvait se passer de faire tous ces mouvements extraordinaires, qui ne servaient de rien, ce fourbe répondit qu’il n’en ferait pas une autre fois : preuve que tout ce qu’il faisait était affecté. Je sais encore qu’il y en a eu un autre, que deux personnes visitèrent, nullement prévenues contre lui, qui après quelques paroles, pour leur faire croire qu’il était inspiré, se balançait pour voir si du lit où il était il pourrait tomber sans se casser la jambe, ou sans se faire mal, et qui se jeta ensuite en bas adroitement, et commença à parler, sans qu’on pût comprendre ce qu’il voulait dire ; ce qui obligea l’un de ceux qui l’étaient allé voir, de le censurer vivement, et de lui dire qu’il avait remarqué comment il se balançait avant que de tomber, à la grande honte du fourbe. Je le tiens la bouche même de celui qui le censura.

7. Il y en a qui croient qu’on est inspiré, lorsqu’on fait des exhortations à la repentance, qu’on menace des jugements de Dieu, qu’on cite quelques passages à tort et à travers, et souvent dans un sens tout contraire à celui dans lequel l’Esprit de Dieu l’a entendu.

8. Il y a eu de grands serviteurs de Dieu, qui se sont laissé surprendre, comme on a vu dans cette villej un exemple d’un célèbre pasteur, qui frappé des choses que disait un jeune homme, cru que l’Esprit de Dieu l’animait, mais qui ensuite reconnu son erreur ; ce jeune homme ayant dit des sottises et des impiétés. Ce qui fit croire à ce grand homme, que s’il y avait quelque chose d’extraordinaire dans ce garçon, c’était plutôt le démon, que l’Esprit de Dieu, qui lui avait suggéré ce qu’il avait dit. J’ai en main une lettre de ce savant théologien, qu’il écrivait à un docteur de Zurich. Plusieurs pères de l’Église ont été fort crédules, et il ne se trouvera peut-être personne aujourd’hui, qui croit tous les contes qu’ils ont rapportés.

j – A Genève.

9. Il y a des gens qui se laissent entraîner au torrent, et qui se trouvant au milieu de plusieurs prétendus inspirés, et de gens qui les croient tels, parlent enfin comme les autres.

Vous me direz : d’où vient que je ne crois pas qu’il y ait de tels gens inspirés ? Est-ce une chose impossible ?

Non ; il est certain que Dieu peut faire aujourd’hui ce qu’il a fait autrefois ; mais il ne faut pas croire que Dieu fasse tout ce qu’il a fait, et tout ce qu’il peut faire.

Un de ces prétendus inspirés me demandait un jour, si je croyais que Dieu ne pût pas nous donner de plus grande lumière, que celle que nous avons. Je lui répondis que je n’en doutais pas, et que dans le Ciel nous saurions une infinité de choses que nous ne savons pas ici-bas ; mais je ne voyais point de nécessité que Dieu se manifesta ici-bas plus clairement aux hommes, qu’il l’avait fait dans sa parole, et que dans tout ce que j’avais lu ou entendu dire de ces prétendues inspirations, je n’avais rien appris, ni lu qui méritât qu’on dit que Dieu avait inspiré ceux qui les avait débitées ; au contraire, j’avais lu et entendu des choses qui me paraissaient indignes de l’Esprit de Dieu et qui était absolument contraires à ce que les livres sacrés nous enseignent.

En effet, Monsieur, quelle nécessité y a-t-il que Dieu inspire des hommes aujourd’hui, et qu’il suscite des prophètes ? L’Écriture sainte ne contient-elle pas tout ce qui est nécessaire à salut, toutes les vérités qu’il faut savoir, tous les devoirs qu’il faut pratiquer ? N’est-elle pas une règle parfaite de la foi et des mœurs ? Une Écriture qui est propre à enseigner, à corriger, à convaincre, à rendre l’homme de Dieu parfait, ne nous suffirait-elle pas (2 Timothée 3.16-17) ? Une parole qui suffit, non seulement pour instruire les peuples, mais encore les docteurs, ne suffirait-elle pas ? Une Écriture qui nous révèle tout le conseil de Dieu, ne nous suffirait-elle pas (Actes 20.27) ? Sommes-nous obligés de recourir à un autre docteur qu’à la loi et au témoignage, qu’aux Écritures que Jésus-Christ veut que nous sondions, qu’à la parole des prophètes, à laquelle st. Pierre veut que nous soyons attentifs, qu’à l’Évangile du grand et unique Docteur de l’Église, qu’aux écrits de ses apôtres ? St. Paul ne déclare-t-il pas, que si quelqu’un, quand ce serait lui-même ou un ange du ciel évangéliserait outre ce qui a été évangélisé, il devait être anathème ? (Esaïe 8.21 ; Jean 5.39 ; 2 Pierre 1.9 ; Galates 1.8)

Quelle vérité nos prétendus inspirés nous ont-ils révélée ? Quel devoir nous ont-ils prescrit, qui ne se trouve pas dans les saintes Écritures ? Si on y trouve rien de semblable à ce qu’ils disent, pourquoi serions-nous obligés de les écouter, puisque st. Paul, qui a été véritablement inspiré, comme nous en sommes persuadés, nous le défend, et qu’il ne veut pas que nous soyons sages au-delà de ce qui est écrit ?

Je sais que vos enthousiastes disent que puisqu’il faut recevoir l’Écriture sainte, parce qu’elle est divinement inspirée, par la même raison il faut aussi recevoir leurs aspirations ; qu’il faut écouter l’Écriture, lorsqu’il n’y a pas d’inspiration et de révélation particulière, et que cela n’est pas nécessaire, lorsqu’on a ces inspirations ; que l’Église a été fondée sur le fondement des apôtres et des prophètes, mais que le fondement des prophètes est la révélation ; qu’il faut donc l’écouter. Si Dieu nous renvoie à la loi et au témoignage, ce témoignage comprend non seulement ce qui était écrit, mais encore d’autres révélations ; qu’outre les écrits des prophètes et de Moïse d’autres révélations et inspirations ont eu lieu ; il faut bien sonder des Écritures, comme Jésus-Christ l’ordonne ; mais que cela n’empêche pas qu’on écoute ceux qui sont inspirés, et que puisqu’il faut être attentif à la parole des prophètes, il faut être attentif aux prophéties de ceux qui sont inspirés comme les apôtres.

Mais ces raisonnements sont bien faibles :

1. Ils supposent que ceux qui se disent inspirés, le sont véritablement ; que Dieu leur a révélé des choses qui étaient auparavant cachées. Mais c’est ce que je nie hautement, et qu’on ne saurait prouver ; car il est clair que tout ce qu’ils débitent, où est déjà contenu dans la parole de Dieu, ainsi cela ne prouve pas qu’ils soient inspirés, puisque tout le monde peut réciter des passages de l’Écriture sainte ; ou ce sont des extravagances, et même des impiétés, des choses contraires à la parole de Dieu ; ce qui fait voir évidemment, que l’Esprit de Dieu ne leur a pas inspiré ce qu’ils disent ; car le Saint Esprit dirait-il aujourd’hui une chose, et demain une autre contraire, Oui et Non ? Saint Paul le nie expressément : 2 Corinthiens 1.16. La question n’est pas, s’il faut entendre la voix de Dieu, et ceux qu’il a véritablement inspirés ; tout le monde en convient, mais si ceux qui se disent inspirés le sont en effet ? Si Dieu parle par eux, ou s’ils ce ne sont point leurs pensées creuses et leurs folles imaginations qu’ils annoncent ? Si ce n’est point Satan qui se transforme en ange de lumière, et pour rendre ridicule la vraie religion, et pour surprendre les faibles ?

2. Ces raisonnements supposent qu’il ne faut pas toujours écouter l’Écriture, quand on a des inspirations ou des révélations ; ce qui est faux : car puisque c’est la voix de Dieu, comment ne l’écouterions pas toujours ? Surtout puisque l’Écriture nous a été donnée pour nous rendre parfaits.

3. Ils suppose qu’on a des inspirations et des révélations divines différentes de celles que nous trouvons dans les livres sacrés, mais c’est ce qu’on ne saurait prouver. Toutes les doctrines qu’on peut enseigner, comme je l’ai déjà dit, sont conformes à celles qui sont dans les saintes Écritures, et y sont déjà contenues, et alors c’est la sainte Écriture elle-même ; ou elles n’y sont pas conformes ; et si cela est, elles ne sont pas divines, car l’Esprit de Dieu ne se contredit point ; ou ce sont des choses qu’on a ajoutées à la parole de Dieu, et que st. Paul veut qu’on rejette. Tout ce qu’ont débité ces prétendus inspirés, qui est bon, est tiré de la parole de Dieu ; tout ce qu’ils ont dit, qui n’en est pas tiré, est ou impie, ou ridicule, ou formellement contraire aux décisions de l’Esprit de Dieu, ou indigne de cet Esprit Saint.

4. Ces raisonnements supposent qu’il y a d’autres prophètes aujourd’hui, que ceux auxquels l’Esprit de Dieu nous renvoie, et sur lesquels l’Église est fondée. Mais c’est là une chimère. Quand on nous fera voir des gens qui nous révéleront des choses aussi grandes que celles que les prophètes et les apôtres ont révélées, qui nous prédiront au juste des événements, qui auront leur accomplissement, qui nous expliqueront ce que personne n’a pu jusqu’à présent nous expliquer, alors nous dirons que ce sont des prophètes, pourvu qu’ils n’enseignent rien qui ne soit digne de l’Esprit de Dieu, et rien qui ne s’accorde avec que ce qui nous est enseigné dans les livres sacrés ; alors nous les écouterons avec plaisir, et avec respect comme on écoutait les anciens prophètes et apôtres. Mais quand on nous débitera des choses contraires aux saintes Écritures, des extravagances et des impiétés, à Dieu ne plaise que nous prenions cela pour des inspirations divines, pour le témoignage auquel Dieu nous renvoie, pour la parole des prophètes, à laquelle st. Pierre veut que nous soyons attentifs ; ou quand on ne nous dira que des choses qui sont dans l’Écriture, et qu’on les accompagnera de raisonnements ridicules, nous ne serons jamais assez crédules pour prendre ceux qui nous les diront, pour de vrais inspirés. Nous ne voulons point écouter ce qu’on voudra ajouter aux divins écrits, sachant ce que Dieu défendait à son ancien peuple (Deutéronome 5.32 ; 12.21) et st. Paul aux Galates (Galates 1.8) et st. Jean dans l’Apocalypse (Apocalypse 22.18). Nous nous garderons avec soin de tous les faux prophètes dont Jésus-Christ nous a prédit la venue (Matthieu 7.25 ; 24.1, 21 ; Marc 13.22, etc.). St. Paul ordonnait aux Thessaloniciens de ne se laisser pas troubler, ni par l’esprit, ni par des paroles, ni par des lettres qu’on supposerait être écrites par lui (2 Thessaloniciens 2.2), et de prendre garde que personne ne les séduisit. Il ne veut pas que nous nous adonnions à des esprits trompeurs (1 Timothée 4.1), et st. Jean ne veut point qu’on croie à tout esprit, mais qu’on éprouve les esprits s’ils sont de Dieu (1 Jean 4.1).

Je sais que ces prétendus inspirés opposent à tous ces passages, que Dieu ne défend que ce que les hommes ajoutent, et non pas ce qu’il inspire lui-même. Cela est vrai mais croirons-nous que des rêveries, des songes de fanatiques, procèdent de Dieu ? Croirons-nous que des gens soient inspirés, parce qu’ils disent cent fois : « Repentez-vous, si vous ne vous amendez, vous périrez inévitablement ! » ? Nous croirions offenser Dieu, si nous le pensions seulement.

Je sais encore qu’ils répondent, il faut éviter les faux prophètes, qui sont des loups ravisseurs, et qui portent de méchants fruits, et qu’ils ne sont point tels : mais qu’on doit écouter les autres. Mais n’avons-nous pas raison de regarder ces gens qui se disent prophètes, et qui sous ce prétexte trompent et séduisent bien du monde, et tâchent de gagner des sectateurs par de belles apparences, par l’extérieur imposant, comme des loups ravisseurs, qui se couvrent de la peau de brebis.

N’avons-nous pas raison d’appeler faux prophètes tous ceux qui se disent prophètes, et qui ne le sont pas ? Ceux qui sèment des livres pleins de fausses doctrines, ou de galimatias, et d’expressions extravagantes. Ceux qui font tourner la cervelle à ceux qui les écoutent, par leurs grands mots vides de sens. Ceux qui insinuent qu’il ne faut point se tenir aux saintes Écritures, et qui mettent entre les mains de leurs sectateurs les ouvrages d’une Bourignonk, d’un Poiretl, d’un Tennhard, etc.

k – Antoinette Bourignon, née à Lille en 1616, morte en 1680 à Franeker (Frise), prophétesse qui a laissé 19 volumes de révélations.

l – Mystique né à Metz en 1646, mort à Rijnsburg aux Pays-Bas en 1719, précurseur du système dispensationaliste.

Ceux qui tâchent de troubler l’ordre établi dans l’Église, dès le commencement du christianisme. Ceux qui détournent les chrétiens d’écouter leurs pasteurs légitimes, et de fréquenter les saintes assemblées, sous prétexte qu’il ne suffit pas pour être sauvé d’aller au prêche.

Ceux qui affectent quelquefois d’exhorter les gens d’aller au prêche, et qui y vont eux-mêmes, pour surprendre ceux qui ne les connaissent pas, mais qui insinuent à ceux qu’ils ont séduits, qu’ils peuvent font bien s’en dispenser.

Je sais qu’ils disent qu’ils ne renversent pas la doctrine de l’Évangile, mais qu’ils en donnent le vrai sens, et la droite intelligence. Mais c’est ce qu’on leur conteste hautement. La plupart de ces gens-là n’entendent pas les passages, et même les plus communs, et donnent de fausses explications. Il y en a qui en donnent de très ridicules, et de très absurdes ; et il y en a qui ont des sentiments tout-à-fait erronés, comme ceux qui croient que toutes les religions sont indifférentes.

N’appellerions-nous pas faux prophètes en particulier, ceux qui disent que dès qu’on est parvenu à un certain degré de perfection, les péchés que la chair commet, ne sont plus des péchés, et qu’on n’a pas besoin de prier Dieu ?

Ceux qui ne veulent pas être soumis à aucun magistrat, ni aucun supérieur politique et ecclésiastique. Ceux qui ne veulent point qu’on aille dans les temples avec les autres chrétiens, qu’ils regardent comme souillés.

Ceux qui ne veulent point qu’on participe au saint sacrement de la cène, avec ceux qu’ils regardent comme souillés ; Vrais Pharisiens. Ceux qui ne veulent point qu’on prenne les armes pour défendre sa Patrie.

Pour ne parler point de plusieurs erreurs que les enthousiastes ont encore sur la personne de Jésus-Christ, sur l’origine de la nature humaine, sur les biens qu’il nous a acquis, sur les sacrements. Je n’entre point dans ce détail parce que je suis persuadé que la plupart de ceux qui s’appellent inspirés, ne savent ce que c’est que ces erreurs, que de certains anabaptistes ont soutenues et soutiennent encore.

Je sais que ceux qui se disent inspirés, ou ceux qui les soutiennent, font quelques exceptions aux passages que j’ai cités. Ils opposent, que ce que st. Jean dit dans l’Apocalypse contre ceux qui ajouteront à sa prophétie, ou qui en retrancheront, ne regarde proprement que son livre. Mais outre qu’on peut dire que c’est ici comme une clause apposée à tous les livres sacrés ; il est certain que ce que cet apôtre prononce, doit arrêter tous ceux qui veulent ajouter quelque chose aux livres sacrés.

Je sais qu’ils disent que ce que st. Paul écrivait aux Thessaloniciens, ne regardait que le dernier jour du jugement, ou que des lettres qu’on pouvait forger, comme s’il les avait écrites, et que cela ne prouve point que d’autres prophéties doivent être regardées, qui ne regardent pas le dernier jour, et qui sont conformes à la doctrine de st. Paul. Mais :

1°. Il est certain que quelques-uns de ces enthousiastes ont des sentiments singuliers sur le règne de Jésus-Christ, sur son avènement, sur les peines des damnés.

2°. On ne prétend point rejeter tout ce qui est conforme à la doctrine de st. Paul ; mais ce qui est contraire, ou ce qu’on ajoute à l’Évangile, comme plusieurs visions que débitent les fantastiques ; et on ne croit pas que tous ceux qui enseignent des doctrines conformes à celles de st. Paul, soient inspirés.

Ce qui nous détermine donc à ne recevoir point ce que disent vos prétendus inspirés, pour vous le redire en peu de mots. C’est :

1°. Que plusieurs choses, qui ont été avancées par les enthousiastes, sont contraires aux livres sacrés. Or pourrions-nous ajouter foi à deux doctrines opposées, où pourrions-nous nous mettre dans l’esprit, que deux doctrines contraires procèdent de Dieu, qui ne change point ?

2°. C’est qu’ils se contredisent les uns les autres, comme on l’a remarqué en comparant les opinions de Müntzer, de David George, de Jean Matthis, et d’autres, et comme on le pourrait faire voir, si on daignait comparer tout ce qu’on écrit ceux dont nous parlons, qui n’ayant aucune règle que leur sens, disent tout ce qui leur vient dans l’esprit, et se combattent les uns les autres avec aigreur. Car s’ils étaient tous animés du même Esprit de Dieu, ils ne se combattraient pas comme ils font, et comme faisaient autrefois Brigitte et Catherine.

3°. C’est qu’ils imputent à l’Esprit de Dieu des choses très indignes de lui, comme on en peut voir plusieurs dans le livre de Tennhard, et dans ceux de la Bourignon etc.

4°. Qu’ils ne peuvent souffrir le ministère que Jésus-Christ a établi, et que st. Paul déclare devoir subsister, jusqu’à ce que tout le corps de Jésus-Christ soit formé, et que l’assemblage de tous les saints soit fait.

5° Que plusieurs méprisent l’Écriture, qui est l’ouvrage de Dieu.

6°. Ils font prêcher des femmes dans un temps où il y a des ministres établis, quoique st. Paul ait défendu aux femmes de parler dans l’Église.

7°. Qu’il paraît manifestement, que l’amour de la fainéantise est la grande raison qui porte ces femmes à faire les inspirées ; et qu’il n’y a ordinairement que des fainéants et des fainéantes, qui vont à la suite de ces prétendues inspirés ou inspirées.

8°. Qu’ils détournent les gens de fréquenter les saintes assemblées, quoique st. Paul nous y exhorte, et qu’ils osent dire, que l’Esprit de Dieu le leur a commandé, ou qu’il leur a ordonné de n’aller le dimanche au sermon qu’une fois. Qui croirait qu’on osât attribuer cette extravagance à l’Esprit de Dieu.

9°. Nous ajoutons que nous ne voyons rien, et que nous n’entendons rien, qui nous oblige à croire qu’il y ait des inspirés.

10°. Il y en a qui ont exercé des cruautés horribles à l’égard de ceux qui ne voulaient pas les écouter, et qu’ils vomissent contre eux mille injures, ce qui fait voir de quel esprit ils sont animés.

Ceux qui soutiennent ces gens, disent que leurs sentiments paraissent contraires à la parole de Dieu, mais qu’ils ne le sont pas pourtant et qu’ils s’appuient sur des passages de l’Écriture sainte et sur des raisons. Mais c’est ce qu’on ne saurait prouver, et on peut aisément leur démontrer le contraire. On en convaincrait ces prétendus inspirés, si on pouvait raisonner avec des gens qui n’écoutent personne qu’eux-mêmes.

Il y en a qui disent que Dieu a laissé aux hommes la liberté de changer diverses choses selon les divers temps, et les diverses circonstances, et que c’est ainsi que Dieu a voulu abroger les cérémonies anciennes. Mais ces gens se trompent grossièrement. Il n’appartient qu’à Dieu de changer ce qu’il a établi, et non aux hommes. Et il ne faut pas dire que le même Esprit, qui animait les prophètes, anime nos inspirés : car c’est ce qu’on ne croira jamais quand on examinera ce que j’ai déjà dit.

D’autres disent que le Saint Esprit communique ses dons différemment, qu’il accorde plus de dons aux uns qu’aux autres ; qu’aux uns il enseigne la lettre, aux autres le sens spirituel ; que cela paraît de ce que dit st. Paul 1 Corinthiens 14.13. Mais si on convient que les dons du Saint Esprit sont différents, il ne s’ensuit pas de là que l’Esprit de Dieu puisse être contraire à lui-même, et enseigner des dogmes opposés.

D’ailleurs, ne dirait-on pas à écouter ces gens, que Dieu leur a donné des lumières plus grandes qu’aux prophètes et aux apôtres, que ceux-ci qui n’ont eu que la lettre, mais qu’eux ont l’Esprit ? Qui serait assez fou pour croire cela ? Le passage de st. Paul 1 Corinthiens 14.13 ne fait rien en faveur de la question qu’on agite ; mais il prouve seulement que dans ces commencements, où Dieu accordait à plusieurs le don de prophétie, pour éviter la confusion qu’il y aurait eue, si tous eussent parlé en même temps, il fallait donner à chacun le temps de parler à son tour.

On dit qu’il paraît par les prédictions de ces prétendus inspirés, qu’ils ont reçu une abondante mesure du Saint Esprit. Mais quand on examinera ces prédictions on changera bientôt de sentiments, comme je l’ai déjà remarqué.

1. Il y en a plusieurs qui ont pu être aisément faites par des gens qui étaient très bien informés de ce qui se passait, et qui s’entendaient avec d’autres fourbes.

2. Il y en a plusieurs, qu’une infinité de gens aurait pu faire de la même manière, parce qu’il était très facile de faire de telles prédictions.

3. Il y en a plusieurs qui sont semblables à celles que tant de gens font et qui arrivent quelquefois, sans que les personnes qui les font soient assez simples pour se croire inspirées. Il y a peu de gens qui n’en aient fait ainsi.

4. Il y en a plusieurs, dont on a reconnu la fausseté, et qui n’ont eu aucun accomplissement. On m’a assuré qu’il y avait des prétendus inspirés, qui prédirent que dans un certain pré en Vivarés, il y aurait une grande assemblée, ou des Anglais se trouveraient ; que dans la nuit qui précéderait cette assemblée, on verrait croître un arbre, qui fleurirait d’abord. Qu’un autre avait prédit qu’il se tiendrait une assemblée la fête de Noël, et que l’événement fit voir la fausseté de la prédiction. Qu’il y avait deux jeunes filles qui prédisaient qu’elles auraient pour époux des jeunes gens qui leur plaisaient, et qui furent assez fous pour accomplir la prophétiem. Qu’un de ces faux inspirés, qui se vantait de faire tomber du ciel une lettre, avait fait cacher au-dessus d’une claie, sous laquelle on était, une fille qui se disait aussi prophétesse, et qui fit passer la lettre au travers de la claie. La lettre était écrite dans des caractères inconnus, pour surprendre les ignorants.

m – On ne comprend pas bien la pertinence de cet exemple : Pictet aurait-il donc préféré que ces jeunes filles prophétisent de se marier avec des vieux barbons, qui ne leur plaisaient pas ? ou qu’elles ne trouveraient point d’époux du tout ?

5. Il y en a plusieurs, qui ont été aussi ambiguës que les oracles des Sibylles, et les Centuries de Nostradamus, de sorte qu’on pouvait leur donner deux sens contraires.

6. Il y en a plusieurs, qui ont été très générales, comme celle-ci : « que si on ne se repent, on périra. »

Qu’on examine les prédictions de ces gens-là on trouvera que ce que je dis est certain. Ajoutez qu’on en a débité plusieurs qui n’avaient point été faites, mais on faisait croire à de pauvres idiots, qu’on les avait faites, et qu’ils les avaient entendues.

Ceux a qui ont fait voir l’impiété de plusieurs choses, qui ont été dites par des enthousiastes, ou prétendus inspirés, disent pour les excuser :

1. Qu’il y en a peut-être quelques-uns qui se disent inspirés, et qui ne le sont pas.

2. Qu’il ne faut pas confondre les vrais inspirés avec les faux.

Mais ces mêmes personnes, pour prouver qu’il y a de vrais inspirés encore aujourd’hui, ont accoutumé de citer ceux-là mêmes, dont on leur fait voir l’impiété, sous prétexte qu’ils ont dit quelques bonnes choses, et qu’elles ont fait des prédictions. Ceux qui veulent justifier les impertinences et les sottises qu’on trouve dans les livres de ces gens-là, disent que ce qui paraît une folie, est sagesse devant Dieu ; que l’Évangile était la folie des Grecs. Comme s’il fallait confondre les extravagances d’un Tennhard et gens semblables, avec l’Évangile, et comme s’il y avait aucune comparaison à faire.

Mais, dit-on, n’est-il pas vrai que Dieu a promis par le prophète Joël (Joël 2.28-29) qu’il enverrait dans les derniers temps son Esprit sur toute chair, que leurs fils et leurs filles prophétiseraient, que leurs vieillards feraient des songes, que leurs jeunes gens auraient des visions, que le Saint Esprit serait même répandu sur leurs serviteurs et sur leurs servantes ?

Il est vrai ; et je ne veux pas pour répondre à ce passage, dire avec quelques rabbins, qu’il ne s’agit là que des temps du Messie, ou avec Grotius, que toute cette prophétie a été accomplie avant la venue du Messie, ou avec d’autres, qu’il s’agit des envoyés d’Ézéchias, qu’il fit aller par toutes les villes de la Judée pour amener les peuples au vrai Dieu. Ce sont-là de fausses expositions. Mais il paraît, par ce que dit st. Pierre (Actes 2.16-17) que cet oracle fut accompli à la lettre dans les premiers temps du christianisme ; l’Esprit fut alors répandu sur toute chair, tous ceux qui crurent à la prédication de Pierre, reçurent l’Esprit ; plusieurs eurent ensuite des songes, des visions, le don de prophétie. On peut voir ce que dit l’Écriture d’un Agabus, des filles de Philippe, d’Ananias, des prophètes d’Antioche, des songes et des visions qu’ont eus st. Pierre, st. Paul et st. Jean.

Mais dit-on cet Oracle de Joël n’a pas eu son entier accomplissement alors, car il est parlé de toute chair, et on ne voit point que ce qui est dit des serviteurs et des servantes, ait été accompli alors.

Je réponds :

1°. Il ne faut pas étendre l’oracle du prophète plus loin qu’il doit être étendu. Le prophète a voulu dire que dans ces temps-là le Saint Esprit serait donné, non seulement aux juifs, mais encore aux gentils de tout sexe et de toutes conditions. Qu’au lieu que sous la loi il y avait beaucoup de différence entre les libres et les esclaves, les israélites et les lévites, les lévites et les sacrificateurs, les sacrificateurs et le souverain pontife, Dieu voulait sous la nouvelle économie donner, sans distinction, son Esprit aux chrétiens ; qu’après que Jésus-Christ serait élevé dans le ciel, il s’élèverait des prophètes, qui seraient inspirés de Dieu, et qui prédiraient l’avenir, qui expliqueraient et appliqueraient les oracles anciens. Que les fidèles aussi bien que les pasteurs avec la différence, pourtant, du ministère et des dons, auraient la connaissance des vérités célestes.

2°. Je remarque ensuite que cet oracle signifie encore que sous l’économie nouvelle, l’Esprit de Dieu serait donné en plus grande abondance, que sous l’ancienne, et à un beaucoup plus grand nombre de gens. Pour nous désigner ce privilège de la nouvelle alliance, Joël se sert de termes tirés du Vieux Testament, sous lequel il y avait prophétie, vision, songe, et où Dieu se manifestait souvent par des révélations extraordinaires ; pour dire que sous le Nouveau Testament les chrétiens auraient autant, et même plus de lumière, que ceux qui sous la loi avaient des visions, et des songes ; que ceux qui seraient le moins instruits, auraient des connaissances plus étendues, comme quand Jésus-Christ disait, que celui qui est le moindre au royaume des cieux, était plus grand que Jean-Baptiste. On ne doit pas être surpris si de telles façons de parler sont employées. Rien n’est plus ordinaire aux prophètes anciens que de nous décrire les devoirs des fidèles du Nouveau Testament et leurs privilèges, par des termes tirés de ce qui se pratiquait chez eux. Ils prédisent qu’on montera à la montagne de l’Éternel, que l’on offrira de l’encens, et des oblations à Dieu, que l’on célébrera les sabbats, qu’on s’approchera de l’autel du Seigneur, et autres choses semblables.

3°. S’il fallait entendre à la lettre tout ce qui est dit dans cet oracle, ces prétendus inspirés n’auraient rien qui les distinguât de leurs auditeurs, car tous auraient le même avantage, et on pourrait soutenir que l’oracle n’aurait pas eu son parfait accomplissement. Ainsi il est clair que cet Oracle a été accompli :

  1. Dans les Apôtres.
  2. Dans d’autres qui étaient appelés prophètes, distingués des apôtres.
  3. Dans d’autres qui prédisaient aussi l’avenir, et dans ceux qui avaient en effet des visions et des songes.
  4. Enfin dans l’abondante connaissance qu’ont tous les fidèles sous le Nouveau Testament.

On dit que le temps de l’Ancien Testament était l’économie du Père, celui dans lequel Jésus-Christ a vécu, l’économie du Fils, et que nous sommes sous l’économie de l’Espritn.

n – Idée développée par Joachim de Flore (1130-1202), moine cistercien.

Mais sans vouloir combattre ce sentiment, sur lequel j’aurais diverses réflexions à faire, je réponds que quand même on croirait que c’est maintenant l’économie particulière de l’esprit, il s’en suivrait seulement que les dons de l’Esprit sont maintenant plus universellement répandus, et plus abondants que sous l’Ancien Testament, ce que personne ne nie, mais non pas qu’ils y doivent y avoir des inspirés.

On dit qu’à l’égard de ces prétendus inspirés, on entend des voix qui disent : « Mon enfant, mon enfant, mon enfant », comme si l’Esprit de Dieu leur parlait.

Mais on a qu’à écouter ce qu’on fait dire ensuite au Saint Esprit, pour voir que ce n’est pas le Saint Esprit qui parle, mais que c’est ou une fourberie, ou l’effet d’une imagination échauffée. On remarque dans les discours de ces gens-là, comme dans les livres de ces enthousiastes, plusieurs choses ridicules, des absurdités, des injures contre les ministres de Jésus-Christ, et souvent on ne sait ce qu’ils veulent dire.

On apporte encore une prophétie d’Osée (Osée 12.11), où Dieu dit : « Je parlerai au prophète, je multiplierai les visions, et je proposerai des paraboles par les prophètes. » Mais :

1. On ne peut rien conclure de ce passage, sinon que Dieu se manifesterait par ses serviteurs à la postérité d’Ephraïm, qu’il enverrait des prophètes, et des visions, et qu’il leur ferait proposer sa doctrine par des paraboles ; ou tout au plus que Dieu se révélerait plus clairement par Jésus-Christ, qui devait proposer plusieurs paraboles, pour instruire les peuples, et par les apôtres.

2. De plus, si on consulte l’original hébreu, on trouvera que ce n’est pas tant ici une prédiction d’une chose à venir, qu’une déclaration du passé, en sorte qu’on peut traduire : j’ai parlé aux prophètes, j’ai multiplié les visions ; comme quand il disait Osée 6.5 : « Je les ai charpentés par les prophètes, je les ai tués par les paroles de ma bouche. » Et en effet il paraît que le prophète veut ici reprendre l’ingratitude et l’obstination de ces tribus, lesquelles avaient méprisé les prophètes que Dieu leur avait envoyés, et qui les avait instruits, soit par des paraboles et des similitudes, soit en leur rapportant les visions qu’ils avaient eues. Ainsi qu’est-ce que ce passage fait pour nos prétendus inspirés ?

Mais, dit-on, n’est-il pas vrai, que lorsque l’Écriture représente le misérable état de l’Église, elle dit qu’il n’y avait point de prophètes, Psaumes 74.9 : « Nous ne voyons plus nos signes », disait l’Église ancienne, désolée par les Chaldéens : « Il n’y a plus prophète, et il n’y a aucun parmi nous qui sache jusqu’à quand. » Je l’avoue, mais :

1. Il est clair que c’est l’Église judaïque qui parle, qui se plaint de ce que Dieu ne faisait plus pour elle ces miracles qu’il faisait autrefois, et qu’il n’y avait plus d’Arche parmi eux, plus d’Urim et de Thummin, plus de sacrificateur, et que les prophètes leur manquaient ; ainsi cela ne fait rien pour ces derniers temps.

2. Quelle conséquence est celle-ci ? Bien que ce fut un signe d’un déplorable état de l’Église judaïque lorsqu’il n’y avait pas des prophètes comme auparavant, s’ensuit-il que l’Église sera dans un état fort déplorable, si elle n’a pas quelques faux inspirés, qui se vantent de l’être, mais qui ne le sont pas ?

3. Enfin, pouvons-nous dire que nous n’avons ni signes, ni prophètes ? N’avons-nous pas les livres des prophètes qui nous sont expliqués ? N’entendons-nous par les serviteurs de Dieu, qui nous les exposent, ou du moins ne les pouvons-nous pas lire dans nos maisons ? N’avons-nous pas les sacrements qui sont les symboles de la présence de Dieu ? Avons-nous besoin de révélations plus claires, ou de nouvelles inspirations ?

On dit qu’il y a eu dans le commencement du christianisme des prophétesses et des prophètes. Personne ne le nie. Je l’ai déjà remarqué ailleurs, il est parlé d’Anne la prophétesse (Luc 2.36), d’Agabus (Actes 11.28 ; 21.10-11), des prophètes d’Antioche (Actes 13.1). Jude et Silas sont appelés prophètes (Actes 15.32). On trouve dans le ch. 19 des Actes que quelques-uns ont prophétisé ; que les quatre filles de Philippe prophétisaient (Actes 21.9). Il est clair encore qu’il y avait non seulement des apôtres mais des prophètes (1 Corinthiens 12.28 ; Ephésiens 4.11), auxquels ce qui n’avait point été manifesté dans les autres âges, a été révélé (Ephésiens 3.5), le don de prophétie est mis entre les dons du Saint Esprit (1 Corinthiens 12.9). Mais :

1. Qui ne voit qu’il faut bien distinguer l’Église chrétienne naissante, d’avec l’Église chrétienne établie ? Au commencement il était nécessaire que Dieu accordât des dons miraculeux aux hommes, et qu’il fît plusieurs miracles, pour faire recevoir la religion chrétienne ; mais il n’est pas nécessaire que Dieu confère les mêmes dons aujourd’hui, comme il n’est pas nécessaire qu’il fasse des miracles ; le don de prophétie n’est pas plus nécessaire que le don des langues, le don des guérisons. On ôte les cintres d’une voûte, lorsque la voûte est faite.

2. D’ailleurs ces prophètes dont il est parlé, étaient de véritables prophètes, véritablement inspirés de Dieu, mais nous ne voyons rien qui nous persuade que ceux dont on parle aujourd’hui, soient tels.

On objecte que le don de prophétie doit être perpétuel dans l’Église puisque st. Paul le joint avec les autres dons de l’Esprit, comme est la foi, 1 Corinthiens 12.9. Mais :

1. Il y a apparence que par la foi il faut entendre la foi des miracles, cette foi dont il est parlé, Matthieu 17.20 ; 1 Corinthiens 13.2 ; ainsi on ne peut pas prouver de là que le don de prophétie doive être perpétuel, puisque le don de la foi miraculeuse a dû cesser avec les miracles.

2. Quand même st. Paul entendrait le don commun de la foi chrétienne, il ne s’ensuit pas que tous les dons que st. Paul joint à la foi, dussent être perpétuels, comme la foi ; autrement il faudrait faire le même jugement du don des langueso.

o – Pauvre Pictet… s’il avait su de quels inspirés l’avenir était gros…

3. D’ailleurs s’il y a un don de prophétie qui doit être perpétuel, c’est le don d’expliquer les saintes Écritures, qui durera autant que le ministère, et l’Église ; mais il ne s’ensuit pas qu’il y aura toujours des gens inspirés.

On dit que st. Paul veut que tous tâchent d’avoir le don de prophétie (1 Corinthiens 14.39), et qu’ils le désirent.

Cela est vrai et dans ce temps-là chacun devait désirer d’avoir ce don excellent d’expliquer l’Écriture, comme chacun doit désirer en tout temps de l’entendre.

On objecte que dans l’Apocalypse (Apocalypse 11.3), il est parlé de deux témoins, qui doivent prophétiser durant 1260 jours, vêtus de sacs, qui sont appelés les deux oliviers, et les deux chandeliers, de la bouche desquels devait sortir du feu, et qui devaient avoir le pouvoir de changer les eaux en sang. Mais nos prétendus inspirés croient-ils qu’ils sont ces témoins, qui doivent prophétiser ? Il est clair qu’il faut entendre par là le petit nombre des défenseurs de la vérité, qui s’opposeraient à l’Antéchrist, et qu’il y a ici une allusion à l’histoire de Moïse et d’Élie, et à ce que Zacharie rapporte (Zacharie 4.3, 11, 14).

C’est en vain aussi qu’on objecte de ce que dit l’ange à st. Jean qu’il était le frère des prophètes, (Apocalypse 22.9) ; car qu’est-ce que cela fait pour les prétendues inspirés ? Lorsque st. Jean parlait, il y avait alors des prophètes, et d’ailleurs tous les fidèles peuvent être ainsi nommés, à cause de la connaissance que Dieu leur accorde des vérités célestes, (Deutéronome 31.33-34).

C’est en vain encore, qu’on observe ce que dit st. Jean (1 Jean 5.8), que l’Esprit rend témoignage sur la terre, et que tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chair est de Dieu (1 Jean 4.2). Car quelle conséquence peut-on tirer de là en faveur de ces enthousiastes ?

Mais dit-on, st. Paul ne commande-t-il pas de n’éteindre pas l’Esprit, et de ne mépriser point les prophéties.

Oui sans doute, et nous le croyons aussi. Il ne fallait pas que ceux, qui du temps de st. Paul, avaient reçu les dons du Saint Esprit, lequel comme un divin feu, se faisait sentir à eux, laissent s’éteindre ces dons, en ne voulant pas s’en servir, ou en abusant. Il ne faut pas que ceux qui ont reçu quelque don du Saint Esprit, le laissent éteindre, en ne s’en servant pas ou en faisant un mauvais usage. Nous estimons aussi qu’on ne doit point mépriser les prophéties, tels que nous les avons dans les livres sacrés, et que du temps de cet apôtre, il ne fallait point mépriser les prophètes que Dieu suscitait alors. Mais il n’y a aucune comparaison à faire entre les prophéties dont parle st. Paul, et les rêveries de ceux qui se disent inspirés ; sinon en ce qu’ils se disent faussement être ce que les autres étaient véritablement, et en ce que parmi leurs rêveries ils mêlent de temps en temps des passages de l’Écriture sainte.

Vous me direz, Monsieur, que Dieu promet à l’Église du Nouveau Testament une beaucoup plus grande connaissance, et de plus grands privilèges qu’à celle de l’Ancien, et que cependant elle en aurait moins, si elle était destituée de l’esprit prophétique qui avait lieu sous l’Ancien Testament. Je conviens que l’Église du Nouveau Testament a eu de beaucoup plus grands avantages que celle de l’Ancien. 1° Il est certain que les chrétiens ont eu beaucoup plus de connaissances, que les anciens pères. 2° Ils avaient les ombres, nous avons la vérité. 3° Le Messie leur était promis ; il est venu. 4° La lumière de l’Évangile s’étend par tout le monde, et n’est point renfermée dans la Palestine. Mais il n’est pas nécessaire que le don de prophétie soit perpétuel dans l’Église, non plus que le don des miracles.

Si le raisonnement que vous faites avait lieu, on pourrait en faire un autre, qui aurait encore plus de force, et dire qu’il faut que Dieu donne des signes de sa présence, sous le Nouveau Testament comme sous l’Ancien, et qu’il fasse entendre sa voix, ou qu’autrement l’Église du Nouveau Testament sera moins honorée que l’ancienne.

Vous me direz que ces inspirations extraordinaires sont nécessaires pour s’opposer fortement aux erreurs, qui se multiplient tous les jours, et aux vices qui règnent, et pour consoler les fidèles qui gémissent sous la croix ; et que, comme outre le ministère ordinaire des sacrificateurs, Dieu envoyait encore des prophètes, pour les mêmes raisons, il est nécessaire qu’il y ait des gens extraordinairement inspirés, comme les prophètes anciens. Mais :

1. Monsieur, dites-moi quelles erreurs combattent ces prétendus inspirés ? Attaquent-ils celles qui règnent dans le monde ? Ces gens-là au contraire favorisent l’indifférence des religions, et ont des erreurs combattues dans l’Écriture sainte.

2. Seraient-ils en état d’instruire ceux qui les consulteraient sur les erreurs régnantes ? Quand ils se mêlent d’expliquer l’Écriture, ce qu’ils disent est ou fort commun, ou fort fort obscur, ou contraire à l’Écriture sainte, ou ridicule, comme ce que la Bourignon dit sur Adam, et sur d’autres sujets ; ce que d’autres disent sur les révolutions des âmes, sur le rétablissement de toutes choses, et choses semblables, ce que disait Christine sur la Trinité qui se fit voir à elle ; et les rêveries de Tennhard.

3. Quelles nouvelles raisons apportent-ils pour porter les gens à la sainteté ? Quels devoirs prescrivent-ils, qui ne soient pas prescrits dans la parole de Dieu ?

4. Est-ce que de voir un homme une femme, une fille, un jeune garçon, faire des contorsions, se jeter par terre, écumer, et proférer des passages souvent mal appliqués, cela doit porter plus les gens à aimer Dieu ? La foudre qui tomberait au pied d’un homme, des douleurs cruelles qui le saisiraient, une voix qui se ferait entendre en l’air, seraient plus efficaces. S’il y a des gens qui sont frappés par des convulsions qu’ils voient, par des yeux égarés, par un ton de voix extraordinaire, par des discours mal digérés, c’est une marque de la faiblesse de leur esprit, mais cela ne prouve nullement que nous ayons besoin d’enthousiastes pour nous convertir : le fléau de la peste, quelques disgrâces un peu fortes produiraient le même effet. Vous me direz qu’il y a des gens qui se convertissent, à la vue et à l’ouïe de telles gens. Cela peut être, et Dieu peut se servir de toutes sortes de moyens pour nous amener à lui. La vue d’un débauché qui a perdu la raison, d’un impie qui a été frappé de la foudre, une maladie aiguë, en convertissent aussi. Dieu peut se servir d’un enfant, d’un fou, d’une mouche, et du moindre insecte, pour nous ramener de nos égarements.

5. Est-ce que l’Écriture ne nous apprend pas suffisamment tout ce qu’il faut faire ou croire, tout ce qui peut nous consoler ? N’avons-nous pas tous les motifs qui nous portent à la sainteté ?

6. On suppose qu’il faut toujours opposer aux mêmes maux les mêmes remèdes. Il suffit d’en opposer qui soient plus que suffisants, et tels sont ceux que nous trouvons dans les livres du Vieux et du Nouveau Testament, qui nous sont expliqués par les pasteurs établis dans l’Église.

7. On ne distingue point les temps de l’économie nouvelle d’avec ceux de l’ancienne, et on veut rétablir l’ancien gouvernement. Les prophètes étaient nécessaires pour prédire la venue du Messie, pour nous décrire sa personne, ses charges et ses bienfaits ; mais le Messie étant venu, nous n’avons plus besoin de nouveaux prophètes ; d’autant que plus nous avons les livres des prophètes anciens, que nous pouvons consulter, et comparer avec les écrits des apôtres. Ils ont Moïse et les prophètes, disait Abraham au mauvais riche.

Vous me demandez, si je crois que les prophéties et les inspirations soient incompatibles avec l’Église du Nouveau Testament, et en quels endroits il est défendu d’admettre des inspirations et des révélations extraordinaires. Je vous réponds :

1. Que les prophéties et les inspirations ne sont point incompatibles avec l’Église du Nouveau Testament, et que cela paraît, puisque dans les commencements il y a eu tant de gens inspirés, les apôtres les évangélistes, les prophètes, et plusieurs chrétiens laïcs ; mais nous ne croyons pas, que tout ce qui a été nécessaire dans le premier établissement de l’Église chrétienne, le soit à présent qu’elle est bien établie ; autrement il faudrait susciter de nouveaux apôtresp.

p – C’est ce que n’a pas hésité à faire l’Église Néo-apostolique, issue du mouvement irvingien, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, et qui enseignait que l’enlèvement était imminent.

2. Nous ajoutons que nous ne regardons nullement vos gens comme des prophètes inspirés ; Dieu ne nous a point défendu d’écouter les vrais prophètes, mais les faux prophètes, (Matthieu 7.15-16 ; 24.23 ; 2 Pierre 2.1 ; 1 Jean 4.1).

Vous me direz qu’il arrive des choses extraordinaires qui demandent des remèdes extraordinaires. Je réponds que je ne vois point de choses extraordinaires auxquelles la prédication de la parole, le ministère établi dans l’Église, et les voies de la Providence ne suffisent pas.

On dit qu’on ne peut pas empêcher de regarder comme inspirés des enfants qu’ils font des exhortations à la repentance, et qui prêchent.

Mais on ne voit pas que Dieu ait jamais employé des petit enfants pour prêcher. Dieu tire sa louange de la bouche des petits enfants d’une autre manière. Si les enfants, entendant crier Hosanna à Jésus-Christ, criaient aussi, c’est une chose extraordinaire que Jésus-Christ permit pour confondre ses ennemis.

Les enfants d’ailleurs font ordinairement ce qu’ils voient faire. Les enfants dont on parle, disent ce qu’ils ont entendu dire souvent ; et même ils débitent des choses qui ne sont point, leurs pères les faisant mentir.

On objecte les mouvements extraordinaires, les extases de ces prétendus inspirés. Mais :

  1. Il est fort possible que toutes ces choses soient des fourberies, comme on en a découvert plusieurs.
  2. Ce peut être l’effet d’une forte imagination, qui fait bien faire des choses.
  3. Peut-être aussi que c’est une maladie, mais cela seul ne prouve point l’inspiration.

Vous me dites qu’il n’est pas raisonnable de restreindre les dons de Dieu à un certain ordre de gens, et que c’est ce qu’on fait, lorsqu’on restreint le don d’enseigner, aux ministres ; que l’Esprit de Dieu souffle où il veut Jean.3.8. Mais :

1. Nous n’avons jamais pensé de restreindre les dons de Dieu à un certain ordre. Nous savons que Dieu peut faire ce qu’il lui plaît, et qu’il accorde même quelquefois d’excellents dons à des personnes de basse naissance, et qui ont les plus viles occupations. J’ai connu des artisans, qui avaient le don de la prière, d’une manière qui me surprenait. Il y a des femmes et des filles qui ont ce don. Mais de tous ceux que j’ai pu connaître, qui ont ce don, aucun ne s’est cru inspiré ; et au reste, nous ne croyons pas que vos gens aient des inspirations, et le don de prophétie.

2. Nous distinguons les dons, des charges établies dans l’Église. A l’égard des dons, Dieu peut les accorder à qui il lui plaît ; mais personne ne se doit ingérer de sa propre autorité à être pasteur. Nous distinguons aussi beaucoup le don de prophétiser, c’est-à-dire, d’expliquer les Écritures dans leur véritable sens, d’avec des rêveries, qu’on débite sous le nom d’inspirations.

Vos gens, dites-vous, remarquent que l’Écriture est une lettre qui tue, et un ministère de mort, et de condamnation (2 Corinthiens 3.6-7) à moins que l’on ait une inspiration intérieure ; que c’est là la voix de Jésus-Christ, que ses brebis entendent (Jean 10.27). Mais :

1. Ils entendent mal le passage de st. Paul, qui ne parle ici que du ministère de la loi, comparé avec le ministère de l’Évangile, et du ministère extérieur de cette loi, séparé de la grâce intérieure. Le ministère légal était un ministère de Lettre, qui commandait seulement ; mais qui n’aidait point à faire ce qu’il commandait, et qui n’était pas accompagné de l’Esprit ; au lieu que le ministère évangélique est un ministère de l’Esprit, parce que Dieu accompagne ce ministère de son Esprit. Ainsi le ministère légal était un ministère de mort, non en soi-même, mais par la corruption des hommes, qui ne pouvaient pas l’accomplir.

2. Nous ne rejetons point l’opération intérieure du Saint Esprit ; mais nous distinguons cette opération d’avec ce qu’on appelle inspiration. Nous voulons bien écouter la voix de Jésus-Christ ; mais nous ne croyons point que les enthousiasmes de vos gens soient la voix de Jésus-Christ. Cette voix c’est l’Évangile. Ils citent un passage Jérémie 31.14 qui prédit que tous seront enseignés de Dieu ; et ils disent que ceux qu’ils inspire sont particulièrement enseignés de Dieu ; et que st. Paul dit expressément Hébreux 8.10-11 que sous le Nouveau Testament « chacun n’enseignera point son prochain, parce qu’ils connaîtront tous Dieu », qui imprimera ses lois dans les cœurs. Ils citent encore ce que dit st. Jean que « l’onction nous enseigne toutes choses (1 Jean 2.27). » Mais il est clair :

1. Que le but de Jérémie est de montrer que sous le Nouveau Testament on n’aurait pas besoin de tant d’instructions comme sous l’Ancien Testament, parce que la connaissance serait beaucoup plus grande ; ce qui ne signifie pas pourtant que le ministère ecclésiastique ne soit plus nécessaire, car s’il fallait tirer cette conséquence, st. Paul et st. Jean n’auraient pas écrit des lettres, établit des ministres dans les Églises ; et d’ailleurs si cette conséquence était légitime elle prouverait qu’il ne serait pas nécessaire non plus que Dieu inspira de certaines gens, car tous le seraient ; ainsi cela ruine tout le système des enthousiastes. Ce que je dis du passage de Jérémie, je le dis du passage de st. Paul aux Hébreux et de celui de st. Jean

2. J’avoue que ceux que Dieu inspire sont particulièrement enseignés de Dieu ; mais cela n’empêche pas qu’on ne puisse dire que les vrais fidèles, à qui il a donné sa connaissance, ne soient enseignés de Dieu, quoiqu’il les enseigne par le ministère des hommes, parce qu’il imprime par son Esprit les vérités que les pasteurs annoncent, dans les cœurs de ceux qui les écoutent.

3. Dieu promet bien aux fidèles du Nouveau Testament qu’ils seront enseignés de lui, mais il ne promet pas que ce sera par des inspirations immédiates.

4. Enfin nous ne voyons point que vos gens disent des choses qui nous fassent voir croire qu’ils sont inspirés comme je l’ai déjà dit plusieurs fois.

Ils disent encore que pour entendre bien les Écritures il faut être animé du même Esprit, dont ont été animés ceux qui les ont données ; que l’Esprit qui a dicté les Écritures, a été extraordinaire, et qu’il les a inspirées par des mouvements et des ravissements extraordinaires ; qu’ainsi pour les bien entendre, il faut sentir les mêmes mouvements, et que c’est ce qui est marqué Apoc.11.19 par ces éclairs, ces tonnerres qui sortaient du temple.

Mais il est absolument faux, qu’il faille, pour entendre l’Écriture, que l’Esprit de Dieu excite les mêmes mouvements qu’il a excités dans les prophètes. Il est nécessaire que le même Esprit nous éclaire, mais non pas de la même manière. A l’égard du passage de l’Apocalypse, il faut être bien destitué de preuve, pour en faire une telle application : les éclairs et les tonnerres signifient les signes de la colère de Dieu, qui doit se faire sentir aux impies, surtout au dernier jugement ; et on peut entendre par ce temple ouvert, la glorieuse manifestation de l’état heureux de l’Église triomphante, dont la gloire est encore cachée.

Ils disent qu’à la vérité la parole de Dieu est le moyen ordinaire de la conversion des peuples ; mais qu’il y a des moyens extraordinaires. Personne ne le nie, par exemple les apparitions qu’avaient les pères de l’Ancien Testament, la vocation d’Abraham, celle de st. Paul, les fléaux dont Dieu visite les hommes, des exemples particuliers de sainteté, les peines qu’on inflige aux méchants, la patience des martyrs, peuvent être appelés des moyens extraordinaires ; mais nous ne croyons pas qu’il soit nécessaire que Dieu inspire encore les hommes, pour en convertir d’autres. Dieu le pourrait s’il voulait, et il est l’auteur de bonnes pensées que nous avons, mais il ne s’ensuit pas que tous ceux qui ont de bonnes pensées, doivent être regardés, comme des prophètes inspirés.

Mais, dit-on, comment est-il possible que de pauvres idiots sachent tant de choses ? Je pourrais répondre que des fièvres chaudes ont fait souvent dire des choses extraordinaires. Lucien parle de certains malades qui récitaient une tragédie sans l’avoir jamais apprise, après leur fièvre. Monsieur Lamotte le Vayer parle d’un homme qui en dormant répondait à tous les questions qu’on lui faisait, dans quelque langue qu’on lui parlât ; mais sans en venir là, je dis :

1. Que nous ne savons ces belles choses qu’on fait dire à des idiots, que par des gens, qui se sont laissés surprendre, comme je l’ai dit.

2. Que plusieurs personnes nous ont assuré, que ce qu’ils avaient entendu, était un affreux galimatias.

3. Que d’autres nous ont appris qu’il y en avait, qui avaient eu l’audace de s’appliquer le témoignage que le Père rendait à son Fils : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le » ; et cela peut-être à l’imitation de Tennhard dont j’ai déjà parlé.

Une personne d’honneur, et d’une probité qui était reconnue m’a dit :

1. Qu’une de ces prétendus inspirées, étant enceinte d’un homme qui n’était point son mari, dit qu’elle était enceinte du Saint Esprit, et qu’un grand prophète naîtrait d’elle ; mais qu’elle accoucha d’une fille.

2. Que la même étant en prison fit savoir que le Saint Esprit lui avait révélé, que l’Église serait délivrée ; mais qu’il fallait pour cela une somme d’argent considérable ; et que ses partisans amassèrent 5000 livres, après quoi elle s’est moquée de ceux qui ont été assez simples pour contribuer cet argent.

Mais enfin me direz-vous : « Quel mal y a-t-il qu’il y ait des gens qui se croient inspirés ; il semble qu’il n’y en est pas plus qu’à laisser des fous dans leur folie, » ajoutez-vous, en supposant que ce soient des fous. Je ne suis pas dans cette pensée :

1. Je suis persuadé qu’il y a beaucoup d’imposteurs parmi ces gens-là, qui méritent d’être châtiés, s’ils sont connus, parce qu’il peuvent faire beaucoup de crimes, en disant à des idiots, que l’Esprit de Dieu veut qu’ils les fassent.

2. Je remarque que c’est là une maladie contagieuse. Plusieurs de ceux qui fréquentent ces gens-là, ne tardent pas de se croire peu de temps après inspirés ; et dès lors ils n’écoutent plus rien.

3. Dès qu’une personne se croit inspirée, elle prend toutes ses rêveries, ses songes, ses imaginations pour des inspirations ; elle ne veut plus se soumettre à aucun ordre, ni à aucun magistrat, ni à aucun presbytère. N’est-ce pas là un grand mal ?

4. En souffrant de tels inspirés, par là on donne lieu à divers fanatiques de semer leurs erreurs, et des hérésies, et à divers séditieux de troubler l’État et l’Église. On donne lieu aux ennemis de la vérité de blâmer notre religion.

5. Il est du devoir des serviteurs de Dieu de ne souffrir pas qu’on appelle inspirations du Saint Esprit, des rêveries, des blasphèmes, des hérésies.

6. On cause une grande confusion dans l’Église, ou pourtant Dieu veut que toute chose se fasse avec ordre.

7. On donne lieu aux gens de se séparer de l’Église, et d’élever autel contre autel.

Enfin on ne saurait ignorer les désordres qu’ont toujours causé les fanatiques. Qu’on se rappelle les folies et les fureurs des anabaptistes et des prétendus enthousiastes de Munster ; qu’on lise les horribles choses, qu’on commis ces fortes de gens dans le siècle de la Réformation ? Qu’on rappelle ce qu’on lit d’un Nicolas Storck, d’un Thomas Müntzer, qui surprit Luther, lequel le recommanda au Duc de Saxe ; mais qui s’en repentit par ensuite. Ce Müntzer faisait de fortes exhortations ; mais que de désordres n’a-t-il pas causé dans l’Allemagne ?

On nous objecte Nicolas Drabitius, née à Strasnitz dans la Moravie qui ayant été ministre fut suspendu du ministère pour une conduite un peu irrégulière ; mais qui cru être devenu prophète, et qui à ce qu’il dit, et que Comenius rapporte, une vision le 23 février 1638, qui lui promit en général de grandes armées du Septentrion et de l’Orient lesquelles opprimeraient la Maison d’Autriche. Il en eut une autre le 23 janvier 1643, qui marquait que Rákóczi commanderait l’armée qui viendrait de l’Orient ; et cette vision ordonnait à Drabitius de faire savoir à ses frères, que Dieu les allait rétablir dans leur pays, et venger les injures faites à son peuple, et qu’ils eussent à se préparer à la délivrance par jeûnes et par oraisons. Il en eut une une autre au mois de février 1644, qui assura Drabitius que les troupes impériales ne feraient point périr les réfugiés. Mais on doit savoir :

1. Que les troupes impériales firent cependant un grand ravage sur les terres de Rákóczi, pillèrent la ville de Leibnitz, en assiégèrent et prirent le château.

2. Que Drabitius qui avait eu ordre, à ce que dit Comenius, d’aller signifier à Rákóczi au mois d’août 1645 que le ciel l’avait choisi pour roi de Hongrie ; mais à condition qu’il renverserait la domination autrichienne, et la papale, au lieu que s’il refusait d’attaquer cette engeance de vipères qu’il attirerait sur sa maison une ruine générale ; ce même Drabitius eut la douleur de voir ce prince mort, lorsqu’il en attendait tout ; de sorte qu’il put voir, que ces prétendues révélations n’étaient que de la fumée.

Il est vrai que George Rákóczi, frère du défunt, fit une irruption dans la Pologne, et que l’empereur Ferdinand III mourut ; mais on doit savoir que Rákóczi se perdit par cette irruption ; et l’on élut le roi de Hongrie, en la place de Ferdinand III son père ; élection qui a remis la maison d’Autriche dans son premier éclat. Ainsi les espérances qu’on avait fondées sur ces deux événements, furent bientôt dissipées, et on reconnu la fausseté des prédictions de Drabitius.

Comenius dit que le prince n’avait pas suivi les ordres du voyant, parce qu’il était entré en Pologne sans un avoir eu l’agrément des Turcs. C’est ainsi que les inspirés, ou se disant tels, ne manquent jamais d’échappatoire. Il y a toujours quelque clause, à quoi l’on avait pas fait attention, et ainsi l’on se ménage toujours une porte de derrière, et une ressource pour recommencer à prédire sur de nouveaux frais. Si Rákóczi avait accompli les conditions prescrites, et que son expédition eut été infructueuse, on aurait trouvé quelque autre échappatoire ; et si l’entreprise de Rákóczi avait été heureuse on aurait eu nul égard à cette inobservation des conditions. Ceux qui cherchent la pierre philosophale en usent à peu près de même, et ils se trompent ainsi, et ils trompent les autres.

Ce Comenius dont j’ai parlé, et qui a fait imprimer les visions de Kotterus, de Christine Poniatovia, et de Drabitius, avait prédit aussi que le règne de mille ans commencerait l’an 1672. Monsieur de Labadieq avait osé dire qu’il commencerait l’an 1666, mais tous deux sont morts sans avoir vu l’accomplissement de leurs vaines prédictions.

q – Jean de Labadie (1610-1667), prêtre qui devint pasteur calviniste, mais qui tomba ensuite dans le mysticisme.

On objecte encore Christophe Kotterus, dont Comenius a publié aussi les visions. Mais sans vouloir entrer dans l’examen de ce livre, que je n’ai pas le temps de relire :

Comenius rapporte qu’en voyageant avec Kotterus cet homme dit qu’il savait par révélation, qu’il se tiendrait un concile de toute la chrétienté, où l’on déposerait le pape, et où l’on ferait un canon, qui défendrait à toute personne d’usurper jamais le titre d’évêque universel, mais qu’il n’avait pas eu un ordre de l’écrire. Cette prédiction n’a pas eu son accomplissement. Il est vrai qu’on dira que ce qui n’est pas encore arrivé, pourra encore arriver dans la suite ; mais en attendant, on n’a pas raison de croire qu’un homme qui a débité cette prédiction soit un prophète.

D’ailleurs, c’est une chose certaine que l’événement a montré la fausseté des prétendues révélations de Kotterus et de Christine Poniatovia ; et les Églises polonaises, après avoir examiné les prédictions de Kotterus et de Christine Poniatovia, les condamnèrent à la suppression. Des présages de bonheur pour l’Électeur Palatin, et de malheur pour l’Empire, se sont trouvés faux.

Ce sont là les pensées que j’ai sur les prétendus inspirés, et sur ceux dont vous me parlez, et sur d’autres que j’ai vus, et entendus. Je sais bien qu’elles ne feront aucune impression sur ceux qui croient l’être véritablement ; car qui pourrait faire changer de sentiments à une personne, qui se croit possédée par l’Esprit de Dieu ? Ils seraient pourtant avisés de bien examiner la chose :

1. Parce qu’il est fort possible qu’ils se trompent, du moins la chose n’est pas impossible, puisque plusieurs ont reconnu leurs erreurs, et sont revenus de leur folie, comme ils l’ont dit eux-mêmes, quand ils ont vu qu’on les a méprisés.

2. Parce que par leurs prétendues inspirations, ils trompent plusieurs personnes, ils font tourner la cervelle aux uns, et font croire des erreurs aux autres. Ils donnent lieu à des séditieux et des hérétiques de troubler l’État et l’Église, et à des gens qui sont fainéants de vivre dans une crasse oisiveté.

3. Parce que c’est offenser Dieu, et outrager son Esprit, que de lui attribuer des pensées peu dignes de lui.

4. Parce qu’ils engagent ceux qu’ils trompent, à donner de l’argent qui serait mieux employé, lorsqu’il serait donné aux pauvres.

Une personne de qualité, qui n’a pas du bien, m’a assuré que si elle avait voulu donner dans les visions, et dans les pensées de certaines gens, elle en aurait retiré beaucoup d’argent.

Si ceux, qui se croient de bonne foi inspirés, aiment véritablement le Seigneur Jésus, ils ne feront pas difficulté d’examiner plus sérieusement la chose, d’autant plus que troublant, comme ils font, le bon ordre de l’Église, ils doivent craindre les jugements de Dieu. Je le prie de tout mon cœur, qu’il agisse en eux puissamment par son Esprit.

Mais si mes réflexions ne font aucun effet sur eux, j’espère de la grâce de Dieu, qu’elles ne seront pas inutiles à ceux qui souhaitent de savoir le sentiment de nos Églises, et qui ont un vrai désir de faire leur salut, et de connaître ceux qui sont véritablement envoyés de Dieu. Je suis très sincèrement, Monsieur,

votre très humble et très obéissant Serviteur,
Bénédict Pictet.

P. S

Dans le temps qu’on achevait d’imprimer cette lettre, on a appris que, comme un jour une demoiselle disait qu’elle ne croirait jamais que ceux qui ont fait des massacres, et débité tant de mensonges, fussent inspirés de l’Esprit de Dieu ; qu’elle croirait plutôt, qu’ils sont animés par l’esprit du démon, qui est meurtrier et menteur dès le commencement, un de ces prétendus inspirés eut la hardiesse de dire, non seulement que l’Esprit de Dieu commandait de tuer, mais encore que Jésus-Christ avait dit des mensonges. Quel horrible blasphème contre celui qui est la vérité même, et qui n’a jamais connu de péché, dans la bouche duquel il n’y a jamais eu de fraude.

Pour soutenir un tel blasphème qui doit faire horreur aux gens de bien, cet homme abusait de certains passages de l’Écriture, en quoi il faisait voir sa crasse ignorance.

Il objectait ce que Jésus-Christ dit Luc 19.27 où il propose une parabole d’un roi qui voyant que plusieurs ne voulaient pas qu’il régnât sur eux, fit ce commandement : « Amenez-moi mes ennemis, qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, et égorgez-les en ma présence. »

Mais qui ne voit que Jésus-Christ veut marquer, et prédire par ces paroles ce qui arriverait aux Juifs, qui le rejetteraient, et ce qui est arrivé ensuite dans le siège de Jérusalem ; et qu’on ne saurait excuser par ce passage les meurtres qui se sont commis par des particuliers. Dieu n’a mis l’épée qu’entre les mains des puissances de la terre, qui ne doivent pourtant pas en abuser.

Combien de maux n’arriverait-il pas dans le monde, si notre vie dépendait d’un fanatique, qui s’imaginant que l’Esprit de Dieu veut qu’il tue de certaines gens, les irait tuer sans miséricorde ?

Il objectait encore de certains passages, où Jésus-Christ dit, qu’il ne montait pas à la fête, quoiqu’il y montât ensuite, qu’il est au monde, et que son règne n’est pas de ce monde ; qu’il avait fait des choses, quoiqu’il ne les eut pas encore faites. Mais cet homme devait considérer :

1. Que quand Jésus-Christ dit, Jean 7.8 qu’il ne montait pas à la fête c’est pour marquer qu’il n’y montait pas encore, ce qui paraît, parce qu’il ajoute, que son temps n’était pas encore venu.

2. Que Jésus-Christ était au monde véritablement, lorsqu’il le disait, puisqu’il prêchait sur la terre, et que son royaume n’était point de ce monde, car il ne régnait pas comme les autres rois, son royaume était tout spirituel.

3. Enfin que Jésus-Christ dit qu’il avait fait ce qu’il devait faire certainement, et peu de temps après, selon le langage des orientaux. Ainsi c’est un blasphème de dire que Jésus-Christ a proféré des mensonges.

Je prie le Seigneur, qu’il ramène ces prétendus inspirés de leurs égarements, qu’il leur fasse comprendre, qu’il ne sont point inspirés de l’Esprit de Dieu, afin qu’ils n’abusent plus les faibles, qui se laissent aisément tromper, et qui sans examiner les choses croient tout ce qu’on leur dit, pourvu qu’on prenne un ton de prophète, et qu’on parle avec emphase. Je prie le Seigneur qu’il nous donne à tous son Esprit, qu’il éclaire ceux qui sont dans les ténèbres, qu’il affermisse ceux qui chancellent, et qu’il ramène les égarés, et qu’il imprime sa crainte dans tous nos cœurs.

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