François Coillard T.3 Missionnaire au Zambèze

II
de léribé à mangouato
1884

Composition de la caravane. — A Bethléem. — Traversée du Vaal. — Dans les marais. — Prétoria. — Le général Joubert. — Traversée du Limpopo. — Béthanie. — Saul’s Poort. — Les tourbières. — La médecine contre l’inquiétude. — Toujours la pluie. — Les chevaux et les bœufs meurent. — Arrêtés par le Marico. — Lutte avec Dieu. — Égaré dans les fourrés. — Un dimanche paisible. — Arrivée d’Aaron. — A Mangouato. — Khama. — La boîte qui chante. — A Séléka. — Retour à Mangouato. — Lettre de Léwanika.

La caravane, qui quittait Léribé le 2 janvier 1884, se composait, outre M. et Mme Coillard, Mlle Élise Coillard et M. Jeanmairet, de deux artisans : l’un, Middleton, était un Anglais de vingt-sept ans ; à Natal, après avoir entendu Coillard, revenant d’Europe, parler de ses projets, il avait offert ses services au missionnaire. L’autre artisan était William Thomson Waddell, Écossais, menuisier-ébéniste, très bon ouvrier. Il avait vingt-quatre ans lorsqu’il s’engagea au service d’un entrepreneur pour travailler à la construction d’un temple à Bethléema.

a – Localité dans l’État libre d’Orange, au nord de Léribé.

« A notre passage à Bethléem, raconte Coillard, nous eûmes une réunion, Waddell était là. Il fut remué, lui aussi, mais il était lié par des engagements. Son patron, apprenant son désir, le délia ; ses parents donnèrent leur consentement et, un beau jour, il vint d’un trait à Léribé pour s’offrir à nous. »

M. et Mme Frédéric Christol, qui étaient partis d’Europe avec Coillard, durent, par suite de circonstances personnelles, renoncer à se rendre au Zambèze ; ils restèrent au Lesotho. Ce ne fut pas sans douleur qu’ils se séparèrent de l’œuvre du Zambèze, « mais, écrit M. Christol, nous remercions Dieu de nous avoir mis sur la route de ce conquérant d’âmes. »

L’expédition comptait aussi des noirs : Lévi, un des bons évangélistes de Morija, le fils d’un des premiers Bassoutos convertis à l’Évangile sur cette station, « un jeune homme intelligent, d’une grande égalité de caractère, sobre dans ses paroles, comme dans ses habitudes. Il fait bien ce qu’il fait, mais il n’a pas beaucoup d’initiative. La femme de Lévi est toute jeune et de peu d’expérience. » Ésaïe, un jeune Mossouto de Béthesda : « Depuis sa conversion, dit de lui M. Jeanmairet, il a toujours désiré donner quelque chose en retour à Celui qui a tout fait pour lui. C’est un homme énergique et qui, nous l’espérons, se rendra très utile à notre mission. » Jonathan, Mopédi converti à Léribé par Coillard et qui s’était voué à l’évangélisation des Bapédis ; en 1874, avec Asser, il avait exploré le pays des Banyaïs, et en 1875, il avait été remis par la Conférence du Lesotho à la Mission romande. Deux Zambéziens, Séajika et Karoumba, qui avaient été amenés à Morija et laissés là par Coillard durant son séjour en Europe. Enfin, Philippe, Joël, Jacob, Mapoto, Joseph, Ézéchiel, Pampanyané, Mokopané, etc., étaient chargés de conduire les wagons : comme drivers, assis sur le siège, ils maniaient un immense fouet, ou, comme leaders, ils marchaient devant l’attelage.

Quatre wagons tirés chacun par seize bœufs et un tombereau (scotch-cart) tiré par huit bœufs, quelques bœufs de réserve, sept chevaux envoyés en cadeau par le chef Jonathan à Khama, chef des Bamangouatos, et à Léwanika, roi des Barotsis, quelques chevaux de selle et de nombreux animaux domestiques, complétaient la caravane qui, par Prétoria et Mangouato, s’acheminait vers le Zambèze.

Bethléem, lundi 7 et mardi 8 janvier 1884b. — Nous avons atteint une étape, la première de notre long voyage. On nous a fait ici un accueil bienveillant. Je me suis occupé des bagages que nous avons fait venir de Natal, de quelques emplettes et surtout de la réparation d’un des wagons, que l’excès de charge avait endommagé. Journée fatigante. Les trois hommes de Léribé, qui nous ont accompagnés jusqu’ici, sont partis. C’est le dernier câble qui se brise, et nous voici lancés en pleine mer, mais Jésus, notre pilote, est là, donc pas de peur.

b – Toutes les citations de Coillard qui ne sont ni guillemetées, ni indiquées comme extraits de lettres, sont empruntées à son journal intime.

Mercredi 9 janvier 1884. — A une heure tout était prêt et nous allions partir. En attendant les bœufs, un des garçons s’était couché, à l’ombre, sous la voiture du gros bagage, quand il remarqua tout à coup que la flèche en était brisée. Force fut d’appeler le maréchal. Cela nous retarda jusqu’au soir. Plusieurs amis étaient là. Les bœufs attelés, nous chantâmes un cantique, nous nous agenouillâmes, je priai en sessouto ; un ami, dans une prière émue, nous recommanda à Dieu, et nous partîmes.

Jeudi 17 janvier. — Jeanmairet nous a réveillés au son du clairon, à 4 heures. Mais nos gens étaient tellement endormis que j’eus mille peines à les réveiller.



D. Jeanmairet (1856-1942)

Vendredi 18 janvier. — Aujourd’hui, nous nous étions préparés à traverser le Vaal. Suivant les ordres que je lui avais donnés, Ésaïe, dès 3 heures du matin, avait fait paître les bœufs. A 5 heures précises, Jeanmairet sonnait le clairon. On n’y fit guère attention, et je dus moi-même, comme hier matin, me lever et aller réveiller mes gens l’un après l’autre. Je me sentais très contrarié. Je me vainquis pourtant. On prépara une grande bouilloire de café, je fis une distribution de pain européen, puis la prière de famille accompagnée d’une exhortation toute paternelle, et nous nous mîmes en branle de bon cœur. Au bout de trois quarts d’heure nous étions au gué. Qu’il était affreux, ce gué qu’on nous avait tant vanté ! Le wagon des bagages s’y enfonça dans les sables jusqu’au moyeu ; nous ne le sortîmes qu’à 2 heures après midi et encore ne fut-ce qu’après avoir déchargé et transporté la moitié de nos bagages en tombereau. Le temps est à la pluie. La rivière enfle. Il fait presque froid. Nous nous recroquevillons de notre mieux dans notre voiture. Mais elle est si pleine qu’on n’y est pas à l’aise.

Lundi 21 janvier. — Après la pluie d’hier, la journée d’aujourd’hui s’annonçait belle. Le ciel était serein, le soleil radieux. Nous n’avions pas été loin quand nous dûmes traverser un méchant ruisseau. Nous ne prévoyions aucune difficulté. Mon wagon passa légèrement. Celui des bagages était aussi en train de bien franchir le mauvais pas, quand une clé de joug brisée, un rien, nécessita un arrêt. Cela suffit : le wagon s’embourba à vue d’œil. On eut beau rouer de coups les attelages doublés, inutile. La ferrure du train se cassa et, pour éviter un accident plus grave, nous déchargeâmes et charriâmes à dos tous nos bagages. Et même alors nos trente-quatre bœufs eurent de la peine à tirer le wagon vide. Il était 10 heures du soir.

Mardi 22 janvier 1884. — Nous dûmes recharger les bagages. Nous ne partîmes qu’après 10 heures, et passâmes à la ferme d’un M. Maclay ; sa femme et sa belle-sœur nous reçurent avec empressement. Bientôt un autre ruisseau, semblable à celui de la veille, nous barrait le chemin. J’avais donné mon propre attelage pour le wagon des bagages. Joël sortit triomphalement et se frottait les mains de joie. Malheureusement, nous ne nous étions pas aperçus que nous avions un marais devant nous. Là, encore, l’infortuné wagon s’embourba comme la veille, mais si bien, qu’après avoir abîmé les bœufs de coups, il nous fallut encore le décharger. Nous étions épuisés. Quatre attelages ne pouvaient faire bouger la voiture. Pendant que nous étions à batailler, M. Maclay passa à cheval et, sans mettre pied à terre, nous donna d’excellents conseils que nous n’avions pas demandés. Un Allemand que nous avions tiré d’un mauvais pas au Vaal, était aussi là, perché sur sa monture, la pipe à la bouche, à une distance respectueuse. Parlez-moi des professions de serviabilité quand cela ne coûte que des paroles ! Nous laissâmes paître nos bœufs toute la nuit. Les pauvres bêtes étaient fatiguées. De grand matin on les chercha, pas de bœufs. On battit le pays dans toutes les directions, à pied, à cheval, on les trouva enfin. Ils avaient voulu nous prouver qu’on voyage lestement sans bagages. Le soir nous arrivions à Heidelberg.

Mardi 29 janvier. — Hier nous avons eu une belle journée, pas de difficultés, et tout le monde était très heureux. Nous avons pu traverser rapidement deux affreux marais.

Prétoria, mercredi 30 janvier. — Arrivés à 11 heures du matin. Où dételer ? Après tout, le voisinage de la prison me paraît être le plus hospitalier et, comme en 1877 et en 1879, nous y plantons nos tentes.

« Prétoria, c’est une date à marquer. Quand on a déjà vécu quelques semaines à la bohémienne, qu’on a le Vaal derrière soi et qu’on se trouve ici, on commence à comprendre qu’on est sérieusement en route. De loin, il serait possible d’entourer nos aventures d’une auréole de poésie. Nous, nous sommes blasés et nous n’avons plus l’élasticité d’il y a quelques années.

Notre expédition actuelle diffère sensiblement de la première. Il y a sept ans, nous étions portés par un courant d’enthousiasme qui nous rendait tout facile ; tous ceux qui nous accompagnaient, à peu d’exceptions près, faisaient partie de la mission et partageaient, en quelque mesure, ma responsabilité. Aujourd’hui, l’enthousiasme s’est calmé en France comme au Lesotho ; notre personnel se compose presque entièrement d’hommes, dévoués sans doute, mais dont nous payons fort cher les services et qui n’ont aucune responsabilité. Ésaïe et Lévi sont les seuls qui se soient donnés à la mission. Mais ce dernier, incapable de manier le fouet, n’est guère qu’un passager avec sa famille. Du reste, je me hâte d’ajouter qu’il eût été difficile de choisir un meilleur personnel. Tous nos hommes, à une ou deux exceptions près, font profession de connaître et de servir Dieu.

Nous avons une grande variété d’échantillons de caractères. L’un est sérieux, presque mélancolique et taciturne ; l’autre, causeur, plein d’entrain et pétillant d’esprit. Celui-ci doux et soumis, celui-là énergique et plein d’initiative. Pendant ces six semaines de voyage, nous nous sommes bien étudiés les uns les autres, et la conclusion à laquelle, pour ma part, je suis arrivé c’est que chacun a, non pas seulement, comme on le dit, les défauts de ses qualités, mais aussi les qualités de ses défauts. Avec un peu de bonne volonté, on peut aisément le reconnaître. Il a fallu coordonner les éléments divers qui composent notre caravane, chose d’abord assez difficile. Pour ne parler que d’une chose très prosaïque, qui joue un grand rôle dans notre vie, la nourriture : l’un ne peut pas manger du pain de millet froid, l’autre prétend que le maïs lui fait mal à l’estomac, un troisième assure même que la farine de froment le rend tout à fait malade ; la viande de porc ne convient pas à l’un, le lait caillé pas à l’autre. Que faire ? On ne peut ni brusquer ces braves gens, ni se laisser gouverner par tous leurs caprices. Le fait est que, maintenant, tous se sont mis au pas, moi comme tout le monde, je suppose, et, n’étaient les dépenses qui me hantent comme un horrible cauchemar, la tâche serait assez facile. »

Coillard obtint du gouvernement d’être exempté de tous droits de douane, mais ces négociations le retinrent à Prétoria ; il profita de ce séjour forcé pour y avoir une réunion où l’on devait parler de la Mission. Ce fut la première qui eut lieu dans cette ville ; elle fut présidée par le général Joubert. La salle était pleine. Celui-ci introduisit Coillard, puis, après que M. Jeanmairet et le pasteur hollandais eurent parlé :

M. Joubert se leva et, dans un discours impétueux, exposa les vues des Boers et du gouvernement en particulier. Lui aussi fut fort applaudi. Il développa avec feu sa thèse que les Boers ne sont pas opposés à l’œuvre des Missions, qu’il y a sans doute de bons missionnaires, mais qu’il y en a aussi de mauvais qui cachent la politique sous l’échafaudage de l’Évangile et qui amènent le désordre dans les rapports entre blancs et noirs.

« Un courant bienfaisant passa sur nous et la réunion fut une des meilleures que j’aie eues en Afrique. Et cela à Prétoria ! la prison de notre première expédition. Dieu est admirable, car c’est lui qui tient les cœurs des grands dans sa main et les incline comme des ruisseaux d’eau. »

Notre camp a fait sensation à Prétoria et beaucoup de gens sont venus nous saluer simplement pour le voir. Le lundi 11 février, nous sommes partis à 5 heures du soir. Au sortir de la ville un orage épouvantable nous surprit qui nous trempa et nous força à nous arrêter.

Hébron, mercredi 13 février 1884. — Pas d’herbe. Nos gens sont de mauvaise humeur. Et, pour comble de misères, Ézéchiel lance le scotch-cart contre un rocher et brise le timon. Nous voilà donc arrêtés. C’est heureusement près d’un village. Je parvins à acheter un vieux morceau de bois et le lendemain nous rapiéçons le tombereau. Mais un second bœuf a le redwater (hématurie), on le tue pour l’empêcher de mourir et on le dépèce. Comment songer à partir après cela ? Il était 5 heures quand nous attelâmes.

« Le passage du Limpopo (15 février) ne s’est pas effectué sans aventures. Ma voiture et le fourgon des bagages avaient si bien descendu et gravi les berges de ce méchant fleuve que toutes mes craintes se dissipèrent. Je pris donc mon appareil photographique, je le braquai, guettant le passage des deux autres wagons qui généralement ne nous donnent guère d’embarras. Je trouvais la vue ravissante. A défaut de crocodiles, au premier plan, nous aurons un wagon avec des bœufs qui nagent. Les cornes de ceux-ci apparaissaient déjà, quand ma femme, hors d’haleine, me crie d’aussi loin qu’elle le peut : « Viens ! viens vite ! le tombereau s’est renversé ! » Bon ! J’ouvre et je ferme mon objectif à la hâte. Cinq minutes de course, à travers les fourrés de mimosas où je laisse quelques lambeaux de mon habit, et j’arrive au bord d’un petit bras de la rivière. Là, dans un prétendu gué, extrêmement profond, je trouve la carriole culbutée. Pampanyané, le conducteur, les mains dans les poches, la figure longue, était là, tout interdit, mesurant d’un regard mélancolique la grandeur du désastre. Il ne savait que faire. Se jeter dans l’eau, sortir la farine, la literie de ma nièce, les bagages déjà tout trempés, le sucre à moitié fondu, remettre la charrette sur ses pieds et la sortir, ce fut l’affaire de quelques instants. Hélas ! elle s’était brisée les côtes, elle n’était plus neuve. Mais nous n’avons pas le temps de nous apitoyer, car voilà les deux wagons qui suivent ensablés. La nuit nous surprit travaillant encore comme des forçats. Plus tard, au coin du feu, nous nous racontions assez gaiement cette aventure.

Déjà à Léribé, nous nous étions engagés à ne plus prendre de sucre dans notre café, dès que nous aurions traversé le Limpopo : « Nous jetterons le sac de sucre dans la rivière », disions-nous en plaisantant. Et vous voyez que nous l’avons fait. Personne ne s’en plaint.

Le lendemain (16 février), la pluie tombait avec tant de violence et tant de persistance qu’il nous fallut toute une journée pour faire deux heures de marche et pour arriver à Béthaniec. Il semblait que nous n’arriverions jamais. Nos gens, épuisés de fatigue, avaient le cœur noir ; j’avais autant de peine à les faire marcher qu’eux en avaient à conduire leurs wagons. On aurait dit que chez eux le ressort était forcé. Aussi Saul’s Poort nous apparaît comme un port ardemment désiré. »

c – Station de la mission d’Hermannsbourg.

Béthanie, lundi 18 février 1884. — Nous avons été reçus par M. et Mme Behrens avec une grande cordialité. Il se fait ici une œuvre sérieuse. Les gens sont très respectueux. M. Behrens remarqua, en réponse à une question que je lui fis, que le gouvernement anglais, sous plus d’un rapport, valait mieux que celui des Boers, « car, disait-il, il est plus juste. Mais, ajoutait-il, les Anglais gâtent les natifs. Les natifs ont besoin d’être gardés sous le pouce, et les Boers l’ont compris. C’est bon pour les évangéliser. » Nous avons suivi un autre système au Lesotho. Nous avons voulu faire des hommes, et non seulement ils se croient nos égaux, mais même nos supérieurs. Leurs prétentions les rendent souvent ridicules. C’est ainsi que notre brave Lévi croit qu’il est au-dessous de sa dignité de mettre la main au fouet, ou d’aider au wagon. Toute la journée il est là, trônant sur la caisse de devant de son wagon avec une ombrelle. Y a-t-il une difficulté avec un des wagons, il la contemple de loin et s’il se décide à s’approcher, c’est les pieds nus, sans chapeau, en bras de chemise, mais toujours avec son ombrelle blanche. S’il va dans les champs, c’est toujours avec son ombrelle blanche. Philippe chasse le bétail avec une ombrelle noire. Lui aussi est un caractère spécial. Toutes ces vétilles sont comme les brins d’herbe qui montrent comment souffle le vent.

Depuis que nous avons quitté Béthanie nous voyageons avec une difficulté extrême. Le pays est couvert d’arbustes ; nous longeons les Magalisberg ; une double chaîne de collines, l’une arrondie, l’autre dentelée. A l’Elands River le gué est très mauvais. Il a plu, le sable est profond et mouvant, l’eau coule avec force. De ce côté-ci, la vase et le limon sont tels que, pour empêcher les wagons d’enfoncer et les bœufs de glisser, il nous faut étendre des branches par terre. De plus, le chemin décrit une telle courbe que nous sommes obligés de faire un vrai abatis de mimosas. Tout cela nous retarde si bien qu’à la nuit nous n’avons pu passer qu’avec deux wagons. Ceux de Joël et de Lévi sont restés de l’autre côté de la rivière. Le lendemain matin, la rivière était pleine et coulait furieusement ! Que faire ? Pas de nourriture ni pour nous ni pour nos gens. Le temps était menaçant, la pluie tombait dans les montagnes, la rivière montait toujours : je n’hésitai pas, je levai le camp et, après avoir envoyé café, sucre et biscuits à ceux qui ne pouvaient traverser, nous partîmes pour Saul’s Poort.

Nous croyions y arriver le même jour. Mais Joseph est décidément d’une indifférence et d’un relâchement extraordinaires. Il laisse ses bœufs aller comme ils veulent. Deux jeunes gens, que M. Gonind avait eu la bonté d’envoyer à notre rencontre avec vingt bœufs, se disputaient l’honneur de conduire ma voiture. Bref, ils firent si bien, entre eux tous, qu’ils réussirent dans l’après-midi à quitter le bon chemin et à lancer la voiture dans un affreux marais où elle s’enfonça immédiatement. Je contins la mauvaise humeur que cette négligence me causait. Nous soulevâmes la voiture avec le cric, nous mîmes des pierres dessous, en vain, la voiture enfonça toujours davantage et, en définitive, nous dûmes décharger jusqu’au dernier des colis. Il était 11 heures du soir quand nous dégageâmes la voiture vide. Mais nos bagages étaient là, étalés un peu partout. Heureusement, il ne plut pas de toute la nuit. Le lendemain matin, M. Gonin vint à notre rencontre. L’après-midi enfin, nous arrivions à sa station. Toute la famille, tout le village vinrent au-devant de nous. C’était le 23 février.

d – Missionnaire de l’église hollandaise à Saul’s Poort.

L’accueil qu’on nous fait est des plus chaleureux. Les Gonin nous reçoivent chez eux et nos ouvriers ont place à leur table. Nos noirs aussi sont bien reçus. On leur a cuit une abondance de nourriture. Et pourtant il y a famine ici. Notre séjour est un peu assombri par les pluies et par nos bœufs qui meurent. Nous en avons déjà perdu sept. Toujours le redwater ! Que Dieu nous soit en aide !

Nous devions partir le jeudi 28 février, les pluies nous en empêchèrent. L’eau coulait partout. Mais ce qui était bien plus grave c’étaient les fondrières qui s’étendent sur six à huit lieues sans interruption. On nous prédit que nous en aurions pour trois semaines si jamais nous réussissions à en sortir. A force d’aller aux renseignements, nous découvrîmes qu’il y avait un autre chemin plus long, mais un peu meilleur. Deux jeunes gens s’offrirent pour nous servir de guides. Nous nous consolâmes tristement en tuant encore un bœuf malade.

Lundi 3 mars 1884. — Enfin, nous avons pu partir. A 5 heures du matin tout le monde était sur pied et à 7 heures et demie on se mettait en branle. Notre prière d’adieu, au milieu d’un grand concours d’amis, fut émouvante.

Au commencement tout alla bien. Les chemins étaient défoncés, mais nous avancions tout doucement. Après midi, nous entrions dans la région des fondrières, non sans avoir d’abord plié les genoux devant le Seigneur. Mon wagon qui ne s’arrête jamais, s’embourba pourtant et deux attelages eurent de la peine à le sortir. Vint ensuite celui de Lévi, qui s’enfonça tellement que tous les attelages, même doublés, furent impuissants. Nous travaillâmes tard dans la nuit, mais en vain. Les bœufs qui s’enfonçaient jusqu’au ventre refusaient de tirer, les uns regardaient la voiture, d’autres se couchaient dans le bourbier et se laissaient traîner comme s’ils fussent morts. Force nous fut de camper ainsi, nous sur un endroit un peu sec, Lévi dans le bourbier et les deux autres wagons au delà.

Nos pensées étaient sombres. « Invoque-moi au jour de la détresse, je t’en délivrerai et tu me glorifieras. » La promesse est certaine, c’était là un éclair dans notre nuit. Nous criâmes à Dieu, lui demandant d’envoyer ses anges. Mais sous quelle forme ? Ce n’était pas à nous de le lui dicter. A nous d’attendre, à lui les moyens de la délivrance. Toute la matinée du mercredi fut consacrée à sortir le wagon de Lévi, comme celle du mardi matin l’avait été à sortir celui de Joël.

Nous cherchions un nouveau chemin, quand des hommes survinrent qui demandèrent brusquement à Jonathan où il allait. Il répondit qu’il cherchait un chemin. « Voici du secours pour vous, » dirent-ils, et ils montrèrent trois wagons qu’ils amenaient. Ils vinrent vers moi, en quelques instants ils avaient à moitié déchargé les bagages et rempli leurs voitures. Sur ces entrefaites, arrivaient encore deux hommes à cheval, l’un pour nous guider dans le bon chemin, l’autre accompagné de sept hommes qui amenaient trente-six bœufs pour nous aider. Quelle récompense éclatante à notre prière du matin ! J’en étais tout ébahi. C’étaient les chrétiens de Saul’s Poort qui, ayant appris notre embarras, volaient à notre secours. C’étaient les anges de Dieu que nous avions demandés. Quand l’avons-nous jamais invoqué en vain, ce Père plein de tendresse ?

Le soir nous étions une trentaine à la prière. Comment nourrir tout ce monde ? Voilà encore cette inquiétude d’esprit, cette mauvaise herbe qui infeste tout. Les hommes qui sont venus avec leurs trois wagons parlent de nous conduire loin. Dieu le veuille ! Aujourd’hui nous avons traversé un ruisseau au lit profond et force sables mouvants. Cela nous a pris du temps. Seuls, nous y serions restés plusieurs jours. Le Seigneur est bon.

Dimanche 9 mars 1884. — Nous avons voyagé non sans difficulté. Oh ! ces bourbiers ! des bourbiers partout ! Même avec nos wagons demi-chargés nous nous embourbons. Que serait-ce si nous étions tout seuls et devions, avec nos lourdes charges, traverser encore toutes les fondrières qui sont devant nous ! Nos guides volontaires ont si bien compris la difficulté, que, sans demander notre avis, ils nous font faire de constants zigzags que ma boussole trahit, à leur grand étonnement. Pour éviter un marais que nous n’aurions pu traverser en moins de six ou huit heures, ils nous dirigent sur le Limpopo. C’est presque un angle droit avec notre destination. Qu’importe ! si nous allons maintenant trop à l’est, nous irons bientôt au nord et au nord-ouest et tout rentrera dans l’ordre. Mais moi, qui suis l’homme aux soucis, je me demande, avec inquiétude, ce que mon monde mangera, surtout si la rivière du Marico est pleine. Nous en sommes, en effet, au dernier sac de farine et plus de trente bouches doivent chaque jour y puiser deux repas, sans compter nos pauvres chiens que la faim tourmente. Nos gens pourraient être plus raisonnables, ils pourraient faire ce qu’on fait chez eux quand on a la famine, se rationner, faire une bouillie épaisse au lieu d’un pain dur comme une brique, se cuire du maïs non pilé ou du mabélé. Bon gré, mal gré, il faudra bien en venir là. Ce sera la répétition de l’histoire du sucre. Nous n’avons jamais pu obtenir des natifs qu’ils se privassent de sucre aussi longtemps qu’ils savaient qu’il en restait encore un peu. L’idée du renoncement leur est complètement étrangère, même chez les meilleurs. Quand je disais à Lévi qu’il serait obligé de faire comme nous. « Oh ! me dit-il, d’un air incrédule, ça ne se peut pas, car, pour nous, le café sans sucre, c’est de la médecine. »

Pauvre Lévi ! je l’ai un peu surmené ces temps-ci. Jacob, le conducteur de son wagon, est malade, trop malade pour faire son travail. Peu importe, Lévi trône quand même sur sa caisse avec son ombrelle blanche doublée de vert, avec sa figure ronde et épanouie, sans plus de souci. Les bœufs vont à l’aventure, le wagon se heurte contre les arbres, nos caisses se brisent. « Ce wagon, me dit-il en souriant, si tu ne lui cherches pas un conducteur, il lui arrivera quelque malheur. » C’était d’autant plus provoquant que, depuis que nous avons quitté le Lesotho, je lui prêche de mettre la main au fouet. Il l’a fait une fois, et si gauchement, qu’il s’est poché l’œil et en a été malade toute une semaine. Cet essai lui a suffi. Ésaïe est bien différent de lui. Quel caractère doux et égal ! Comme il a pris sa tâche au sérieux ! L’autre jour il était indisposé. Nous causions. Je me pris à lui demander s’il connaissait le remède contre l’inquiétude d’esprit. « Non, mon père, » dit-il. Le lendemain il était triste et il me dit qu’il avait passé toute la nuit à chercher ce remède et qu’il ne l’avait pas encore trouvé. Je lui citai Philippiens.4.6, et sa figure s’illumina instantanément.

O mon Dieu, quand arriverons-nous ? Il semble que Mangouato s’éloigne de nous. « A combien de jours en sommes-nous ? » me demande-t-on. Il faudrait être prophète pour le dire. Nous pensions y arriver en six semaines, nous n’y serons pas en trois mois. Ce que nous avions prévu nous est arrivé. Des retards sans fin nous ont poussés jusque dans la saison des pluies. Nous n’avions d’autre alternative que de partir quand même ou de renoncer à l’expédition ; depuis Prétoria surtout, les chemins sont si défoncés que nous avons mis deux semaines à faire un trajet de quatre à cinq jours.

Mardi 11 mars. — Hier, à 4 heures et demie de l’après-midi, nous dételions à l’ombre de beaux arbres, sur le bord d’un marais et par une pluie battante. Mais quelle nuit ! A 10 heures, la pluie recommença et elle tomba sans interruption jusqu’à 10 heures ce matin. Tout le pays autour de nous était inondé, notre camp n’était qu’un marais. Ce n’est pas gai d’être enfermé dans un wagon sous une pluie battante, par une température de 30 degrés et quand tous les vêtements mouillés fument. Les bœufs, attachés à la chaîne de leurs jougs, courbaient leur dos sous l’averse et beuglaient ; nos gens, blottis sous les bâches des wagons, enveloppés de leurs couvertures, prétendaient dormir profondément. Je soulevai ma porte de toile, le cœur me défaillit et à ma femme aussi. Mais son œil avait découvert la bordure d’argent du nuage. « Viens voir, viens voir, » me dit-elle tout bas. Esaïe était là, accroupi contre la roue, tout habillé, chantonnant, avec sérieux, un cantique. Dès que ses yeux eurent rencontré les miens, un de ses sourires pleins de franchise illumina sa bonne figure. Et, en un clin d’œil, il était près de moi : « Père, me dit-il, les bœufs beuglent de faim, ne les détellerai-je pas ? » — « Oui, à qui le tour de les paître ? » — « C’est à un de nos jeunes gens, mais il pleut trop, c’est moi qui les paîtrai, » et il partit gaiement. Que je voudrais faire mon service aussi bien ! Il m’édifie, ce brave Ésaïe.

Vendredi 14 mars 1884. — Il faut décidément traverser le marais. Mais, après les pluies de la veille ! On s’apprêtait à atteler, quand on m’annonce que trois bœufs sont malades et sont restés dans les champs. Nous allâmes leur administrer un remède. Cela fait, on attela et nous traversâmes le marais en doublant les attelages. A peine étions-nous désembourbés qu’un des trois bœufs est pris des convulsions de l’agonie et meurt. Nous couchons donc ici pour dépecer l’animal qui est gras et qu’on ne peut pas jeter. Cela me mit le noir dans l’âme. Je réunis mes gens pour leur ouvrir les yeux sur notre position. Il s’agit maintenant, pour eux, de se rationner de farine.

Le lendemain matin, dès 4 heures, Esaïe était sur pied. Le brave garçon était préoccupé de ses bêtes et moi aussi. Je ne dormais pas. Enveloppés tous deux dans nos couvertures, nous fîmes notre ronde. « Ton cheval Zambèze est mort, mon père, » dit-il tristement. En effet, il était là, le noble animal, étendu sans vie. Bon serviteur, je regretterai longtemps ton pas doux, tes allures vives et ta force ! A 6 heures, pendant que nous faisions la prière, un autre bœuf expira et un troisième, au moment où nous nous mettions en branle. Ainsi donc trois bœufs et un cheval ! Quel jour ! Le lendemain, c’était le tour du cheval de Jeanmairet.

Après tout, les chevaux sont un luxe et nous pouvons nous en passer. S’il en survit un seul je l’accepterai comme un don de Dieu. Mais nos bœufs ! Je dors peu et souvent, de jour comme de nuit, je lutte avec le Seigneur. Lévi m’a beaucoup édifié par une touchante prière où il disait à Dieu : « Ce voyage pour lequel on a tant prié, et pour lequel on prie encore, ces difficultés qui nous affligent ne sont rien de nouveau pour toi. Dans tes conseils éternels tu as tout vu, tout prévu. Ce voyage est le tien, il ne saurait être entravé ; ces wagons sont à toi, et tu trouveras le moyen de les envoyer au Zambèze. Ils ne resteront pas ici, tous nos bœufs dussent-ils mourir. » Ésaïe, lui, me réconfortait par l’exemple de Job. « . Et puis, ajoutait-il, Dieu nous visite, tout n’est pas pur chez nous, il y a de l’orgueil, de la désunion, du péché ! » Il a raison.

Au bord du Marico, dimanche 16 mars. — C’est hier, de bonne heure, que nous sommes arrivés à cette rivière, tant désirée, du Marico ; mais je la trouvai pleine et très profonde. Nous voici donc prisonniers et prisonniers à petites rations. La farine de nos gens est complètement finie. Nous avons attaqué ce qui nous reste de farine de blé européen, un sac et demi en tout. Qu’est-ce que cela pour tant de gens ? L’exhortation que je fis à mon monde n’eut pas grand effet. C’est toujours la vieille histoire des Israélites. Il se dit de dures paroles qui me revinrent comme des dards. Joseph et Jacob sont à la tête de ce mouvement de mécontentement, Joseph en est l’âme. Il le porte sur sa figure. Il ne regarde pas en face et ne cause jamais que par insinuation. Je me suis décidé à envoyer notre guide à Mangouato pour demander du secours. Je montais mon cheval Matlabé. Je me doutais peu que ce fut la dernière fois. Cet après-midi on me l’amena malade, une demi-heure après il était mort. Pour me consoler, on m’annonça qu’un bœuf est malade et perdu dans les bois.

Mardi 18 mars. — Hier matin le bœuf était mort. Aujourd’hui, quatre autres sont malades ! Quand on me l’a annoncé mon cœur a défailli. J’ai appelé mon monde à la prière, j’ai ouvert au hasard ma Bible à Matth.6.24. Ce n’était pas le hasard, c’était une voix du ciel. Joël a fait une admirable prière. O mon Dieu soutiens ma foi et mon courage. Je me sens perdre pied ! Hier, nos bons amis de Saul’s Poort nous ont quittés. C’était triste de les voir déposer nos paquets à terre et nous dire adieu. « Ne nous remerciez pas, disait l’un d’eux ; c’est nous qui bénissons Dieu d’avoir pu faire quelque chose, et c’est bien peu. Si seulement nous avions pu vous faire traverser la rivière ! » Nous chantâmes un cantique et ils partirent. La forêt ne nous permit pas de les suivre longtemps du regard. Et j’en fus reconnaissant, car j’avais le cœur gros.

J’allai à la pêche pour me distraire. Il plut, je fus trempé. Le courant était trop fort pour les filets. Nous nous fatiguâmes beaucoup pour rien ; Middleton pouvait à peine manœuvrer le bateau ; dès qu’il baissait la rame, le bateau tournait subitement et était emporté. Un de ces revirements soudains me fit perdre l’équilibre, je tombai à la renverse et me trouvai dans l’abîme. Ma présence d’esprit, humainement parlant, me sauva. Je pus éviter le filet, me cramponner au bateau et l’escalader. Mes gens étaient muets de frayeur. Ésaïe et Waddell simultanément me demandèrent comment allait ma montre après ce bain ! Les autres me firent un long discours, me blâmant de m’exposer ainsi. Karoumba, lui, remarquait gravement : « Je l’ai bien dit à mon père, que fait-il de s’exposer si imprudemment dans ces barques anglaises ! « 

Le camp est triste. Nos gens sont découragés, déguenillés. Et nous ? Ces quatre bœufs malades ! Oh ! comme cela nous paraît mystérieux ! Ne sont-ce pas les bœufs du Maître ? Ne sait-il pas que nous sommes pauvres et presque dans l’impossibilité d’avancer ? Ce voyage est le sien. Les éléments sont déchaînés, nous périssons et il dort ! mais il est là pourtant.

Mercredi 19 mars 1884. — Encore une nuit blanche. Je pensais à mes bœufs, je luttais avec Dieu ; par moments, le sommeil, un sommeil lourd, me surprenait, et je me réveillais en sursaut. Seigneur, que veux-tu que nous fassions si tu permets que nos bœufs meurent et que Satan nous entrave encore ? Je me levai de bonne heure, et fis ma promenade habituelle à la rivière pour être seul et me retremper dans la communion de mon Dieu. Malgré la pluie d’hier et de la nuit, la rivière a encore baissé, mais d’un pied seulement. A mon retour, deux de nos bœufs, aveuglés par la maladie, se jetaient sur nos tentes. Quelques instants après ils étaient morts. Nos gens ont passé toute la journée à les dépecer pour faire sécher la viande. Jamais je ne les ai vus si silencieux.

La rivière continue à baisser. Mais le gué est laid à voir. Il nous faudra, pour passer, un travail préparatoire considérable. Nous avons réussi à remettre nos pauvres gens en train. Mais, deux nouveaux bœufs sont malades.

Marico, mercredi 26 mars. — Les bœufs, malades il y a huit jours, sont morts. Dimanche dernier, deux autres ont péri dans la nuit, puis un autre, avant-hier, dont la mort a été soudaine. Encore deux nouveaux malades ! « On a beau prier, les bœufs meurent quand même, » remarquait quelqu’un avec amertume. Oui, c’est vrai, mais pourquoi ? Les chevaux aussi ont eu leur tour. Un de ceux que-le chef Jonathan a envoyés à Khama est mort.

La rivière ! tous les jours nous la guettons. Nous plantons des bâtons au bord de l’eau. En une nuit, elle a baissé de 4 pieds au moins, puis de 3, puis de 2, puis d’un, puis de quelques pouces seulement. Quand nous croyions pouvoir la traverser, elle est restée stationnaire, puis elle s’est mise à monter de nouveau. Le camp est triste et lugubre. Des nuées de vautours nous assiègent nuit et jour, se battent avec nos chiens, leur disputent les carcasses de nos bœufs, et sont devenus d’une hardiesse inquiétante. Des bouffées de vent nous apportent des odeurs affreuses. La diarrhée, la dysenterie ont fait invasion parmi nous ; voilà huit jours qu’Ésaïe est malade et nous avons cru perdre un enfant de Lévi. Le séjour en cet endroit nous est devenu odieux.

Aujourd’hui sont arrivés, avec M. Rolls, des wagons envoyés de Mangouato par M. Whiteleye et des bœufs envoyés par Khama. Nous allons essayer de traverser, coûte que coûte. Dieu nous soit en aide !

e – Marchand établi à Mangouato.

Mavico, samedi 29 mars 1884. — Après quinze jours passés ici — quinze des jours les plus tristes dont je me souvienne — nous avons traversé cette méchante rivière. Hier, les nuages s’amoncelaient et le temps devenait si menaçant que je résolus de passer. Décharger nos voitures pour charger celles de M. Rolls et emballer les colis qui restaient dans nos voitures, de manière à ce que l’eau ne fît aucun dégât, fut le travail d’une grande partie du jour. Atteler les bœufs que Khamaf nous a envoyés ne fut pas chose facile, ils sont sauvages. Enfin, à 4 heures et demie, nous descendions dans la rivière. Les dames avaient passé en bateau. Nous traversâmes sans accroc avec deux attelages ; puis Rolls, puis Joseph, puis Joël. L’eau montait à un pied dans l’intérieur du wagon. Mais je ne crois pas qu’elle ait fait grand mal. Le second wagon de Rolls nous a donné plus de peine. La chaîne s’est rompue plusieurs fois, les bœufs se sont ralentis, le chemin était devenu si glissant que les pauvres bêtes ne pouvaient prendre pied. Il a fallu, avec la nuit, renoncer à assommer les bœufs de coups. Ce n’est que ce matin, à midi, que le wagon est sorti et que celui de Lévi a traversé.

f – Chef chrétien des Bamangouatos, résidant à Chochong, localité appelée aussi. Mangouato.

Voici donc un pas de plus fait vers Mangouato. Nous espérons pouvoir y arriver la semaine prochaine. Mais nous avons plusieurs de nos bœufs boiteux, malades. Voilà deux jours que nos chèvres ont disparu et qu’on les cherche en vain. Ont-elles été volées ? Ont-elles été dévorées par les bêtes sauvages ? Middleton a été très malade hier et, aujourd’hui, Christina est tout à fait alitée.

Jeudi 3 avril 1884. — Une fois de ce côté-ci du Marico nous pouvions espérer que nos tracas seraient amoindris. Les difficultés surgissent toujours là où on les attend le moins. Nous devions partir à 3 heures. M. Rolls, prêt à 2 heures et demie, ne nous attendit pas. Il a, dit-on, peur de nos bœufs malades, bien que leur maladie ne soit pas contagieuse. Au moment d’atteler, on m’apprend qu’un des bœufs de Joël, malade, est perdu depuis le matin, et que Philippe et Mapoto l’ont cherché en vain. Pourquoi ne me l’avait-on pas dit plus tôt ? J’étais fâché. Mais j’eus assez d’empire sur moi-même pour ne rien dire et me contenter d’envoyer tout le monde faire une battue. Vers 5 heures, ils vinrent me dire qu’ils n’avaient rien trouvé, je les reçus très mal, je les renvoyai tous, je sautai en selle et partis au galop, dans la forêt, où ma bête me menait.

Je ne rencontrai que des troupes de babouins qui sautillaient devant moi, se balançaient aux rameaux des arbres et se moquaient de moi. Mon bidet s’enfonçait dans la vase des marais, trébuchait dans les trous et les fentes des bourbiers. Le silence des bois était de plus en plus saisissant. Je voulais longer le Limpopo, remonter le canal qui sert de déversoir au Marico, retomber dans notre chemin, traverser la rivière et chercher au delà. Le canal ? Il avait disparu dans le marais. Le chemin ? Je le manquai. Je galopai pendant deux heures à travers les marais, les fourrés épineux, les bosquets et les bruyères, jusqu’à ce qu’enfin, ne sachant plus où j’étais, je commençai à m’inquiéter, non pas du bœuf perdu, mais bien de moi-même et de mon retour au camp. Je n’avais plus aucun point de repère, les fourrés étaient devenus inextricables. Des traces de bétail se croisaient dans tous les sens. Bientôt, je tombai sur les traces d’une voiture. Je fus étonné de voir la quantité de gens qui vivent dans ces bois. Les Bushmen y abondent. L’autre jour, ils étaient venus clandestinement déterrer de la charogne toute grouillante que j’avais fait jeter ; ils s’étaient emparés d’une tête de bœuf qui pourrissait au soleil depuis huit jours. Comment auraient-ils respecté nos chèvres et notre bœuf ! Je finis par trouver mon chemin et rentrai à la brune au camp, où ma femme, inquiète, m’attendait. Des coups de fusil rallièrent nos gens dispersés, mais pas de bœuf. Nous partîmes le lendemain, à 5 heures, sans trop de peine.

Nous avons encore trois bœufs malades que nous traînons avec difficulté. Les chemins sont affreux. Des fondrières desséchées, raboteuses, dures, écorchent les pieds de nos animaux. Dix jours plus tôt elles eussent été absolument impraticables. Nous nous y serions embourbés à chaque pas. Et c’est alors que nous aurions perdu des bœufs ! Je comprends maintenant pourquoi le Marico nous a arrêtés pendant quinze jours ! « Il fait bien toutes choses. »

Dimanche 6 avril 1884. — Un beau jour dans un bel endroit, non loin d’un ruisseau qui forme de nombreux étangs qu’ombragent des massifs d’arbres. C’est là que nous arrivions hier matin, après une nuit de marche à travers un sable lourd et tenace. Un beau tapis vert, de l’air qui circule librement, que désirer de plus ? Nos gens paraissent heureux. Nous avons eu notre culte où Jeanmairet nous a donné la note de la louange. « Mon âme, bénis l’Éternel ! » De nos gens, les uns ont fait leur lessive, d’autres sont allés se reposer, lire ou dormir dans les bois à l’ombre de quelque arbre. Une atmosphère de calme et de paix règne au camp. Sont-ce les signes précurseurs de prochains orages. Je ne suis pas sans crainte. Voilà presque toute une semaine que Joseph boude. Il nous salue à peine. La cause, c’est que je me suis permis de lui faire une remarque l’autre jour sur son manque de complaisance. Ça lui est allé au cœur. Ce mauvais esprit peut avoir de sérieuses conséquences pour notre expédition. Mais si tous nos Bassoutos devaient nous quitter, le Maître y pourvoirait. Lévi est toujours très malade. Je l’ai soigné de mon mieux, mais sans succès. Nous avons bien marché la semaine dernière. Chacun semble plein de bonne volonté. Nous allons arriver à Mangouato.

Mardi 8 avril 1884. — Hier, lundi, nous avons voyagé à marches forcées. A 2 heures du matin, nous étions sur pied. A 7 heures, nous longions un beau lac d’au moins deux milles de long et presque aussi large. Le soleil levant, dans toute sa gloire, se mirait dans ces eaux limpides. Nous nous serions volontiers arrêtés. Mais c’est une petite mer morte, un lac salé. Nous passâmes outre. A 8 heures, nous dételions près d’un étang. Nous avions déjeuné, nous étions tous groupés à l’ombre d’un mimosa, chantant des cantiques, quand nous entendîmes un piétinement de chevaux. Nous levons la tête, c’était Aarong accompagné de Rachosa, le gendre de Khama. Quelle surprise et quelle joie ! Lui-même était ému. Nous échangeâmes les premières nouvelles et nous continuâmes.

g – Évangéliste mossouto parti, en 1877, avec Coillard ; au retour du Zambèze, en 1879, il était resté à Séléka.

Le lendemain matin, à 5 heures, nous étions en marche. Je pris les devants à cheval, accompagné d’Aaron, pour voir où nous pourrions planter nos tentes à Mangouato. J’allai droit chez Khama. Il poussa une exclamation de surprise en me voyant entrer dans la cour. Il est toujours le même. Pendant la demi-heure que nous passâmes ensemble, nous parlâmes peu. C’étaient simplement des exclamations d’étonnement et de joie. « Et c’est donc toi ! Tu viens de bien loin ! Tu es bien fatigué ? » et ainsi de suite. Nous nous mîmes en selle, nous choisîmes l’emplacement de notre campement devant chez M. Whiteley et je retournai à sa rencontre des voitures. Nous voilà donc installés. Nos deux grandes tentes sont montées. Les gens affluent. C’est même un peu incommode : l’un veut une médecine pour les yeux, l’autre une médecine pour la tête, un troisième intercède pour son cheval, un quatrième implore du secours pour sa femme en couches. Puis ce sont des Masaroas qui, pour cinq ou six roseaux sucrés, réclament un schelling ; pour une demi-douzaine de petites gourdes, « shilling, » pour un pastèque douteux, « shilling ! » Tout est schelling, c’est l’unité monétaire ici. A ce taux, on sèmerait vite les livres sterling !

Le jeudi, nous fîmes à Khama une visite officielle. Tout le personnel de l’expédition était là, y compris les dames. Le chef, averti de notre arrivée, nous attendait au lékhotlah au milieu de ses gens. Il s’empressa de nous donner des sièges, puis, après les salutations d’usage, je lui fis un petit discours ; je lui donnai un aperçu de nos voyages et de nos plans, et je lui fis les salutations du chef Jonathan et celles des amis de Paris, en lui présentant la belle boîte à musique de Genève. Pendant que je la découvrais, il y eut un mouvement de curiosité, on s’approchait, les cous se tendaient, silence parfait. Je jouissais déjà de l’extase de ces braves gens, dès que je ferais chanter la boîte mystérieuse. Je mets la main à ma poche pour prendre la clef, pas de clef ! Je fouille dans toutes mes poches, gilet, veste, pantalon, rien, c’est à n’en pas croire mes sens. Je recommence la fouille, sans plus de succès, et je dois confesser tout haut que j’ai perdu la clef. Pendant que Middleton et Jonathan vont la chercher, Khama répond à mon discours par quelques mots de remerciements ; j’essaie de causer, mais mes yeux tombent toujours sur la boîte fermée. La position était trop ridicule. Le bétail rentrait, j’en fis une excuse pour partir. Nous étions tous capots et silencieux. Je cherchai en vain la clef. Mais j’en trouvai une autre et, le lendemain, j’allai donner au lékhotla une séance de musique qui réussit d’autant mieux. Khama était enchanté.

h – La place publique ; par extension, l’assemblée qui s’y réunit.

Khama exerce l’amitié et l’hospitalité avec largesse. Le lendemain il me rendait sa visite. Il m’apportait une belle fourrure de chacal argenté. Le surlendemain, il envoyait deux wagons et ses gens à la forêt pour nous chercher du bois. Il s’occupait aussi d’envoyer notre bétail à un poste, de me chercher des bœufs pour me conduire à Séléka, tout cela au milieu de ses préoccupations politiques. C’est un digne homme que ce Khama.

Le mardi 15 avril, Coillard partait avec M. Jeanmairet et plusieurs noirs, dont Aaron, pour relever ou plutôt supprimer définitivement le poste de Séléka, qu’à son retour du Zambèze il avait confié aux évangélistes bassoutos Asser, Aaron et André ; il ne devait plus y retrouver Asser, qui était retourné au Lesotho. Après avoir voyagé à marches forcées, pour ne pas passer de dimanche en route, ils arrivèrent à Séléka le samedi 19 avril, dans la matinée.

Notre arrivée à la station fit sensation. On avait entendu les coups de fouet, on était sur le qui-vive. Ce sont des marchands, pensait-on ! Il est si rare de voir des passants ici, en wagon surtout. Grands et petits, tout le monde accourut. Ma-Routhé, la femme d’Aaron, fut la première. Je l’aurais reconnue de loin à son charmant sourire.

André, qui était aux champs, accourut, lui aussi, et donna un bruyant essor à sa joie et ri son étonnement. Brave André ! je ne sais lequel de nous deux était le plus heureux du revoir. Et puis, il fallut faire connaissance de la nouvelle génération. C’était charmant de voir tous ces enfants si proprets, sans fausse honte, auxquels les mamans s’empressaient de décliner nos noms et qualités. Comment résister à appliquer un baiser sur ces gentils fronts d’ébène ! Ma-Routhé se met en quatre pour nous servir. Elle n’a rien oublié de ses bonnes habitudes d’autrefois. Sa maison est d’une grande propreté.

Coillard voulut faire une visite au chef, qui ne se montra pas. Le dimanche 20 avril, toute la population descendit sur la station. Le matin, au culte, Coillard baptisa un jeune noir, Zachée, « le seul fruit actuel, dit-il, de la mission de Séléka ».

L’après-midi, les évangélistes firent leurs adieux. Aaron présidait. Il le fit avec une mâle dignité, une émotion concentrée, un à-propos, une lucidité, une franchise qui me le révélaient sous un beau jour. Il prit pour texte Galates ch. 3. Pas une phrase inutile, pas un mot hors de place, pas la moindre répétition. Cela me rappelait son admirable discours d’adieux, à Léribé, il y a sept ans. De temps en temps, il essuyait précipitamment une larme furtive. Un homme ne pleure pas en public. André, lui, beaucoup plus prolixe, se mit sur un autre terrain que j’appellerais le terrain social. Il parla aux chefs avec une autorité qui me surprit, et qui me montra la position que nos évangélistes se sont faite ici. Jonathan, lui aussi, parla comme un Boanergès, mais avec un à-propos qui ne pouvait manquer de commander l’attention. Son thème était : « Rejetez l’Évangile et Dieu vous rejettera. » Il avait aussi des accents tendres, quand il recommandait Zachée, ce jeune croyant, à la sollicitude des chefs, quand il faisait appel aux renégats, quand surtout il racontait la conversion et le martyre de sa première femme. « On l’a battue de verges, dit-il, jusqu’à la mort, mais elle est entrée fidèle dans la gloire. » Le lundi 21, nos évangélistes se sont préparés à leur déménagement.

Le mardi, il fallut quitter Séléka, et ce fut alors que Coillard dut se séparer de deux membres de l’expédition : Philippe, homme de cette région, converti à Bérée, et Jonathan, qui retournait à Valdézia et à la Mission romande.

« Il nous en a coûté de dire adieu à notre cher Jonathan. L’expédition perd avec lui une partie de son âme, ou tout au moins son bras droit. Jonathan est notre fils en la foi ; il nous rend, je crois, toute l’affection que nous avons toujours eue pour lui. L’énergie de son caractère, impétueux quelquefois, le place toujours au premier rang. Il a voulu nous amener jusqu’ici et n’a accepté, pour lui et ses deux garçons, que la moitié des gages que les autres ont exigés. »

Revenu à Mangouato, Coillard écrit :

« Le diable nous poursuit et à chaque pas suscite des difficultés nouvelles. Il me semble parfois que je lutte corps à corps avec lui. C’est une preuve qu’il a peur. »

Déjà six hommes, d’après un accord préalable, venaient de quitter l’expédition.

« Les autres fatigués et engagés jusqu’à Mangouato seulement pouvaient nous quitter et s’en retourner au Lesotho. Nous les laissâmes parfaitement libres. Ils hésitèrent un moment. Nous nous demandions s’il ne nous faudrait pas abandonner nos voitures et partir à pied ou à âne ; car renoncer à l’entreprise ne s’est jamais présenté à notre esprit.

Et puis nos évangélistes aussi posaient leurs conditions ; les accepter c’était rendre impossible la mission par les indigènes. Nous crûmes un moment qu’ils retourneraient au Lesotho. Tout s’éclaircit maintenant. Nos évangélistes ont compris et se sont rendus. « Je ne voudrais pas retourner au Lesotho et voir la tristesse des églises, » disait Lévi. — « Et moi, me disait Aaron, je n’ai jamais désiré retourner, mon cœur est à l’œuvre. Je ne connais pas les églises de France et je ne sais pas si elles nous soutiendront ou nous abandonneront, mais tu es mon père et j’ai confiance en toi. » Nos conducteurs eux aussi se sont montrés animés d’un bon esprit : « Nous vous conduirons au Zambèze, nous dirent-ils, mais vous demandons seulement de ne pas nous jeter dans le désert, et de nous donner un wagon pour le voyage de retour. » Ce sont des dépenses, mais elles sont raisonnables, je dirais même inévitables. Enfin mon brave ami Khama a fait un plan : il nous donne six de ses hommes ; trois d’entre eux sont chargés d’un message pour le roi Robosi (Léwanika) et vont à ses frais. Ils m’aideront en route et nous les nourrirons.

A notre retour à Mangouato, nous trouvions aussi des nouvelles du Zambèze. Deux jeunes gens qui y avaient fait une expédition commerciale, en revenaient minés par la fièvre. Ils rapportaient tout un courrier. M. Arnot, dans une longue lettre palpitante d’intérêt, nous donne beaucoup de détails sur son œuvre. Il est toujours à la capitale et a commencé une école qui a déjà passé par toutes sortes de phases. Le roi Robosi lui-même écrit à Khama, lui demandant son alliance et, pour gage de son amitié, une de ses filles en mariage et un chien noir. Il lui annonce que les Jésuites sont allés chez lui, mais qu’ils ne sont pas selon son cœur, ni selon le cœur de ses gens, et qu’il leur a refusé l’entrée de son pays. « Celui que nous attendons, ajoute-t-il, c’est M. Coillard, que l’on m’assure être maintenant en route, et je vous demande comme une faveur de l’aider, afin qu’il arrive au plus vite. » Ne fondons pas trop d’espoir sur les bonnes dispositions d’un chef païen qui ne sait rien de l’Évangile. Paul, en obéissant à l’appel du Macédonien, a trouvé une prison en Macédoine. Mais qu’importe, si cette prison est la porte de l’Europe ! »

« J’ai été heureux de revoir mon ami Khama. Il maintient son caractère parmi les blancs qui l’environnent, et c’est beaucoup dire, car les microscopes du diable ne manquent pas d’être braqués sur lui aussi. Nous allons donc nous mettre en route très prochainement pour le Zambèze. C’est notre dernière étape. Pensez si nous sommes impatients et si le cœur nous bat.

Oh ! qu’il est bon de pouvoir s’élever plus haut que les hommes, de se confier en Dieu, et de voir sa main toute-puissante dirigeant tout pour sa gloire et pour le bien de ses enfants. Nous aurons donc avec nous, outre la famille de Lévi, celle d’Aaroni. Aaron est un de nos enfants dans la foi, il est actif, énergique ; il a beaucoup d’entrain et d’initiative, mais il est susceptible et vif de tempérament. L’épouse d’Aaron, Ma-Routhé, a grandi dans notre maison, elle est la fille du premier converti de Léribé, maintenant au ciel, Johanné Nkélé ; notre affection mutuelle est donc de vieille date. Elle est la douceur même. La grâce de Dieu a fait son œuvre dans son cœur. Elle est une missionnaire dans l’âme. Tous les jours, elle enseigne à ses propres enfants et à ceux de Lévi à lire et à chanter et elle ne perd aucune occasion de parler du Sauveur aux païens qu’elle rencontre.

i – André, l’autre évangéliste de Séléka, avait reçu un appel de la Mission romande.

Il faut que je vous dise adieu. Nos regards, nos pensées sont maintenant plus que jamais vers le Zambèze. Il se passera bien des mois avant que vous entendiez parler de nous et avant que vos bonnes lettres nous parviennent. Mais le télégraphe qui passe au Trône de la grâce est sûr et prompt. Servons-nous-en les uns et les autres plus que jamais. »

Le 16 mai, Coillard écrit encore :

« Les nouvelles du Zambèze ? Elles m’effraient même un peu, tant elles sont bonnes. On nous attend avec une grande impatience. Les Barotsis, comme tous les païens, se font, sans doute, une idée très matérielle des avantages que l’Évangile, doit leur procurer. Mais, quoi qu’il en soit, il vaut mieux croire que tout est dirigé par Celui qui « ouvre et personne ne peut fermer ». Bien des vagues se sont brisées contre notre petite foi depuis que nous nous sommes dit adieu. Mais elle n’en est pas ébranlée. Il y a abondance de paix dans l’obéissance.

C’est le temps où il y a le plus de mouvement ici. On revient de l’intérieur ou bien on y va. Deux jeunes gens sont ici qui reviennent du Zambèze, où ils étaient allés voir les cataractes et échanger leurs marchandises. Ils sont revenus tous deux à demi-morts de faim et de fièvre. En voyant leur mine cadavérique, je regardais mes compagnons de voyage, et je me disais : Est-ce là ce qui les attend eux et moi ? Il est bon de se dire : L’Éternel pense à moi. Nos temps sont en sa main, cela suffit. »

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