Théologie de l’Ancien Testament

III. Le bien moral.

§ 243. Le bien moral réalisé par l’individu.

Pour le fond, nous avons ici les mêmes menaces et les mêmes promesses que dans la loi. Mais la forme en est changée : les suites fâcheuses du mal et les avantages de la sagesse sont simplement constatés ; ils sont exposés comme des faits indubitables et que confirme l’expérience de tous les jours. « Le mal poursuit les pécheurs ; mais le bien sera rendu aux justes. » (Proverbes 13.21) « La lampe des justes jette une vive lumière, mais la lampe des méchants s’éteint. » (v. 9.) On trouve une foule de passages semblables dans les discours des trois amis de Job : Dieu rend à chacun selon ses œuvres, telle est précisément la thèse que soutiennent ces consolateurs fâcheux. — Or, le bien suprême, qui renferme tous les autres, c’est la vie ; et le mal suprême auquel aboutissent également tous les autres, c’est la mort (Proverbes 8.35 ; 11.19 ; 13.14).

La vie dont il est ici question, c’est la vie terrestre. Mais n’est-ce que cela ? Ewald ne le pense pas ; il estime que les Proverbes enseignent aussi une vie bienheureuse après la mort. En effet, ils ne parlent du Schéol, du royaume des ombres (רפאים, rephaïm), qu’à propos des méchants et du sort qui les attend (Proverbes 2.18 ; 5.5 ; 7.27 ; 9.18). Pas un mot qui favorise l’idée que les justes y descendent jamais. Quelques expressions semblent même ici et là indiquer le contraire : « Sur le chemin de la justice, il y a vie ; et la voie de son sentier est la non-mort, אל–מות (Proverbes 12.28). « Le méchant est renversé par ses revers, mais dans sa mort, במותוa, le juste est plein d’assurance. » (Proverbes 14.32) « Le chemin de la vie est montant pour l’homme prudent, et lui fait éviter le profond royaume des morts » (Proverbes 15.24). « Quand l’homme méchant meurt, son attente périt, et l’espérance des violents est réduite à rien » (Proverbes 11.7), d’où l’on peut conclure que « l’espérance du juste ne périt point quand il meurt. » Les Septante ont tout simplement intercalé cette pensée au commencement de ce verset, tant on est en droit de la sous-entendre ; mais ils se sont trompés en ce sens que le v. 7 a son antithèse dans le v. 8 : « Le juste est délivré de sa détresse, et le méchant y entre à sa place. »

a – Les Septante ont sans doute lu : בתמו, car ils traduisent : « le juste se confie en son intégrité. »

Certes, ces différents versets sont fort remarquables. Mais on aimerait à trouver dans ceux surtout où la vie est présentée comme la récompense de la sagesse, quelques mots indiquant qu’il y est bien question de la vie à venir. La sagesse est un arbre de vie (Proverbes 3.18 ; Genèse 2.9 ; 3.22) ; toutefois ses fruits ne sont pas la vie éternelle (v. 16), mais seulement de longs jours, ארכ.ֻ ימים. Ainsi encore « la maison de la femme adultère penche vers la mort, son chemin mène vers les trépassés ; pas un de ceux qui vont vers elle n’en revient, ni ne reprend les sentiers de la vie. » Mais comme antithèse le v. 21 se contente de dire que « ceux qui sont droits habiteront la terre, et que les hommes intègres y subsisteront, tandis que, v. 22, les méchants en seront retranchés. Voyez encore Proverbes 10.30 et d’autres passages analogues, v. 25 et 27.

Il sera donc plus prudent de ne voir dans Proverbes 12.28 ; 15.24 que la vie présente, et dans Proverbes 14.32, que cette espèce d’immortalité résultant de ce qu’on laisse après soi des descendants sur la terre des vivants (Genèse 49.18), ou un souvenir durable (Proverbes 10.7) parmi les enfants de son peuple. Les proverbes où Ewald a cru voir l’immortalité bienheureuse, n’en parlent pas plus que, par exemple : Psaumes 27.13 : « Voir les biens de l’Éternel dans la terre des vivants », ou Psaumes 142.6 : « Tu es ma confiance dans la terre des vivants. »

Le livre des Proverbes jette en quelque sorte un voile sur le sort des justes après leur mort. Il y a là quelque chose de mystérieux. Mais, nous le répétons, d’une manière générale ce sont des biens terrestres que procure seuls la sagesse : « Une longue vie est à sa droite, et les richesses et la gloire sont à sa gauche », Proverbes 3.16.

C’est là de l’eudémonisme, a-t-on dit, et de l’eudémonisme tout pur. Les Proverbes ne recommandent la sagesse et la justice que parce qu’elles rendent heureux. — Non ! de même que dans Lévitique 26.3-11 (§ 89), l’habitation de Dieu avec son peuple est présentée comme le comble du bonheur, comme la plus précieuse des récompenses que puissent obtenir les observateurs de la loi ; qu’il n’y a pas de bonheur possible loin de Dieu, et qu’au contraire le bonheur augmente dans la même proportion que l’intimité de la communion avec Dieu, — de même, les Proverbes ne se représentent absolument pas qu’on puisse être heureux sans Dieu, mais Dieu comme but et non comme moyen. La crainte de Dieu, qui est le principe de toute sagesse, ne permet pas de rabaisser Dieu à n’être qu’un moyen de parvenir à une félicité que les biens terrestres seuls, en dernière analyse, pourraient procurer. Rien de plus clair à cet égard que Proverbes 11.4 : « Les biens ne serviront de rien au jour de l’indignation (jugement dernier), mais la justice délivre de la mort. — v. 28 : Celui qui se confie en ses richesses, tombera ; mais les justes reverdiront comme la feuille. — Peu, avec la crainte de Dieu, vaut mieux qu’un grand trésor avec du trouble » (Proverbes 15.16 et sq.). Si les biens terrestres méritent d’être recherchés, ce n’est pas pour leur valeur intrinsèque. Ils n’ont de valeur qu’en tant qu’ils sont des signes de la bienveillance divine qui accompagne la justice et la pureté de la vie. Ce serait une folie de les rechercher pour eux-mêmes, mais c’est rendre hommage à Dieu que d’apprécier le salaire qu’il Lui a plu d’attacher à la pratique de la vertu. Voilà qui concilie toutes les apparentes contradictions du livre des Proverbes : la sagesse est le bien suprême, la perle la plus précieuse (Proverbes 3.15 ; 16.16) ; et pour tout cela, la richesse n’est pas à mépriser : « Grande abondance dans la maison du juste ; désordre dans les revenus du méchant » (Proverbes 15.6). Mais, seule, sans vertu, la richesse n’a point de valeur : « Je Te demande deux choses. Ne me les refuse pas avant que je meure. Eloigne de moi la vanité et la parole du mensonge. Ne me donne ni pauvreté, ni richesse ; nourris-moi du pain de mon ordinaire, de peur qu’étant rassasié je ne Te renie et que je ne dise : Qui est l’Éternel ? — De peur aussi qu’étant appauvri, je ne dérobe et que je ne prenne en vain le nom de mon Dieu ! »

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