Le Réveil au Pays de Galles

IX
Evan Roberts

« Ce qui distingue le présent Réveil des autres Réveils gallois, a dit un magistrat, Sir Marchant Williams, c’est la place qu’y occupe, le rôle qu’y joue la figure centrale, Evan Roberts. »

Evan Roberts, surnommé « le Wesley gallois », le « jeune revivaliste à la face pâle », — Evan Roberts, pour beaucoup de gens, au Pays de Galles, en Angleterre et à l’étranger, incarne et personnifie « le Réveil. On le regarde souvent comme l’auteur humain — du Réveil gallois.

D’autres déclarent, au contraire, qu’Evan Roberts, bien loin d’être l’auteur du Réveil, en est un fruit, un simple « spécimen », et que le Réveil n’est pas lié à sa personne. Et effectivement le Réveil avait éclaté à New Quay avant que Roberts eût reçu le baptême du Saint-Esprit. Et bien avant cela, à Tonypanddy, en d’autres endroits encore, le Réveil avait surgi, il y a déjà trois ou quatre ans. A Ferndale, ailleurs aussi, on m’a assuré qu’Evan Roberts n’était pour rien dans le Réveil local, et que, ou bien il n’était jamais venu dans l’endroit en question, ou bien, s’il y était venu, sa présence n’avait pas réussi à produire une plus grande ferveur que celle qui existait avant et celle qui a existé après. Et il convient d’ajouter, dans le même ordre d’idées, qu’au premier coup d’œil au moins, le Réveil, en bien des localités, n’a pas de conducteur apparent, pas de chef : l’unanimité en tient lieu. Aussi, dans une lettre particulière qu’il a bien voulu m’écrire, M. Paul Passy a-t-il pu s’exprimer ainsi :

« Une des impressions les plus fortes que j’aie rapportées de là-bas, c’est que le rôle d’Evan Roberts a été beaucoup moindre dans le Réveil qu’on ne le croit. Ce rôle est grand, sans doute ; mais le mouvement est avant tout populaire et démocratique, spontané ; si Evan n’avait jamais existé, il n’aurait guère été moindre. A Carnarvon, où on l’attendait, son absence n’a pas empêché une explosion d’enthousiasme. »

Cependant, sans vouloir rien exagérer, il m’a paru, après examen, qu’en bien des endroits, l’indépendance du Réveil vis-à-vis d’Evan Roberts n’était que l’apparence et que, lorsqu’on allait au fond, tout au fond, on retrouvait, directement ou indirectement, Evan Roberts. En définitive, ces soulèvements religieux n’ont pas tous éclaté ensemble ; ils se sont plutôt suivis comme une traînée de poudre à partir de quelques premières étincelles. Un premier Réveil a eu lieu dans telles et telles localités moins préparées ou plus effervescentes que les autres, plus travaillées par Evan Roberts ou ses acolytes, qui ont ainsi donné le signal. Puis, dans les localités voisines, l’élan a été suivi, les nouveaux revivalistes ont eu moins à faire, grâce à leurs prédécesseurs ; et ainsi, de proche en proche, s’est prolongée l’action de ceux-ci, par imitation de foule à foule, avec une force croissante, jusqu’à ce qu’enfin, quand le cyclone populaire s’est élargi bien au delà des limites où il avait été d’abord renfermé, nulle direction ne s’aperçoive plus. A Aberdare, Evan Roberts est venu d’abord pour rompre et fondre la glacea : puis son frère Dan a fait une mission de plusieurs jours. A Aberaman, j’interroge mon hôte, le pasteur méthodiste : « Comment le Réveil a-t-il commencé chez vous ? — Eh bien ! m’a-t-il dit, Evan Roberts tenait des réunions dans une localité voisine. Des gens d’Aberaman y sont allés et ont rapporté le feu avec eux. Cela a éclaté un dimanche matin dans ma chapelle. J’ai dû renoncer à prêcher mon sermon, et pendant un certain temps tous les cultes habituels avec sermons ont dû céder la place aux réunions de prière. » A Rhos, je pose la même question : « Comment le Réveil a-t-il commencé chez vous ? » Je la pose au vicaire anglican et je la pose à un laïque non conformiste ; j’obtiens une réponse identique : « Il y a eu un ministre du Sud du Pays de Galles qui est venu faire ici une mission ; cette mission a duré une semaine, mais il semblait que c’était une mission comme les autres. Cependant, quand il a eu fini, le samedi soir, on lui a demandé de rester encore une autre semaine. Et dès les premiers jours de cette seconde semaine, sans qu’on ait jamais pu savoir comment ni pourquoi, ça y était en plein, toute la population était secouée, le feu était allumé. » A Barmouth, on a tenu des réunions de prière depuis le 20 décembre, mais ce n’est que le 8 février que le Réveil a pleinement éclaté, et cela par suite de la visite de quelques Gallois du Sud. On peut dire, je crois, que presque partout le Réveil n’est pas né tout seul, qu’il y a eu, comme c’est d’ordinaire le cas dans ces incendies que sont les grands mouvements populaires, des incendiaires colportant de ferme en ferme, de mine en mine, d’église en église, un ébranlement primordial. Presque partout, dans le Nord, là où le Réveil a éclaté, c’a été sous l’influence de gens venus du Sud ou tout au moins sous l’influence du récit de ce qui avait lieu dans le Sud. Et parfois cette influence du Sud s’est propagée plus loin encore ; car si le Réveil a éclaté à Liverpool avant l’arrivée d’Evan Roberts dans cette ville, il faut en rechercher la cause d’abord dans l’envoi par train spécial de 250 personnes s’occupant du Réveil gallois ou arrivées à la conversion par ce Réveil, qui ont été déléguées de Cardiff à Liverpool pour y raconter ce que Dieu avait fait dans le Sud — puis dans les visites de chrétiens de Rhos déjà réveillés eux-mêmes par la mission du pasteur du Sud. Dans le compte rendu d’une réunion de Liverpool (Evangéliste, 2 avril) à laquelle il assistait, M. Parker a écrit :

a – Voir le récit des débuts du Réveil à Aberdare dans l’article de M. Mercier (Au Pays du Réveil, Liberté chrétienne du 15 juin 1905, p. 265 et suiv.)

« En écoutant ces chants et ces prières, j’avais l’impression d’être de nouveau au Pays de Galles ; même ferveur, même enthousiasme. Le feu sacré brûle dans ces cœurs ; il n’y a pas de doute. Quelle est l’explication ? Un ami nous la donne : plusieurs chrétiens de Rhos sont là ; ils ont reçu le baptême du Saint-Esprit et ils sont venus nous communiquer leur chaleur. N’est-ce pas une chose remarquable que la présence de quelques chrétiens fer-vents dans une si grande assemblée suffise pour qu’immédiatement l’action puissante de l’Esprit de Dieu se fasse sentir ? »

Ainsi, quand on cherche les origines de ce qui se passe dans le Nord, on les trouve dans le Sud ; et quand on cherche les origines de ce qui se passe dans le Sud, on les trouve la plupart du temps, directement ou indirectement, dans Evan Roberts. Et l’on peut donc affirmer que si Evan Roberts a été d’abord produit par le Réveil, il lui a donné une impulsion puissante, énergique : il lui a servi de condensateur, d’amplificateur. De même qu’il y a dans la nature des substances qui ont un pouvoir accumulateur et qui conduisent les énergies dispersées aux alentours, de même le jeune revivaliste semble concentrer en sa personne les forces morales et religieuses et les faire rayonner autour de lui. Lorsqu’à Aberdare, j’interroge Miss Maggie Davies et Miss Jones sur le meilleur emploi de mon temps, elles me répondent sans hésiter : « Puisque vous voulez voir le Réveil, il vous faut aller à la source, c’est-à-dire auprès d’Evan Roberts, à Liverpool. »

Il faut dire aussi que la presse, qui a tant aidé à la diffusion du Réveil gallois, non seulement n’a parlé avec détails que du Réveil dans le Sud, mais a tout de suite identifié le Réveil du Sud avec Evan Roberts, rapportant par le menu tous ses faits et gestes, et racontant en détail toutes ses réunions. Par la presse, c’est encore et toujours Evan Roberts qui a agi sur la population galloise.

J’ai déjà raconté ailleurs les expériences religieuses extraordinaires qui ont conduit Evan Roberts à entreprendre ses tournées revivalistes. Je ne puis songer à retracer ici dans tous ses détails sa carrière d’évangéliste, qui, d’ailleurs, n’est point terminée. Je voudrais dégager ce qui me semble le plus important et le plus caractéristique au point de vue de la psychologie religieuse. Et je me servirai largement, à cet effet, des brochures, au nombre de six, publiées de mois en mois par le Western Mail, Ces brochures sont, en effet, extrêmement intéressantes à étudier au point de vue psychologique. Peut-être cette succession de procès-verbaux des réunions tenues au jour le jour pendant six mois est-elle de nature à paraître un peu fastidieuse à un lecteur non psychologue. Peut-être a-t-il chance d’avoir l’impression que c’est toujours la même chose et que, quand on en a lu une ou deux, on peut se dispenser du reste. Mais le psychologue, lui, trouve dans ces brochures une mine inépuisable de renseignements soit pour étudier l’évolution du Réveil gallois, des réunions galloises, soit surtout pour étudier l’évolution d’Evan Roberts lui-même et les modifications qui se sont produites peu à peu dans sa manière d’être et de faire. Je me bornerai à relever quelques points, ne pouvant tout dire, et je conduirai ainsi Evan Roberts jusque là où il en était à Pâques lorsque je l’ai vu et entendu moi-même. Il me serait impossible, d’ailleurs, de produire brusquement mon témoignage sans préparation.

Au début donc, lorsqu’il entreprend son activité revivaliste, Evan Roberts procède comme un missionnaire. Et il serait vrai de soutenir que le Réveil gallois est le résultat d’une mission, si on envisageait Evan Roberts comme l’auteur, le créateur du Réveil gallois. Mais, comme je l’ai fait observer, en réalité il en a été un fruit, avant d’en devenir le condensateur, l’amplificateur et le conducteur. Donc, Evan Roberts procède d’abord comme un missionnaire, faisant de longues allocutions, des allocutions de plus d’une heure, d’une heure et quart, de deux heures, les faisant le plus souvent en gallois, mais les faisant aussi parfois en anglais, dans les localités où il est averti que les Anglais dominent (Ynysybwl, 23 novembre). Son langage est celui de la conversation familière. Ce qu’il dit est très simple, et même ne s’élève guère au dessus des lieux communs. Un étudiant du Collège des pasteurs de Bala a prétendu que « la critique biblique ne lui est pas étrangère » ; on ne s’en douterait guère à l’entendre. Il commence souvent ses discours en déclarant qu’il ne sait pas ce qu’il va, dire, mais qu’il est en communion avec le Saint-Esprit, que le Saint-Esprit lui dictera ses paroles, qu’il sera simplement le « médium » du Saint-Esprit (Loughor, novembre). Il prend pour sujet de ses allocutions un incident qui se produit, une strophe qu’on vient de chanter, un verset peint sur le mur de la chapelle. Sauf certains moments où il s’anime un peu plus, il parle de l’air le plus tranquille, debout, une main dans la poche de son veston ou de son pantalon l’autre tenant la Bible, et les phrases sont courtes, dites d’un ton naturel, sans éclats, prononcées en général très vite. Il dit tout ce qui lui traverse l’esprit, sans se préoccuper de chercher des transitions. Sa manière est essentiellement hachée, discontinue. Et il lui arrive de conclure abruptement par ces mots : « Je n’ai rien de plus à vous dire maintenant. » Il semble n’avoir aucun don oratoire éminent, bien que sa facilité de parole s’accroisse par l’exercice. On assure qu’il y a dans le Pays de Galles quantité de meilleurs orateurs que lui. Sa voix est très claire, ses paroles brèves sont entendues même quand il parle très bas, jusque dans les coins les plus reculés de l’édifice. Mais cette voix n’a rien de spécialement mélodieux ; elle est moins belle que beaucoup d’autres, en ce pays de belles voix. Elle est même un peu rude. Il ne semble pas posséder le don de réciter, pour indiquer un chant à rassemblée, les beaux cantiques gallois de cette manière impressive et déjà électrisante qui est si commune parmi les gens du Pays de Galles.

C’est le moment de sa carrière où Evan Roberts a le plus ressemblé à Torrey. Mais même alors la différence est sensible. Evan Roberts ne parle ni d’enfer ni de condamnation. Les tourments éternels n’occupent aucune place dans sa théologie. Son Evangile est un évangile de joie et d’amour. Sa grande pensée, son obsession est celle des souffrances du Christ et de l’amour du Christ souffrant et crucifié.

Rien de conventionnel chez lui. Quand il est joyeux, il rayonne de gaieté, aussi jubilant, dit-on, qu’un jeune homme à un jeu de cricket. Il lui arrive de faire des calembours : par exemple, il demande à un ami de lui expliquer la différence entre la presse à l’époque des Ecritures et la presse de nos jours. On lui répond qu’il est douteux que la presse ait existé à une époque si ancienne. « Oh ! dit-il, lisez votre Bible, et vous verrez qu’à cause de la presse Zachée ne pouvait voir Jésus ; c’est pourquoi il grimpa sur l’arbre. La presse était à cette époque un obstacle qui empêchait les gens de voir Jésus ; mais aujourd’hui la presse offre toute facilité aux gens pour amener les âmes à voir Jésus. »

Déjà à cette époque il manifeste un pouvoir extraordinaire, inexplicable, d’agir sur les gens, de les modifier, de les suggestionner, de les entraîner, d’implanter en eux ses sentiments et sa volonté. La puissance spirituelle de ce « jeune enthousiaste fervent » est indéniable. Il y a quelque chose d’indéfinissable dans sa manière d’être. Son joyeux sourire — le sourire d’un homme en qui il n’y a point de fraude — captive et fascine. Son silence opère parfois des prodiges. Sa présence seule fait courir un frisson à travers une vaste assemblée de gens de tout âge et de tout sexe. Il possède le prestige, ce je ne sais quoi mystérieux, cette faculté indépendante de tout titre, de toute autorité que possèdent un petit nombre de personnes, et qui leur permet d’exercer une fascination véritablement magnétique sur ceux qui les entourent, alors même qu’ils sont socialement leurs égaux et ne possèdent aucun moyen ordinaire de domination… Dans les cabarets, on discute ferme sur « l’origine des pouvoirs mystérieux d’Evan Roberts. »

Il semble même déjà manifester certaines facultés psychiques et parapsychiques qui ne sont pas ordinaires. Ainsi, déjà en novembre, un journal émet l’idée que les succès d’Evan Roberts tiennent « à son magnétisme personnel ». Et d’autres journaux disent et répètent qu’Evan Roberts a ceci de particulier, qu’il ne peut réussir à avoir sur lui une montre qui marche bien. La meilleure montre, dès qu’il la porte, se détraque, s’affole. Est-ce là le fameux magnétisme ? Dans tous les cas, ce que tout le monde remarque, c’est qu’il est extrêmement nerveux, agité. Il lui est impossible de rester en repos ; il marche avec l’élasticité d’un homme qui marcherait sur des cordes tendues, ses bras remuant constamment. Pendant les réunions il ne reste pas tranquille dans la chaire. Il monte, il descend, il se promène dans le Set Fawr, dans les couloirs, dans les ailes, et jusque dans les galeries, la Bible à la main, exhortant celui-ci, encourageant celui-là, s’agenouillant avec un troisième. Il prodigue des paroles d’avertissement, des conseils, aux âmes troublées, agissant sur elles de très près, par le timbre de la voix, le regard, la physionomie, les passes magnétiques des gestes. Tout en se promenant, pendant qu’on chante les cantiques, il remue les bras et frappe des mains, s’arrêtant parfois dans sa marche pour frapper du pied afin d’accélérer et d’exciter le chant. Bientôt toutefois, il se voit obligé de renoncer à ces habitudes familières, à cause des foules qui se pressent toujours plus nombreuses à ses réunions et ne laissent pas une place vide. Pour pouvoir se promener dans les couloirs, « il lui faudrait marcher sur les têtes des assistants. » (16 novembre).

Mais surtout Evan Roberts se montre doué d’une faculté extraordinaire : il a en abondance des visions. J’ai déjà raconté les visions qu’il a eues avant ses débuts revivalistes. Il en a eu encore après avoir commencé sa mission.

En novembre — j’indique le mois pour bien montrer que nous sommes encore au début du Réveil — en novembre donc, Evan Roberts raconte :

« Lorsque je sors dans le jardin devant la maison, je vois le diable qui ricane en me regardant, mais je n’en ai pas peur ; je rentre dans la maison, et quand j’en ressors pour aller dans le jardin de derrière, je vois Jésus-Christ qui me sourit. Alors je sais que tout est bien. » (18 novembre.)

Le 20 novembre, Evan Roberts demande dans la réunion du soir : « N’y a-t-il ici personne qui veuille confesser Christ ? » Un jeune homme se lève en chancelant ; après l’avoir encouragé en lui disant que nul ne doit être honteux de confesser Christ, Evan Roberts continue : « Il est étrange que nous soyons assez faibles pour être incapables de regarder un auditoire de quelques personnes, et, en face d’elles, de confesser Jésus-Christ. Puis tout à coup, les yeux fixés en haut :

« Je vois une vision. Je puis voir le Roi des Rois sur son trône. Je puis voir autour de lui, de chaque côté de lui, et derrière lui une vaste foule, des myriades de saints, d’anges, de séraphins et de chérubins — et devant ce trône se tient notre frère aimé, Jésus. Il se tient là, et hardiment il nous reconnaît — il nous confesse vous et moi — devant cette immense assemblée. Jésus ne chancelle pas. Jésus n’est pas effrayé. Jésus n’est pas honteux. Et nous, nous sommes parfois effrayés ou honteux, ou trop faibles, pour nous lever devant quelques personnes et confesser le Sauveur qui est mort pour nous ! »

En novembre encore, il raconte qu’en écoutant un sermon à Newcastle-Emlyn, il reçut plus de bien d’une vision qu’il eut, que du sermon qu’il entendit. Le prédicateur parlait bien, très bien, s’animait, s’échauffait, transpirait par suite de la véhémence de son action oratoire. En apercevant la sueur sur les tempes du prédicateur, Evan Roberts aperçut tout à coup derrière le prédicateur… le Seigneur Jésus suant la sueur sanglante dans le jardin de Gethsémané, et, en rappelant à ses auditeurs cette vision, Evan Roberts ne peut résister à son émotion et éclate en sanglots. La congrégation chante aussitôt le Diolch iddo pendant que Roberts reprend possession de lui-même.

En novembre encore, Evan Roberts raconte dans une réunion que lorsqu’il était devant le trône de la grâce, il a vu apparaître devant lui une clef. Il n’a pas compris la signification de ce signe. — Mais au moment où il tient ce discours, trois membres de la congrégation se lèvent, disant qu’ils viennent de se convertir. « Ma vision est expliquée, prononce Roberts l’air radieux et illuminé, c’était la clef par laquelle Dieu ouvrait vos cœurs ! (11 novembre). Enfin, en décembre, en déclarant que nous sommes sur le seuil d’un Réveil à travers le monde entier, Evan Roberts est amené à raconter qu’il a eu une vision. Il a vu une chandelle brûlant avec éclat, et puis la lumière du soleil brillant par dessus. « Cela signifie, dit-il, que la lumière de l’Evangile, semblable d’abord à une simple chandelle, doit devenir comme le grand soleil qui éclaire le monde entier. Sur quoi je ferai observer, d’abord, que cette faculté d’avoir des visions n’est pas particulière au seul et unique Evan Roberts dans le Pays de Galles. Elle est commune à un très grand nombre de Gallois. Il y a là quelque chose qui peut tout d’abord surprendre des Français. Le Français, lui, n’a généralement pas l’imagination très forte. Sa vision intérieure n’a ni l’intensité hallucinatoire ni la fantaisie exubérante de l’esprit gallois : elle est plutôt une vue intellectuelle et lointaine qu’une résurrection sensitive, qu’un contact et une possession immédiate des choses mêmes. Mais il en est autrement des Gallois. Par exemple, dans une réunion, une femme a donné une description animée d’une vision qu’elle avait eue le soir précédent :

« Je vis, dit-elle, une terre vaste et magnifique, toute peuplée de visages aimés. Entre moi et cette terre dorée, il y avait une rivière étincelante, avec, pour pont, une planche. Je désirais traverser, mais j’avais peur que la planche ne pût pas me porter. Alors je me donnai à Dieu, et aussitôt il vint sur moi comme une grande vague de foi, et je traversai en toute sécurité (11 novembre). »

Dans une autre réunion (13 novembre), un homme décrit la vision qui lui est apparue la veille au soir. Il était seul dans sa chambre à coucher, lorsqu’il sentit tout à coup qu’il n’était pas seul. En même temps une voix semblait l’appeler, et l’inviter à prier, mais il ne pouvait pas prier. Le commandement fut répété trois fois, et il tomba sur ses genoux, sans qu’un mot pût sortir de ses lèvres. Alors, cependant, la voix lui commanda de « jeter la bouée. » — C’est le début d’un cantique familier (Throw out the life line). — A peine ces mots ont-ils retenti que la congrégation se lève tout entière, comme mue par quelque instinct commun, et se met à chanter l’hymne bien connu.

Un jeune homme dans le voisinage de Bridgend avait vécu pendant des années une vie très dissolue. Un soir il va entendre Dan Roberts ; en revenant, il est interrogé par sa sœur : « Est-ce que vous avez aimé le service ? — Aimé le service, en vérité ! réplique-t-il, est-ce que vous croyez qu’un garçon comme ça va m’influencer l’esprit ? Pas lui ! » Après avoir soupé chez sa sœur, il se met en marche pour rentrer chez lui à deux milles et demi de là. En chemin, il voit une vision : le Sauveur et son propre père, assis tous deux sur des chaises. Son père lui dit d’aller à une certaine ferme voisine et de dire là aux gens qu’il y a un temps merveilleux en perspective pour eux. Il va à la ferme, et trouve la famille en question occupée aux dévotions du soir. On lui dit : « Nous vous attendions ». Il raconte sa vision, ajoutant que son père paraissait en bonne santé. (Il n’avait été enseveli que quelques mois auparavant). Ils prient, chantent et lisent les Ecritures, « jusqu’aux petites heures du matin ». Il les quitte pour rentrer chez lui le cœur aussi léger que paisible, et le soir suivant il est parmi ceux qui louent le Seigneur.

A Trecynon, un libre penseur influent, Tom Hugues, est très impressionné par une réunion. Rentré chez lui, dans sa détresse spirituelle, il descend des rayons les livres qu’il avait tant appréciés pendant les années de son incrédulité ; il en déchire les pages et en fait un feu de joie. « Il lui semblait, dit le récit, que les anges de Dieu attisaient le feu pour hâter cette œuvre de destruction. » — Le lendemain, un autre libre-penseur, Evan Lewis, se convertit, et le surlendemain il se lève au moment où l’on va célébrer la sainte Cène, et s’écrie, avec un accent et des gestes qui révèlent l’amour dont est rempli son cœur : « Oh ! venez donc à Jésus ! Si seulement vous pouviez le contempler un instant, comme je l’ai fait hier, aucun de vous ne pourrait résister à son appel. »

Enfin, au Tabernacle de Cardiff, un homme raconte qu’il a vu quelqu’un de semblable au Fils de Dieu descendre d’un lieu élevé. Il est descendu tout droit au bord de l’abîme. Il ramenait les gens un à un ; ils revenaient par milliers ; et : « O jeunes gens ! s’est-il écrié, ne voulez-vous pas revenir ce soir ? »

Beaucoup de Gallois ont donc des visions. Evan Roberts semble en avoir un nombre particulièrement considérable. Dans ces diverses visions, il peut paraître difficile parfois de distinguer entre ce qui est purement invention imaginative, figure de rhétorique, procédé de description vive et pittoresque — et ce qui est réellement hallucination visuelle. Je ne me charge pas de tracer toujours avec sûreté la ligne de démarcation, d’autant plus que, de l’un de ces termes à l’autre, il y a toute une échelle de nuances successives de gradations insensibles. Mais quand on a lu ces divers récits de visions, quand on a fréquenté Evan Roberts et les Gallois, il est bien difficile de ne pas croire que soit les Gallois, soit Evan Roberts ont eu et ont, en effet, des hallucinations visuelles et auditives, et que plusieurs, au moins des visions que je viens de rapporter, sont précisément dans ce cas.

Que si on me demande maintenant comment j’explique ces visions, je répondrai qu’il n’y a pas lieu de les expliquer autrement que tous les phénomènes de ce genre : visions des prophètes hébreux, visions de saint Paul, visions de Socrate et de Descartes, vision de Pascal. Les visions, comme l’a fort bien dit M. Boutroux à propos de Pascal, ne sont pas une cause, mais un effet. C’est la pensée concentrée pendant des jours et des jours sur un même objet qui, à un moment donné, détermine dans l’organisme des sensations correspondantes. Et dans les visions essentiellement et directement religieuses, l’influence de Dieu peut être à coup sûr présente et active ; mais cette influence s’exerce directement et uniquement sur l’âme. La vision n’est qu’une traduction organique, un contre-coup physiologique d’un état d’âme intime et profond. Il n’y a pas d’ailleurs à se défier de ceux qui ont des hallucinations visuelles. Rien ne serait plus faux que de les considérer comme des détraqués. M. Boutroux fait observer que le visionnaire Socrate « était un esprit sain et robuste, un raisonneur infatigable, célébrant et pratiquant pardessus tout la possession de soi, et que des visions aussi ont échu en partage à l’homme du sens le plus rassis, à Descartes. » Donc, il n’y a pas à se méfier d’Evan Roberts parce qu’il a des visions. Et rien ne serait plus injuste, plus antipsychologique aussi bien que plus antireligieux, que de qualifier sommairement ces visions, comme on l’a fait parfois, de « grossières hallucinations d’un cerveau malade ». Les visions d’Evan Roberts, déclarent les Gallois « ne doivent pas plus être ridiculisées que celles de saint Augustin, de Martin Luther, de George Fox. »

« Evan Roberts a le don de voir ce qu’il pense, a dit Mr Stead. Beaucoup de ses visions sont tout simplement une vive réalisation de ses pensées. » Et l’on m’a fait remarquer au Pays de Galles que l’idée, le germe, qui est à la racine de la plupart de ses visions peut être retrouvé dans l’A. ou le N. T., et qu’il n’y a au fond rien de très original dans ces visions, sauf un petit changement dans la « draperie » ou l’imagerie des documents bibliques. Il semblerait que l’esprit d’Evan Roberts a été comme saturé des symbolismes de la Bible et que, dans ses visions, il reproduit avec quelques variations ces symbolismes lorsqu’il se trouve dans certaines conditions mentales ou spirituelles particulières.

Evan Roberts est un visuel, c’est aussi un auditif. Il arrive souvent que les deux choses sont séparées. Habituellement même, je crois, les bons visuels ne sont guère auditifs, et les bons auditifs sont de médiocres visuels. Dans sa Logique des sentiments, M. Ribot a fait une enquête sur la question suivante : Entre l’imagination musicale et l’imagination plastique n’existe-t-il pas un antagonisme naturel ? Le résultat de cette enquête a été que, durant le travail de l’imagination musicale, l’apparition d’images visuelles est l’exception ; lorsque cette forme d’imagination est faible, elle est la règle. Il est assez curieux qu’Evan Roberts qui est très musicien ait pourtant des hallucinations visuelles, et que, ayant des visions, il soit aussi un auditif. Mais tel semble bien être le cas. Il unit les deux, car à des facultés supra-normales de l’ordre visuel, il joint des facultés auditives qui ne dépassent pas encore, à cette période du Réveil, la normale, mais qui sont pourtant très développées. Sa chambre est un magasin de musique. Il possède, outre un puissant harmonium, un violon, une viole et une mandoline. Il pousse le Réveil dans la voie du chant, du chant à outrance.

Il faut enfin mentionner les espèces d’agonies intenses par lesquelles on voit passer Evan Roberts, ses contorsions, ses sanglots suivis de sourire, d’épanouissement de joie. A vrai dire, ces agonies sont susceptibles d’interprétations diverses, suivant les cas. Elles peuvent avoir plusieurs causes assez différentes, amenant pourtant un effet identique.

Dès le 17 novembre, nous les voyons apparaître (Pontycymmer). Evan Roberts déclare que ce jour a été « le plus grand jour de sa vie. » Dans le cours de la réunion du matin, « il est tombé prostré (fell prostrate) et est resté le visage sur le sol pendant un certain temps. Il semblait être en agonie. »

D’après quelques visiteurs français du Pays de Galles, lorsqu’Evan Roberts se congestionne, rougit, ou, au contraire, lorsqu’il pâlit, semble abattu, absorbé, triste, c’est qu’il porte les péchés de l’assemblée à la façon de Jésus-Christ mourant sur la croix ; puis le sourire, réapparu sur sa figure, marque la fin de l’expiation et le pardon qui en découle, la grâce. Cette même explication nous paraît être celle que M. Parker a en vue lorsqu’il écrit dans l’Evangéliste (10 février) : « Tout récemment, Evan Roberts présidait une réunion, assisté de plusieurs pasteurs qui se tenaient sur l’estrade, à côté de lui. Et voici que tout à coup il se trouva sous l’empire d’une émotion extraordinaire qui secouait tout son être ; son visage portait l’empreinte d’une angoisse inexprimable. Seigneur, disait-il, retire ta main ; je ne puis endurer cela plus longtemps. Bientôt il était prosterné à terre, caché aux yeux de l’assemblée ; mais ses cris d’angoisse transperçaient les cœurs. Cette agonie spirituelle dura un quart d’heure. Quand il se releva, il était presque transfiguré ; son visage portait une empreinte de calme et de paix qui lui donnait une expression angélique, et il murmura : Oh ! si j’avais les forces physiques pour supporter un tel poids de gloire ! C’est ainsi que, par l’Esprit, Roberts devient participant des souffrances du Christ, buvant la même coupe et baptisé du même baptême. »

Je crois l’explication fondée, au moins pour certains cas, pour le plus grand nombre même des cas. En Amérique, lors des Réveils de Jonathan Edwards, il y eut un nommé Davenport qui, poussant l’exagération et la déviation du sentiment religieux jusqu’à l’illuminisme et au fanatisme, fut blâmé et expulsé par l’Assemblée générale du Connecticut. On lui reprochait, entre autres méfaits, de se livrer à « une imitation indécente et affectée de l’agonie et de la passion de notre bien-aimé Sauveurb ». Les Corinthiens qui criaient : Jésus est anathème, et que saint Paul réprimande (1 Corinthiens 12.3) devaient avoir eux aussi des allures analogues. Ces cas extrêmes nous aident à comprendre le cas plus modéré, mais peut-être bien quand même un peu excessif, d’Evan Roberts. Chez lui, nous voyons tout d’abord une agonie intense produite par la simple pensée des souffrances endurées par le Christ. Cette pensée obsède pour ainsi dire Evan Roberts, et le Revival number ne craint pas de déclarer que l’insistance exclusive mise par Evan Roberts sur l’agonie physique de Jésus et la mort sur la croix, et son parti pris d’éviter presque complètement de mettre l’accent sur l’exemple de la vie du Christ, ont arrêté (given pause to) bien des esprits pieux. Lorsque cette pensée des douleurs du Christ saisit, étreint Evan Roberts, son cœur se fond et se brise. Puis l’obsession persistante, grandissante, entraîne Evan Roberts à une sorte de reproduction psychique, et même en partie physique, des souffrances et de l’agonie du Christ. Cette marche progressive du sentiment et de la pensée, cet épanouissement de l’obsession en acte imitatif, me paraît ressortir des exemples suivants :

b – Davenport. Primitive traits in religions revivais. New-York, 1905, p. 120.

Gipsy Smith — le fameux évangéliste bohémien — raconte devant Evan Roberts la mort de sa mère. « Nous n’avions pas de Bible à notre disposition dans notre campement de bohémiens, dit Gipsy Smith. Mais ma mère a tout de même trouvé Jésus ! Aussitôt Roberts se lève et dit d’une voix tremblante et entrecoupée de sanglots : « Pendant que Gipsy Smith parlait de sa mère mourant dans une tente, je pensai à mon Sauveur qui n’avait pas de lieu où reposer sa tête, et… Mais il ne peut aller plus loin ; dominé par son émotion, il se met à sangloter (décembre).

Une autre fois, Evan Roberts proclame que le Christ est mort pour les pécheurs. Mais succombant à son émotion, il retombe sur son siège et pleure à haute voix pendant dix minutes (décembre).

Une autre fois, il invite tous les hommes de 33 à 34 ans à se lever. Ils le font. « Quand je vous vois, dit Roberts cherchant à dominer une profonde émotion, « je pense… il ne peut aller plus loin ; il s’effondre pleurant, sanglotant, gémissant : « O mes amis, ô mes amis, quel Sauveur nous avons ! Lorsqu’il reconquiert un peu possession de soi-même, désignant l’un des jeunes gens encore debout, il demande à l’auditoire : « Que penseriez-vous si ce jeune homme que vous voyez était sur le point d’être crucifié et de subir les terribles souffrances de Christ ? La scène qui suit ces mots devient ultra-pathétique, et l’assemblée, comme répondant à la question du revivaliste, chante le Dyma gariad fel y moroedd (Torrents d’amour et de grâce). Le jeune homme montré par Evan Roberts était saisi d’une profonde émotion (décembre).

Agonie et vision se mêlent dans le trait suivant. Evan Roberts s’écrie : « Je me rappelle avoir vu une fois à Loughor un soldat romain en train de clouer mon Sauveur à la croix. Je pouvais le voir agenouillé sur le bras de Jésus ; je pouvais voir le clou s’enfoncer, le marteau retomber sur le clou. Oh ! savez-vous… et Roberts est suffoqué d’émotion au souvenir de la vision. L’assemblée chante (décembre).

Dans une réunion (3 janvier), tout à coup Evan Roberts, remarquant que les aiguilles de l’horloge de la chapelle indiquent 3 heures, se souvient de la scène sur le calvaire à 3 heures de l’après-midi, et se met à dépeindre de la façon la plus pathétique les scènes antérieures à la crucifixion et conduisant à la crucifixion.

Le 18 janvier, pendant le chant d’un cantique, Evan Roberts ouvre la Bible, les mains tremblantes, comme pour y chercher un texte. Tout à coup sa figure se tord comme s’il éprouvait une vive souffrance. Il lutte obstinément avec ses sentiments, chaque fibre de son être semble se contracter d’agonie ; bientôt il gît à terre, où il reste dix minutes prostré ; n’étaient le bruit de ses sanglots, on pourrait croire qu’il est parti. Tous les yeux demeurent fixés sur la chaire. Quand il réapparaît, son visage rayonne d’un sourire calme et majestueux. Et il se borne à dire qu’il vient de sortir de l’une des épreuves les plus dures qu’il ait jamais éprouvées, et qu’il a eu comme un nouveau témoignage de ce qu’avait été l’agonie du Christ dans le jardin.

Peut-être cependant, dans certains cas, les agonies intenses d’Evan Roberts proviennent-elles de l’effort de l’intercession. Nous savons, par Finney, par exemple, combien la prière d’intercession coûte à ceux qui la pratiquent d’une certaine manière avec un succès exceptionnel, et qui semblent avoir reçu comme un charisme d’intercession.

Voilà la première période, si l’on peut ainsi s’exprimer, de la carrière revivaliste d’Evan Roberts. Je dis : si l’on peut ainsi s’exprimer. En effet, il serait assez malaisé de fixer des limites chronologiques très précises aux périodes de la carrière revivaliste d’Evan Roberts. Très souvent, les phénomènes caractéristiques d’une période ont apparu sporadiquement dans la période précédente, et ont continué plus ou moins dans des périodes subséquentes. L’évolution d’Evan Roberts est fort complexe, et, si on veut en faire saillir la marche générale et ne pas se perdre dans un fouillis de détails, on ne peut éviter de simplifier un peu un développement très touffu et très compliqué.

Voici la seconde période :

Peu à peu, au fur et à mesure que le Réveil se développe et se poursuit, augmentant sans cesse en intensité, en puissance, cet épanouissement de la ferveur religieuse agit avec force sur Evan Roberts. Il en arrive à supprimer l’allocution par laquelle, dans les premiers jours du Réveil, il avait la coutume de commencer chaque réunion. L’allocution a fait son œuvre, et maintenant la conduite de la réunion est laissée presque entièrement entre les mains de l’assemblée. Et l’ardeur avec laquelle les assistants se chargent de faire vivre le meeting, peut être mesurée par la longueur du temps que dure chaque réunion (7, 8, 9 heures d’horloge et plus encore parfois). Constamment immergé dans le flux croissant des émotions qui accompagnent l’effort pour arracher les âmes à la destruction et les transporter dans la région bénie du salut, Evan Roberts est de plus en plus fortement galvanisé. Cette tension d’âme croissante et prolongée exalte son système nerveux et développe progressivement en lui les facultés psychiques et parapsychiques de son être. Le côté visuel se développe en lui, du moins à certains égards, car, chose assez curieuse, les visions — imaginatives ou hallucinatoires — semblent diminuer. Il n’en raconte plus dans les dernières brochures du Western Mail. Mais il semble acquérir une habileté de plus en plus grande à deviner l’état d’âme des gens en scrutant les visages, en interprétant les moindres jeux de physionomie. Au bout de quelques minutes, il est renseigné sur l’état d’âme des assistants, du moins de ceux que son regard peut atteindre, — à peu près de tous dans celles des chapelles galloises qui ne sont pas trop grandes. A Morriston (Dec. 30), il nous est dit que « Evan Roberts tout en écoutant ce qui était dit, observait (watched) les figures des assistants avec un intérêt évident ». Et lui-même s’est écrié à la même époque : « Beaucoup d’entre vous ne chantent pas avec l’Esprit. Comment est-ce que je le sais ? Vos visages le montrent. Incontestablement, Evan Roberts possède au plus haut degré le penchant et l’aptitude à observer ses semblables. Sous les dehors, mines, gestes, qu’on lui montre, sous les discours qu’on tient, sous les actions qu’on fait, il découvre, comme avec les yeux du corps, les ressorts invisibles qui produisent tout cela. Des signes extérieurs très légers, très fugitifs, une attitude, un mouvement, un faible tremblement du corps, de la main, une rougeur imperceptible, une intonation, un accent, un timbre, un mot échappé… le voilà au fait.

Il y a plus. Evan Roberts semble être en communication toujours plus étroite, toujours plus intime avec son auditoire, et ressentir en soi les moindres vibrations ou modifications du sentiment collectif, et c’est là — dans cette seconde période — ce qui me paraît surtout expliquer les agonies intenses, les contorsions, les sanglots, les sourires d’Evan Roberts. Toutes ces manifestations me paraissent avoir en bien des cas une signification télépathique. Evan Roberts a mystérieusement connaissance des incertitudes, des hésitations, des angoisses, des luttes où se débattent les âmes. S’il y a dans l’auditoire des âmes troublées, s’il se livre dans un cœur un combat tragique, si une âme oppose une résistance désespérée aux influences chrétiennes, Evan Roberts le sent. Une impression pénible, douloureuse, se transmet immédiatement à lui. Et nul moins que lui ne réussit et même ne cherche à dominer et à cacher ses émotions. Toute son attitude révèle à chaque instant son état d’âme. Et quand ça ne marche plus, quand les âmes ne réussissent pas à se convertir ou refusent de se convertir, il souffre, il se tord, il gémit, il lutte, il pleure, il sanglote à fendre l’âme. Et lorsque le combat intérieur se termine par la victoire de Dieu et du bien, lorsque l’obstacle est enlevé, le visage d’Evan Roberts s’épanouit.

C’est vers la même époque qu’Evan Roberts, de plus en plus dominé par l’épanouissement de virtualités cachées qu’il porte au dedans de lui, sentant monter, des arrière-fonds subconscients de son être, de mystérieuses et toujours plus fréquentes poussées, éprouve une répugnance croissante à employer l’anglais dans les réunions et répond, à ceux qui lui demandent de l’employer, que l’Esprit ne lui permet pas de parler en anglais. Dans l’Eclaireur, M. J.-I. Luce a décrit une réunion à laquelle il avait assisté et où Evan Roberts a raconté que, par deux fois, il avait demandé au Seigneur la permission de parler en anglais, mais que le Saint-Esprit ne la lui avait pas accordée. Il est permis, je suppose, de se demander si l’Esprit émet réellement des ordres de ce genre. L’interprétation psychologique est aisée : cela veut dire tout simplement que le subconscient d’Evan Roberts est foncièrement gallois ; que le gallois est la langue qui exprime le mieux les sentiments les plus intimes de son être et permet le mieux au déclenchement des facultés subliminales de s’opérer. Il est probable que la situation d’Evan Roberts vis-à-vis de l’anglais est sensiblement la même que celle de son frère Dan. Or, au cours d’une conversation que j’ai eue avec Dan Roberts, ayant été interrogé par lui sur la façon dont il fallait dire en français : Diolch iddo ! et n’étant pas encore, à ce moment-là, très ferré sur le sens de ces mots, je lui répondis : « Je crois que cela se traduit en français : Gloire à Dieu, louange à Dieu ». Puis, comme je voulais être bien sûr, j’ai ajouté d’un ton interrogatif et dubitatif : « Diolch signifie bien, n’est-ce pas ? en anglais glory, praise ? » Il n’avait pas l’air de trouver que ce fût tout à fait cela ; mais il ne paraissait pas capable de découvrir lui-même la vraie et exacte traduction anglaise de Diolch, il cherchait en vain. Sur quoi j’ai interpellé un missionnaire qui était là et qui m’a répondu tout de suite : Diolch signifie Merci, Thanks. Diolch iddo, merci à Dieu, grâces à Dieu. »

C’est alors aussi que commence à s’exercer le don prophétique d’Evan Roberts, le don de lecture de la pensée. Tout à coup, brusquement, d’après les récits des brochures du Western Mail, le voilà qui se met à prédire les conversions sur le point de s’opérer :

Le 30 janvier, tandis que les assistants sont en train de chanter, l’évangéliste les arrête, déclarant qu’un homme est en détresse et sur le point de prendre une décision, et là-dessus, la nouvelle retentit qu’un homme s’est décidé. L’assemblée chante le Diolch iddo ; l’évangéliste arrête encore le chant, déclarant qu’il y en a un autre sur le point de se décider ; il demande où est cette personne et, presque aussitôt, retentit la déclaration : « Un autre s’est décidé dans la galerie ! » L’assemblée recommence à chanter ; elle est encore arrêtée par l’évangéliste qui déclare qu’il y en a encore un qui meurt du besoin d’avoir un Sauveur. Et, immédiatement, résonne l’information : « Il y en a un ici qui accepte Christ ». Le Diolch iddo retentit de nouveau avec vigueur. Et cela continue encore plusieurs fois, Evan Roberts interrompant sans cesse le chant pour affirmer qu’il y a des âmes en lutte sur le point de se décider et suppliant l’assemblée de prier. Chaque fois, l’excitation, l’émotion grandissent. Et chaque fois un converti répond à la prédiction du revivaliste. L’impression subie par tous est si solennelle, que l’évangéliste s’écrie : « C’est maintenant trop terrible ici pour que nous puissions chanter. Je n’ai jamais rien éprouvé de pareil auparavantc. Quelqu’un essaie de chanter le cantique : « Je prie pour vous », mais Evan Roberts l’arrête. « C’est trop solennel pour chanter ici ! » déclare-t-il. A partir de ce moment, dans les réunions suivantes, Evan Roberts multiplie ses prédictions extraordinaires — prédictions toutes optimistes. Il est à la joie, à l’amour. Non seulement il les multiplie, mais il les précise. Il annonce l’endroit de la chapelle où se trouve la personne qui va se convertir, et les prédictions se vérifient — comme celles des lumières de Mrs Jones.

c – Voilà le témoignage spontané et naïf du changement psychologique qui se produit dans Evan Roberts, de l’avènement subit au grand jour de certaines virtualités latentes de son être.

C’est la deuxième période de la carrière revivaliste d’Evan Roberts.

Voici la troisième : En même temps que les facultés télépathiques supranormales de Roberts se développent, le Réveil s’accroît, se propage, grandit. Le Western Mail et les autres journaux gallois — voire même les journaux anglais — font gratuitement au Réveil et à Evan Roberts une réclame monstre. Le Western Mail, le principal journal de Cardiff et du Pays de Galles du Sud, identifie de plus en plus, d’une manière même parfois excessive, le Réveil gallois et Evan Roberts. Il envoie un reporter, Awstin, qui suit Evan Roberts, s’attache à ses pas, publie le compte rendu de toutes les réunions d’Evan Roberts. Peu à peu, la renommée d’Evan Roberts s’étend. La réclame dans laquelle il n’est pour rien, d’une part, et d’autre part l’étrange fascination qu’il exerce, et le caractère original, imprévu de tout ce qu’il fait et de tout ce qu’il dit, les scènes étranges d’agonies ou de prédictions attirent et fixent sur lui l’attention. Son nom est dans toutes les bouches. Il voit s’asseoir dans les réunions qu’il préside des pasteurs de toutes les dénominations, des auditeurs appartenant à toutes les classes de la société, depuis le simple mineur jusqu’aux magistrats, aux évêques et aux membres de l’aristocratie de son pays. Partout où il va, il éveille une curiosité croissante. Des foules énormes s’assemblent pour le voir, pour l’entendre. Les enfants le suivent dans les rues et trouvent une nouvelle joie dans la vie à lui parler, à lui toucher la main. Il est obligé de dissimuler autant qu’il peut ses mouvements, de cacher ses allées et venues. Mais il n’y réussit pas complètement, car il ne veut pas décourager la presse, si enthousiaste pour le Réveil et qui, portant partout les nouvelles des conversions opérées, propage le feu dans tout le pays. Et quand un journaliste sait une nouvelle mystérieuse convoitée, le secret est en de douteuses mains ; il s’évente bientôt. Et les foules continuent de suivre, de précéder, d’entourer Evan Roberts.

Avec sa perspicacité, normale et supranormale, il discerne bientôt, dans les réunions qu’il préside, là présence d’un nombre croissant de personnes venues dans un esprit de curiosité. Il les gronde, les gourmande, les menace. Il commence par blâmer et tancer ceux qui ont résisté au Saint-Esprit en ne suivant pas les impulsions à prier, à chanter qui leur venaient de l’Esprit — désobéissance due à la curiosité, à la frivolité, à la tiédeur. Les scènes de ce genre se multiplient. Puis il blâme ceux qui se sont levés pour chanter, parler ou prier sans y être poussés par l’Esprit, par vanité, désir de paraître. Déjà le 14 novembre, à Trecynon, au cours d’une allocution, Evan Roberts avait dit : « Si quelqu’un est venu ici ce soir avec l’intention de faire de l’effet, je lui conseille de s’abstenir. Restez silencieux, à moins que vous ne sentiez que vous êtes poussé à parler ou chanter. » Mais cette défense de parler, d’abord passagère, se répète, se renouvelle, se précise.

Le 4 janvier, Evan Roberts se lève tout à coup et crie : Arrêtez ! Un chanteur persiste à chanter, mais Evan Roberts lui crie à plusieurs reprises : Arrêtez ! Arrêtez ! s’il vous plaît ! Quand il s’est arrêté, Evan Roberts déclare qu’avant d’agir ainsi, il a demandé de la sagesse :

« Si vous obéissez à l’Esprit en chantant, vous pouvez obéir aussi en vous arrêtant. J’ai remarqué, ajoute-t-il, que dans quelques réunions l’Esprit avait été éteint par des personnes qui s’étaient levées pour faire certaines choses ; et j’ai reçu du Saint-Esprit l’ordre de dire à de telles personnes de s’asseoir. A une certaine époqued j’ai permis aux meetings de marcher tout seuls, mais maintenant le Saint-Esprit me dit d’empêcher que le Saint-Esprit soit éteint par n’importe qui enclin à se lever pour faire montre de soi-même. Je sais lorsque quelqu’un se lève sans être mû par l’Esprit. Vous le savez aussi. Et il devient nécessaire d’enseigner aux gens à marcher, et à marcher droit. Il est absolument nécessaire de prier pour obtenir la sagesse. Vous pourrez dire que je suis dur en parlant ainsi, mais c’est la leçon du Saint-Esprit, par qui je suis guidé dans la matièree. Prions-le de nous prendre et de nous employer corps et âme, et nous ne pourrons pas nous tromper dans ce que nous ferons. Prions pour obtenir la sagesse. »

d – On voit comme lui-même a conscience de la succession de plusieurs époques dans sa carrière revivaliste.

e – On remarquera cette certitude qu’a Evan Roberts d’être infailliblement inspiré.

Bientôt les dons télépathiques d’Evan Roberts prennent une nouvelle direction et un nouvel emploi. Il lit dans les âmes des auditeurs les obstacles qui s’opposent à la conversion, les obstacles moraux. Il somme les gens brouillés de se réconcilier tout de suite ou de quitter la réunion.

Par exemple, le 26 janvier, à la fin de la réunion, il crée une surprise considérable en déclarant qu’il y en a quelques-uns dans la chapelle qui sont comme des loups en habits de brebis. Ils sont venus là avec le dessein exprès de mettre des obstacles sur son chemin. « Je me sens presque contraint de les désigner, déclare-t-il, et si je le fais, les gens vont ouvrir les yeux ! » Alors Evan Roberts se retire loin de la vue du public pendant un petit moment et paraît se plonger dans une prière silencieuse. Puis il demande à l’assemblée de chanter un hymne qu’il indique. La réunion continue. Quand il est sur le point de partir, il se reprend à parler de ceux qui sont venus à la réunion pour faire obstacle et affirme que ses remarques se rapportent à deux hommes et que ces deux hommes sont dans le Set Fawr. — Celte déclaration cause naturellement une vive sensation, et provoque des discussions animées parmi les assistants. Et ce n’est là que le premier échantillon de scènes très nombreuses qui se sont ensuite déroulées, scènes dans lesquelles Evan Roberts multipliait ses déclarations pessimistes, objurguait, parfois même dénonçait nommément tel individu (notamment à Merthyr, le 29 janvier).

Continuant ses tournées revivalistes, Evan Roberts se voit obligé, à plusieurs reprises différentes, de s’interrompre et de se reposer quelques jours. Pendant ces cinq mois, il a commis beaucoup d’imprudences, mangeant peu, dormant mal, sortant le soir sans pardessus et sans chapeau d’une chapelle surchauffée par une nombreuse assistance pour courir à travers les rues froides à une autre chapelle, où se tenait une autre réunion. Des tempéraments plus robustes que le sien n’y résisteraient pas. Mais surtout la tension nerveuse a été trop intense. Les meilleurs amis de Roberts commencent à craindre pour lui. On se souvient de ce qui est arrivé à un Réveil antérieurs celui de 1859, où le premier revivaliste Humphrey Jones a été brisé au bout de trois ou quatre mois et rendu incapable de présider jamais une autre réunion, et où le Réveil aurait été arrêté, si un second revivaliste plus vigoureux, Morgan, n’avait pas surgi. Les amis de Roberts l’engagent à ne pas tant user de ses dons télépathiques qui courent le risque de l’épuiser, et à en revenir à sa première manière, plus calme, plus modérée. Mais si Evan Roberts est influençable par les courants collectifs, ou par l’état mental d’une âme dans la réunion, influençable dans ce sens qu’il est informé et qu’il sent en conséquence, personne n’est moins influençable que lui dans le sens où être influençable signifie être prompt à modifier sa pensée et sa conduite par déférence pour des avis motivés et réfléchis qui lui sont présentés. Tout cela lui apparaît comme de la réflexion humaine, tandis que ce qui lui arrive de l’arrière-fond subconscient de son être lui semble provenir tout droit du Saint-Esprit.

Deux ministres gallois établis en Angleterre et chauds admirateurs d’Evan Roberts, le Rév. Elvet Lewis, de Londres, et le Rév. Davies, de Brighton, ont supposé que les noms de certaines personnes étaient donnés à Evan Roberts en réponse à ses prières, mais ont suggéré l’idée que de tels secrets étaient obtenus à des frais vraiment trop considérables lorsque l’épuisement consécutif rendait Evan Roberts incapable de poursuivre sa grande mission. N’y a-t-il pas, ont-ils demandé, une façon « plus excellente » de faire pénétrer dans les cœurs la conviction de péché que la lecture de pensées même surnaturelle ? Et l’importance croissante attachée aux dons supposés surnaturels du revivaliste, ne constitue-t-elle pas un renversement de l’appréciation que saint Paul faisait de la valeur relative de ces mêmes dons qui existaient à son époque, et de la grâce de la charité qui existait alors et qui heureusement existe encore aujourd’hui ? N’y a-t-il pas des dangers spéciaux liés à de telles prétentions, comme le montre l’exemple de ce grand homme, Edouard Irving ?… Evan Roberts ferait beaucoup mieux de se reposer à fond, pour pouvoir ensuite reprendre et poursuivre sa belle œuvre.

C’est vers cette même époque, le 31 janvier, que paraît dans le Western Mail une vigoureuse attaque contre Evan Roberts, sous la forme d’un article intitulé : Le double Réveil au Pays de Galles, et signé par le Rév. Peter Price, pasteur de l’Eglise congrégationaliste de Béthanie, à Dowlais. Dans cet article, le Rév. Price soutient qu’il y a deux Réveils : un Réveil authentique, divin, où Evan Roberts n’est pour rien — et un Réveil artificiel, qui n’est qu’une parodie de l’autre, une « moquerie », un « travestissement », et dont l’auteur est Evan Roberts — lequel affecte les airs d’une personne douée des attributs divins. « Y a-t-il donc quatre personnes dans la Trinité, et Evan Roberts est-il la quatrième ? ». Il se conduit non pas « comme quelqu’un que le Saint-Esprit a dirigé », mais « comme quelqu’un qui dirige le Saint-Esprit ». Le vrai Réveil est un feu céleste, le Réveil d’Evan Roberts n’est qu’un feu follet. Evan Roberts ressemble aux prophètes de Baal qui cherchaient par leurs incantations à créer un feu de mensonge. Tous les agissements d’Evan Roberts sont sacrilèges et blasphématoires. Et le Rév. Price lui reproche des prophéties de conversions qui n’ont pas été vérifiées, ses refus de parler anglais sous prétexte qu’il n’y est pas autorisé par l’Esprit, alors que la vraie raison c’est qu’il ne sait pas l’anglais, son habitude de n’arriver dans les réunions que lorsqu’elles sont déjà au comble de l’excitation, et de ne visiter que les localités où le feu a brûlé déjà depuis des semaines et des mois, sa mauvaise humeur quand les choses ne vont pas à son gré, ses boutades fâcheuses, telles que celle-ci : « Demandez à Dieu de damner les gens si vous ne demandez rien d’autre ! » — « Oui, conclut le Rév. Price, oui, mais il a une figure aimable et un beau sourire — ainsi disent quelques femmes. C’est le dernier mot qui tranche tout. »

En publiant cet article, l’« éditeur » du Western Mail le fit suivre de quelques remarques où il prenait la défense d’Evan Roberts, contestait absolument qu’il y eût deux Réveils gallois, déclarait qu’avant les réunions d’Evan Roberts à Loughor le Réveil pouvait être dans l’air, mais n’avait pas éclaté, et que c’est grâce à l’intervention d’Evan Roberts qu’a éclaté et s’est développé le seul et unique Réveil qu’il y ait jamais eu au Pays de Galles.

Peu après paraissait une brochure publiée par le Western Mail et orné des portraits du Rév. Peter Price et d’Evan Roberts sous ce titre : « Le Rév. Peter Price et Evan Roberts. Discussion sur le Réveil galloisf. » Il était dit dans le préambule que l’article du Rév. Peter Price « avait produit une profonde excitation, qu’il était même douteux que le monde gallois religieux ait jamais été plus profondément ému. » Des protestations vigoureuses et indignées se sont abattues sur les bureaux du Western Mail, était-il ajouté, venant de toutes les parties du Pays de Galles et même de l’Angleterre ; des Anglicans se sont joints à des non conformistes pour répudier Mr Price comme critique équitable des Revivalistes. Pourtant, Mr Price n’a pas manqué de soutiens, même de la part des ministres (sa propre Eglise l’a unanimement approuvé). Mais la vaste majorité des lettres ont condamné fortement ses vues. Une vingtaine de colonnes environ ont été consacrées dans le Western Mail à la publication de ces lettres, et on n’en a pas publié un dixième du nombre total. Ces lettres sont publiées de nouveau dans la brochure en question, avec quelques autres qui n’avaient pas encore vu le jour. Plusieurs de ces missives nient catégoriquement le bien-fondé des allégations du Rév. Price, et à bon droit. Il n’est pas vrai, par exemple, qu’Evan Roberts ignore l’anglais. Et plusieurs autres affirmations du Rév. Price sont dénuées de fondement.

f – The Rev. Peter Price and Evan Roberts. Controversy on the Welsh Revival. Reprinted from the Western Mail.

Toutefois, défalcation faite de ces erreurs, on ne peut contester que dans les réflexions du Rév. Price et de ses défenseurs, il n’y ait certaines critiques fondées et dont Evan Roberts se serait bien trouvé de faire son profit. Mais le ton était si hostile, si déplaisant, les invectives à l’adresse d’Evan Roberts si dépourvues de mesure, que l’impression sur le revivaliste, sur ses amis, sur la masse des Gallois ne pouvait qu’être pénible et fâcheuse. Plusieurs des correspondants du Western Mail qui ont pris la plume pour défendre Evan Roberts sont allés jusqu’à accuser explicitement le Rév. Price de « haine, de jalousie, d’envie, de vanité, d’arrogance, d’orgueil, de grossière indiscrétion, de cruauté, de malice ». Il y en à un qui compare la lettre du Rev. Peter Price attaquant Evan Roberts à l’attitude de Pierre reniant Jésus-Christ. Un autre le déclare animé du même esprit que les persécuteurs d’Etienne. Un autre conseille aux paroissiens du Rév. Price d’exiger immédiatement de lui une rétractation ou sa démission. Il est certain que, comme le font remarquer le professeur Keri Evans et quelques autres correspondants, les auteurs de ces lettres prennent vis-à-vis du Rév. Price la même attitude, aussi peu charitable, que celle qui a été prise par le Rév. Price lui-même vis-à-vis d’Evan Roberts. Ils ne montrent assurément pas par leurs lettres que l’esprit du Réveil les ait bien suffisamment remplis de douceur et de charité.

Quant à Evan Roberts, il a pris et conservé une attitude de calme indifférence en face de cette controverse passionnée. Il a refusé d’entrer en discussion avec qui que ce soit ou même d’exprimer une opinion quelconque sur les critiques du Rév. Price. Il s’est borné à dire : « Je suis satisfait, je suis sur le roc ». Et à quelqu’un qui lui demandait ce qu’il pensait des critiques du Rév. Price, il s’est contenté de répondre : « Laissez-le tranquille. J’ai mon œuvre à faire. Cette attaque ne me dérangera pas. Tout arbre est connu par son fruit et, grâce à Dieu, le fruit de l’Esprit est abondamment manifeste dans ce mouvement. » Si les attaques du Rév. Price et de ses amis ont eu sur Evan Roberts une influence quelconque, il est à croire qu’elles l’ont plutôt confirmé et poussé dans sa voie. Car Evan Roberts s’est tenu ce raisonnement très simple : ces gens-là s’opposent à Dieu ; le fruit de l’Esprit montre que le Réveil est de Dieu et que mon activité est inspirée ; donc ce qu’ils blâment, c’est ce que blâme Satan ; par suite, ce que j’ai de mieux à faire, c’est de continuer d’être et de faire ce que le Rév. Price et ses amis trouvent mauvais que je fasse et que je sois ! Et il est probable que les attaques du Rév. Price ont eu pour résultat d’empêcher Evan Roberts de prêter attention et importance aux avertissements et insinuations de ses vrais amis qui désiraient enrayer un développement qui leur causait, à juste titre, quelque appréhension.

On peut se demander si l’emploi que fait Evan Roberts de ses dons télépathiques est bien légitime ?

J’avoue avoir été et être-encore un peu étonné des reproches véhéments, qu’adressent plusieurs Anglais à Evan Roberts, le blâmant d’employer l’occultisme, le mesmérisme, la télépathie, à des fins religieuses. Comment peuvent-ils trouver là un si grand crime, lorsque, d’autre part, ils admettent — c’est ce que font tous les critiques anglais de Roberts, — le droit pour un revivaliste de sommer les convertis de se lever, le droit pour un revivaliste d’exercer une sorte de pression, de violence — de violence sociale — sur les inconvertis ? Si Evan Roberts sait que tel individu est inconverti sans avoir besoin de recourir au procédé : Assis ou debout, pourquoi n’userait-il pas de sa connaissance ? Il en use bien, et Torrey aussi, et tous les revivalistes ou missionnaires anglais ou américains, pour la connaissance obtenue par le procédé : debout ou assis ! La seule objection spécieuse qu’un Anglo-Saxon ait le droit d’élever, c’est que les inconvertis ayant chance d’être signalés à l’attention publique par la seconde vue de Roberts risqueront d’y regarder à deux fois avant de venir, à la réunion. Mais, en définitive, cette crainte ne les écarte ni plus ni moins que la crainte d’être découverts par le procédé assis ou debout. Et Evan Roberts peut se réclamer de l’approbation de saint Paul et de la pratique de l’Eglise primitive : « Si donc toute l’Eglise est rassemblée en un même lieu… si tous prophétisent et qu’il y entre quelque infidèle, ou quelqu’un du commun peuple, il sera convaincu par tous, il sera jugé par tous, et ainsi les secrets de son cœur seront manifestés ; de sorte qu’il se prosternera la face en terre, il adorera Dieu et il publiera que Dieu est véritablement parmi vous. (1 Corinthiens 14.23-25) Les apôtres ont bien eu recours eux-mêmes en certains cas au don de seconde vue : Voyez par exemple l’histoire d’Ananias et de Saphira. Il est de même permis de se demander s’il n’y a pas une allusion à quelque don télépathique de seconde vue dans le passage de la première épître de Jean, relatif au péché qui mène à la mort et pour lequel l’apôtre ne dit pas de prier : il semble supposer un moyen de discerner ce péché. A coup sûr, Evan Roberts n’est pas infaillible, mais il n’y a peut-être pas tellement à se scandaliser de sa méthode. Si originale qu’elle soit, on pourrait soutenir — et on l’a soutenu dans la presse galloise — qu’elle n’était qu’un retour aux temps apostoliques. Il semble même que, d’après le quatrième Evangile, Jésus, lui-même, n’est pas sans s’être servi, le cas échéant, du don de seconde vue : qu’on se l’appelle l’histoire de Nathanaël sous le figuier, l’histoire de la Samaritaine et de ses maris.

Deux points seulement me paraissent susceptibles d’être sérieusement critiqués chez Evan Roberts :

1° C’est l’emploi ultra-inquisitif qu’il fait soit du procédé assis ou debout, soit de ses facultés télépathiques. Mais à vrai dire cette critique, quoique susceptible de s’appliquer à quelques-unes de ses révélations télépathiques que nous raconterons plus loin, concerne surtout l’emploi des procédés tels que celui que j’ai appelé assis ou debout.

[Ne rentrent pas sous cette rubrique les cas nombreux où Evan Roberts se borne à interroger l’assemblée en masse et reçoit une réponse collective dont il se contente. Par exemple, le 2 janvier, tandis que l’auditoire chante, Evan Roberts s’écrie : « Croyez-vous ce que vous chantez ? » Et plusieurs dans l’auditoire crient : « Oui », et le chant repart de plus belle. Le 16 février, il interroge : « Ceux d’entre vous qui ont reçu Jésus-Christ, avez-vous trouvé quelque défaut en lui ? » Et des non enthousiastes jaillissent de toutes les parties de l’auditoire. Le 17 février, il demande : « Est-ce que vous pouvez dire avec l’hymne que vous venez de chanter : « Jésus, tu es entièrement suffisant ? » Un volume de oui répond. Le 19 février, c’est tout un dialogue : « Est-ce que vous croyez que Dieu exauce les prières ? » — Oui. — Est-ce que Dieu exauce les prières aujourd’hui ? — Oui. — Pour obtenir une bonne réunion ? La réponse, ici, est moins prompte, ce qui amène, de fil en aiguille, le Revivaliste à insister sur le fait qu’il faut toujours avoir pour objectif la gloire de Jésus.]

Il me semble qu’il y a là décidément quelque excès — quoique à coup sûr cela ne me regarde pas, et si les Gallois sont contents, je n’ai rien à dire…

Par exemple, une fois dans une réunion, il y a un incrédule qui veut raisonner, discuter. Les revivalistes gallois ont pour principe de se refuser à des conversations de ce genre. Et ils ont bien raison. D’abord, comme ils sont relativement peu instruits, ils ne brilleraient peut-être pas dans une discussion méthodique. Mais puis et surtout leur attitude est très psychologique. L’affirmation, le témoignage, a une valeur communicative et contagieuse bien supérieure à celle de la démonstration ou réfutationg. La répétition aussi a une force incalculable qui provient de ce que la chose répétée finit par s’incruster dans ces régions profondes du subconscient où s’élaborent les motifs de nos actions. Au bout de quelque temps — d’un temps qui peut se raccourcir singulièrement sous la pression d’une puissante suggestion collective — on arrive à ne plus pouvoir se débarrasser de l’assertion répétée devenue comme une obsession subliminale, on en vient à ne plus pouvoir ne pas y croire et ne pas agir en conséquence. Donc Evan Roberts est bien inspiré, psychologiquement, quand il défend d’argumenter et qu’il dit (ce que j’ai aussi entendu dire à Sydney Evans) : Témoignez ! priez ! Semblablement il a été bien inspiré, psychologiquement, dans le cas spécial que j’ai en vue lorsque, au lieu de répondre directement à l’incrédule, il a crié : « Que tous ceux qui croient que Jésus-Christ est Dieu, veuillent bien se lever !Il y avait de quoi impressionner, suggestionner l’incrédule. En revanche, on hésite un peu devant des questions comme celle-ci qu’il lance dans la même réunion : « Y a-t-il ici quelqu’un qui soit au service du diable ? » Un homme a, paraît-il, le courage de se lever. Mais bientôt il se repent, et se tordant « dans une agonie qui semble surnaturelle », il finit par accepter Christ en pleurant comme un enfant (décembre)h.

g – Cf. mon article sur le témoignage, Revue chrétienne, 1er janv. 1905, p. 21 et suiv.

h – Ce passage subit d’un extrême à l’autre, cette instabilité mentale est très intéressante à constater au point de vue de la psychologie des foules.

Une autre fois, Evan Roberts ordonne : « Que tous ceux qui lisent la Bible chaque jour se lèvent ! »

La moitié à peu près de l’assemblée se lève.

« Que tous ceux qui ont l’intention de lire la Bible chaque jour dans l’avenir, veuillent bien se lever ! »

Un plus grand nombre qu’à la première question se lèvent, mais il y en a beaucoup qui restent encore assis.

« Que ceux qui prient chaque jour se lèvent ! »

« Que ceux qui ont l’intention de prier chaque jour dans l’avenir se lèvent ! (décembre). »

A Loughor (déc. 25), Roberts demande de nouveau à ceux qui croient en Dieu de se lever — presque toute la congrégation se lève. Il leur demande s’ils lisent réellement la Bible chaque jour — une demi-douzaine de personnes se jettent à terre et pleurent amèrement.

A Morriston, il demande à ceux qui ont prié ce soir pour la conversion de quelque âme particulière dans la réunion de se lever. — La réponse est faible, peu se lèvent (30 décembre).

Ailleurs, il invite tous ceux qui ont fait de leur mieux pour Christ (who have done their best for Christ) à se lever. Pendant une bonne minute, personne ne bouge. Il y avait plusieurs ministres dans le Set Fawr, et dans un des sièges de côté était Mr Herbert Booth, fils du général Booth. Est-ce que personne ne se lèverait ? C’était la question que chacun paraissait se poser. A la fin une femme dont les yeux étaient rougis par les larmes se lève en disant : « J’ai essayé de faire de mon mieux ». Une autre femme suit avec une déclaration analogue. Appuyé sur la chaire, Evan Roberts sourit d’un sourire de compassion… Au bout de quelques instants, un pasteur se lève et explique pourquoi il ne s’est pas levé à l’appel de Roberts. Depuis le moment où l’appel a été lancé, il a senti qu’il avait bien fait de son mieux pour Christ, mais que pourtant tout ce qu’il avait fait n’était pas tout à fait aussi pur qu’il aurait pu et dû être. Evan Roberts remue la tête en signe d’approbation ; alors un autre pasteur se lève et dit : « J’ai prêché l’Evangile pendant des années, mais après chaque sermon j’ai senti que j’aurais pu faire mieux (5 janvier). »

Enfin, pour clôturer cette série d’exemples, le 9 février, Roberts demande combien de personnes ont prié avant de venir à la réunion pour le salut des âmes, et seulement quelques-uns lèvent la main.

Les journalistes qui rapportent ces traits assurent que le revivaliste s’est bien gardé d’adresser aucune censure explicite à ceux qui, dans ces divers cas, ne se sont pas levés. Il ne leur a rien dit de désagréable. Il a bien fait. C’est égal, c’est tout de même pousser un peu loin l’inquisition — quoique à coup sûr cela mette de la variété dans les réunions et entretienne la sensation de l’imprévu : on ne sait jamais, quand on entre, quelle question ce terrible homme va vous poser… De même on pourrait trouver à redire à l’emploi que fait Evan Roberts de ses facultés parapsychiques pour révéler au public tel combat intime et très particulier qui se poursuit dans telle âme, ou telle attitude fâcheuse de tel ministre, etc… Evan Roberts répliquerait que les réunions ne peuvent marcher tant que ces obstacles ne sont pas enlevés. Il serait aisé de lui répondre que les réunions de Dan Roberts, de Sidney Evans, de Mrs Jones marchent bien sans qu’il y ait là personne pour exercer le don prophétique de lecture de pensée : le Réveil n’est pas solidaire du recours à ces facultés parapsychiques. Mais en dernière analyse, Evan Roberts se réfugierait derrière… « le Saint-Esprit ! C’est le Saint-Esprit qui le pousse, affirmerait-il, et il ne peut résister au Saint-Esprit… Nous sommes ainsi conduits à la seconde critique que l’on peut adresser à Evan Roberts :

2° Le second point susceptible d’être sérieusement critiqué chez lui, c’est la constante certitude avec laquelle il attribue au Saint-Esprit absolument tout ce qui lui vient de son subconscient. En quoi il y a possibilité parfois de différer d’avis avec lui. Car enfin il y a danger à ériger immédiatement en parole divine tout ce qui jaillit des profondeurs souterraines de notre être. Du subconscient peuvent provenir non seulement les inspirations du Saint-Esprit, mais aussi d’autres inspirations moins recommandables. Evan Roberts lui-même a prononcé une parole très significative quand il s’est écrié, le 5 janvier, dans une réunion :

« Il y a trois esprits dans ce meeting : l’Esprit de Dieu, l’esprit de l’homme et le mauvais esprit. » L’esprit de l’homme, ce sont les inspirations qui viennent de l’individu lui-même, tout bonnement et tout simplement, et aussi les inspirations qui viennent des autres individus présents, de la foule : ces dernières suggestions doivent être très fortes chez Evan Roberts, doué comme il l’est de facultés parapsychiques et télépathiques extraordinaires.

Cette facilité avec laquelle Evan Roberts prend pour indications spéciales du Saint-Esprit tout ce qui lui est ainsi révélé, tout ce qui lui arrive du sous-sol de la conscience et attribue au Saint-Esprit son don extraordinaire de lecteur de pensées, l’a entraîné parfois à des actes étranges, contestables, pour ne rien dire de plus.

Les exemples abondent. Il n’y a que l’embarras du choix.

Voici, par exemple, l’histoire de son refus d’aller à Cardiff :

Le 3 février, il avait eu une attaque de prostration nerveuse et avait été obligé de se soigner quelques jours. Le 8 février, quoique sa santé soit rétablie, il refuse d’aller à Cardiff où il est attendu et où l’on a fait toutes sortes de préparatifs pour le recevoir. Un pasteur de Cardiff vient le le voir et la conversation suivante s’engage entre eux :

« Est-ce que vous venez à Cardiff, demain ?

— Non.

— Est-ce que vous n’êtes pas encore assez bien pour venir ?

— Ce n’est pas cela. Je me sens tout à fait bien et dispos.

— Alors, pourquoi ne venez-vous pas à Cardiff ?

— Les réunions de Cardiff ont pesé sur mon esprit depuis cinq jours. J’ai prié constamment, demandant à Dieu d’être guidé, et la réponse de l’Esprit est : Tu ne dois pas aller. »

Le pasteur de Cardiff fait alors observer à Evan Roberts qu’il y a une relation étroite entre le corps et l’âme :

« Êtes-vous sûr que vous ne prenez pas une faiblesse physique ou une répugnance physique pour la réponse de l’Esprit ?

Je suis aussi certain d’avoir entendu l’Esprit que je le suis de mon existence. »

Le pasteur demande alors à Evan Roberts si on peut espérer qu’il viendra dans un temps… futur :

« Oui, aussitôt que j’en aurai la permission, mais pas avant.

— Et les jeunes filles ? Est-ce qu’elles ne viendront pas, elles ?

— Non, elles ne viendront pas. J’ai interrogé l’Esprit à ce sujet, aussi. »

Au cours d’une conversation avec un pasteur de ses amis, Evan Roberts a déclaré qu’une voix divine lui avait dit : — est-ce une voix intérieure ? n’y aurait-il pas quelque chose de plus, une hallucination auditive ? — « Si tu vas, je n’irai pas avec toi, et comme on lui disait que son absence désappointerait vivement des milliers de gens à Cardiff, il répliqua : « Je n’y puis rien ; je n’irai pas avec cette voix retentissant à mes oreilles. — Et les foules qui vous attendent ? — C’est cela, répliqua-t-il, comme si cette question lui apportait la clef de l’énigme, l’explication de l’intervention prohibitive du Saint-Esprit, c’est cela, j’ai besoin d’être mis à l’arrière-plan ! — Est-ce a que vous n’avez pas envie d’aller à Cardiff ? lui est-il encore demandé. — Oh ! j’irai n’importe où l’Esprit me conduira, mais je ne veux aller nulle part sans lui. »

Questionné sur ce qu’il allait faire, où il comptait aller, il réplique : « Je le déciderai aussitôt que le pesant fardeau qui est sur mon âme sera écarté. »

Et finalement il va à Nantymoel au lieu d’aller à Cardiff.

En regard de cette conduite, je place la conduite de Wesley : Dans son journal, Wesley écrit, à la date du 15 octobre 1739, se trouvant précisément dans le Pays de Galles : « Je sentis en moi une forte aversion contre l’idée de prêcher là (I felt in myself a strong aversion to preaching there). S’il avait été Evan Roberis, il aurait dit ; « Le Saint-Esprit ne veut pas que je prêche. Et il aurait renoncé à prêcher ou refusé de prêcher. Mais c’était Wesley, et malgré cette forte aversion (however) il se mit à prêcher et la suite du journal montre que cette décision fut bénie.

J’ajouterai que cette répugnance à aller à Cardiff était ancienne chez Evan Roberts. Car dans le compte rendu d’une réunion tenue à Pontycymmer le 18 novembre, je lis :

« Il y avait là un gentleman de Cardiff dans la maison au moment où j’ai fait ma visite, et il insistait auprès de Mr Roberts pour qu’il vînt dans la Métropole galloise… J’ai prié ce matin, dit le jeune revivaliste, mais il n’y a eu aucune indication pour moi d’aller à Cardiff, et jusqu’à ce que je reçoive un message de Dieu, je n’irai pas. — Quel est votre programme pour l’avenir ? lui demandai-je. — Je ne sais pas, répliqua-t-il… »

Evan Roberts avait passé par dessus cette répugnance et avait accepté, mais, au moment de remplir son engagement, la répugnance devint plus forte que jamais et il y vit une défense du Saint-Esprit. On peut se demander si cette répugnance ne tient pas au caractère fortement anglais, anglicisé, de la population de Cardiff. A Cardiff, les trois quarts des prières et allocutions ont lieu en anglais ; et Sydney Evans prononce ses discours d’abord en gallois, puis en anglais. La même raison qui a inspiré à Evan Roberts une répugnance croissante à parler une autre langue que le gallois pourrait lui avoir inspiré une répugnance croissante à visiter des localités insuffisamment galloises à son gré.

Ce qui confirme cette hypothèse, c’est que, dans le numéro du 1er décembre 1904 du British Weekly, le Rév. Thomas Law raconte que, dans une conversation qu’il a eue avec Evan Roberts, il l’a grandement exhorté à n’accepter aucune invitation pour l’Angleterre, et même « à ne pas aller à Cardiff qui est essentiellement anglais. »

Il se peut bien, aussi qu’Evan Roberts ait été fortement influencé par des passages bibliques tels que celui-ci : « Ayant été empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la parole dans l’Asie, ils traversèrent la Phrygie et le pays de Galatie. Arrivés près de la Mysie, ils se disposaient à entrer en Bithynie ; mais l’Esprit de Jésus ne le leur permit pas. (Actes 16.6-7) Toutefois, ce serait bien mal connaître Evan Roberts que de le croire capable d’imitation consciente, volontaire en de telles choses. Non. Si le souvenir de paroles semblables a agi sur Evan Roberts — ce que nous ignorons — c’est en passant par le subconscient et en s’y mêlant avec les autres motifs que nous avons déjà indiqués. Et peut-être, au lieu de dire qu’Evan Roberts a imité les chrétiens de l’Eglise apostolique, serait-il plus vrai de dire qu’Evan Roberts, reproduisant spontanément leur mentalité, nous aide à les mieux comprendre et à les faire en quelque sorte revivre devant nous.

Voici un autre trait, d’un genre différent, qui montre encore l’usage contestable qu’il arrive à Evan Roberts de faire de ses dons prophétiques : Le 21 février, Evan Roberts fait tressaillir l’assemblée en déclarant qu’il a un terrible message à apporter. Il s’arrête, incapable de continuer. Il tombe à genoux, priant à haute voix, et les assistants se demandent avec inquiétude ce qu’il y a. Bientôt, il s’écrie avec passion : « Il y a une âme perdue, et il explique au milieu de spasmes et de sanglotsi, que cette âme a été perdue parce que quelqu’un a désobéi aux inspirations du Saint-Esprit. « Trop tard, trop tard ! » s’écrie-t-il avec une grande passion, et il s’effondre en criant : « O Seigneur, pardonne ! Seigneur, pardonne ! O mes amis, c’est trop tard, trop tard ; une âme perdue ! » La congrégation consternée éclate en sanglots ; il y a des personnes qui tombent à terre en pleurant. Lorsque le revivaliste reconquiert la possession de lui-même, il défend aux assistants de prier, — chose qu’il n’avait jamais faite auparavant, il avait bien souvent arrêté le chant, jamais les prières. « C’est trop tard ! » s’écrie-t-il d’un ton tragique, et il explique que l’Esprit défend de prier pour l’âme perdue dont il s’agit. Il ajoute que c’est le message le plus terrible qu’il ait jamais eu à délivrer.

i – C’est bien là un exemple caractéristique d’agonie produite par la lecture télépathique des pensées.

La lecture de ce récit met mal à l’aise. On regrette de voir l’évangéliste de l’amour et de la joie donner de plus en plus dans les prédictions ou constatations terrifiantes. Et l’on ne se sent pas tenu d’identifier sans plus à un jugement prononcé par Dieu même la sentence lancée par Evan Roberts. Comment Evan Roberts sait-il, ou plutôt comment est-il arrivé à croire savoir qu’une âme était damnée ? Il a lu peut-être dans une âme la persuasion qu’avait cette âme d’être définitivement perdue — persuasion si forte, si absolue, et accompagnée de tout un ensemble de sentiments et d’idées tellement digne d’un damné, qu’il a partagé, lui aussi, la même persuasion. Mais il y a tant de gens, dans les Réveils et ailleurs, qui ont passé par des périodes où ils se sont fermement crus damnés et qui en ont guéri !

C’est le lendemain de ce jour qu’a commencé la-fameuse période des sept jours de silence, dont il est impossible de ne pas parler, car il y a là quelque chose de tout à fait singulier et de très important pour la psychologie d’Evan Roberts.

Le mercredi 22 février, à ce qu’a raconté Evan Roberts lui-même, au moment où il se préparait pour aller à la réunion qui devait avoir lieu ce soir là à Briton Ferry, il avait déjà mis son pardessus, et tenait ses gants à la main, lorsqu’une voix lui dit : N’y allez pas !

« J’aurais dû dire auparavant, se reprend-il, qu’avant de descendre, pendant que je me lavais, une voix m’avait dit en gallois : N’allez pas à Briton Ferry. Lorsque je fus descendu, la voix reprit : N’allez pas ! Nous étions tous prêts… Je sentis un poids sur mon âme. Je rentrai dans ma chambre, je m’assis sur une chaise, et je fus contraint de prier pour le salut des âmes. Alors vint une seconde explosion (outburst), un poids plus grand que l’autre, et je fus contraint de tomber sur mes genoux dans une grande agonie d’âme. La voix continuait de dire : N’allez pas ce soir ! Alors j’essayai de rapporter le message au Rév. Mardy Davies (qui attendait en bas), mais j’échouai, et je fus contraint de l’écrire sur un morceau de papier. A ce moment, une voix me dit : « Vous devez rester silencieux pendant sept jours. » Les sœurs venaient d’arriver à ce moment là, et après que Mr Mardy Davies fût parti, je leur demandai par écrit de chanter le cantique de Newman (Lead, kindly light). Le chant fut tendre et solennel : elles pleuraient en chantant : « Un seul pas, c’est assez pour moi ! » Elles chantèrent ensuite le cantique : « J’ai besoin de toi à chaque heure… » L’une d’elles demanda : « Qu’allons-nous faire ? » La réponse fut : Attendez jusqu’à ce que je reçoive un message explicite du ciel. Il a suggéré (ce mot était souligné par deux traits dans le cahier où Evan Roberts a écrit ses réponses) que l’une d’entre vous retournerait chez elle et que l’autre resterait avec moi. Au bout d’un certain intervalle de temps, et après beaucoup de prières, la réponse vint : « Annie » doit demeurer ici pour me soigner, et Mary ira à la maison pour se reposer, ou bien rejoindra Maggie et Dan. »

Mary désigne une Miss Mary Davies de Gorseinon, qui n’est pas parente des deux demoiselles Davies plus connues (Annie et Maggie, les deux sœurs de Maesteg). Dan est le frère d’Evan Roberts.

Le jeudi, le cahier sur lequel Evan Roberts a consigné ses communications pendant la période de silence contient ces mots, instruction pour Miss Annie Davies :

« Il n’y a personne d’autre que vous qui doive me voir pendant la prochaine semaine — pas même mon père et ma mère. Je ne suis pas malade. Dites à Marie d’informer Dan qu’il n’a pas besoin de se troubler, car c’est la volonté du Seigneur. Dites-lui de ne pas venir, car il ne peut pas me voir. Je ne puis voir Mary ni Maggie. »

Les brochures du Western Mail ont publié, parfois un peu pêle-mêle, de nombreux extraits du cahier où jour par jour Evan Roberts consignait ses réflexions ; je ne les reproduis pas tous, bien qu’ils soient tous intéressants. Je me borne à insérer ici ceux qui peuvent jeter un jour spécial sur la psychologie d’Evan Roberts. — Il est digne de remarque que, presque chaque fois, Evan Roberts avait soin de noter exactement l’heure et la minute où il écrivait.

Premier jour. — Jeudi.

En causant postérieurement du premier jour de silence avec Awstin, Evan Roberts a déclaré :

« Quand j’ai été laissé seul, l’Esprit a dit : Maintenant, veille et ne prononce pas une seule parole. J’ai eu peur, mais j’ai trouvé en me retirant dans ma chambre que ce n’était pas un manque de pouvoir de parler de ma part qui m’empêchait de parler, de sorte qu’il était évident que c’était destiné à être pour moi une leçon d’obéissance. »

Sur le cahier :

Jeudi, 4 h. 22 de l’après-midi.

« J’ai demandé au Seigneur un message et j’ai reçu la réponse : Ésaïe 54.10. Une voix a parlé clairement en anglais et en gallois. Ce n’était pas une impression, mais une voix. Il y a eu à ce moment un combat dans mon esprit au sujet de ce que les gens diraient de ceci. »

Ce même jour, Evan Roberts écrivit à ses hôtes Mr et Mrs Jones :

« Mon père et ma mère,

Je ne sais que vous dire, car ceci est très remarquable. Parce que, tout d’abord, je suis votre hôte, et pourtant le Seigneur ne me permet pas de voir ni l’un ni l’autre de vous.

J’espère que vous n’aurez pas de dures pensées au sujet de ceci. Je sais qu’il vous bénira sûrement pour cette bonne hospitalité.

En second lieu, il m’a été défendu de voir mes collaborateurs, Mary et Maggie Davies.

Et en troisième lieu, le Saint-Esprit me dit que je ne dois voir aucun de mes parents — pas même ma mère ; et s’ils viennent, ils ne doivent pas me voir.

Quelque chose de très important doit sortir de ceci. L’œuvre continue, et ici je suis mis de côté pour un temps ; et si je discerne exactement la voix du Saint-Esprit, je dois rester dans cette position pendant sept jours. Ce sera très dur d’être dans votre maison et pourtant de ne pas vous voir. C’est dur pour moi et je sais que ce doit être dur pour vous.

Nous lisons dans Ezéchiel qu’il ne put pas parler pendant une période de temps, mais mon cas est très différent. J’ai le pouvoir, mais il m’est défendu d’en user. Le Seigneur m’a averti plusieurs fois de ne pas essayer de dire un mot.

Et maintenant, père et mère, si le Seigneur dit que je dois rester dans cette chambre pendant une longueur de temps quelconque sans voir personne, êtes-vous disposés ? Mais pourquoi devrais-je vous le demander ? Naturellement vous êtes disposés, pour l’amour de votre fils. Il n’y a aucun besoin de vous demander de prier pour moi, car vous le faites. Vous ne pouvez pas vous empêcher de prier pour votre fils !

N’est-il pas étrange que j’aie dû être mis de côté dans votre maison ? Une chose est évidente : c’est la volonté de notre Dieu. Puisse Dieu vous bénir abondamment.

Votre fils, Evan. »

Second jour. — Vendredi.

« En ce qui concerne le silence du premier jour, mon expérience du premier jour a été Genèse 1.2 : Les ténèbres étaient sur la face de l’abîme. Mais, gloire soit à son saint nom, l’Esprit du Seigneur se mouvait sur la face des eaux. Le second jour, Dieu m’a donné un commandement : Qu’il y ait de la lumière. Que la lumière soit ; la lumière est venue dans mon âme, mais cette obligation de veiller perpétuellement remplit mon ciel de sombres nuages — qui planent et se fatiguent dans leur route vers l’Ouest — un voyage de sept jours. C’est toujours un voyage de sept jours vers un repos perpétuel. La vie n’est qu’un voyage de sept jours. — Je ne puis lire ma Bible convenablement, car tandis que je lis, je puis découvrir quelque merveille, et instantanément laisser échapper un mot d’acclamation, et ainsi priver ce silence de sa force, car le silence est une arme puissante. Je préférerais être comme Ezéchiel, incapable de parler. Si j’étais incapable de parler, je n’aurais pas besoin d’être toujours sur mes gardes. Peut-être pourtant la leçon que ce silence est destiné à m’inculquer est-elle d’être vigilant. Je dois m’instruire moi-même à dire avec mon bien-aimé Jésus : « Que ta volonté soit faite ! »

Habakuk 2.1 — Je me tiendrai sur mes gardes, et me placerai sur la tour, et observerai pour voir ce qu’il médira. Je sais que les hommes diront que je veille en vain, mais heureux sont ceux qui se confient dans le Seigneur. — Mon esprit est plus léger aujourd’hui qu’hier soir. Ma volonté est plus forte ; mon cœur est plus disposé à dire : « Que je sois comme tu veux. »

5 heures du soir. — Je dois écrire. — Quand j’ai contemplé mes mains, j’ai dit : Ce sont les mains de Jésus. C’est Jésus qui possède mon corps, mon temps, mes talents, mon argent, ma force, mon esprit, mes mains, mes pieds, mon énergie, mon zèle, ma vie. »

Troisième jour. — Samedi, 11 h. 30 :

« Une vague de joie est venue dans mon cœur aujourd’hui, vers 11 h. 30 — le son du nom de Jésus, Jésus prononcé à mon oreille est venu à moi, et j’étais prêt à sauter de joie, et j’ai pensé qu’il est assez pour moi, assez pour tous les hommes — assez pour tous dans toute l’éternité. Ce troisième jour, j’ai reçu l’ordre de ne pas lire ma Bible — le jour aurait été plus facile pour moi autrement. »

Sur une autre page du cahier, Evan Roberts a écrit :

« Que ma conversation soit telle qu’elle puisse être imprimée et lue par le public sans amener de rougeur sur ma joue. Vivre une vie pratique — une vie de foi, de telle sorte que si je quitte le Pays de Galles sans un penny dans ma poche je serai satisfait. Troisième leçon : Parle, Seigneur, de telle sorte que je puisse distinguer ta voix de l’astuce du diable. »

Sur une demande d’Awstin, Evan Roberts réplique que cette pensée lui est venue après avoir médité sur la possibilité théorique (the bare possibility) d’écouter la voix du Malin au lieu de la voix de Dieu.

Du même jour :

« Ecrit sous la direction du Saint-Esprit à Godre’r Coed, Neath, de 5 h. 15 à 5 h. 30 de l’après-midi :

Saint-Esprit purifie, et fais que je t’appartienne entièrement, à ta gloire, et garde-moi jusqu’à la fin, si fin il y a, dans ton service. Apprends-moi à servir, fais que je ne me lasse pas de servir. Donne-moi la joie du serviteur. Enseigne-moi à être aussi humble que je le désire, et aussi humble que Toi, le Saint et le Juste, tu veux que je sois. Ouvre mes yeux pour voir le travail. Remplis mon cœur, que tu purifies, de travail. Conduis mes pas vers le travail, non pas le mien, mais le tien. Que mes mains soient pures, afin que je ne souille pas ton œuvre, l’œuvre qui a coûté à Dieu son Sang, l’œuvre sanctifiée par la sueur, et par les larmes, et même par le sang du cœur de mon Dieu ; l’œuvre qui renferme toutes les richesses de Dieu, en elle, sur elle, derrière elle, la forçant à avancer. La forçant ! non, car Dieu ne force pas. C’est Satan qui force, Dieu gagne, il attire ; — ainsi, ô mon Dieu, attire-moi vers ton œuvre, garde-moi dans ton œuvre ; que ton œuvre m’empoigne, et fais de moi une puissance pour en attirer d’autres dans ton œuvre. Reconnais ton œuvre en un temps comme celui-ci ; reconnais-le à cause de l’Expiation, et tiens compte de l’intercession de ton Fils, ton saint Fils, Jésus, et de tes fils, tes serviteurs. Accorde-moi le baptême de l’œuvre, pour l’amour du grand Ouvrier. Amen.

Une bénédiction à celui qui le lit. »

Même jour, 7 h. 20 :

« Témoignage Royal. — Matthieu 3.17.

Ciel
Roi Royal (Royal King)
« C’est Mon Fils Bien-aimé, en qui
Je
prends plaisir. »
Chants de louanges.
Moi, Evan Roberts, je prends plaisir — et vous ? »

Même jour, un étrange dialogue avec Satan :

« Satan est venu, mais il a été mis en fuite ; Satan, le père des mensonges, l’accusateur, va-t-en au feu éternel, va-t-en au lieu — le lieu à travers lequel ne circule aucun rayon de lumière, va-t-en au lieu où tu infliges de la souffrance et souffres de la souffrance — à l’éternité, va-t-en vers ceux qui ne connaissent aucune vérité, va-t-en, meurtrier, voleur. Tu as perdu le ciel.

Satan : Ton « va-t-en » ne me touche pas.

Moi : Mais si bien l’autorité de Jésus. Va-t-en, Satan.

Il fut forcé de fuir. Je souris de sa réponse. Je lui dis qu’il pourrait aussi bien s’en aller, car j’étais décidé à gagner, et il ne fut pas long à se dépêcher de partir. Il s’enfuira. S’il avait un corps visible, nous entendrions souvent ses pas, me disait-il hier. C’est un mensonge que tu prononces dans l’abîme du purgatoire — rien qu’un mensonge ! !

S’il en est ainsi (reprend Satan), nous pouvons nous toucher la main — mais ! (reprend Evan Roberts) il y a cette différence entre nos deux mensonges. Le tien éloigne les gens de Jésus, tandis que le mien attire les gens vers lui. Merci pour la puissance de dire un mensonge ! ! »

[Ces mots sont un peu obscurs. Je pense qu’ils font allusion aux attaques du Rév. Peter Price. Car en répliquant à ces attaques (31 janvier), l’éditeur du Western Mail, après avoir invoqué en faveur d’Evan Roberts les conversions opérées par son Réveil, avait ajouté : « Et ces convertis, d’après le Rév. Peter Price. doivent le nouveau principe qui opère en eux et les aspirations supérieures qui divinisent leurs vies à un faux Réveil (sham Revival). Sûrement, l’histoire des Réveils religieux n’a jamais produit un trompeur aussi bon et aussi bienfaisant (such a good and beneficient deceiver) que M. E. Roberts. Même si sa mission n’était qu’une illusion et un piège (a delusion and a snare), les résultats en seraient assez excellents pour que nous lui souhaitions bon succès. » (Voir la brochure The Rev. Peter Price and Evan Roberts, où l’on trouvera des déclarations analogues sous la plume de tel ou tel correspondant, par exemple p. 20, col. 2)]

Le même jour, il écrit à Mr et à Mrs Jones :

« Chambre du Silence.

Chers Mr et Mrs Jones,

Lorsque vous m’avez fait dire que personne ne pénètrerait dans ma chambre, un grand calme a rempli mon âme.

Je suis véritablement reconnaissant de ce repos. Je jouis de la paix et du confort dans votre maison. Quand je lis ou pense, je dois être sur mes gardes pour ne pas laisser une parole sortir de ma bouche.

J’ai déjà été béni, quoique je l’aie acheté à un prix élevé. Bien que je ne puisse pas voir vos figures, je puis me les représenter. Avant peu je vous regarderai en face, et je pense que l’éternité, si vaste qu’elle soit, sera trop courte pour effacer mon expérience dans cette chambre.

Je sais que je serai un meilleur ouvrier pour le Maître après cette semaine, et ne pensez-vous pas que c’est bon de la part de notre Dieu de me mettre de côté après la plus grande réunion que j’aie eue.

Dieu est amour.

Que son amour vous remplisse tous deux, et que sa main vous guide jusqu’à ce que nous nous retrouvions pour ne plus nous séparer.

A vous dans les liens de l’amour.

Votre fils. »

Quatrième jour. — Dimanche, 6 h. du soir :

« N’attends pas d’aller au ciel avant de commencer à louer le Sang. Louer le Sang dans le ciel ne peut amener aucune âme à l’accepter. Louer en vaut la peine — si tu peux en chantant la louange de Jésus sur la terre amener une seule âme à l’accepter ; ce sera une chose plus grande que toute la louange au delà du tombeau jusque dans l’éternité. »

Pour ce même jour, Evan Roberts a encore écrit : « Je vais être ce que Dieu désire que je sois. »

[Ce même jour, Evan Roberts a mis par écrit le récit d’un incident frappant arrivé une semaine avant à Pontrhydyfen, où il était avec le Rév. Ambroise Williams : « Il y a huit jours, j’étais à Pontrhydyfen, — trois étranges meetings, — la main du Seigneur nous guidant. Le Seigneur est merveilleux dans ses voies ! Lundi matin nous fîmes une promenade et nous grimpâmes la montagne, et Ambroise dit : « Tenons une réunion de prière dans la carrière… — Très bien, répliquai-je, faisons-le tous deux, vous et moi. — Quand nous fûmes pas très loin et au-dessous de la carrière, nous vîmes un homme qui marchait vers nous et qui était à la même distance, mais en dessus de la carrière. Ambroise dit : Voici un homme qui serait une pierre précieuse dans la couronne de Jésus ; pourrions-nous obtenir qu’il cède ? — Quel est son travail ? — Il est homme d’affaires. Nous nous rencontrâmes à l’ouverture de la carrière. Ambroise dit quelques mots d’explication et d’introduction : « Voici Samuel John, Mr Roberts. Si nous pouvions le décider à rompre, il pourrait faire une grande œuvre pour Jésus. Il a une voix splendide. Je continuai encore à le tenir par la main. Il y a un pouvoir et un secret dans un serrement de mains. Une étoile diffère d’une autre étoile, et ainsi il y a une différence entre une poignée de mains et une autre. C’est le Saint-Esprit qui m’a enseigné à serrer la main. Bien des remerciements à Lui. Puis sourire, un autre mystère qui m’a été enseigné par l’Esprit éternel. Je lui demandai : « Avez-vous une raison quelconque pour refuser ? — Non. — Pourquoi ne cédez-vous pas à l’instant ? Jésus a besoin de vous, oui, venez maintenant, et demandez à Jésus de bénir votre voix — Et, me tournant vers Ambroise, je dis : Dieu a grandement béni ma voix. »

« Il n’est pas bon de regarder de trop près le visage d’un homme s’il est sur le point de se décider. Un homme a conscience que son visage est un index de son cœur, et quand la volonté se soumet, son visage le montre, mais un homme n’est pas disposé à ce que d’autres remarquent la soumission. Puis, me décidant à le regarder (il faut apprendre comment regarder en pareil cas), je lui parlai comme à quelqu’un qui avait cédé, et puis je priai que Jésus pût richement l’accepter et le bénir pour sa gloire.

La nouvelle se répandit : Samuel John est resté en arrière. (has remained behind.)]

Enfin, le même jour, Evan Roberts écrit encore quelques mots inspirés par une théière, la théière dont il se servait dans la chambre du silence.

« 4 h. 40 du soir. — Thé. — La théière est vidée, et j’avais l’intention de faire venir Annie (Miss Annie Davies) pour m’apporter un peu plus de thé. Je m’étais attendu à obtenir cette question : Est-elle vide ? — Oui, elle l’est, car j’ai soif. Mes pensées sont allées droit au Calvaire, où furent prononcés ces mots terriblement étranges. J’ai soif. Le Créateur de toutes les sources du monde criant : J’ai soif ! Des nuages obscurs étaient suspendus au-dessus de lui, mais ils ne contenaient pas une goutte pour Jésus ! Il a bu à la coupe de son Père tandis qu’il criait : J’ai soif !

La coupe ne pouvait pas apaiser sa soif, et pourtant il l’a bue tout entière jusqu’au fond, tandis que chaque goutte le rendait altéré d’un océan !

Donnez-moi à boire, furent ses paroles à la source de Jacob. C’est le cri d’aujourd’hui, et ses paroles nous viennent du Grand Trône blanc comme une musique sonore à travers le vide de la perdition humaine.

Mais il demande de l’eau pour en donner. Si tu donnes à Jésus seulement une goutte, il te donnera un océan. Je ne sais pas si mon Jésus dans sa soif a eu une goutte de la source, mais la femme a eu une mer — une mer — une mer — et si Jésus n’a pas eu d’eau pour ses lèvres, il a eu de l’eau pour son âme. Où sont ces cent mille convertis ?

Ils sont de l’eau claire pour étancher la soif de Jésus, mais il y a d’autres sources. Jésus tirera-t-il de l’eau de la source de Bethléem ? Où sont les héros qui iront à travers les rangs des ennemis pour obtenir de l’eau pour Jésus ? Veux-tu aller ! Désires-tu aller ? Ne sois pas satisfait de lire purement et simplement au sujet des héros — sois un héros toi-même ! Tu as le pouvoir d’être un héros, si tu es disposé à perdre ton âme pour l’amour de la cause — l’es-tu ?

J’ai soif du Pays de Galles.
J’ai soif de l’Angleterre.
J’ai soif de l’Ecosse.
J’ai soif de l’Irlande.
J’ai soif du monde — présenterons-nous le monde à Jésus ?

Oui, nous le ferons ! »

Awstin a ajouté à ces lignes quelques autres lignes d’Evan Roberts qu’il a intitulées : Notes. Elles se rapportent au même sujet et sont très curieuses, comme description, un peu obscure dans sa concision, d’une sorte de vision qu’a Evan Roberts de Jésus sur la croix criant : J’ai soif. Dans cette étrange vision, le Cédron, le nuage qui s’en va vers la mer, le Calvaire, le Ciel, les montagnes de Canaann Jésus, sont tour à tour apostrophés, interrogés, exhortés, et, personnifiés, ils répondent… et la vision se prolonge jusqu’à ce qu’Evan Roberts, de la nature, passe aux hommes… Alors la vision s’arrête sur leur ingratitude, — et sur le rappel du tremblement de terre qui s’est produit au moment où le Christ a expiré :

« Calvaire (dit) au torrent du Cédron :

Cédron ? Cédron ? Le Créateur meurt sur moi — et Oh ! il a soif. Cela me brise presque le cœur de l’entendre crier ! Cédron ! Cédron ! ! Apporte une goutte d’eau à ton Créateur ! !

Le Cédron : Amenez-le vers moi, et il sera satisfait. Il m’a commandé d’aller à la mer, mais Oh ! combien je désirerais qu’Il m’appelle ! Cédron, j’ai soif ! et alors, en moins d’une seconde je me précipiterais à ses lèvres pures et sans souillures. Mais non, je dois aller à la mer.

Le Calvaire : O vous sombres nuages, permettez à une averse de tomber.

Les Nuages : Non, nos trésors sont fermés à clef, et les clefs pendent à la ceinture de Celui qui meurt sur toi. Toi, Calvaire, tu dois extraire le clou de sa main d’abord. Le peux-tu ? Si tu le peux, fais-le tout de suite.

Le Calvaire : Vous, cieux ! cieux ! Quelqu’un a lié mes bras à mon côté. Je ne puis remuer ni main ni pied, et je suis pressé par un terrible poids. Je suis presque suffoquant. Quel est ce terrible poids qui est sur moi ? Montagnes de Canaan ! Hâtez-vous à mon secours !

Non, disent-elles en secouant la tête, avec un visage attristé. La main du Tout-Puissant nous empêche. Nos mains sont comme si elles étaient liées à nos côtés. Si le feu tombait et brûlait nos liens, alors nous nous élancerions vers toi !

Le Calvaire : Voici, ici mon espoir périt. Les Montagnes savaient Son secret, les nuages Ses richesses et le Cédron Sa sainteté sans tache, mais les hommes — O mon cœur, il se brise, — il se brise — il se brise en deux. Oh ! oh !

Un tremblement de terre. »

Cinquième jour. — Lundi. « Trop fatigué pour écrire. Puis un peu plus tard :

« J’ai été très près de Dieu cet après-midi — assez près pour me faire transpirerj. Je dois faire grande attention, premièrement, à faire tout ce que Dieu dit — commande — et cela seul. Moïse s’est perdu lui-même ici — il a frappé le rocher. Secondement, d’apporter toute matière, si insignifiante soit-elle, à Dieu en prière. Josué s’est perdu lui-même ici : il a fait une alliance avec les Gabaonites, qui prétendaient vivre dans un pays éloigné, alors qu’ils vivaient tout proche. Troisièmement, d’obéir au Saint-Esprit. Quatrièmement, de lui donner toute la gloire. »

j – A rapprocher de la phrase que nous avons déjà rencontrée dans le récit des expériences de Roberts avant le Réveil : « J’étais en transpiration par suite du refroidissement que j’avais pris et de ma communion avec Dieu. »

Là-dessus Evan Roberts fait remarquer à Awstin la façon dont le mot toute est souligné (toute la gloire). Il avait mis trois lignes sous le mot, et une voix lui dit d’en mettre une quatrième. Et il la mit.

Puis vient sur le cahier ceci : « Me voici, un vase vide ; prend-moi, Seigneur ! »

Et ensuite l’expression d’un désir d’aller en Palestine :

« Je désire aller en Palestine. Si c’est la volonté du Seigneur, j’irai. J’aimerais d’y aller avant longtemps, afin de pouvoir utiliser ensuite mes expériences pour attirer les gens au pied de la Croix. J’aimerais de marcher sur les pentes du Calvaire, et, pendant que j’y serais, de penser au bienheureux Sauveur tandis qu’il dirigeait sa course avec ses pas lourdement chargés vers son sommetk.

k – Dès novembre, Evan Roberts avait rencontré, au cours de ses réunions, un évangéliste, Mr M. Taggart, qui avait raconté devant lui avoir visité la Terre-Sainte pour être capable de mieux parler des scènes associées avec la vie terrestre de Jésus de Nazareth.

Et enfin :

« 9 h. 37. J’ai comme une velléité de crier : « Trois acclamations pour Jésus », ou, comme Tudno (un barde gallois connu) l’a chanté :

Du ciel et de la terre, le sujet maintenant je chante,
L’Homme-Dieu de ce monde-ci et du prochain.

Enfin ce même jour, il écrit à ses hôtes la lettre suivante :

Chambre du Silence.

« Suivant ma promesse, je vous envoie une copie de la prièrel, et je suis content, parce que j’ai été mû par l’Esprit éternel à l’écrire. Je ne sais pas ce que le cahier que vous m’avez acheté vous a coûté, mais je sais aujourd’hui qu’il est hors de prix. Il m’est devenu cher à cause des choses précieuses (valuable) qu’il contient. Il contient une grande quantité de notre expérience tandis que nous passions à travers cette étrange période.

l – Il s’agit, je pense, de la prière composée le samedi et dont nous avons déjà donné la traduction.

Silence de sept jours — S. D. S.m.

m – Ce sont les initiales de l’anglais : Seven Days’ Silence.

L’ennemi a été terriblement persistant, mais, grâces au ciel ! le tranchant de son glaive est devenu à cette heure aussi épais que le dos. Il n’y a rien de tel que le bouclier de la foi pour émousser et éteindre tous les traits enflammés de l’Enfer.

Il ne sert à rien à Satan de combattre contre le Tout-Puissant. Est-ce que l’Eglise de Dieu ne devrait pas Lui demander de lier Satan ? Il est à propos de dire cela, n’est-ce pas ? Quand Satan sera lié, le monde sera délivré de ses chaînes. Car le Fils de l’homme est venu pour détruire les œuvres du diable. Grâces lui soient rendues. Si le Fils vous affranchit, vous serez véritablement libres. Cher Mr Jones, vous pouvez avoir cette courte prière. Ce sera une bénédiction pour des milliers, parce que c’est le fruit du Saint-Esprit. Je désire qu’on en imprime des milliers de copies sans en altérer un mot ou une virgule, ou un verset, et je désire spécialement que l’on conserve les traits qui soulignent, car ils y mettent de la vie. Le Saint-Esprit y met de l’âme, et en fait une prière vivante. »

Bien des remerciements pour votre bonté et votre affectueux service. Je serai capable de vous remercier de ma bouche avant longtemps — quand la fin viendra — alors je vous verrai face à face.

De votre fils, Evan. »

Sixième jour.

« Vous vous souvenez que j’ai dit que j’aimerais aller en Palestine. Oui. Eh bien ! vous savez que j’ai dit que je n’aurais point d’argent pour y aller. Eh bien ! une dame m’a écrit aujourd’hui offrant de me donner vingt livres pour un délicieux voyage en Palestine. Diolch ! »

5 h. 21.

« Prends ta plume et écris : Voici, je suis le Seigneur, qui t’ai retiré des profondeurs. Je t’ai soutenu jusqu’à maintenant. Lève tes yeux et regardé les campagnes ; voici elles sont blanches. Souffrirai-je que tu dresses une table devant mes ennemis ? Je suis vivant, dit l’Eternel, les écluses des cieux sont ouvertes, et la pluie descendra sur le sol altéré. Le désert sera décoré de fleurs, et la prairie sera l’habitation des rois. La terre poussera son jet et fleurira dans sa plénitude ; les cieux contempleront avec joie les richesses cachées de la terre manifestant la gloire de Dieu. Ouvre ta main, et je la remplirai de puissance. Ouvre ta bouche, et je la remplirai de sagesse. Ouvre ton cœur, et je le remplirai d’amour. Regarde vers l’Occident, et appelle les milliers ; vers le Sud, et dis : viens ; vers le Septentrion, et dis : approchez-vous. Regarde vers l’Orient, vers l’Orient, vers l’Orient, et dis : que le soleil se lève et répande sa chaleur. Que la vie germe. Que les nations qui ont rejeté mon nom vivent. Tourne-toi vers les rois, et dis-leur : Courbez-vous ; vers les grands de la terre, et dis-leur : Soumettez-vous ; vers les prêtres, et dis-leur : « Exercez le jugement, la pitié, le pardon. Vous, îles, mers et royaumes, prêtez-moi l’oreille ; je suis le Tout-Puissant. Lèverai-je ma verge sur vous ? N’ai-je pas juré par le prophète Esaïe : Je le jure par moi-même, la vérité sort de ma bouche et ma parole ne sera point révoquée :

Tout genou fléchira devant moi, toute langue jurera par moi. (Ésaïe 45.23)

6 h. 52 du soir.

« Une voix : La foi des gens est éprouvée autant que la tienne. Ne t’ai-je pas soutenu durant quatre mois sur le pinacle, à la vue du monde entier ? Si je t’ai soutenu en public, mon pouvoir est-il moins capable de te soutenir en particulier ? Si je t’ai soutenu durant quatre mois, ne puis-je pas te soutenir durant sept jours ? »

Septième jour. — 5 h. 17.

« A ma table, les larmes dans les yeux. Pourquoi ? Je viens d’ouvrir mon cœur à mon Maître, et de lui dire que je suis seulement un ouvrier dans ses champs, faisant de mon mieux, tandis que d’autres, travaillant pour le même Maître, laissent son œuvre pour venir m’empêcher. (Ceci se rapporte à quelques lettres critiques et sarcastiques qu’il reçoit de temps à autre.) « J’ai demandé à mon cher Maître de me protéger. Je désire travailler pour mon Sauveur. Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir les millions pour lui ? Il est mort pour sauver les millions. Combien puis-je lui en amener ? Je me sens beaucoup plus fort, maintenant que Dieu a exaucé ma prière. »

Pendant ces sept jours, le silence fut absolu ; pas un mot ne fut prononcé même entre Evan Roberts et Miss Annie. Davies qui lui apportait ses repas. Toutes les communications entre eux se faisaient par écrit.

Le premier mot prononcé par Evan Roberts, lorsqu’il rompit le silence, fut adressé à Dieu :

« Je reçus l’ordre, a-t-il raconté à Awstin, de me lever de mon lit. Agenouille-toi. Ouvre tes lèvres et prie. Les premiers mots que je prononçai furent : Accepte-moi. Alors quand je sortis de la chambre, je vis Mr Jones, mon hôte, et nous nous saluâmes l’un l’autre très cordialement. Puis je rencontrai Mrs Jones et lui parlai ; peu après, Annie Davies arriva, et j’eus quelques mots de conversation avec elle. Puis vous êtes venu. »

Quant à ses projets futurs, Evan Roberts déclara qu’il irait à Liverpool, mais ne savait pas encore quand, le Saint-Esprit ne le lui ayant pas encore dit. Telle est sa situation dans sa première conversation avec Awstin à Neath, le 2 mars ; telle est encore sa situation dans une seconde conversation avec Awstin, le 10 mars, à Loughor, où il est allé se reposer dans sa famille (à partir du 5 mars). Le 10 mars, Evan Roberts s’est rendu à Newcastle-Emlyn, chez le Rév. Evan Phillips, refusant toujours de recevoir les visiteurs et d’annoncer son futur programme.

A coup sûr, comme le fait remarquer Awstin, Mr et Mrs Jones ont dû traverser là une semaine peu ordinaire. Recevoir Evan Roberts, l’avoir sous son toit, et ne pouvoir ni lui parler ni même le voir ! Et par dessus le marché être dans l’obligation d’éconduire poliment par dizaines et centaines les journalistes et les visiteurs de tout genre !… la situation n’était pas banale ! Et il fallait bien tout ensemble l’affection qu’ils portaient à Evan Roberts et leur persuasion qu’Evan Roberts était un prophète, pour les décider à accepter si bien cette véritable épreuve !

Les amis les plus chauds d’Evan Roberts sont bien forcés de reconnaître que cette semaine de silence est étrange, pour ne pas dire bizarre. Comment l’expliquer ? Un certain nombre de personnes ont dit pendant la semaine en question : c’est que l’œuvre de Roberts est terminée, il est épuisé, fini, on ne le verra plus en public ! En ce qui concernait le passé, l’assertion était exacte : nul doute sur la fatigue de Roberts. Ou aurait été fatigué à moins. Mais en ce qui concernait l’avenir, l’événement a donné tort aux pronostics. — D’autres ont dit : Ses parents assurent que, de longue date, c’était l’habitude d’Evan Roberts de se retirer et de se renfermer dans une chambre pour prier… Il y a là un élément d’explication important, mais insuffisant : autre chose est de se retirer à certains moments et même assez longtemps dans sa chambre pour prier, et autre chose de s’y claquemurer pendant sept jours en se refusant non pas à écrire, mais à prononcer un seul mot. — D’autres ont dit : Les quatre mois de réunions quotidiennes avaient tellement affaibli sa constitution, et la tension continuelle de son esprit l’avait épuisé à un tel degré, qu’il a été obligé de s’arrêter et de prendre du repos. Il a commencé par sept jours de silence, et puis il s’est reposé chez lui à Loughor et chez le Rév. Evan Phillips, à Newcastle-Emlyn. Après quoi il est reparti en mission… Ici encore il y a une très grande part de vérité… Et je crois que nous n’avons qu’à grouper et à compléter ces explications pour arriver à l’explication psychologiquement vraisemblable. De ce que ses parents ont dit, il ressort que Evan Roberts, déjà avant le Réveil, était sujet à un certain rythme d’expansion et de concentration. Après des périodes pendant lesquelles il se donnait, agissait, parlait, venaient des périodes pendant lesquelles il se recueillait, se retirait, se taisait. Peut-être à la base de ce rythme mental, dont on pourrait dire qu’il était tour à tour social et individuel, centrifuge et centripète, y avait-il un rythme physiologique. Dans ce cas, ce rythme physiologique a été accru par le Réveil. Sinon, il a été ajouté par le Réveil et est venu augmenter l’intensité des oscillations du rythme mental. Après s’être dépensé sans compter dans les quatre mois de réunion, Evan Roberts a éprouvé un besoin secret, subconscient, de se reprendre, de se reposer de la foule, de se reposer de la parole, de se reposer des réunions, etc… Ce besoin surgissant en lui avec force et brusquement, jaillissant tout à coup de la pénombre de son être subliminal, il l’a attribué, suivant son habitude constante, tout droit au Saint-Esprit. La voix intérieure qui ne faisait qu’exprimer en lui les propres vœux caches de son âme — et de son corps, il l’a identifié immédiatement avec un ordre extérieur de Dieu. Au cours de cette semaine, l’idée lui vient bien qu’il serait théoriquement possible que les voix qu’il entend viennent du diable, et assurément il a bien dû se poser d’une façon pratique cette question lorsqu’il était en train de lutter avec lui-même pour savoir s’il irait ou non à la réunion de Briton-Ferry, ou pour savoir le cas qu’il devait faire des jugements que le monde porterait sur son silence. Mais il n’a pas l’air d’être seulement abordé par la supposition que ces voix pourraient n’avoir aucune origine surnaturelle, transcendante, ne venir ni de Dieu, ni du diable, procéder tout simplement… de lui-même. C’est bien pourtant de lui-même que tout paraît venir et en lui-même que tout paraît se passer. Son moi est divisé en deux moi : l’un qui désire continuer les réunions, l’autre qui en a assez et qui désire s’arrêter. Cette division se manifeste par les luttes, l’agonie qu’Evan Roberts a à soutenir et à subir lorsqu’il remonte dans sa chambre au lieu d’aller à Briton-Ferry. Dans celui des deux moi qui veut s’arrêter, Evan Roberts croit reconnaître Dieu lui-même, parce que c’est son moi le plus profond et parce que ce moi fait arriver son désir à la conscience réfléchie sous forme impérative, impérieuse : y a-t-il quelqu’un d’autre que Dieu qui puisse commander de la sorte ? Ce qui montre que c’est bien le moi le plus profond de Roberts, c’est que la voix intérieure lui parle en gallois et qu’il éprouve le besoin de le noter lui-même. A un autre moment, Evan Roberts écrit : « Une voix a parlé clairement en anglais et en gallois. Pourquoi cela ? Il nous en donne de sa propre plume l’explication, c’est qu’il y avait lutte dans son âme, le moi profond parlait gallois, l’autre moi parlait anglais : « Il y a eu à ce moment un combat dans mon esprit au sujet de ce que les gens diraient de ceci. »

La voix galloise, la voix profonde, c’est pour Evan Roberts la voix de Dieu (peut-être interprète-t-il la voix anglaise comme étant celle du diable ?). Dès lors il cherche à expliquer à ce point de vue toute la situation — comme toutes les suggestions diverses de son subconscient. Dieu ne veut pas que je parle. Je pourrais parler, si je voulais. Autrement, si je ne pouvais pas parler, Dieu n’aurait pas besoin de me donner l’ordre de me taire. Je pourrais parler. Je désirerais parler. Il faut que je me fasse violence pour ne pas parler. Mais je ne parlerai pas. — Et comment sait-il, peut-on demander, comment sait-il qu’il peut parler, puisqu’il n’essaie pas ? C’est que, comme l’indiquent les allusions explicites qu’il fait à Ezéchiel, il se compare lui-même au prophète et croit constater que sa situation est très différente. A Ezéchiel il a été dit : « Va t’enfermer dans ta maison !… J’attacherai ta langue à ton palais, pour que tu sois muet. (Ezech.3.25-27) Et Evan Roberts, sans émettre de son, — puisque cela lui est interdit — constate que sa langue n’est pas attachée à son palais, qu’elle peut bouger : il en conclut qu’il pourrait parler s’il voulait. Je n’ai garde de contester le fait sur lequel s’appuie Evan Roberts. Nul ne peut savoir mieux que lui si sa langue est ou non attachée à son propre palais. Je l’en crois sur parole, et je lui donne acte du fait matériel. Mais il est permis sans impertinence de contester la conclusion — d’autant qu’on peut opposer à Evan Roberts… Evan Roberts lui-même. Effectivement il y a plusieurs manières d’être impuissant à parler. Et Evan Roberts, le premier soir, a écrit lui-même : « J’essayai de rapporter le message (« N’allez pas ce soir ! ») au Rév. Davies, mais j’échouai, et fus contraint de l’écrire sur un morceau de papier. Sa langue a beau n’être pas attachée à son palais : il n’en est pas moins réellement incapable de parler. L’inhibition est radicale. Et c’est seulement après cet échec, après cette impuissance, qu’il entend la voix lui dire de rester silencieux pendant sept jours. C’est donc au fond une contrainte réelle exercée par le subconscient qui est interprétée par la conscience réfléchie comme une obligation à laquelle la liberté peut à son gré obéir ou désobéir. De même lorsqu’il se sent poussé à ne plus lire la Bible, il est bien probable que c’est parce qu’une certaine fatigue nerveuse lui inspire le besoin d’un repos même à cet égard, mais il y voit un commandement exprès de Dieu, et pour se l’expliquer, il se donne à lui-même après coup cette raison, cette justification : si je lisais la Bible, je courrais le risque de me laisser entraîner à pousser une exclamation, et Dieu ne veut pas que je parle… Mais encore pourquoi Dieu veut-il que je ne parle pas ? C’est pour m’éprouver, pour voir si je suis obéissant, pour m’enseigner l’obéissance. Voilà donc le motif de l’ordre de Dieu ? Soit. Mais la façon dont Evan Roberts s’exprime met hors de doute la voie par laquelle il est arrivé à son interprétation : c’est par déduction. Comme il nous expose lui-même la marche de cette déduction, il nous met en état de la contrôler — et de la contester.

« J’ai trouvé, en me retirant dans ma chambre, que ce n’était pas une impuissance à parler, de ma part, qui m’empêchait de parler, de sorte qu’il était évident que c’était destiné à être pour moi une leçon d’obéissance. »

Je pourrais parler. Donc si je ne parle pas, alors que je pourrais et que je désirerais parler, c’est que Dieu m’ordonne de me taire. Et si Dieu m’ordonne de me taire alors que je désirerais parler, ce ne peut être que pour m’éprouver et m’apprendre l’obéissance. Telle est la déduction de Roberts. Ne nous hâtons pas trop de l’accepter les yeux fermés. Car il lui arrive de varier ses interprétations, en s’exprimant toujours de manière à bien montrer que ce sont des interprétations émanées non du subconscient, mais de la réflexion qui cherche le pourquoi : « Si j’étais incapable de parler, je n’aurais pas besoin d’être toujours sur mes gardes. Peut-être pourtant la leçon que ce silence est destiné à m’inculquer est-elle d’être vigilant. Assurément ces deux interprétations ne sont pas contradictoires. On peut les concilier. N’empêche qu’elles sont différentes. Et peut-être qu’en y songeant encore, Evan Roberts aurait continué de trouver d’autres « leçons que ce silence était destiné à lui inculquer. Une fois admis par hypothèse — ou plutôt avec une inébranlable certitude — que le silence était un ordre de Dieu, il était assez naturel de se demander pourquoi cet ordre, de chercher — et de trouver, de trouver même plutôt trop d’explications que pas assez !

Un trait est de nature à étonner, voire même à choquer le lecteur français, c’est l’assurance avec laquelle Evan Roberts désigne comme un message explicite du ciel l’ordre prétendu de garder auprès de lui une jeune fille, une seule, Annie Davies, alors que les autres sont renvoyées et qu’il se refuse à voir personne d’autre pendant sept jours. Le Saint-Esprit aurait-il tenu réellement à ménager ce tête à tête prolongé entre le revivaliste et la jeune fille ?… Il est bien vrai que le Saint-Esprit défendait à Roberts de parler, mais non pas d’écouter… et d’écrire et de lire. Et assurément, d’autres qu’Evan Roberts auraient pu voir dans cette suggestion plutôt une tentation qu’un ordre divin. Est-ce être ultra-profane que d’insinuer : les tendances, aspirations, préférences, inclinations qu’Evan Roberts porte au fond le plus caché de son être s’extériorisent à ses yeux, avec leurs objets précis, et lui reviennent sous forme de commandements divins — qui ne font que lui renvoyer sa propre pensée ?

Il y aurait bien des remarques à présenter sur les réflexions qu’Evan Roberts a couchées sur le papier pendant sa retraite. L’importance principale de ces réflexions me paraît être de faire ressortir la confiance absolue avec laquelle Evan Roberts attribue à tout ce qui lui vient de son subconscient une origine et une valeur divines. Je trouve une preuve de cette valeur que Roberts attribue à ses inspirations subconscientes dans des phrases comme celles-ci : « Quelque chose de très important doit sortir de ceci. — « Une bénédiction à celui qui le lit. (Phrase presque catholique !) — « L’éternité, si vaste soit-elle, sera trop courte pour effacer mon expérience dans cette chambre. Je trouve une autre preuve de cette valeur que Roberts attribue à ses inspirations subconscientes dans le soin avec lequel il note l’heure et la minute presque chaque fois qu’il écrit dans son cahier : — c’est qu’il écrit sous une impulsion puissante qui lui donne une sensation de contrainte ou d’obligation : « Je dois écrire. Je trouve une autre preuve encore dans la façon dont Evan Roberts souligne certains mots, attire l’attention d’Awstin sur la façon dont il a souligné, déclare que c’est le Saint-Esprit lui-même qui est intervenu par une voix exprès pour lui enjoindre de mettre une quatrième barre de soulignement sous un mot déjà souligné trois fois ! Je trouve enfin une autre preuve dans ces paroles exorbitantes dont il accompagne l’envoi qu’il fait à ses hôtes d’une prière qu’il a composée :

« Je suis content, parce que j’ai été mû par l’Esprit éternel à l’écrire. Je ne sais pas ce que le cahier que vous m’avez acheté vous a coûté, mais je sais aujourd’hui qu’il est hors de prix. Il m’est devenu cher à cause des choses précieuses qu’il contient. Il contient une grande quantité de notre expérience tandis que nous passions à travers cette étrange période. »

En vérité, il semble presque qu’Evan Roberts va proposer de mettre ce fameux cahier à côté des écrits des prophètes hébreux et des apôtres du Nouveau Testament !

[A Llangollen, après une conférence du Rév. Jos. Agar Beet, de Londres, un gentleman s’est levé dans l’auditoire et lui a demandé s’il ne croyait pas que le Saint-Esprit se manifeste de nos jours comme autrefois, et si Evan Roberts ne devait pas être considéré comme infaillible (if Ev. Roberts was not to be taken as infallible), lorsqu’il déclarait avoir reçu un message de Dieu.. Le Dr Beet a protesté contre la prétendue infaillibilité d’Evan Roberts et a exprimé ses regrets de voir Evan Roberts mettre le Saint-Esprit en avant pour motiver telle ou telle de ses actions, comme par exemple son refus d’aller à Cardiff.]

Et encore :

« Cher Mr Jones, vous pouvez avoir cette prière. Ce sera une bénédiction pour des milliers, parce que c’est le fruit du Saint-Esprit. Je désire qu’on en imprime des milliers de copies sans en altérer un mot ou une virgule ou un verset, et je désire spécialement que l’on conserve les traits qui soulignent, car ils y mettent de la vie. Le Saint-Esprit y met « de l’âme et en fait une prière vivante. »

Tel était l’état d’esprit de l’auteur de l’Apocalypse quand il écrivait :

« Je le déclare à quiconque entend les paroles de la prophétie de ce livre : Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu le frappera des fléaux décrits dans ce livre ; et si quelqu’un retranche quelque chose des paroles du livre de cette prophétie, Dieu retranchera sa part de l’arbre de la vie et de la ville sainte, décrits dans ce livre. » (Apocalypse 22.18-19)

Lorsqu’on lit les notes et lettres et le journal d’Evan Roberts pendant la période de silence, l’impression première que l’on éprouve est plutôt déconcertante, pénible, on est presque tenté de se demander s’il n’est pas sur le point de dérailler… Mais en y réfléchissant de sang-froid, en envisageant la semaine de silence à la lumière de tout ce que nous savons d’Evan Roberts, en ayant bien présente à la mémoire la facilité avec laquelle il attribue au Saint-Esprit tout ce qui lui vient du sous-sol de sa conscience, on s’explique ce qui avait d’abord étonné et non seulement on comprend Evan Roberts, mais on trouve qu’Evan Roberts aide admirablement à comprendre l’état mental du prophète qui se croit inspiré.

Le 13 mars, Evan Roberts recommence à prendre part à des réunions. Visiblement la tension de son être subsiste ; il continue de se développer dans la voie anormale où il est entré : le 13 mars, il dénonce « un grand nombre d’hypocrites » dans la congrégation, à Newcastle-Emlyn. — Le 14 mars, à Blaenanerch, il s’écrie : « Quelqu’un dans cet « édifice se moque » (is making fun). Un peu plus tard il annonce que Dieu a été compatissant, et a sauvé le moqueur. Au même endroit, le 15 mars, il arrête le chant en déclarant qu’il y a des gens brouillés, et que la paix doit s’établir pour que la réunion puisse continuer. Un peu plus tard, il déclare qu’il y a quelqu’un dans la réunion qui nie la divinité de la Bible, et il lui demande de se lever et de se confesser. Toute l’assemblée se met à prier pour que Dieu donne de la force à la personne à laquelle il est fait allusion. L’évangéliste lui commande par trois fois de se lever en la menaçant de la nommer si elle ne le fait pas. Il ajoute : « Ce n’est pas quelqu’un de ceux qui ont assisté à la réunion de l’après-midi. » Personne ne se lève. « Alors, dit-il, je vais le nommer », et il dit le nom ; mais personne ne se lève. Un moment après il dit qu’il y a un autre obstacle, et qu’il y a quelqu’un dans l’auditoire qui est coupable d’avoir volé quelques-unes des mesures, (measures) appartenant à la chapelle : « Vous ne devez pas le confesser ici, mais arrangez-vous avec Dieu avant de vous endormir ce soir. » Puis le ton d’Evan Roberts change, et il paraît heureux et joyeux. — Le 16 mars, à New-Quay, pendant qu’on chante,’ Evan Roberts est absorbé dans une prière silencieuse, et, à en juger par les contractions de son visage et de son corps, il semble être dans une grande agonie. Quelqu’un dans la chapelle entonne un hymne. Mais deux vers n’ont pas été chantés qu’Evan Roberts s’éveille comme d’une transe (awakes as if from a trance) et s’écrie : « Arrêtez ! Arrêtez ! Il n’acceptera pas ce genre de chant. Il y a un obstacle ici qui doit d’abord être écarté. » Il paraît, comme on l’a su plus tard, qu’il s’agissait d’une désobéissance de la part de deux membres de l’Eglise. Il exhorte l’assemblée à prier pour que l’obstacle soit écarté. 4 ou 500 personnes prient et pleurent en même temps. Au bout d’un moment Roberts déclare qu’une la difficulté a passé, et qu’ils peuvent chanter maintenant. — Le 17 mars, à Henllan, il s’arrête au milieu d’une lecture de la Bible, grandement affecté et s’écrie : « Ce n’est pas clair ici. Il y a ici quelqu’un qui n’est pas en paix avec ses voisins. » Ensuite il assure que c’est un homme et non une femme. Il ordonne à l’homme de prier. Bientôt son attitude change. Il dit en souriant : « Tout va bien maintenant. »

Il entre à Newcastle-Emlyn, puis à Loughor. Son passage en chemin de fer produit partout une grande excitation. A Carmarthen, nombre de personnes viennent sans se gêner le regarder dans son compartiment, si bien que les amis d’Evan Roberts sont obligés de baisser les rideaux des portières tant que le train est arrêté.

Deux interviews dont le récit a été publié et qui se placent avant le départ d’Evan Roberts pour Liverpool méritent d’être notées :

Le Conseiller Johnston lui demande « si la direction du Saint-Esprit est toujours d’accord avec la Parole de Dieu. — Très certainement, réplique Evan Roberts qui ajoute : J’ai été largement guidé par des impressions, mais depuis le silence de sept jours j’ai réalisé la direction en entendant la voix de Dieu. — Entendez-vous cette voix aussi distinctement que vous m’entendez ? — Dans un sens spirituel, oui. — Il est très nécessaire d’éprouver les esprits, observe une dame présente. — Oui, répliqua Roberts ; cela a été le motif de mon plus grand conflit — discerner la voix de Dieu et celle de Satan. — Ni Evan Roberts ni ses interlocuteurs ne font entrer dans leur discussion le troisième terme, le terme naturel, humain : voix de Dieu, voix de Satan, voix de l’homme lui-même qui porte dans les couches profondes et cachées de son être des mystères ignorés de la conscience réfléchie.

Le professeur Young Evans raconte en ces termes son entrevue avec Evan Roberts :

« Depuis le silence des sept jours à Neath, il est devenu plus que jamais conscient de la proximité de la Divinité, et côte à côte avec l’accroissement de sa gaieté et de son entrain marche l’accroissement de sa soumission à la volonté de Dieu. Plus d’une fois, dans le cours de l’après-midi quand il était consulté sur des matières de peu d’importance apparente, il a hésité avant de répliquer, tandis que ses lèvres se mouvaient d’une façon très légère, mais très perceptible. La direction de l’Esprit est devenue maintenant une chose quotidienne pour lui, et, en tout ce qui touche à ses mouvements missionnaires, il requiert d’abord la suggestion de l’Esprita. Il est aussi devenu conscient d’une nouvelle puissance intérieure… Evan Roberts est aussi clairement un problème pour sa famille que pour ses amis du dehors. Même son frère Dan était impuissant à répondre à plusieurs questions posées à son sujetb. Dans le cours de la journée, Evan Roberts attira l’attention sur l’élément prophétique du Réveil actuel, qui est destiné, pense-t-il, à devenir le plus grand qu’on ait jamais vu… A certains intervalles il semblait que l’Esprit saisissait (catch) Evan Roberts et l’emmenait (take away) dans sa chambre… »

a – La semaine de silence a fortifié en lui l’inclination à rapporter au Saint-Esprit toute impression venue de son subconscient.

b – Ainsi en était-il pour Wesley (Cf. Davenport, Primitive traits in religious revivais, p. 169). Le beau-frère de Wesley aimait mieux lui écrire que lui parler ; il lui écrivait : « Je ne sais comment me comporter en votre présence ; votre présence crée une sorte de terreur sacrée (awe), comme si vous étiez un habitant d’un autre monde. »

Ces derniers mots rappellent à notre esprit un mode d’interprétation psychologique que nous avons déjà mentionné. N’y aurait-il pas, dans le cas d’Evan Roberts, imitation des manières de faire des prophètes hébreux et des prophètes chrétiens de l’Eglise primitive ? Cette imitation ne serait-elle pas la clef de la ressemblance ? Nous repoussons énergiquement cette hypothèse, s’il s’agit d’imitation volontaire, consciente. Rien ne serait plus éloigné de la mentalité toute spontanée, primesautière et franche d’Evan Roberts. Mais, de même que l’obsession des souffrances du Christ a fini par reproduire en lui, pour ainsi dire automatiquement, l’agonie de Jésus, de même l’obsession des allures étranges des prophètes bibliques a bien pu aussi finir par reproduire automatiquement en lui ces mêmes allures. Semblablement, en parlant des visions, nous avons relevé, après les Gallois eux-mêmes, le fait que les symbolismes de l’Ancien Testament et du Nouveau étaient si familiers à Evan Roberts que les images bibliques tendaient à s’extérioriser en quelque sorte sous forme hallucinatoire pour produire ses visions : les façons de sentir, de parler, d’agir, des anciens prophètes pourraient aussi avoir tellement poursuivi Evan Roberts qu’il se soit mis, sans s’en douter, à les réitérer pour son propre compte. Mais la part de vérité qu’il peut y avoir dans ces explication n’entame en rien la conclusion à laquelle nous étions arrivés, à savoir que Evan Roberts nous aide admirablement à comprendre l’état mental du prophète qui se croit inspiré. Il faut bien se rappeler, en effet, que les prophètes hébreux postérieurs ont été vis-à-vis des prophètes hébreux antérieurs dans la même situation où est Evan Roberts vis-à-vis de tous les prophètes hébreux. Nul doute que les faits et gestes des tout premiers prophètes n’aient pu et dû exercer une influence suggestionnante sur les prophètes venus ensuite. Mais cette influence, ils ne l’ont exercée que sur les individus prédisposés à la subir. Et tout en la subissant les prophètes postérieurs ont manifesté une spontanéité indéniable. C’est aussi le cas pour Evan Roberts. L’imitation, subconsciente, dans la mesure où elle a réellement existé, n’a fait que déclencher un exercice original du subconscient. Elle a supposé avant elle, avec elle, après elle, une mentalité subliminale très caractérisée, la mentalité prophétique.

Avant de partir pour Liverpool, Evan Roberts déclare que, de même que les disciples jadis furent envoyés sans argent ni besace par leur Maîtrec, lui veut donner tout son argent de façon à arriver à Liverpool sans un penny en poche. Et effectivement il distribue tout ce qu’il a, soit ce qu’il possède comme économies personnelles, soit ce qu’il a reçu comme cadeau en divers lieux en reconnaissance de ses services revivalistes. Il donne 200 livres (5 000 fr.) à Pisgah, et 150 livres (3 750 fr.) à Moriah, deux églises de sa ville natale, Loughor. Et il fait, en sus, divers dons particuliers dont quelques-uns seulement sont connus.

c – Là il y a bien de l’imitation. A force de méditer la Bible et de s’appliquer la Bible, Evan Roberts est tout naturellement entraîné à faire comme les hommes de la Bible, et il sent jaillir de son subconscient l’ordre de les imiter tantôt sur ce point, tantôt sur cet autre.

Un correspondant du Liverpool Post s’est plaint que les enseignements sociaux de Jésus n’aient jamais reçu d’Evan Roberts l’attention qu’ils méritent. Si Evan Roberts les avait compris, assure-t-il, et s’il avait voulu s’y conformer, il aurait distribué son argent parmi les pauvres au lieu de le donner aux Eglises, comme il l’a fait.

Ces libéralités une fois faites, Evan Roberts part pour Liverpool sous une impulsion mystérieuse et y arrive sans être attendu ; c’est une surprise générale ; le comité avait ignoré la date presque jusqu’au dernier moment. C’est tout au plus si on avait pu — tant le départ de Roberts avait été brusque — avertir son hôte, le Rév. John Williams, qui est venu à sa rencontre. Mais dès qu’Evan Roberts est là, le bruit de son arrivée se répand comme une traînée de poudre. Pas besoin de faire de la réclame. Au contraire. Et l’organisation est vite réglée. Il est décidé que tous les services seront libres et ouverts à tous, sauf un meeting exclusivement destiné à la jeunesse, et trois meetings pour les Gallois n’appartenant à aucune Eglise. Pour ces quatre meetings, il est décidé que l’admission se fera par billets (tickets) : ce qui est nouveau dans les réunions d’Evan Roberts.

Il semble tout d’abord qu’Evan Roberts, reposé par la semaine de silence et les jours de repos qui ont suivi, va être tout à la joie, l’Evan Roberts des premiers temps. Souvent, pendant qu’on met le meeting à l’épreuve, il trouve moyen d’intercaler des commentaires et des exhortations appropriés, parfois humoristiques. Par exemple, on dit qu’une personne indécise est faible. « Eh bien ! réplique Evan Roberts, pourquoi n’accepte-t-il donc pas la force éternelle ? — Une autre fois le cri retentit : « Il y a quelqu’un qui reste assis, là, au dessus de l’horloge. « Eh bien ! s’écrie Evan Roberts, c’est l’heure convenable pour accepter le salut ! » — Quelqu’un déclare qu’il connaît bien trop les « tours » de ceux qui professent d’être chrétiens, à quoi Evan Roberts réplique : « Dans le grand jour vous ne serez pas interrogé sur ce que vous avez pensé au sujet d’autres personnes sur la terre, mais sur ce que vous avez pensé au sujet de Jésus, et vous ne serez pas appelé à porter le blâme pour autrui, mais le blâme pour vos propres transgressions. — Lorsque les assistants sont invités à lever la main pour montrer qu’ils ont accepté le salut, Evan Roberts dit : « Levez les mains. Rappelez-vous les bras étendus du Sauveur sur la croix — étendus pour vous et pour moi. » — Une autre fois, on annonce la conversion du frère d’un ministre bien connu du sud du Pays de Galles. Evan Roberts réplique : « Oh ! il a maintenant un frère bien meilleur, il a pour frère Jésus ! » — Une autre fois, pendant que le Rév. Williams exhorte les chrétiens de service (les stewards) à ne pas oublier de prendre les noms et les adresses des convertis, Evan Roberts intercale cette remarque : « Les anges ont été plus prompts que vous. » — Une autre fois, le Rév. Williams s’écrie : « Les stewards veulent-ils parler à ceux qui restent assis ? — Ne laissez pas les stewards vous enlever vos couronnes, crie Evan Roberts. Si vous, simples membres, vous voyez des personnes assises, parlez-leur vous-mêmes. »

C’est là le Roberts de la première période, et il y a là, si je puis ainsi dire, une veine qui n’est jamais complètement tarie pendant la période de Liverpool, même aux jours les plus tendus et les plus excités. — Evan Roberts continue d’être très sensible aux influences qui se dégagent de la foule. Le 4 avril, à Seacombe, il lui arrive de dire au cours de la réunion : « L’atmosphère spirituelle a changé, le Saint-Esprit est ici maintenant. » C’est bien cela : Evan Roberts est sensible au suprême degré aux changements de l’atmosphère spirituelle. Et il accumule les prédictions optimistes.

Le 29 mars, il s’écrie au cours de la réunion : « Je n’ai pas la permission d’en dire davantage. Il y a quelqu’un d’autre ici qui attend pour parler. » Immédiatement un témoignage de femme jaillit du corps de la chapelle, suivi d’autres et nombreux témoignages de toutes les parties de l’édifice.

En plusieurs réunions, Evan Roberts prédit les conversions qui vont s’opérer. Le mercredi 5 avril, après plusieurs prédictions vérifiées, il s’écrie : « Offrez Jésus de nouveau. Il y en a un prêt à venir. Il y a un membre d’Eglise paresseux, oisif, honteux d’offrir Jésus. Il y a un Gallois… » — Puis, après une pause, il ajoute : « ou une Galloise prête à venir. » Et une voix de femme de la galerie s’écrie : « Je viens ! (Dyma fi’n dod). — Evan Roberts prédit encore des conversions le 6 avril, le 7, le 8. Le 8, il lui arrive de dire une fois : « Aussi sûr que je suis sur cette plateforme, il y en a un autre prêt, si seulement quel-qu’un lui offre Jésus — à lui ou à elle. — « En voici une ! s’écrie une voix de femme, et le Diolch iddo retentit. — Dans cette même réunion, la congrégation ayant récité trois fois de suite en gallois le verset : « Crois au Seigneur Jésus-Christ et tu seras sauvé », quelqu’un demande qu’on récite le verset en anglais : « Non, réplique Evan Roberts, pas en anglais ; pas maintenant, en tout cas. Aucun ami anglais ne se convertira ce soir. » Et il continue à prédire la conversion des Gallois, en désignant la partie de l’édifice où se trouvent ceux qui vont se convertir : « En voici un autre qui vient, pas dans la galerie, mais dans le bas de la chapelle… » Le Rév. Williams veut faire réciter un verset Mais Evan Roberts l’interrompt. « Pas encore ! », et, en effet, des réponses arrivent, des conversions sont en train de s’opérer… Le Rév. Williams prononce la bénédiction. Mais Evan Roberts paraît mal à son aise : « Il y en a un autre prêt à venir ; offrez-lui Jésus ». C’est un Gallois. Je pense qu’il est dans la galerie et il indique la galerie la plus éloignée. « C’est là que je suis attiré, en tous cas. (That is where I am being attracted, at all events). La galerie est mise à l’épreuve par un pasteur qui se trouve là, le Rév. Evans : « Il n’y a personne ici dans ce cas, pour autant que nous pouvons en juger », réplique-t-il à Evan Roberts. Mais Evan Roberts répète avec insistance que l’homme est dans la galerie, et il ajoute : « Le service a continué à cause de ce seul homme. Ceux d’entre vous qui désirent s’en aller peuvent partir, mais je ne le puis. On « éprouve » de nouveau la galerie. Toujours le même résultat. Personne ne garde sa main baissée. « Mais peut-être, suggère quelqu’un, ils ne sont pas tous membres. » Avant même que ces mots soient tout à fait prononcés, Evan Roberts s’écrie : « Êtes-vous tous honnêtes ici ? Je ne pense pas que vous soyez tous honnêtes dans cette galerie ? Ne levez pas vos mains si vous n’êtes pas membres », et aussitôt vient une réplique du Rév. Evans : « Il y a ici un frère qui avait levé la main auparavant, mais qui ne l’a pas fait cette fois. — « C’est l’homme en question », dit Evan Roberts. « Est-ce qu’il vient ? Est-ce qu’il cède ? — « Il est en train de venir, crie une voix. « Il est venu », ajoute le Rév. Evans, et plusieurs personnes battent des mains avec enthousiasme, tandis que d’autres, les larmes aux yeux, et même sur les joues, se regardent mutuellement avec un étonnement qui confine à l’effroi (awe). C’est dans cette même réunion du samedi 8 avril, qu’il y a eu 213 conversions opérées ! Comme le dit la brochure du Western Mail, c’est un record même pour Evan Roberts. Pendant qu’on enregistrait le nombre des conversions, et lorsqu’on était au chiffre 197, Evan Roberts demanda aux assistants s’ils pensaient au chiffre 200, se demandant si on irait jusque-là. « Il y a, dit-il, un danger dans une curiosité de ce genre. Des voix retentissent : « Il en faut davantage, davantage. — « En demandant davantage, dit Roberts, souvenons-nous du sang. »

Comme on a pu le voir par la défense faite de répéter un verset en anglais et par cette assertion catégorique : « Aucun ami anglais ne se convertira ce soir », Evan Roberts persiste plus que jamais à ne se préoccuper que des Gallois et à n’employer que la langue galloise. Les meetings de Liverpool sont confinés au gallois beaucoup plus que n’importe lequel des meetings tenus par le revivaliste au Pays de Galles. Il y a à Liverpool environ 30 000 Gallois. Mais ce n’est pourtant là qu’une colonie restreinte au sein d’une immense population anglaise.

Beaucoup de gens, à Liverpool, regrettent qu’Evan Roberts se confine si strictement au gallois. Lorsqu’il est allé à Birkenhead, le 31 mars, il aurait pu réussir, dit-on, à remplir le pavillon de Torrey-Alexander qui est encore debout et qui peut contenir 14 000 assistants. Mais il aurait fallu faire le service en anglais. Et Evan Roberts y répugne. De plus, Evan Roberts est très ecclésiastique au fond. Sauf une exception (Bridgend), il a toujours tenu ses réunions dans des chapelles, dans des lieux consacrés au culte public. Il n’est pas très enclin à opérer ailleurs. Et, après tout, le comité de Liverpool, en organisant une série de réunions dans différentes chapelles à tour de rôle et jusque dans les faubourgs ou les annexes de Liverpool, de préférence à une série de réunions centrales, ne s’est pas borné à se conformer aux désirs du revivaliste : il a maintenu le mouvement, dans Liverpool et le district, strictement dans les lignes qui ont conduit au succès dans les villes et les vallées du Pays de Galles. Mais les Anglais de Liverpool voient d’un mauvais œil ce revivaliste gallois qui sait l’anglais et qui s’obstine à ne pas le parler.

Que dis-je ! non seulement il s’obstine à ne pas parler anglais, mais le voilà qui s’obstine parfois à ne pas parler du tout ! Quand ça le prend, il garde si bien le silence, qu’on finit par l’appeler « l’évangéliste silencieux » (The Silent Evangelist). Dès la première séance, mercredi 29 mars, il commence par rester pendant une heure et demie muet sur sa chaise. Quand il se décide à ouvrir la bouche, il s’arrête après quelques mots brefs, il redevient encore silencieux pendant une heure. Puis il s’écrie que, quoiqu’il soit le mieux en forme possible (at his best), des centaines de personnes dans l’édifice, sinon en paroles, du moins par leur conduite, sont en train de lui dire non. « Le résultat de cette désobéissance, assure-t-il, c’est que je n’ai pas la permission d’indiquer un hymne ou de conduire le meeting. » Les foules s’en vont un peu désappointées, ce qui est naturel quand on considère que le revivaliste est resté muet pendant plusieurs heures. Et les Anglais de se plaindre et de se scandaliser des allures bizarres du revivaliste ultra-gallois et de l’évangéliste ultrasilencieux. A quoi pense donc ce jeune homme qui reste là assis, muet, comme qui dirait perdu dans des rêves, dans de lointaines visions ? A quoi pense ce revivaliste nouveau style qui abandonne à elles-mêmes les assemblées qu’il devrait diriger et qui sont complètement épuisées, qui ont dépensé toute leur provision et leur capacité d’intérêt avant qu’il daigne prononcer un mot ? En vérité, grommellent les Anglais, la multitude se rassemble et doit se rassembler non pour s’écouter elle-même, mais pour chercher et trouver quelque chose par le moyen du revivaliste qui l’a convoquée. Ce silence extraordinaire est dû évidemment aux effets de la tension nerveuse et du surmenage. Que ce revivaliste aille donc se reposer, prendre des douches, faire de la bicyclette, se coucher de bonne heure, et puis il reviendra, s’il veut : il aura chance alors d’être un peu plus raisonnable ! — Mais les Gallois de Liverpool, eux, n’ont cure de ces critiques. Ils accourent toujours plus nombreux, insatiables de voir Evan Roberts, s’ils ne peuvent l’entendre, de se trouver dans le même local que lui, de subir son magnétisme ; et lorsqu’Evan Roberts se tait, l’assemblée galloise n’en déchaîne que de plus belle des torrents de prières et de mélodies. Et d’ailleurs les Gallois prétendent que, même lorsqu’Evan Roberts ne dit rien, il ne laisse pas de diriger la réunion par son influence occulte : « les réunions sont toujours entièrement entre ses mains ; son contrôle est parfait. »

Le silence d’Evan Roberts dans les réunions n’est plus pour nous surprendre beaucoup après la semaine de silence. C’est en petit une reproduction des mêmes phénomènes. Les Anglais n’ont pas tout à fait tort de soupçonner une fatigue nerveuse sous-jacente. C’est une fatigue nerveuse interprétée par le subconscient et transformée soit en un ordre positif de ne pas parler soit tout simplement dans l’absence d’ordre de parler. Et Evan Roberts se tait, de plus en plus décidé à ne parler que lorsqu’il s’y sentira intérieurement poussé, lorsqu’il aura, comme il dit, « un message du Saint-Esprit. »

On souhaiterait presque qu’il se soit enfoncé toujours plus dans ce silence, lorsqu’on voit les scènes excitantes qui se sont déroulées à partir du 1er avril, et dont il nous faut bien faire le récit.

Samedi, 1er avril. — Evan Roberts avait commencé la réunion avec une gaieté contagieuse (infectious gaiety) et la réunion marchait admirablement. Mais pendant qu’une dame était en train de chanter un solo, l’évangéliste, dont les dispositions avaient changé en un instant, déclara avec excitation que l’Esprit s’en était allé maintenant. « Ne chantez pas Diolch (grâces soient rendues…) ; il n’y a pas de Diolch possible pour quelques-uns de ceux qui sont ici, quoiqu’il y ait de la louange due au ciel pour tout cela », et avec des yeux étincelants d’indignation, les poings fermés, et la voix vibrante, il s’écrie : « Il y a ici des membres d’Eglise, qui n’ont pas prié, et qui sont même jaloux des conversions qui ont été opérées. Priez pour obtenir le pardon. Ceci, oh ! ceci est terrible ! Jaloux parce que Jésus est glorifié ! Il ne faut pas chanter encore. Priez. » Un frisson de terreur parcourt tous les assistants. Partout dans la chaire, dans les galeries, dans le corps de l’édifice, hommes et femmes commencent à gémir, à pleurer en priant. Au bout d’un moment, Evan Roberts parle de nouveau : « Il y en a quelques-uns qui n’ont pas encore de-mandé pardon. L’œuvre marche admirablement, mais il y a cinq personnes ici qui l’entravent. Veulent-elles sortir, s’il leur plaît ? Il n’y aura pas d’autres conversions jusqu’à ce qu’elles sortent. Si l’état de choses ne s’améliore pas, je m’en irai. Je ne puis plus le supporter. » Le Rév. John Williams suggère à demi-voix que les obstructionnistes pourraient être des non-adhérents (des personnes n’appartenant à aucune Eglise). « Non, non, dit Evan Roberts en anglais ; ce sont des chrétiens ; ils sont toujours dans cette chapelle. Peut-être leurs noms vont-ils être bientôt donnés. » Un autre ministre suggère que ce pourraient être des amis anglais qui n’auraient pas compris. « Non, non, réplique Evan Roberts. Ce sont tous des amis Gallois. Et là-dessus Evan Roberts a une véritable attaque d’angoisse, il gémit en se tordant, comme s’il éprouvait une intense douleur physique. « O Seigneur, prie-t-il à haute voix, courbe-les, courbe-les » (bend them). L’assemblée se lamente à haute voix. Les femmes poussent des cris perçants et plusieurs sont sur le point de s’évanouir. La situation est extrêmement pénible, presque intolérable (excruciatingly painful, almost intolerable). Les ministres échangent des regards désespérés. « Courbe-les, ô Dieu » (Plyga nhw, Dhuw), crie Evan Roberts. Le paroxysme d’émotion atteint un tel degré qu’une panique est à craindre, surtout lorsque Roberts s’écrie : « Ne demandez pas à Dieu de sauver. Il n’écoute pas maintenant. Trois de ces cinq prêchent l’Evangile. Il y aura un de ces jours une terrible soumission (littéralement une terrible courbure, effectuée par Dieu, bien entendu : an awful bending) ». Cette déclaration produit une terreur générale, et le Rév. John Williams qui redoute quelque crise épouvantable, essaie de terminer le service en prononçant la bénédiction. L’Evangéliste ne semble pas entendre, et dans tous les cas n’accorde aucune importance à cette clôture. Et la réunion continue. Quelqu’un commence une prière en anglais. « Non, non, dit Evan Roberts, comme en état de transe (as though in a trance), ils refusent d’écouter ; je ne sais pas ce qui va advenir d’eux. Un pasteur demande : « Ne pouvons-nous pas rendre grâces pour ceux qui ont été sauvés ce soir ? — « Non », réplique Evan Roberts avec sévérité et autorité. « Dieu ne recevra aucune action de grâces ; Il ne recevra rien. Il a fermé le Ciel, pour ainsi dire. J’ai déjà vu des meetings arrêtés de cette façon. » Une voix dans l’auditoire : « Nous vous verrons demain soir. » Evan Roberts : « Me voir ? Quelques personnes verront Dieu et sentiront sa main avant demain soir. Hâtez-vous, amis, de sortir, ou demandez pardon. » — Un hymne est entonné. — « Non, non ! Il ne doit pas y avoir de chant », commande de nouveau le revivaliste. Bientôt, toutefois, le nuage noir est levé. Alors, souriant, Evan Roberts prononce : « . Peut-être pouvons-nous chanter maintenant. Cela devient plus clair. » Puis, après un silence : « Maintenant je vous dirai ce que nous pouvons faire avant d’aller nous coucher. Nous pouvons confier ces cinq personnes à la sollicitude de Dieu. Nous chanterons maintenant et nous remercierons Dieu pour cela. » On chante, et les conversions recommencent de se produire jusque vers la fin de la réunion. — Il n’est vraiment pas bien surprenant qu’un journal de Liverpool ait cru pouvoir donner pour titres au récit de cet orageux meeting :

cinq brebis noires
roberts soulève un auditoire de liverpool
jusqu’à la frénésie
paroxysmes d’émotion. menaces de panique

Ce qu’il y a d’étrange, c’est que l’accusation lancée par Evan Roberts semble avoir été fondée. Car un journal de Liverpool a publié, peu après cette réunion, une lettre frappante, signée par un avocat de Liverpool, et ainsi conçue :

« J’étais présent à ce moment-là. Lorsque les noms des convertis furent recueillis, un ministre était debout tout près de moi et derrière moi. Juste à ce moment un autre ministre s’approcha de lui, ayant à la main un morceau de papier sur lequel devaient se trouver les noms des convertis. Le dernier ministre dit au premier au sujet d’un jeune homme dont il avait pris le nom et qui avait prié avec une grande ferveur : « Ce n’est que du charlatanisme (humbug) », et il continua en portant contre ce jeune homme une accusation destinée à montrer qu’il était impropre à être un membre d’Eglise. Alors le premier ministre commença à parler d’Evan Roberts, et il dit : « Je l’ai entendu à Princes-Road. et à Anfleld, et je ne vois rien en lui ». Le second ministre approuva, disant : « Moi non plus, je ne vois rien en lui ». Ce fut peu après cela qu’Evan Roberts tomba dans ce paroxysme, et fit la déclaration relative aux cinq personnes, dont trois ministres, qui étaient pleines d’envie et de jalousie. »

Lundi, 3 avril. — Evan Roberts interrompt le Dr Philips au moment où il va mettre le meeting à l’épreuve, déclarant que « Dieu ne veut pas que le meeting soit éprouvé ». (tested) maintenant, attendu qu’il y a des obstacles à écarter, et que Dieu ne doit pas être volé de sa gloire. Le meeting continue. Au bout de quelques instants, le Rév. Owens veut de nouveau essayer d’éprouver le meeting, mais Evan Roberts se lève et déclare que cela ne se peut. « Quelques-uns de ceux qui ont empêché, qui ont été un obstacle sont partis, déclare-t-il, mais il y en a encore d’autres ici. Ce qui arrivera, je ne sais ; mais l’œuvre doit continuer. » Tout à fait à la fin, Evan Roberts permet d’éprouver le meeting… Toutefois, avant de l’éprouver, il demande quelques minutes de prière silencieuse pour le salut des âmes. Le silence se fait. Au bout de quelques minutes, Evan Roberts déclare qu’un grand nombre de personnes membres d’Eglise ont refusé de prier, et que le Seigneur ne permet pas maintenant d’éprouver le meeting. La même scène se reproduit trois fois. A trois reprises différentes Evan Roberts demande à l’assemblée de prier ; chaque fois il déclare que la prière a été insuffisante, et défend d’éprouver le meeting. « Ce n’est pas le premier service, déclare-t-il, qui ait été terminé sans épreuve (without testing). Il ne doit plus y avoir de chant ni de prière. Rentrez chez vous maintenant. J’espère que vous demanderez pardon ce soir. » L’assemblée se disperse alors, un peu stupéfaite et effrayée de cette fin abrupte de la réunion.

J’ai eu sur cette réunion les impressions immédiates du vicaire de Rhos, qui y avait assisté, et qui est enthousiaste d’Evan Roberts. Ce qu’il apprécie surtout en lui, c’est son absolue sincérité.

« Il est entièrement sincère (genuine). Rien au monde, aucune considération quelconque ne peut l’empêcher de manifester ses sentiments : « Vous pourriez lui donner l’hospitalité pendant six mois et le combler de bienfaits ; aucune considération au monde ne lui ferait faire ou dire quelque chose qui ne soit pas exactement conforme à ses sentiments. Il ne le ferait pas, même par égard pour vous. Quand il est triste, inquiet, mécontent, sa figure et son attitude le montrent tout de suite. Il rit de tout son cœur, en pleine réunion, quand il est content. »

Le vicaire admire beaucoup la conduite d’Evan Roberts dans le meeting où il a refusé d’éprouver (to test) les assistants, et ce à cause des inimitiés, des obstacles qu’il sentait. Pour aller ainsi contre le désir de tous et blesser les sentiments des 99 pour 100 de l’auditoire, il faut n’être pas un homme ordinaire, il faut être vraiment courageux, de ce courage civil qui n’est pas moins héroïque que l’autre et qui consiste à lutter contre un entraînement populaire, à refouler un courant, à émettre devant une assemblée dans un conseil, une opinion dissidente, isolée, en opposition avec celle de la majorité. Les trois-quarts des assistants désiraient que le meeting fût éprouvé, étant persuadés que si le meeting était éprouvé, les résultats seraient excellents et clôtureraient dignement une bonne et féconde réunion. Ils ont été sûrement étonnés, beaucoup choqués de l’attitude de Roberts.

« Pour moi, j’ai été surpris tout d’abord, conclut le vicaire de Rhos, mais à chaque pas que je faisais vers la station pour attraper mon train, je sentais davantage qu’il avait agi sagement, qu’il avait raison. S’il avait éprouvé le meeting un grand nombre se seraient levés comme membres de Christ qui étaient au fond pleins d’animosité, de rancune, et de sentiments qu’Evan Roberts désapprouvait. »

Mardi, 4 avril. — Parmi ceux qui étaient venus à la réunion à Seacombe, il y avait un écrivain socialiste bien connu, qui, parlant à quelques journalistes qui étaient ses amis et qui l’entouraient, se permit de traiter un peu légèrement le Réveil. Lorsqu’Evan Roberts entra et commença de parler, une des questions surprenantes posées par lui à l’assemblée au cours de son allocution fut celle-ci :

« Que penser du moqueur qui est ici ? Le Seigneur ne veut pas qu’on se moque de lui ; le jour viendra où il se moquera de ceux qui se seront moqués. Cela ne sert à rien de chanter lorsqu’il y a des obstacles dans le service. Est-ce que personne n’a murmuré une prière pour que cette moquerie soit écartée ? N’importe qui ? N’importe où ? »

La question réduisit au silence le visiteur, qui devint tout à fait sérieux. Alors Evan Roberts déclara qu’il n’y avait plus autant de moquerie et que le rire s’était arrêté, mais que le moqueur était toujours présent. Immédiatement le visiteur quitta la chapelle, et, chose assez étrange, bien qu’il fût impossible à Evan Roberts de connaître l’homme en question ou de s’apercevoir de sa présence ou de son départ, le revivaliste releva immédiatement l’assemblée de l’ordre qu’il avait donné de ne pas chanter, et dit que le meeting était maintenant clair (clear).

Jeudi, 6 avril. — Evan Roberts court le risque d’être victime d’un accident de voiture, qu’on a d’abord tenu secret, mais qui a fini par s’ébruiter. Pendant une excursion qu’il fait avec quelques amis à « Hilbry Island », le cheval de sa voiture s’emballe subitement et, à la terreur de tous, se précipite en droite ligne vers les falaises abruptes qui étaient à 60 ou 70 pas seulement. M. L. Jones, un ami d’Evan Roberts, conduisait. Avec une admirable présence d’esprit et par un effort surhumain, il réussit à détourner le cheval et à le faire arriver contre un char vide qui était entre la voiture et la mer. Un choc s’ensuit, et la voiture est réduite en miettes. Evan Roberts est projeté hors de la voiture. Alors le cheval attelé au char s’emporte lui aussi, et semble trépigner sur Evan Roberts, et l’une des roues du char passe sur la jambe gauche du revivaliste. On le relève presque évanoui. En ouvrant les yeux, il fait en souriant la remarque : « Voici encore un de ses tours (c’est-à-dire, un des tours de Satan), mais il a de nouveau manqué son but. » La cheville était très enflée, mais il n’y avait rien de cassé. Un médecin présent lui recommande de renoncer à la réunion où il devait aller ce soir-là et de prendre quelques jours de repos. « Votre devoir est d’obéir au médecin, lui dit alors son ami. — Ah ! répondit Roberts, le Grand Médecin m’ordonne d’y aller ». Et il y va, et nul, sauf le médecin et son ami, ne se doute dans la réunion qu’il vient d’avoir un si grave accident.

Vendredi, 7 avril. — Evan Roberts se rend au Town-Hall, où il est invité par le Lord-Maire qui a désiré lui donner une réception. Le fait est assurément remarquable. Des Français ne peuvent qu’être surpris — et presque jaloux — de cet hommage civique rendu par l’autorité suprême de la seconde cité de l’Empire britannique au Réveil dans la personne d’un jeune Gallois qui peu de mois auparavant n’était qu’un humble mineur ou un obscur forgeron. Evan Roberts a paru enchanté de cette réception, a remercié le Lord-Maire et dit qu’il acceptait volontiers l’honneur qui lui était conféré, non à cause de lui-même, mais dans l’espoir que cela aiderait à la propagation du Réveil. Evan Roberts a d’ailleurs fait l’admiration de tous par la manière aisée dont il s’est comporté pendant cette réception. Il s’est montré un « gentleman naturel (one of Nature’s gentlemen), disait l’un des invités.

Après sa réception chez le Lord-Maire, Evan Roberts se rend à la réunion de la jeunesse convoquée au Sun-Hall, un vaste édifice capable de contenir 6 000 personnes. Inutile de dire que l’édifice était plus que bondé. C’était la plus grande assemblée qu’Evan Roberts eût jamais eue devant lui, et c’était aussi la première fois qu’il acceptait de présider une réunion en dehors d’une chapelle. Sur la plate-forme, parmi les notabilités nombreuses, avec le Lord-Maire, se trouvait Ian Maclaren — qui avait assisté aussi à la réception donnée par le Lord-Maire à Evan, Roberts.

Au cours de la réunion se produit un incident dramatique. Evan Roberts arrête le service — les prières et tout — et dit d’abord en gallois, puis en anglais :

« Il y a ici un ami anglais dans cette réunion qui essaie de m’hypnotiser en ce moment même. Voulez-vous quitter l’édifice tout de suite ou demander au Seigneur de vous pardonner ? Dieu ne veut pas être moqué. Nous ne sommes pas venus ici pour jouer. Nous sommes venus ici pour adorer le Seigneur. Nous ne sommes pas venus ici pour jouer avec les choses saintes de Dieu, et ceux qui se moquent de lui seront dispersés comme la paille devant le vent. Ces mauvaises pratiques… »

Et sans achever sa phrase, il se tourne de côté et d’autre, et scrutant l’assemblée en haut et en bas, à gauche et à droite, il s’écrie : « Demandez à Dieu de l’abattre ou de lui pardonner. Demandez tout de suite ; allons, tous ensemble, allons, allons, — prions Dieu de l’écarter ou de lui pardonner. Ces paroles étonnantes créent tout d’abord un profond silence, mais bientôt jaillit un torrent de prières galloises et anglaises suivies peu après d’une magnifique explosion de chant. Au moment où le chant s’arrête, Evan Roberts se lève de nouveau et dit en anglais :

« Quelques-uns d’entre vous sont en train de prier le Seigneur de sauver cette personne. Je ne puis faire cela. Je puis prier qu’il soit enlevé de la face de la terre, mais je ne puis demander au Seigneur de le sauver… Il y a eu trop d’amusement avec les choses sacrées. Des gens qui viennent au temple du Seigneur pour jouer avec les choses qui ont coûté du sang divin. Il est temps qu’ils soient balayés ou qu’ils soient amenés à aider, au lieu de faire obstruction. C’est ici un lieu trop redoutable pour y jouer. Quelle folie ! Quelle folie — la créature se dressant contre le Créateur ! Cela confine à la démence (lunacy). Malheur à ceux qui viennent se mettre entre’ cette congrégation et Dieu — spécialement un membre. Mais, — ajouta-t-il après une courte pause, — cette personne n’est pas un membre. Quelques personnes pensent que nous sommes venus ici pour dire ce qui nous plaît. Mais non. Oh ! si nous pouvions tous vivre plus près de Dieu. Les secrets du Tout-Puissant sont avec ceux qui le craignent. Il y a ici quelques jeunes gens qui sont membres et qui sont gallois, mais dont les mains ne sont pas pures. Ce soir, demandez à Dieu de pardonner vos péchés. Demandez en silence, sans baisser la tête ni fermer les yeux, de peur que les gens vous reconnaissent. »

Ajoutons tout de suite, avant de passer au récit du second fait dramatique de la soirée, que le Dr Walford Bodie, hypnotiste qui s’intitule le « moderne thaumaturge du Nord », et qui donnait à ce moment-là des séances chaque soir au théâtre lyrique de Liverpool, déclara le lendemain qu’il acceptait la pleine responsabilité d’une tentative d’hypnotiser le revivaliste ». « J’ai envoyé, dit-il, l’un de mes assistants au meeting du Sun-Hall pour essayer d’hypnotiser Evan Roberts, et j’ai le plaisir d’informer M. Roberts que l’homme qui a fait la tentative n’a pas encore été frappé par Dieu et est encore tout à fait bien. »

Je dois confesser qu’au cours de mon voyage en Angleterre et au Pays de Galles, j’ai trouvé quelques Anglais sceptiques qui m’ont dit : « L’assertion du Dr Bodie est une blague. Lorsqu’il a lu dans les journaux la conduite excentrique d’Evan Roberts au Sun-Hall, il s’est dit : Tiens ! voilà pour moi l’occasion de me tailler une petite réclame. Je vais dire que c’est moi qui l’ai hypnotisé. Oui, mais on sait bien que je ne pouvais être au Sun-Hall, puisque je donnais à cette heure-là une séance au Théâtre Lyrique… Eh bien ! je vais dire que j’ai envoyé un de mes « assistants. » Personne ne pourra me convaincre de mensonge. — En revanche, j’ai trouvé d’autres Anglais convaincus de la possibilité et de la réalité de la tentative d’hypnotisation, même parmi les moins emballés pour le Réveil et les moins suspects de désirer a priori voir les prédictions d’Evan Roberts vérifiées : « Les sceptiques, m’ont-ils dit, sont ceux qui ne sont pas au courant des phénomènes d’hypnotisme, de suggestion, de télépathie. Pour qui est au courant de ces choses-là, il n’y a aucune raison de mettre en doute la sincérité et le sérieux à la fois d’Evan Roberts et du Dr Bodie. »

Dans tous les cas, il est intéressant de recueillir l’opinion du Dr Bodie sur Evan Roberts. Il l’a fait connaître dans une interview curieuse publiée dans les journaux et que j’ai lue à Cardiff le lundi 10 avril, le jour même de mon arrivée au Pays de Galles :

« Depuis quelque temps, a dit le Dr Bodie à un représentant du Liverpool Freeman, j’ai étudié avec soin le pouvoir d’Evan Roberts, qui m’intéresse grandement. Laissez-moi dire d’abord que j’ai le plus grand respect pour le travail de l’Eglise. J’ai été personnellement éduqué pour le ministère de l’Eglise écossaise, et je serais, j’espère, le dernier à vouloir rabaisser l’œuvre des ministres. Eh bien ! j’en suis venu à ces conclusions au sujet d’Evan Roberts : C’est un hypnotiste d’un grand pouvoir. De cela, j’en suis convaincu. C’est sa faculté de mesmérisation, et l’air de mystère qu’il affecte, qui lui donnent sa maîtrise extraordinaire sur les auditoires. Il les approche et les affecte en se jetant d’abord lui-même dans un état hypnotique, c’est ce qui explique son silence et sa concentration pendant qu’il est sur la plate-forme, et c’est ce que confirme l’état d’épuisement dans lequel il tombe ensuite. Il descend d’une race adonnée au mysticisme depuis des générations, car il n’y a pas de lieu où la puissance occulte fasse plus appel à l’esprit qu’en Galles. Il n’y a pas de doute qu’Evan Roberts mesmérise réellement la majorité de ceux qui sont prêts à s’abandonner au pouvoir mystérieux ; et quoiqu’il puisse prétendre qu’il est fondé à employer les suggestions hypnotiques pour attirer les gens à la religion, il abuse grossièrement, à mon sens, d’un don qui n’a jamais été destiné à contraindre religieusement nos semblables. Si Evan Roberts, en se jetant lui-même dans ces transes hypnotiques, le fait sans intention explicite, il est un monomane. S’il le fait intentionnellement, le cas est pire. En appliquant constamment la suggestion hypnotique aux personnes de volonté faible qui lui servent de médiums sensibles, il leur fait beaucoup de mal, et n’aide nullement la cause de la religion. »

Mais il y a eu un second incident dramatique au meeting du Sun Hall. Pendant que le meeting était éprouvé, Evan Roberts était en train de prédire des conversions, lorsque tout à coup son front se rembrunit, et il déclare qu’un homme s’est plaint du dérangement d’être obligé de lever la maind pour cueillir une si glorieuse moisson. « La personne qui est coupable de cela, doit demander tout de suite pardon à Dieu. » Tous les chants, toutes les prières sont immédiatement arrêtés par le revivaliste dès qu’ils tentent de commencer, et Evan Roberts déclare que l’Esprit a commandé à l’homme qui avait grommelé de se lever et de se confesser devant la congrégation. Puis il dit : « Tel est le message. Vous pouvez en faire ce que vous voudrez, mais si vous ne vous levez pas, ne soyez pas surpris si votre bras se dessèche et vient à pendre à votre côté de telle sorte que vous ne serez plus capable de le lever jamais. Faites comme il vous plaira, mais ce serait là porter le signe de votre désobéissance toute votre vie. » Le Rév. Williams, là-dessus, émet la remarque que des choses tout à fait aussi étranges que celle-là se sont passées à des réunions précédentes et ont été vérifiées. Mr Evan Roberts : « Le coupable veut-il se lever et se confesser ? Ce n’est pas un Anglais. C’est un Gallois — ce n’est pas une Galloise. Ce n’est pas un membre, ce n’est pas un diacre, mais un ministre. Ce n’est pas un simple prédicateur, c’est un ministre. Je ne serais pas surpris de le voir sur cette plateforme ; en fait, il est sur cette plateformee. Priez Dieu de le courber (plygy). » Aussitôt des douzaines de prières simultanées jaillissent de tous les côtés de l’édifice. Pendant qu’elles sont en train, un ministre baptiste, H.-R. Roberts, demande s’il n’est pas possible d’avoir le nom afin que le blâme ne retombe pas sur tous les ministres indistinctement, ou, du moins, si on ne donne pas le nom publiquement, la personne ne pourrait-elle pas être prise en particulier pour qu’on prie avec elle ? « Quant à moi, ajoute malencontreusement le ministre, ma propre conscience est claire. » Ce qui provoque cette riposte cinglante d’Evan Roberts : « Si votre conscience est claire, pourquoi éprouvez-vous le besoin de le dire, ami ? » Un autre ministre, un congrégationaliste, nommé lui aussi Roberts, se lève sur la plateforme et déclare avec irritation que samedi dernier et aujourd’hui on a attaqué des ministres… « Asseyez-vous », interrompt Evan Roberts. Mais le pasteur O. L. Roberts, insiste sur le droit qu’ont les ministres de se défendre. De partout retentissent des cris : « Honte ! honte ! » Et Evan Roberts, accompagné de sa sœur et de Miss Annie Davies, quitte la réunion qui devient toujours plus tumultueuse. Le Rév. Williams réussit pourtant à rétablir un peu de calme, et dit qu’il aurait été préférable que chaque ministre y regardât à deux fois avant d’entreprendre de poser des questions à un homme tel que Mr Evan Roberts. Une voix : « Mais pourtant il n’est qu’un homme… — Vous n’avez pas besoin de nous le dire, reprend le Rév. Williams… — S’il nous accuse, nous devons nous défendre, proteste un ministre. — Mais pourquoi devez-vous vous défendre ? demande Williams… Des choses étranges ont été dites cette semaine par Mr Evan Roberts, et chaque fois la confirmation est arrivée de là d’où on ne l’attendait pas… » Et le Rév. Williams rappelle les cas où les assertions de Roberts se sont trouvées vérifiées (les remarques de l’avocat sur les pasteurs, le moqueur socialiste de Seacombe, etc.). « Je serais le dernier à dire que Mr Evan Roberts a un pouvoir surnaturel pour découvrir ces choses, mais il est remarquable de voir que chaque fois ce qu’il dit se trouve vérifié… Et il ajoute quelques mots qui réussissent à calmer les gens ; le meeting est mis à l’épreuve, et après la récitation de l’Oraison dominicale, l’assemblée se disperse.

d – On verra plus loin, par le récit des réunions auxquelles j’ai assisté moi-même, que les invitations à se lever, à lever la main, à se rasseoir, puis à se lever de nouveau, etc., etc., se multiplient et se prolongent quelquefois pendant un temps interminable, véritable et fatigante gymnastique collective.

e – On saisit ici sur le vif (comme on a pu le faire d’ailleurs dans quelques autres exemples déjà cités) les approximations successives par lesquelles Evan Roberts, exerçant sa faculté prophétique de lecture de pensées, arrive peu à peu à identifier celui qu’il a en vue. Nationalité, sexe, fonction (pasteur ou laïque), endroit de la salle où se trouve l’individu : tout cela arrive peu à peu à la connaissance d’Evan Roberts, qui formule tout haut les révélations à mesure qu’elles lui parviennent. Là où lui voit des révélations progressives de Dieu, il est très permis de voir l’épanouissement progressif d’une divination télépathique purement naturelle.

Les admirateurs d’Evan Roberts déclarent que sans doute les scènes du Sun-Hall semblent contraires à tout ce qui constitue l’idée que l’on se fait généralement d’un service religieux. Mais, ajoutent-ils, « l’histoire est du côté du Revivaliste. Lorsque les changeurs et les vendeurs de pigeons furent expulsés du temple, les orthodoxes (il s’agit d’orthodoxes en matière ecclésiastique, non d’orthodoxes en matière dogmatique), doivent s’être plaints du désordre et avoir blâmé les paroles prononcées par le Maître. » (Revival number, 15 avril). Il faut observer qu’ici, comme toujours, l’assertion d’Evan Roberts n’a pas tardé à recevoir sa confirmation. A la fin de la réunion, deux ministres seront approchés du Rév. Williams et lui ont dit qu’Evan Roberts avait parfaitement raison, qu’eux-mêmes avaient entendu deux ministres causer avant qu’Evan Roberts fît une remarque à ce sujet, et que l’un d’entre eux grommelait, se plaignant à l’autre des invitations fréquentes qui étaient faites de lever les mains. Et la brochure du Western Mail fait remarquer à ce propos que, durant la scène, le Rév. W.-O. Evans avait demandé à haute voix au revivaliste : « Mr Roberts, que voulez-vous dire par cwyno (se plaindre) ? Est-ce que c’a été un murmure imperceptible, purement intérieur, dans l’esprit de quelqu’un, ou la personne à laquelle vous avez fait allusion a-t-elle proféré verbalement quelque murmure ? Le revivaliste, sans une seconde d’hésitation, avait répondu : « La personne s’est plainte à un autre. »

Ainsi une autre des déclarations d’Evan Roberts a été vérifiée, quoique les gens en question fussent assis si loin de lui qu’il lui ait été matériellement impossible d’entendre leur conversation.

Le nom du ministre qui avait grommelé d’être invité à lever si souvent la main est maintenant définitivement connu, assurent les journaux. C’était un ministre de Liverpool. C’est ce qui est attesté par deux autres ministres, dont l’un a écrit au Rév. Williams.

Tout de même, ce sont là des réunions bien étranges, et l’on s’explique que, lisant dans le journal le récit de la séance du Sun-Hall, pendant un voyage en chemin de fer, Sir Alfred Jones, qui appartient à une Compagnie maritime, ait été tellement impressionné, qu’il soit descendu à la station suivante pour aller télégraphier à Evan Roberts : « Voyant à quel point vous avez besoin de repos et de changement d’air, je me fais un plaisir de mettre à votre disposition deux cabines de première classe pour vous et l’un de vos amis, si vous voulez aller faire une excursion en bateau aux îles Canaries ou à la Jamaïque, le tout gratuitement. »

Mardi, 11 avril. — Evan Roberts va assister dans l’après-midi à une réunion de dames (meeting for women) à laquelle il semble pourtant que les messieurs sont admis. Il reste longtemps silencieux. Bientôt il montre des signes de détresse. Quand il se décide à parler, il est sous l’empire d’une profonde émotion. « Il y a quelqu’un ici, déclare-t-il, qui a résisté depuis quelque temps et qui continue de résister aux impulsions de l’Esprit qui le pousse — ou la pousse à se consacrer aux missions étrangères. » (Sensation dans l’assemblée). « Je ne puis parler davantage à cause de cette désobéissance. Il y a des millions de païens dans le monde qui ignorent l’Evangile, et pourtant il y a quelqu’un dans cet édifice qui a refusé de leur porter la lumière. Il — ou elle — doit demander pardon tout de suite. » Alors se passe une scène émouvante. Avant l’arrivée du revivaliste, une jeune dame, dans la chapelle, avait prononcé une prière d’une remarquable ferveur. A la surprise de tous, c’est elle qui se lève en sanglotant lamentablement, et qui confesse publiquement qu’elle a été coupable de la désobéissance dénoncée. Depuis trois ans, elle se sent poussée à s’offrir pour la mission sur les collines de Khassia (Assam), mais son amour pour sa famille et ses amis a été plus fort. Elle a aimé son home plus que le Christ. Alors elle se met à prier, à implorer le pardon : « Seigneur, je cède, je cède (I surrender), fais de moi ce que tu veux. » — « Bendigeddig ! (béni soit Dieu !) s’écrie le revivaliste avec joie. Mais une seconde après, il se laisse tomber en pleurant et en sanglotant dans la chaire : toute la congrégation est profondément remuée par cette scène pathétique. Redevenu maître de lui-même, Evan prononce une allocution sur le devoir de soutenir les missions étrangères.

C’est le soir de ce même jour qu’éclate, dans toute son intensité, le démêlé d’Evan Roberts avec l’Eglise libre de Liverpool. La crise avait été déjà préparée dans des réunions antérieures :

Dans la réunion du 31 mars, tandis que quelqu’un prie demandant à Dieu de venir plus près, Evan Roberts ouvre la Bible de la chaire, la feuillette rapidement comme s’il cherchait un texte qui lui échappe, et a l’air désireux de parler. L’auditoire commence de chanter un hymne, mais il l’arrête en disant que Dieu ne s’approchera pas jusqu’à ce que quelque chose soit éclairci et enlevé. Il y en a quelques-uns ici, déclare-t-il, qui ne peuvent pas prier l’Oraison dominicale. Ils peuvent la dire, mais il ne peuvent pas la prier, parce qu’ils ne pardonnent pas aux autres leurs offenses envers eux.

« Ne pensez pas que ce soit de l’imagination, ne dites pas que c’est de la fantaisie, c’est de la connaissance. Ils sont ici, aussi sûr que je suis ici, aussi sûr que Dieu est ici. Il y aura un temps amer pour quelques-uns d’entr’eux, à moins qu’ils ne pardonnent. Je ne puis les forcer à pardonner. Je ne puis que les inviter. Qu’ils pardonnent immédiatement, ou qu’ils disent à Dieu qu’ils ne le peuvent pas et lui demandent de les fortifier. Il est impossible d’adorer sans pardonner. »

Ces déclarations produisent une grande agitation : des prières frénétiques et simultanées jaillissent de tous les points de l’auditoire : « Courbe-les, Seigneur… Oh ! pardonne-nous et fortifie-nous pour que nous puissions pardonner… Pardonne notre hypocrisie !… Courbe la congrégation entière !… » L’assemblée entonne un hymne, mais Evan Roberts arrête le chant en répétant : « Il faut qu’il y ait une éclaircie (clearance). » Cris, pleurs, prières de l’assemblée. Evan Roberts s’interpose de nouveau et déclare que ceux auxquels il fait allusion sont des hommes importants, et qu’ils ne doivent pas être surpris s’ils sont écrasés et si leurs noms lui sont donnés pour qu’il les révèle… « Dieu, ajoute-t-il, se révèle lui-même par des moyens merveilleux en ces jours. » De nouvelles prières s’élèvent. Dans le nombre, la prière d’un jeune homme se fait spécialement remarquer. D’après le South Wales Daily News, c’est un des fonctionnaires principaux de l’Eglise libre de Galles, le corps qui s’est récemment détaché des Calvinistes Méthodistes à Liverpool. Il a pris une part éminente dans la pénible controverse qui a précédé cette séparation. C’est là, d’après le même journal, une lueur jetée sur ce qui se passe. Est-ce que des chefs (leaders) hostiles sont dans cette réunion, avec les cœurs encore remplis d’amertume et de rancune ? « Unis-nous, ô Seigneur, unis-nous », demande le jeune homme d’une voix perçante ; et il répète à plusieurs reprises son cri, suivis d’amens retentissants. « Nous sommes dans une confusion désespérée, Seigneur ; ramène-nous à quelque semblant d’ordre. Nous avons une peur mortelle de quitter cette réunion, jusqu’à ce que nous soyons assurés que nous sommes tous frères et sœurs en Christ. Courbe-nous jusqu’à ce que chaque église dans le district soit prête à coopérer pour les progrès de Ton Royaume. » Est-ce une allusion à la récente décision du Conseil des Eglises libres galloises de Liverpool de ne pas admettre l’Eglise libre galloise dans ses rangs ? D’autres déclarations semblent orientées dans le même sens. Le jeune homme, rendant grâces de ce que, quant à lui, il peut pardonner, demande que le même pouvoir soit donné aux autres, s’il y en a ici. « Oui, il y en a », dit Evan Roberts. Un chant est entonné. Evan Roberts l’arrête : « Ne chantez pas, s’il vous plaît, ce n’est pas encore clair. Il y en a encore qui refusent de pardonner, qui résistent aux impulsions de l’Esprit. » Les lèvres du revivaliste remuent, et toute son attitude indique une prière silencieuse, passionnée, offerte par lui pour d’autres. « Quelqu’un, dit-il, pourrait penser que je n’aurais pas dû intervenir dans la réunion, et aurait préféré le « hwyl », mais purifier et nettoyer le meeting est plus important. A plusieurs reprises il déclare qu’il y en a encore quelques-uns qui n’ont pas pardonné, et puis il donne le message : « Je suis contre vous, dit le Seigneur. » Quelques instants après, la congrégation tout entière répète à haute voix en gallois, puis en anglais, l’Oraison dominicale, et Evan Roberts, rayonnant de joie, déclare que l’Esprit permet de chanter le cantique : Que tout genou soit plié… « Chantez-le, dit-il, avec autorité et pouvoir. » A partir de ce moment, le meeting reprend l’allure habituelle.

Le 7 avril, M. Parker, qui a assisté à la réunion du Sun Hall, fait dans l’Evangéliste le récit suivant :

« Dans le compartiment où nous avions pris place le même soir pour venir à Londres, se trouvait une personne qui avait assisté à la réunion, et qui nous a dit sa surprise d’y voir un homme qui avait été exclu de l’Eglise pour cause d’intempérance, et qui même avait occasionné un schisme déplorable. Cet homme, paraît-il, pour faire obstacle aux réunions d’Evan Roberts, avait fait imprimer secrètement des cartes d’entrée qu’il avait distribuées à ses adhérents, et, par ce moyen malhonnête, lui et ceux de son parti avaient pu pénétrer dans la salle. »

L’homme dont il s’agit est le Rév. W.-O. Jones, ministre surintendant de l’Eglise libre galloise. Je n’ai pas eu le moyen de vérifier les deux accusations portées contre lui.

Le lundi 10, lorsqu’Evan Roberts, après une heure de silence, se lève pour parler, il ouvre, il ferme sa Bible, à plusieurs reprises ; puis déclare : « Je n’ai pas la permission de lire le verset. Je ne puis pas. Mais pourquoi ? Quelques-uns d’entre vous savent pourquoi. Pouvons-nous dire que tout est clair entre nous et nos semblables et entre nous et le ciel ? Non. Et c’est la raison pour laquelle je ne puis lire le verset. »

Les assistants se demandent en vain quel est le mystérieux verset dont il s’agit ; ils ne reçoivent aucun éclaircissement. Un nouveau converti se dresse sur ses pieds, et demande à Dieu de « chasser le diable de ce lieu ce soir. Il n’a aucun droit d’être ici, Il est ici sous de faux prétextes ; qu’il sorte ! qu’il sorte ! » En continuant sa prière, il fait allusion au récent schisme qui a séparé les églises galloises de Liverpool, et prie pour qu’un esprit de pardon puisse prévaloir de tous les côtés. Comme dans les occasions antérieures, toute allusion à ce sujet brûlant est promptement suivie d’une tentative de chant. Un ministre entonne un hymne, mais sans succès. Evan Roberts, qui fait peine à voir, tant le paroxysme qui l’a saisi est intense, arrête le chant. « Il y a ici quelque chose de terrible qui ne va pas, crie-t-il. Je l’ai senti dès que je suis entré, et le poids que j’ai supporté pendant la dernière heure a été presque intolérable. »

Une femme, puis un ministre, prient Dieu d’écarter les obstacles. Un Anglais qui ne se rend évidemment pas compte de ce qui se passe, récite un cantique anglais et puis se met à le chanter. Mais Evan Roberts s’y oppose : « Non, mon ami, nous ne devons pas chanter. Nous ne pouvons pas chanter maintenant. » Alors le Rév. W.-O. Jones, dont nous avons déjà eu et dont nous aurons encore l’occasion de parler, se met à prier le Seigneur « de soumettre tout ce qui peut être dans leurs cœurs — toute obstination et tout orgueil — et de le rendre, lui, le Rév. Jones, comme un enfant. Tu sais toute l’affaire qui est arrivée dans cette cité, continue-t-il ; fortifie-moi et pardonne à chacun tout ce que chacun et moi-même nous avons fait et tout ce que j’ai pensé qu’ils avaient fait contre moi. Tu sais que j’ai essayé de faire ainsi, ô Dieu, et oh ! aide-les à me pardonner tout ce qui était déplacé et tout ce qu’ils ont considéré comme déplacé. Fonds nos cœurs ; aide-nous à nous unir dans un seul cœur, à travailler ensemble pour l’amour de notre Sauveur. Enflamme-nous du désir de sauver le monde, et de te donner toute la gloire. O Seigneur, visite cette cité plus puissamment que tu ne l’as jamais fait déjà. »

Pendant cette prière, on ne peut voir Evan Roberts qui est assis et incliné dans la chaire, mais on l’entend sangloter amèrement. Evan Roberts reste silencieux encore quelque temps, pendant que des prières se succèdent et que le Rév. Williams fait une petite allocution optimiste. Quelqu’un demande : « Pouvons-nous chanter maintenant ? »

« Non, dit Roberts, pas encore ; la place n’est pas claire… Vous pouvez prier autant que vous voudrez, car il est nécessaire de produire une éclaircie (clearance), non seulement pour ce service, mais pour l’avenir… J’ai vu à des services tels que celui-ci la pression devenir si forte que ceux qui étaient coupables de faire obstacle étaient forcés de se lever et de se confesser. Il se peut qu’il en soit ainsi ce soir, comme aussi le contraire est possible, car Dieu préfère ensevelir nos fautes plutôt que de les exposer… »

Enfin nous arrivons à notre mardi 11, réunion du soir. Ce jour-là, par extraordinaire, il y a eu deux réunions dans la journée, et il serait bien possible que cet excès ait tendu d’une manière démesurée les nerfs d’Evan Roberts et soit en partie responsable des événements du soir. — Evan Roberts, presque aussitôt arrivé, se dresse dans la chaire, arrête le chant et demande : « Est-ce que ce lieu est clair ? J’ai peur que non. Est-ce que nous sommes venus ici pour voir seulement, au lieu de venir pour adorer le Dieu vivant ? Est-ce que nous sommes venus ici pour être divertis, au lieu de venir pour être sanctifiés ? — Une pause. — Non, ce lieu n’est pas clair. Qu’est-ce, mes amis ? » demande le revivaliste sauvagement. Et il se penche sur la chaire, la figure toute rouge, congestionnée, les veines gonflées. « Il y a, déclare-t-il, quelque chose d’extraordinaire qui ne va pas. »

Quelqu’un commence une prière : « S’il y a ici quelque chose qui pèse sur ce… — « Ne dites pas si, interrompt Roberts, ne dites pas si. » Et il s’assied pleurant et criant : « O Seigneur, courbe-les ! » Ses grands sanglots sont terribles à entendre. Le Dr M. Affee qui l’a suivi de près depuis son accident de voiture jeudi dernier, se précipite à son secours. « O Seigneur, s’écrie Evan Roberts avec désespoir, c’est plus que je ne puis-porter ! » Puis il dit à l’assemblée : « C’est le fardeau le plus pesant que j’aie encore porté », et il s’arrête. On prie partout dans l’édifice. Evan Roberts, au milieu de violents sanglots, s’écrie : « Il est difficile d’obéir toujours à Dieu ; mais je dois le faire. Il n’est pas aisé de le dire. Amis, priez pour que j’aie de la force. — L’obstacle, dit-il un peu plus tard, est le même que hier soir. Je dois donner le message. Vous pouvez le croire ou ne pas le croire. Vous pouvez faire comme vous voudrez, amis. » Et il succombe de nouveau à son émotion. A la fin, comme s’il faisait appel à toute son énergie pour se vaincre lui-même, il dit :

« Dieu m’a confié ce message il y a plusieurs jours, mais c’est seulement ce soir qu’il doit être révélé. Le message se rapporte à l’Eglise libre galloise. Voici le message. Faites-en ce que vous voudrez. Il vient directement de Dieu : Les fondations de cette Eglise ne sont pas sur le Roc. (Sensation.) Les fondations de cette Eglise ne sont pas sur le Roc. (Une voix : O Dieu, écarte l’obstacle !) Vous pouvez faire ce que vous voudrez de ce message, » répète-t-il.

La sensation produite par cette déclaration est extrêmement pénible. Plusieurs membres de l’Eglise libre sont présents dans l’auditoire. Depuis que la mission a commencé, des douzaines d’entre eux ont pris part aux réunions par leurs prières et leurs chants. Il se trouve que le Rév. W.-O. Jones qui a prié la veille, et dont le « cas » a conduit jadis à la séparation de l’Eglise libre en 1901, n’est pas là. Il a été présent à presque chaque réunion depuis l’arrivée de Roberts. Celui-ci parle de nouveau :

« Vous pouvez répéter mon message dès que vous voudrez. Les gens de l’Eglise libre m’ont’ envoyé beaucoup d’invitations à aller à des réunions chez eux ; mais l’invariable réponse que j’ai reçue quand j’ai prié à ce sujet a été un péremptoire : non. Un d’entre eux est venu me trouver hier soir, mais je n’ai pas la permission d’aller à eux. C’est là le poids qui a pesé sur moi la nuit dernière et tout aujourd’hui. J’aurais préféré n’avoir pas à délivrer ce message, mais il fallait que quelqu’un le dise ! Quand Dieu me confie un message, je ne puis le retenir. Délivrer des messages agréables est délicieux. Il est glorieux, par exemple, de prédire des conversions. Une ici, une là, une là-bas ; mais si nous avons la permission de dire des messages agréables, nous devons être prêts à délivrer les messages désagréables. Il est agréable d’amener le monde dans l’Eglise, mais nous devons d’abord purifier l’Eglise et la mettre d’aplomb. »

Un homme âgé près de la chaire se met à prier avec beaucoup de tendresse, rendant grâces de ce que le Roc des âges demeurait, et de ce qu’il était possible de placer l’Eglise libre sur les bonnes fondations.

« J’ai délivré le message, reprend Evan Roberts. Merci à Dieu de ce qu’il m’a donné la force de le faire. Ne pensez pas que j’aie agi avec précipitation en le proclamant. J’aurais préféré ne pas le faire. Mais si je ne l’avais pas fait j’aurais été rejeté. J’ai eu déjà de terribles messages. Le plus terrible message que j’aie jamais eu a été à Cwmavon, où j’ai dû dire qu’une âme s’était perdue à cause de la désobéissance de quelqu’un. J’ai eu à dire cela, et j’ai eu à dire ceci ce soir. Je savais que ça allait être un terrible service. Je l’ai senti tout l’après-midi. Je l’ai senti quand je suis sorti de la sacristie pour entrer ici. Je me sentais presque trop faible pour marcher, mais c’est tout passé maintenant. Grâces à Dieu, la paix et l’unité sont toujours possibles. Diolch iddo. »

Le Rév. John Williams, l’hôte d’Evan Roberts, qui est aussi secrétaire de l’Assemblée générale des calvinistes méthodistes, croit alors devoir se lever pour protester qu’il n’est pour rien dans ce qui vient de se passer et que ce n’est pas lui qui a poussé Evan Roberts à attaquer l’Eglise libre. Evan Roberts se dresse. Changement à vue. Il est tout souriant. Il rit joyeusement et son rire est contagieux. Mais tout à coup il redevient sérieux.

« Ne pensez pas, amis, dit-il, que je sois tombé si bas que d’être enseigné par l’homme. Je ne répète jamais du haut de la chaire ce que l’homme me dit, mais uniquement ce que Dieu m’ordonne de déclarer. Quand j’ai reçu la première demande de l’Eglise libre, quelle a été la question ? Est-ce que Jésus est là ? S’il y est, j’irai. Je me rappelle ce jour-là très nettement, c’était pendant mon temps de silence à Neath. Je me soucie peu de l’endroit où je vais pourvu qu’il y vienne des gens. Je ne regarde pas à la dénomination. Si j’ai un message, je le donne. Qu’est-ce que cela me fait à moi, si Dieu le donne ? Nous devons avoir une Eglise qui marche droit, une Eglise propre, et chaude, et purifiée. Il est temps de purifier l’Eglise… Avant d’entrer, je disais que quelque chose de terrible allait se passer, mais je ne savais pas ce que c’était. J’ai eu à déclarer le message ou à être brisé en pièces, et — ajoute-t-il avec un rire joyeux qui résonne à travers l’édifice bondé d’assistants, — je ne désire pas que cela arrive encore. »

La congrégation se joint au rire d’Evan Roberts. Et le meeting finit bientôt après.

On voit par ce récit qu’Evan Roberts — et le Rév. Williams aussi — ignorent profondément le mécanisme du subconscient dans la vie de l’esprit. Le Rév. John Williams s’est fortement défendu d’avoir poussé Evan Roberts à cette dénonciation. Et les gens de l’Eglise libre ont déclaré qu’ils croyaient le Rév. John Williams sur parole et acceptaient sa déclaration sans réserves. Mais le Rév. Williams a reconnu qu’il avait causé de l’Eglise libre avec Evan Roberts et à plusieurs reprises : « Je lui ai demandé de ne rien dire au sujet de la sécession. Cela a été sur son esprit pendant longtemps. » Sans se douter du résultat, le Rév. Williams a chargé le subconscient de Roberts et a préparé involontairement « la bombe ». A son tour, Evan Roberts confirmant les paroles du Rév. Williams, a dit : « Ne pensez pas que je sois tombé si bas que d’être enseigné par l’hommef. Je ne répète jamais du haut de la chaire ce que l’homme me dit, mais simplement ce que Dieu m’ordonne de déclarer. Traduisez : Evan Roberts ne rapporte jamais consciemment ce qu’un homme vient de lui dire et ce qu’il se rappelle, de par sa mémoire réfléchie, lui avoir été dit par un homme, mais sans s’en douter, lorsqu’il croit se borner à énoncer un message de Dieu, il énonce un message qui lui vient de son subconscient où se sont emmagasinées les impressions produites par ses conversations avec tel ou tel.

f – Est-ce donc un si grand crime d’être enseigné par l’homme ? Mais c’est qu’Evan Roberts reproduit en soi l’état d’âme d’un saint Paul disant : « Je vous déclare que l’Evangile qui a été annoncé par moi n’est pas de l’homme, car je ne l’ai ni reçu ni appris d’un homme, mais par une révélation de Jésus-Christ. » Galates 1.11-12). Evan Roberts nous aide à comprendre psychologiquement saint Paul !

La déclaration d’Evan Roberts — la bombe de Roberts ont dit quelques journaux (Roberts’Bombshell) — a produit une grande sensation dans Liverpool. Le Rév. W.-O. Jones a dit à un journaliste qu’il n’attachait aucune importance au prétendu message divin d’Evan Roberts et que cette dénonciation n’aurait aucune influence fâcheuse sur le développement de la jeune dénomination. Il a déclaré que l’Eglise libre avait tenu des réunions de Réveil avant l’arrivée d’Evan Roberts et que dans ces réunions il s’était opéré plus de conversions que dans toutes les autres Eglises galloises de Liverpool réunies.

« Je n’étais pas décidé, a-t-il ajouté, quant à la question de savoir si je prendrais part aux meetings d’Evan Roberts ou non, mais j’ai été pressé de le faire, et pour montrer que nous étions prêts à pardonner, plusieurs de nos membres ont essayé de voir Mr Evan Roberts, après son arrivée à Liverpool. Ils se sont présentés à la maison où loge Evan Roberts, mais n’ont vu que le Rév. D. Phillips, de Tylorstown, qui leur a toujours donné à croire que si je participais aux réunions, tout serait arrangé. On leur fit comprendre que tel était le sentiment d’Evan Roberts lui-même. Personnellement, j’avais tout le temps des soupçons et je n’ai jamais essayé d’approcher Mr Evan Roberts, ni par lettre ni autrement. Mes gens me pressaient toutefois de suivre les meetings, et c’est pour cela que j’ai participé à la réunion lundi soir… Je ne crois pas que Mr Roberts ait un pouvoir surnaturel ou que ses messages soient authentiques, quoique je sois persuadé que Roberts le croit. Dans toutes mes lectures je n’ai jamais rencontré aucun exemple d’occultisme ainsi employé pour la propagation de de la religion chrétienne. Je ne comprends certainement pas Evan Roberts. »

Dans une autre interview, le Rév. Jones a prononcé ces paroles qui contiennent une grande part de vérité :

« Oui, je crois qu’Evan Roberts est sincère, mais il a pris un tour dangereux ces derniers temps. La première chose de lui que je n’ai pas aimée a été sa semaine de silence. Puis il y a eu cet incident dans le sud du Pays de Galles où il a dit qu’il ne servait de rien de prier pour un certain homme, car il était perdu. Mais le meeting du Sun Hall a mis le comble… Je ne suis pas effrayé de l’effet produit sur notre congrégation. Les attaques de Roberts auront pour effet de l’accroître. A Liverpool, plusieurs des membres de l’Eglise calviniste méthodiste sympathisent fortement avec nous. Il y a aussi une forte sympathie pour nous dans tous le nord du Pays de Galles, et je suis convaincu que la mission d’Evan Roberts là est ruinée. Le Rév. Jones a encore blâmé Evan Roberts de pratiquer à l’excès des manœuvres hypnotiques avec ses yeux. « Toute cette façon de regarder les gens, toutes ces allures mystérieuses ressemblent à s’y méprendre à l’hypnotisme… »

Un des partisans et soutiens du Rév. W.-O. Jones, Mr Rees, déclare que l’effet immédiat de cette attaque sera simplement de grouper plus fortement et de rendre plus actifs les membres de cette congrégation qui compte environ deux mille adhérents.

« Plus la base rationnelle d’une accusation est faible, dit-il, et plus on est enclin à invoquer l’autorité de Dieu. Les principes et croyances de l’Eglise libre sont ceux qui sont à la base de toutes les Eglises évangéliques de ce pays, et la différence entre notre Eglise et le corps calviniste méthodiste est une différence plutôt d’organisation que de n’importe quoi d’autre. »

L’Eglise libre possède sept chapelles à Liverpool, Birkenhead et Bootle. Et pendant la mission d’Evan Roberts, le samedi 15, on a posé solennellement les fondations d’une huitième chapelle.

Bien des gens, à Liverpool, comptaient sur la visite d’Evan Roberts pour effacer les dissentiments et réconcilier à fond les calvinistes méthodistes et l’Eglise libre du Rév. Jones. Certainement, la conduite d’Evan Roberts n’a pas amené ce résultat.

Le vendredi 14 avril, Evan Roberts assistait à une réunion composée uniquement d’hommes — la première de ce genre pour lui. Evan Roberts était resté assis silencieux dans la chaire pendant deux heures, lorsque, à 9 heures, un ministre de Liverpool prie pour que les lèvres d’Evan Roberts soient ouvertes afin qu’il puisse délivrer un message, quel qu’il soit, qui puisse brûler les âmes de la congrégation. Immédiatement après, de dessous l’une des galeries, sort une voix qui dit en gallois : « Je propose que nous terminions ce meeting ; il est absurde de continuer comme cela. Là-dessus le Rév. Daniel Hugues, ministre baptiste de Chester, saute sur ses pieds dans l’un des bancs de devant. « Très juste ! s’écrie-t-il en anglais. Puis, parlant avec excitation en gallois et montrant la chaire, il dit : « Puis-je poser une question à Evan Roberts ? T’es-tu réconcilié avec ton frère avant de venir ici ? Pourquoi joues-tu avec des choses saintes comme celles-ci ! » Ce discours dramatique est étouffé par le chant de la congrégation, qui, après un premier cantique, en chante un second. Les chanteurs sont dirigés par un étranger muni d’une grande barbe noire qui, à l’ouïe des paroles du Rév. Hugues, s’est précipité sur les marches de l’escalier de la chaire, et du haut de cette position joue le rôle de chef d’orchestre. Dans une conversation particulière, cet homme a déclaré qu’il était venu de Barry à Liverpool exprès pour protéger Roberts. « Mais, lui est-il demandé, saviez-vous qu’il devait être attaqué ce soir ? — Non, répondit-il, je ne le savais pas, mais j’ai été poussé ici, et il me semblait que je savais pourquoi je devais venir. Je n’ai pu dormir les deux dernières nuits à force de penser à Evan Roberts. » Pendant qu’on chante, le Rév. Daniel Hugues, interrogé, déclare que par « frère » il a voulu désigner non un frère parle sang, (Dan Roberts, par exemple), mais un frère spirituel : il a voulu demander à Roberts s’il s’était réconcilié avec le Rév. Jones, le chef de l’Eglise libre galloise. Après le chant, plusieurs prières s’élèvent pour l’évangéliste et pour ses critiques, demandant plus de lumière et d’amour. Evan Roberts reste toujours silencieux — le corps penché en avant et la figure ensevelie dans ses mains. Le Rév. Daniel Hugues met son pardessus, comme s’il se décidait à partir, mais il change d’idée, car il reprend sa place. Miss Annie Davies chante le cantique de Newman (Lead, Kindly light). Evan Roberts lève la tête et regarde. C’est la première fois depuis deux heures qu’il laisse apercevoir son visage. Ce visage est tout éclairé de sourires. La scène qui vient de se passer n’a en aucune façon déconcerté le revivaliste. Après quelques chants et quelques prières, le Rév. Evans éprouve le meeting, tandis qu’Evan Roberts reste toujours silencieux et souriant. Au moment où on commence un chant, un autre ministre, assis à côté du Rév. Daniel Hugues, et qui est visiblement agité, essaie de parler à l’assemblée ; c’est le Rév. H.-M. Roberts, de Rhydlydau : « Avant que nous chantions, s’écrie-t-il, je veux dire que j’ai vu une vision de tout ceci avant de venir ici… Mais c’est trop tard, l’assemblée est partie, elle épuise son hymne. Le Rév. Roberts se tournant vers ceux qui sont près de lui, s’écrie : « Ceci n’est pas l’œuvre du Saint-Esprit, c’est l’œuvre du génie de l’homme. » Le chant fini, le Rév. Evans déclare le meeting terminé et invite les assistants à quitter la chapelle. Ceux-ci n’obéissent guère, on dirait qu’ils pressentent une nouvelle scène. Evan Roberts est toujours en chaire. Il n’a pas dit un seul mot pendant toute la réunion. Tout à coup une sorte de tumulte se produit ; le public s’aperçoit qu’au milieu de discussions dont le bruit confus arrive seul jusqu’à lui, on fait précipitamment descendre de la chaire Evan Roberts et les deux demoiselles revivalistes qui entrent dans la sacristie, dont la porte est fermée et gardée par un sévère portier. Pendant ce temps, le Rév. H.-M. Roberts discute chaudement avec d’autres ministres dans le voisinage de la chaire. Il déclare péremptoirement qu’il « sait de source certaine que le Réveil est de fabrication humaine (man-made) et qu’Evan Roberts n’est pas guidé par le Saint-Esprit », et il s’écrie avec excitation, s’adressant aux ministres qui l’entourent : « Plus de la moitié d’entre vous sont de mon avis, si vous aviez le courage de vos convictions. Soudain il s’élance sur une chaise, et, faisant face à rassemblée, il s’écrie : « Avant que vous partiez, je désire expliquer… » L’assemblée ne lui permet pas de continuer. Des cris formidables retentissent : « Honte ! Asseyez-vous ! Jetez-le dehors ! Enlevez-le ! (Take that coat off) » Et une demi-douzaine d’hymnes sont entonnés en même temps. Le tumulte et l’agitation sont à leur comble, et le pasteur de l’Eglise, pour expulser l’assemblée est obligé de les menacer de tourner le gaz. Alarmée par cette mesure, la foule se décide à sortir. Ainsi finit cette scène incroyable qu’un journal de Liverpool décrit très exactement dans le titre en grosses capitales de son article : Revival discord (Discorde revivaliste). Les étranges événements de la soirée sont le sujet des discussions de tous dans la rue, et le verdict général est qu’Evan Roberts et ses opposants, aussi bien les uns que les autres, sont des gens si extrêmement étranges qu’il est impossible de les comprendre, eux et leurs méthodes. Un ami d’Evan Roberts a déclaré que si celui-ci n’avait pas ouvert la bouche pendant toute la réunion, c’est que Dieu ne lui avait donné aucun message, et que dès le début il avait senti cette opposition et compris qu’elle ne demandait qu’un prétexte pour se déchaîner.

L’un des interrupteurs d’Evan Roberts, le Rév. Daniel Hugues, a publié dans les journaux une lettre pour développer le reproche qu’il avait adressé à Evan Roberts de ne s’être pas réconcilié avec son frère. Dans la critique qu’il fait de l’attitude d’Evan Roberts vis-à-vis de l’Eglise libre galloise, il y a beaucoup de choses qui paraissent très justes et très vraies, du moins à un étranger. Mais ce qui dépare cette lettre, ce qui l’a empêchée de produire un très grand effet, c’est le ton ironique qu’elle affecte ; c’est la façon dont le Rév. Hugues s’empare des phrases et termes favoris d’Evan Roberts pour les lui appliquer. La lettre se termine ainsi :

« Les visions ne sont pas le monopole d’Evan Roberts. J’ai aussi reçu une vision ; elle vient de Dieu. Je l’ai reçue, c’est vrai, sans éprouver des paroxysmes physiques devant des milliers d’adorateurs montés à un haut diapason, mais dans le calme de la présence du Dieu de justice, d’amour, et c’est son Esprit qui me pousse à écrire. Je souhaiterais de n’être pas appelé à le faire, mais c’est le message de l’Esprit. Evan Roberts peut en faire ce qu’il voudra ; il vient directement de Dieu ; le fardeau est trop pesant pour que je puisse le supporter, je dois le délivrer. « Frère Evan Roberts, regardez à vous-même et demandez pardon ; confessez l’amère injustice que vous avez perpétrée. Recherchez le Rév. W.-O. Jones, jetez-vous à son cou et pleurez, il sera prêt à vous pardonner. Avant de parler de nouveau au nom de Dieu, faites en sorte d’être réconcilié avec votre frère dans le ministère. Vous avez exactement deviné que l’obstacle était là — dans le ministère. Regardez encore plus près de vous, et contemplez-le qui entre dans la chapelle lorsque vous, vous faites votre apparition. Esprit de bonté, pardonne à ce jeune homme la faute qu’il a commise en excitant une querelle au nom de Dieu. Seigneur, courbe-le (Lord, bend him). »

La parodie est sensible — et fâcheuse.

[Un journal de Swansea reproduit une lettre d’un correspondant qui signe « un non-conformiste dégoûté » et qui compare ce qui se passe aux meetings de Liverpool avec ce que l’on voit dans « une visite à la chambre aux horreurs chez Tussaud » ; il affirme que si on a enrôlé de nouveaux convertis, en revanche on a dégoûté un nombre bien plus grand de personnes de la religion et des églises ; et faisant allusion à la retraite prochaine d’Evan Roberts, il écrit : « Ce sera un problème pour le revivaliste (à son retour de Patmos, ou de n’importe quelle île qu’il choisira pour aller se reposer) de savoir comment remettre sur le roc tous ceux qu’il a éloignés. » Toujours la même tendance à parodier les expressions de l’évangéliste.]

Dans une interview, le Rév. Hugues déclare qu’il a l’intention de suivre « ce jeune génie » à travers le pays, et de délivrer une lecture en anglais et en gallois intitulée : « Evan Roberts expliqué et démasqué ». Sur quoi un pasteur a écrit à un journal de Liverpool pour relever le manque de charité du Rév. Hugues, et rapprocher son projet de suivre Roberts pour le dénoncer de ville en ville de la conduite des Juifs d’autrefois qui s’attachaient aux pas de saint Paul pour contrecarrer son œuvre.

Quant à l’autre critique d’Evan Roberts, le Rév. H.-M. Roberts, il a quitté Liverpool le samedi 15, et est arrivé à Denbigh, se rendant à Llansannan où il devait prêcher le dimanche. Là, il est entré dans une auberge, mais dès qu’il s’est fait connaître à la propriétaire, celle-ci lui a refusé nourriture et logement. Il a trouvé finalement un abri dans une autre auberge, mais il a eu alors à subir les interviews des notabilités religieuses de la ville qui sont venues le blâmer vivement de sa conduite à Liverpool. Le dimanche, il s’est fait conduire en voiture à la chapelle où il devait prêcher. Pendant qu’il officiait, il a reçu un message d’une autre chapelle où il devait prêcher l’après-midi, Tanyfron, dans la même paroisse, lui disant que ses services n’étaient plus requis. Il est rentré à Denbigh dans un très grand trouble d’esprit ; les ministres qui sont venus le voir l’ont trouvé en larmes : il leur a confessé qu’il se repentait de sa conduite vis-à-vis d’Evan Roberts. Vers la fin de la journée, avec ses deux amis, il s’est rendu à Chester et a eu une interview avec le Rév. Hugues, le dénonciateur d’Evan Roberts ; mais le Rév. Hugues, lui, ne s’est pas laissé toucher et a refusé de se repentir. Puis le pauvre Rév. Roberts a télégraphié à Evan Roberts : « Personne ne croit plus à votre sincérité que je ne le fais maintenant… » Evan Roberts et le Rév. Williams lui ont envoyé en réponse un long et encourageant télégramme qui se terminait par une exhortation « à prendre courage, à se revêtir de son armure et à travailler avec une pleine énergie ». Sur ces entrefaites, le meeting mensuel des méthodistes calvinistes de Merioneth (Est) a voté des remerciements et éloges à Evan Roberts et a convoqué le Rév. H.-M. Roberts au prochain meeting pour qu’il vienne expliquer sa conduite. Accablé de tous les reproches reçus et malgré le réconfort apporté par le télégramme du revivaliste, le Rév. Roberts a fini par tomber dans un état nerveux qui l’a obligé à aller prendre, lui aussi, du repos — comme Evan Roberts, pendant une certaine période. A un journaliste, il a expliqué qu’à Liverpool, ce qui l’avait mis hors de lui, c’était le silence prolongé d’Evan Roberts. Mais il comprend maintenant ce silence. Il se repent de sa conduite, et espère réparer sa faute par un ministère plus zélé. Il croyait aussi qu’Evan Roberts avait des sentiments peu charitables à l’égard du Rév. W.-O. Jones. Il reconnaît son erreur, car il a trouvé (found) qu’Evan Roberts aime W.-O. Jones, et l’interview qui, il faut le reconnaître, a tout le temps une allure assez singulière et montre que le Rév. Roberts n’est pas dans son équilibre mental et a besoin de repos, l’interview se termine abruptement par cette déclaration : « Dans mon esprit Evan Roberts s’approche de mon idéal de Jésus-Christ (comes up to my ideal of Jesus-Christ), et certainement n’est pas loin de lui dans sa manière (in his manner). » Cette fois, le Rév. Roberts, après être allé trop loin dans la critique, va presque trop loin dans l’éloge ! — Le Rév. Roberts a comparu ultérieurement devant le meeting mensuel des méthodistes calvinistes, a expliqué et condamné sa conduite, a demandé — et obtenu — son pardon.

C’est le lendemain même de la scène tumultueuse du vendredi 14 avril, c’est le samedi que j’étais moi-même à Liverpool.

J’ai eu la satisfaction dans un sens — la déception dans un autre — qu’aux deux réunions auxquelles j’ai assisté, non seulement il n’y a pas eu de désordres — on avait pris de sérieuses mesures de police pour les éviter — mais Evan Roberts n’a fait aucun usage du don prophétique : point de dénonciation pas plus que de prédiction.

Voici, du reste, le récit des deux réunions auxquelles j’ai eu le privilège d’assister :

Parti d’Aberdare le samedi matin, j’arrive à Liverpool à 3 heures de l’après-midi. A peine débarqué, je me hâte de chercher la maison du Rév. John Williams, l’hôte d’Evan Roberts. La porte est assiégée de visiteurs. Et la tâche de la domestique qui remplit les fonctions de portière est loin d’être aisée. Pendant que je suis là à attendre mon tour de parlementer, deux ou trois personnes arrivent successivement et attendent. Des tas de gens veulent voir Evan Roberts ou, à son défaut, le Rév. Williams. Mais celui-ci est un véritable cerbère, qui ne laisse pas déranger le revivaliste et qui ne se laisse pas non plus facilement approcher lui-même. Depuis une quinzaine de jours que Roberts est là, le Rév. Williams s’est habitué à éconduire les visiteurs. Il est maintenant tout à fait endurci. Pour moi, je n’essaie même pas de demander Evan Roberts. Je me rabats sur le Rév. Williams et prie la bonne de vouloir bien lui présenter ma carte. La bonne revient avec ma carte qu’elle me rend très honnêtement et m’annonce que le Rév. Williams refuse de me recevoir. Je m’informe alors s’il y a un meeting ce soir, et où. — « Il y en aura un ce soir, à 7 heures, m’est-il répondu ; c’est dans l’église du Rév. Williams, pas très loin d’ici, Prince’s Road. — Mais je n’ai pas de billet. Je suis venu de loin. Cela me serait très désagréable de ne pouvoir être admis. Ne pourriez-vous demander pour moi un billet au Rév. Williams ou tout au moins vous informer si je pourrais avoir une place ? — Oh ! je ne puis aller déranger le Rév. Williams, mais avec votre carte de visite vous serez sûrement admis. Seulement, à votre place, j’irais tout de suite. Tenez, c’est dans cette direction. Tournez à droite et vous verrez du reste les gens dans la rue. Ils doivent déjà faire queue ! — Déjà ! et c’est à peine 4 heures ! J’avoue avoir eu une minute d’incrédulité. Mais enfin comme je n’ai rien de mieux à faire, je me rends, en effet, à l’église de Prince’s Road. Quand je l’aurai trouvée, je pourrai sans doute me promener un peu dans Liverpool. Dès que j’ai découvert la rue delà chapelle, je n’ai pas besoin de chercher longtemps la chapelle elle-même. J’aperçois immédiatement deux rangs de personnes qui font queue pour attendre l’ouverture des portes. Je constate que toutes ces personnes tiennent à leur main un billet. J’avise un policeman, je lui expose mon cas, lui montre ma carte de visite qu’il regarde avec une curiosité bienveillante. Il me dit : « Moi, je ne suis qu’un subalterne, allez parler au chef, vous le reconnaîtrez à sa casquette. Je fais quelques pas, et c’est alors sur le trottoir que j’ai le plaisir de me trouver soudain nez à nez avec M. X…, ancien étudiant de Montauban, venu lui aussi à Liverpool pour assister aux réunions d’Evan Roberts. Après les premières expansions bien naturelles, nous nous mettons tous deux en quête. « Vous avez de la chance de m’avoir rencontré, lui dis-je. Je vous ferai entrer. Vous n’avez sur votre carte de visite que votre nom tout court. Ce n’est pas assez pour impressionner un policeman. Moi, sur la mienne, j’ai non seulement mon nom, pas plus impressif à coup sûr que le vôtre, mais ma qualité : professeur de théologie. Un Anglais peut comprendre ça : professeur ressemble à professor, Théologie à theology. J’ai déjà vu que le premier policeman interrogé a compris. Venez avec moi. » Nous cherchons le policeman en chef. Il nous renvoie aux membres de l’Eglise préposés au bon ordre (stewards). En passant de main en main, ma carte de visite commence à perdre sa blancheur première. On nous fait mettre dans un coin, près d’une porte de derrière, en nous disant d’attendre. Au bout d’un certain temps, le Rév. Williams arrive. On lui exhibe ma carte ; il la reconnaît pour être celle du monsieur qu’il n’a pas voulu recevoir. Il nous fait entrer. On nous introduit dans une sorte de sacristie où se tient une petite réunion de prière pour les policemen de service, tous des gaillards solidement bâtis. Si les pasteurs de l’Eglise libre voulaient venir faire du tapage, ils trouveraient à qui parler. On chante, on prie. De temps à autre, un policeman en chef ouvre la porte et lance un nom : aussitôt l’un des policemen se lève, prend son casque, met sa ceinture et s’en va à son poste. Enfin on lève la séance et on nous fait passer dans l’église ; c’est 5 h. 15 environ. Et le meeting n’est annoncé que pour 7 heures ! L’église est grande, très grande ; elle peut contenir, dit-on, 1600 personnes assises, mais avec les personnes debout dans les couloirs et partout où il y a un espace libre, elle finit par abriter plus de 2000 personnes. Ce soir, elle se remplit peu à peu. Les chrétiens de service se donnent un mal immense pour surveiller le placement des gens et les faire mettre là où il faut, en les serrant autant que possible. Entre temps, on chante, mais les chants ne produisent pas autant d’effet dans cet immense local que dans les chapelles du Sud. En attendant la réunion, quelques assistants mangent des bouts de sandwiches ou des bonbons. A mon côté, séparée par une cloison de bois, est assise toute une famille : parents et enfants de tout âge. Les enfants étalent sur le rebord destiné normalement aux livres d’hymnes, des bonbons au chocolat. Cela me rappelle que j’ai par grand hasard, je ne sais comment, une vieille croûte de pain dans ma poche. Je l’extrais et la dévore, regrettant son petit volume. Et je me promets la prochaine fois d’avoir avec moi une plus abondante provision.

Vers les 7 heures, le Rév. Williams arrive. Il monte en chaire, et au cours d’une allocution en gallois, dans laquelle il déclare qu’Evan Roberts est certainement un homme extraordinaire, et qu’il n’est pas surprenant que les gens diffèrent d’avis sur son compte, attendu qu’un grand homme, grand intellectuellement ou religieusement, divise toujours l’opinion du monde, il ajoute que les amis d’Evan Roberts ont été préoccupés de sa santég, si nécessaire pourtant pour l’œuvre qu’il lui reste encore à accomplir dans le nord du Pays de Galles, et qu’ils l’ont fait examiner aujourd’hui même à fond par quatre docteurs, spécialistes en différentes branches, et dont « les spécialités recouvrent la totalité de la constitution humaine ». Ensuite il lit d’abord en gallois, puis en anglais, afin que nul n’en ignore, l’ordonnance médicale signée par les 4 docteurs :

g – Même les amis d’Evan Roberts sont étonnés et effrayés à la lecture des événements de Liverpool. Un correspondant du Daily News de Londres, très sympathique au Réveil, écrit une lettre à ce journal pour insister sur le danger qu’il y a à laisser Evan Roberts continuer des réunions, dans l’état de santé où il est, avec la tension nerveuse que trahit toute sa conduite S’il continue, il va tout droit à une catastrophe irréparable, il perdra la raison !

« Nous avons examiné cet après-midi M. Evan Roberts. Nous l’avons trouvé mentalement et physiquement tout à fait sain. Il souffre des effets du surmenage, et nous considérons qu’il y a lieu de lui conseiller d’avoir une période de repos. »

Suivent les noms des quatre docteurs. Ainsi il est bien avéré qu’Evan Roberts n’a pas perdu la tête, qu’il n’est pas devenu fou, comme ses ennemis le prétendent. L’assemblée éclate en interjections joyeuses : Halleluiah ! Très bien ! Diolch iddo ! Bendigeddig ! L’allocution du Rév. Williams reprend en gallois, et je me demande avec anxiété si la période de repos d’Evan Roberts n’a pas déjà commencé, et si je vais ou non le voir paraître à la réunion. Cependant la réunion continue suivant le train habituel des réunions galloises. Les prières — et même les chants, mais surtout les allocutions et les prières — font décidément moins d’effet que dans les chapelles moins grandes du sud du Pays de Galles. Les Amen ! Hear ! sont moins fréquents et moins étoffés. Pourtant c’est exactement le même genre. La colonie galloise de Liverpool ressemble plus aux Gallois du Sud, comme nature et degré de ferveur qu’aux Gallois du Nord. Presque tout se passe en gallois. Il y a pourtant quelques prières en anglais.

Evan Roberts apparaît tout à coup en chaire, bientôt suivi de sa sœur et de Miss Annie Davies. Etrange figure ! Aspect énigmatique ! Sa simple apparition produit une impression profonde. Je ne puis me soustraire au petit frisson qui secoue perceptiblement l’assemblée. C’est comme si les cœurs battaient plus vite, c’est comme si les visages pâlissaient, c’est comme si s’imposait à tous la sensation indéfinissable que quelque chose de mystérieux et de capital va maintenant commencer. Il s’assied, et le buste droit, immobile, il regarde fixement l’auditoire, scrutant les visages, examinant longuement en tournant lentement la tête. Oh ! ce regard volontaire et pénétrant, comme il sonde jusqu’au fond les âmes ! et comme on a l’impression que sous l’ardeur de ce regard, les plus récalcitrants eux-mêmes sont pour ainsi dire forcés de changer de contenance, de trembler et de pâlir malgré eux ! Cependant le meeting continue avec une ferveur redoublée. Ces gens, dont un très grand nombre sont venus attirés par la renommée de Roberts, ne paraissent pas songer à faire silence pour lui permettre de parler, pour l’écouter. Au contraire, depuis qu’il est là, les prières et les chants s’enchaînent plus étroitement, jaillissent avec plus d’énergie et de fréquence. On dirait que sa seule présence est comme une excitation magnétique. Deux ou trois fois il se lève d’un mouvement à la fois brusque et souple, il feuillette nerveusement sa Bible pour trouver un texte, il le trouve et semble sur le point de parler. Mais les prières continuent toujours. Et il se tait. Il se rassied. Une fois, il a trouvé évidemment deux textes qu’il a l’intention de rapprocher et de comparer, car il plie les feuillets de la Bible de manière à avoir les deux endroits prêts sous la main. Mais on prie, on chante toujours. Il se rassied. Il se rassied même si bien, se cache si profondément et si parfaitement dans la chaire que j’en suis à me demander s’il n’a pas quitté la réunion ! Pendant deux bonnes heures d’horloge, plus aucune trace d’Evan Roberts ! Il a disparu ! C’est vraiment une chose extraordinaire que ces 2 500 individus étroitement entassés, visiblement surexcités, restant là paisiblement durant plusieurs heures, avides d’entendre et venus pour entendre un jeune homme qui, quant à lui, demeure d’abord assis, ne disant rien, ne faisant rien, puis se lève, mais sans ouvrir la bouche et finalement disparaît dans la chaire. Pour ce qu’il a fait jusqu’ici Evan Roberts aurait aussi bien pu n’être que le subordonné sans importance du Rév. John Williams, attendant son tour de placer modestement un petit mot. Jamais on n’avait vu pareilles scènes en Angleterre. Ce n’était pas là le genre de Wesley ni de Whitefield, non plus que des Moody et Sankey.

Le Rév. Williams commence à mettre le meeting à l’épreuve. Il y a un ensemble de réponses déjà très satisfaisant. Peut-être l’incident le plus pathétique est-il celui qui s’est produit lorsqu’au sujet d’un jeune homme situé dans une des galeries, quelqu’un a crié : « Ce jeune homme est dans une détresse infinie ; il est désireux de se déci-der et disposé à le faire, mais lundi il doit retourner travailler parmi ses compagnons, et il a peur de tomber. — Il ne faudrait pas croire que tous les inconvertis cèdent sur le champ. Il y a parfois du tirage. Il y a même des échecs. Un vieux, assis dans le banc devant moi, reste délibérément assis, quand on invite les chrétiens à se lever. Aussitôt trois ou quatre chrétiens ou chrétiennes, à tour de rôle, s’empressent de venir lui parler, pour l’exhorter, discuter avec lui, le supplier : ils ne gagnent rien. La tête aux cheveux blancs, de temps en temps, esquisse un geste de calme dénégation. Le visage ne trahit pas la moindre émotion. Ce qui m’étonne, c’est que ce vieillard reste là si longtemps à subir ce siège en règle qui doit l’ennuyer, puisqu’il ne le touche pas. A la fin, il se lève très calmement, et très posément, sans, se presser, il s’en va, sans s’être décidé pour Christ.

Mais il est visible qu’on commence à trouver le silence d’Evan Roberts un peu long. On souhaite l’entendre : « Je sais que plusieurs d’entre vous sont désappointés, s’écrie le Rév. Williams, mais il y a beaucoup de prières en train dans cette chaire ! Notre frère, M. Evan Roberts, est à côté de moi à genoux, en prières depuis longtemps. — Je me rappelle alors qu’à une réunion antérieure, Evan Roberts était resté si longtemps immobile au fond de la chaire, sans rien dire, la figure cachée dans ses mains, qu’un pasteur, se demandant si Roberts n’était pas complètement évanoui, s’est agenouillé à côté de lui et lui a murmuré une question dans l’oreille : le revivaliste lui a répliqué calmement qu’il n’avait reçu aucun message du ciel, et que par suite il ne pouvait parler. Ce soir encore, sans doute, le subconscient d’Evan Roberts est muet !

Là-dessus, la congrégation récite tout d’une voix en gallois l’invitation de Jésus : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous donnerai du repos. » — « Acceptez Christ ! s’écrie le Rév. Williams et vous ne serez jamais désappointés en lui. Il y en a des centaines ici qui l’ont accepté. Y a-t-il ici quelqu’un qui ait été désappointé en lui ? S’il y a quelqu’un, qu’il lève la main ! » Mais personne ne bouge. « Est-ce que quelqu’un de nous a été désappointé par Jésus ? » répète le Révérend, et aussitôt s’élève de tous les points de l’édifice et retentit en un immense volume de son la réponse convaincue et passionnée : Non ! Non !

Peu après, pendant le chant d’un cantique, Evan Roberts subitement se dresse. Il remue ses deux bras d’un geste impératif, et crie : Hush ! hush ! Instantanément toute l’assemblée s’arrête, saisie. Cet homme possède une autorité vraiment incroyable. Nul n’oserait lui résister. Il commence à parler. Je m’explique maintenant le mot sarcastique bien connu qui avait cours à propos de Whitefield : « Il pourrait mettre une assemblée hors d’elle-même rien qu’en prononçant le mot Mésopotamie. » Tel est bien l’ascendant extraordinaire d’Evan Roberts. On n’a pas tort de relever et d’admirer le pouvoir merveilleux qu’il a de changer en quelques mots brefs toute l’atmosphère et tout le ton d’un meeting. Il parle. Alors se passe une scène que je qualifierai presque de fantastique. En réponse aux reproches d’Evan Roberts disant aux chrétiens de son auditoire : « Vous n’êtes pas à votre avantage ce soir, vous ne priez pas assez, vous ne priez pas assez pour les inconvertis », des douzaines d’assistants commencent à prier à haute voix, tous en même temps, avec une ferveur croissante. Ils prient, ils prient encore. Et Evan Roberts n’est pas satisfait ; courbé sur la chaire, secouant la tête, il accentue ses reproches : « Vous ne faites pas de votre mieux. Un grand combat est maintenant engagé. Le père du mensonge est ici et il fait de son mieux, lui. Vous ne faites pas de votre mieux, vous ne priez pas assez. » Les prières simultanées jaillissent de tous les points de l’immense édifice ; elles croissent en nombre et en force. Et Evan Roberts exhorte toujours, toujours plus : « Priez ! priez pour que le Christ montre son autorité et expulse l’adversaire ! Priez. » Les têtes se penchent pour la prière sous le souffle de l’Esprit, comme les épis de blé se penchent sous le souffle d’un vent puissant. Et Evan Roberts exhorte encore : « Oh ! comme le diable tient les âmes serrées ici ce soir ! Priez ! Que chacun prie afin que Jésus puisse chasser Satan d’ici ! Allons, amis, priez, Jésus vient, Jésus est Roi. Priez, amis, priez ! Des centaines d’assistants prient, et prient encore à haute voix ; c’est comme une véritable avalanche de prières qui va grandissant, grandissant, emportant tout sur son passage. Quelles résistances pourraient tenir contre ce formidable assaut ? Et Evan Roberts exhorte toujours. Mais tout à coup, ne pouvant plus maîtriser sa propre émotion, il s’effondre et tombe dans la chaire en criant : « Achub, Jesu mawr, achub. » (Sauve, grand Jésus, sauve !) Le saisissement, l’exaltation sont à leur comble. C’est maintenant l’assemblée tout entière qui est en train de prier à voix haute, toujours plus haute, et de toutes ces prières parallèles fondues dans un seul désir, une seule pensée : le salut des âmes, — se dégage comme une seule et unique voix, c’est la grande voix de la foule religieuse, la voix d’un océan qui monte, qui monte toujours, déferlant jusqu’au pied du trône de Dieu ses vagues, véritables lames de fond, où un millier d’êtres humains se donnent tout entiers corps et âme à la supplication éperdue pour la conversion des pécheurs ! Y a-t-il lieu de s’étonner que dans un telle atmosphère plus de 75 conversions se soient opérées dans une seule et même réunion, au milieu d’explosions enthousiastes du Diolch iddo ?

Mais ce qu’il est difficile de dépeindre — car ces choses ne se dépeignent pas aisément — ce sont les gestes, les attitudes d’Evan Roberts. Non seulement ses mains maigres et nerveuses, ses doigts longs et effilés sont animés d’un mouvement fébrile ; non seulement sa tête s’agite d’un air mécontent, mais il fait trois ou quatre fois des gestes que je ne sais vraiment comment décrire, des mouvements de mains véritablement extraordinaires. Ce doit être à propos de gestes analogues que M. Saillens a écrit : « Son geste est remarquable : il embrasse toute la salle, semble ramasser toutes les âmes en un faisceau, pour les porter ensemble aux pieds de Dieu. Il y a assurément quelque chose de cela dans les gestes que j’ai vus, mais le terme qui, sur le moment, s’est spontanément présenté à mon esprit pour caractériser ce que je contemplais, est celui de passes magnétiques. Oui, ce sont bien de véritables passes magnétiques que ces mouvements de main qui, chaque fois, font jaillir des douzaines, des centaines de nouvelles prières simultanées. Ces prières, toutefois, chose assez remarquable, jaillissent d’abord et surtout dans la partie de l’auditoire qui entoure Evan Roberts et qui est sur le devant. La partie qui est au fond semble trop éloignée pour sentir directement son action. On dirait que son influence, à peu près comme l’attraction d’un corps, rayonne autour de lui, mais avec une intensité qui s’affaiblit à mesure qu’augmente la distance des hommes touchés par son rayon.

[Il y a là quelque chose d’assez curieux que je rapprocherai du phénomène, signalé dans un chapitre précédent, au sujet du hwyl qui semble parfois éclater, sévir, dans une région déterminée et circonscrite de la chapelle. — On trouve des faits de ce genre, encore plus extraordinaires même, dans l’autobiographie de Haslam. Il raconte, par exemple, que dans la ferme de Frank « et dans un certain rayon autour de la ferme de Frank, les gens avaient le cœur accessible, et il était facile de les persuader de se donner à Jésus. En dehors de cette limite (spécialement dans la salle d’un meunier du voisinage), ils étaient endurcis et indifférents. (De la mort à la vie, p. 66-67). Dans une autre réunion, « ce qu’il y avait d’étrange, c’est que la puissance du Seigneur ne se montrait que d’un côté de l’auditoire eu séparant, par une ligne diagonale, ceux qui étaient prosternés et ceux qui étaient restés debout » (p. 73). Haslam explique ces faits en disant : « L’Esprit souffle où il veut. » Soit. Mais quel rapport y a-t-il entre la distance géométrique du centre d’un cercle et la conversion ? Quel rapport y a-t-il entre la diagonale d’un rectangle et l’action interne du Saint-Esprit ? On ne fait peut-être que reculer la question et déplacer le mystère, mais enfin on entrevoit au moins la possibilité d’une explication future quand on dit ; il doit y avoir là quelque courant magnétique, quelque processus physio-psychologique en connexion avec les faits d’hypnotisme, de suggestion, de médiumnité, de télépathie.]

Ce n’est que peu à peu que la contagion s’étend et attaque, entraîne progressivement tout ce qu’il y a de chrétiens dans l’immense assemblée. A cette minute, tout en étant profondément ému par ce spectacle inouï d’une assemblée tout entière en ardente prière, je me sens désorienté en ce qui concerne le jugement à porter sur Evan Roberts. Est-ce qu’on aurait vraiment eu raison dans la presse, de l’accuser d’être un « mesmériste » ? Il vient sans contredit d’en avoir l’allure.

Même, après cette colossale explosion de prières simultanées qu’il a réussi à provoquer, il ne paraît pas satisfait. Quand il parle, il continue de gronder, à en juger par ses regards, ses gestes, ses intonations. Le corps plié par dessus la chaire, se penchant tantôt à droite, tantôt à gauche, se relevant, se baissant de nouveau, il promène avec insistance ses yeux scrutateurs et perçants autour de lui, dans les galeries, devant. Il cherche du regard, au milieu de la multitude des visages, l’indice de quelque âme anxieuse, récalcitrante ou émue. Il m’a semblé qu’il ne regardait pas au loin dans le fond. Est-ce que son influence ne pourrait aller jusque-là ? — son influence ou son discernement ? Je puis bien dire en tout cas que toutes les fois que son regard rencontrait le mien, je ressentais comme une vague impression d’inquiétude et de malaise. Ces yeux si brillants et si perçants déconcertent leur homme lorsqu’ils le regardent fixement. Et je ne pouvais presque me défendre — c’était absurde si l’on veut — mais je ne pouvais presque me défendre de me demander : Qui sait si cet homme étrange ne va pas lire en dedans de moi ? Qui est-ce qui peut être sûr de n’avoir pas dans son arrière fond subconscient quelque pensée plus ou moins correcte, quelque sentiment plus ou moins avouable ? Il faudrait vraiment être un saint… Et encore ne savons nous pas que la sainteté, pour nous autres humains, ne saurait consister à n’avoir jamais d’idées ou de sentiments répréhensibles, mais seulement à toujours les repousser, sitôt qu’ils surgissent, à toujours les refouler hors de la conscience normale ? Si Evan Roberts allait m’interpeller et me dire que je fais obstacle à la réunion ? Qui est-ce qui peut savoir ? Le simple Gallois, qui n’a pas fait de psychologie, se sent tranquille s’il n’a pas la conscience précise et réfléchie d’avoir un gros interdit dans son âme. Mais quand, avec la psychologie contemporaine, on s’est un peu rendu compte du fonctionnement secret et des ressorts mystérieux et subconscients de l’arrière-fond de notre être, il ne suffit pas, pour être rassuré, que la conscience claire et réfléchie soit en bon ordre et en bon état. Qui sait ce qu’il y a dessous ? Et ce sont justement ces dessous que les communications télépathiques réussissent à mettre en lumière. Chose assez curieuse ! Pas une seule fois, ni à ce moment-là ni à aucun autre pendant ces réunions présidées par Evan Roberts, la pensée ne m’a effleuré qu’Evan Roberts pourrait bien dénoncer en moi des idées hérétiques, des doctrines divergentes des siennes, un manque de foi en tels dogmes que lui juge indispensables. Et cependant je savais bien qu’il avait dénoncé l’Eglise libre comme « n’étant pas fondée sur le roc ». Mais c’est que la piété réelle, l’expérience religieuse, la vie, sont plus mis en saillie dans le Réveil gallois que la doctrine, et, même lorsqu’Evan Roberts attaquait l’Eglise libre comme « n’étant pas fondée sur le roc », il avait en vue la piété et la moralité de cette Eglise plutôt que son orthodoxie. L’idée qu’Evan Roberts — qui d’ailleurs n’a guère, que je sache, exercé de cette façon son don de seconde vue, de lecture des pensées — pourrait me dénoncer comme hérétique ne m’a jamais abordé là-bas : Elle ne m’est venue à l’esprit qu’au retour du Pays de Galles, en France, suggérée par d’excellents amis orthodoxes qui m’ont demandé avec malice : « Et vous n’aviez pas peur qu’il vous dénonçât comme hétérodoxe ? » A quoi je répondais : « Non, je n’y ai pas pensé ; mais, vous savez, Evan Roberts vous aurait trouvés tout aussi hérétiques que moi ; il ne suffit pas d’être orthodoxe ici pour être regardé comme tel là-bas. »

Mais me voilà soulagé, rassuré. Evan Roberts reprend la parole. Cette fois le reproche et le mécontentement ont disparu. Il est satisfait. Il sourit. Une curieuse particularité, c’est que ce qui est simplement un sourire chez Evan Roberts devient souvent un franc et prompt rire chez un grand nombre de ses auditeurs. Et quand on recherche la cause de cette gaieté, on voit bien qu’il n’y a pas là proprement du comique, de l’humour, mais simplement de la joie, de la reconnaissance, du contentement qui se manifestent à propos et autour d’un mot familier… Mais Evan Roberts se déride de plus en plus. Il prononce une petite allocution qui devient toujours plus gaie, et au cours de laquelle l’auditoire n’est plus seul à rire : Roberts lui-même rit de tout son cœur.

C’est une allocution qui caractérise fort bien la prédilection d’Evan Roberts pour le rapprochement de divers textes bibliques et leur emploi successif ou simultané dans une même allocution : « Pour ceux, dit-il, qui ne sont pas venusa, voici une promesse, écoutez : Car ainsi parle le Seigneur, l’Eternel : Voici, j’aurai soin moi-même de mes brebis, et j’en ferai la revue… Et il y a quatre choses, vous voyez : « Je chercherai celle qui était perdue, je ramènerai celle qui était égarée, je panserai celle qui est blessée et je fortifierai celle qui est malade. (Ézéchiel 34.11-16) Le troupeau, continue Evan Roberts, n’est pas laissé aux soins de mercenaires. Ce n’est pas Michel ni Gabriel, c’est le grand Berger lui-même qui a soin de ses brebis. Et remarquez l’importance des pauvres brebis perdues… » Et feuilletant rapidement la Bible, Evan Roberts lit : « La domination reposera sur son épaule » (Ésaïe 9.5). Lorsqu’il a trouvé la brebis perdue, il la met avec joie sur ses épaules (Luc 15.5). Vous le voyez, le gouvernement sera sur son épaule », et ce disant, Evan Roberts ferme la grosse Bible et la met symboliquement sur sa propre épaule, « mais la pauvre brebis perdue, il la met sur ses deux épaules à la fois. » Et riant de tout son cœur à cette pensée, comme, d’ailleurs, son auditoire, il ajoute, employant une comparaison familière aux Gallois : « La chèvre sera sur son épaule, mais les brebis seront sur ses deux épaules à la fois. » Au milieu de cette allocution, il est brusquement interrompu par Miss Annie Davies qui se lève pour chanter avec enthousiasme le Dyma Gariad fel y moroed (Torrents d’amour et de grâces), avec une autre mélodie que « la mélodie à la bouteille », une mélodie que je ne connaissais pas encore. Evan Roberts s’arrête en riant. Il reprend son allocution quand le chant est fini. Bientôt après, le meeting est terminé, l’assemblée récite en gallois et en anglais l’oraison dominicale ; le Rév. Williams prononce la bénédiction et la doxologie, mais pendant qu’on se retire, Evan Roberts, nous tournant le dos, interpelle un homme qu’il a aperçu à genoux dans la galerie en face de nous. Il l’adjure, le presse, lui cite des textes, lui fait debout toute une allocution — sans résultat, d’ailleurs, je dois le dire : l’homme ne se décide pas pour Christ.

a – Expression technique dans le Réveil pour désigner ceux qui ne sont pas venus à Christ, qui ne se sont pas décidés à se convertir.

Cependant nous sommes interrogés par nos voisins et voisines, qui apprennent avec intérêt notre nationalité exotique. Un jeune homme nous prend sous sa protection.

Il m’attrape, par le bras, tandis que j’attrape par le bras mon ami X… ; le bon jeune homme nous tire violemment à travers la foule : « Venez ! venez ! Nous suivons, en tâchant de ne pas trop écrabouiller les passants. Il nous conduit juste dans la chaire et nous fait asseoir aux places occupées un instant avant par les demoiselles Davies et Roberts. Nous dévisageons l’assemblée qui, tout en se retirant, a l’air de se demander ce que nous venons faire là. « Je vais vous présenter à Evan Roberts », nous dit le bon jeune homme. Il s’approche du Rév. Williams, assis sur le devant avec Evan Roberts. Le Rév. Williams lui intime l’ordre de déguerpir au plus vite et de nous emmener à la sacristie. Un peu penauds, nous redescendons, toujours traînés, tirés par le bon jeune homme, à travers la foule, la cohue. Nous entrons dans la sacristie, nous attendons. Roberts finit par venir. Nous lui sommes présentés. Il nous regarde. Il nous touche la main. Je me souviens que, d’après le Revival number, il a la réputation d’être capable de lire le caractère des nouveaux venus, d’intuition, au premier coup d’œil, ou, d’après un mot prononcé, et de confirmer son jugement par le contact physique ; et que, d’ailleurs, il ne touche pas la main à tout le monde… Nous causons quelques minutes rapides avec lui, sans pouvoir échanger de part et d’autre des paroles bien caractéristiques et qui vaillent la peine d’être rapportées. Les journaux religieux ont dit et répété qu’Evan Roberts était très timide. Il est bien vrai qu’en général, soit d’après ce que j’ai vu, soit d’après ce que j’ai lu et ce qui m’a été raconté, il ne parle pas énormément en dehors des réunions, ne cause que fort peu et répond ordinairement par des phrases courtes et des monosyllabes. Mais je ne crois pas que ce soit de la timidité à proprement parler. On peut être peu causeur sans être précisément timide. Cette absence de loquacité est un trait de caractère qu’Evan Roberts a en commun avec tons les revivalistes gallois que j’ai rencontrés. Tous, en dehors des réunions, sont relativement peu expansifs. Ils ne deviennent loquaces que lorsque l’esprit collectif, l’âme de la foule, la contagion et la pression de la multitude les saisit et, pour ainsi dire, les transforme. Au bout de quelques instants, Evan Roberts nous quitte avec un grand frisson nerveux qui secoue tout son long corps mince. « Il fait froid ici ! » Et il court mettre son pardessus. Il est aussitôt entouré par tant de gens avides de lui parler qu’il n’y a pas moyen de renouer l’entretien. Ce n’est pas ici, à Liverpool, comme à Ponteysyllte avec Mrs Jones ou à Aberdare avec Dan Roberts. Je vais donner à Miss Annie Davies des nouvelles toutes fraîches de sa sœur Maggie que j’ai vue la veille, je la consterne en lui apprenant la nouvelle du départ de Miss Maggie pour l’Ecosse où est en train d’éclater un Réveil. On nous donne des billets pour le meeting qui doit avoir lieu à Birkenhead le surlendemain, — le dernier où Evan Roberts doive paraître avant de se retirer dans la solitude. Quand nous voulons sortir de la sacristie, impossible, la porte est solidement fermée. Nous sommes obligés de chercher celui qui détient la clef. A peine avons-nous franchi le seuil que la porte est refermée à clef derrière nous. Nous défilons entre des haies de curieux qui attendent et qui nous regardent bien sous le nez pour s’assurer que nous ne sommes pas Evan Roberts. Il y a là, dans les couloirs et surtout hors de l’église, une multitude énorme de personnes qui sont restées debout toute la soirée, dans l’espoir, soit de se faufiler dans l’église, soit de contempler Evan Roberts à la sortie. Plusieurs, massés, derrière plusieurs rangs de spectateurs, n’auront rien vu, rien entendu ; pour tout agrément, ils auront pu percevoir un murmure, un bruit plus ou moins expressif, plus ou moins trompeur. Pourtant ils ne sont pas partis, ils éprouvent même un certain contentement d’être là, d’avoir été là. Il en est ainsi bien souvent dans les foules fascinées par un spectacle ou un discours qu’un petit nombre seulement peuvent voir et entendre. La foule attire et retient la foule.

En attendant, il est onze heures passées ! Depuis 4 h. 30 de l’après-midi, nous sommes restés autour ou au dedans de cette église ! Et maintenant, impossible de trouver ouverts un restaurant, une boutique de « pain aéré », un café suisse ! Tout se ferme à onze heures. Nous allons à la gare. Le buffet est clos. Un policeman à qui nous exposons notre misère nous conseille affectueusement d’aller nous coucher l’estomac vide. Par bonheur, il se ravise, appelle un commissionnaire à la jambe de bois, qui, à travers une rue sombre et étroite, nous conduit à un hôtel de tempérance où vers minuit nous pouvons enfin nous restaurer. Je trouve dans mon calepin les lignes suivantes écrites le dimanche et qui résument mon impression du moment sur la réunion du samedi soir :

« … Et cependant je dois dire : 1° Que j’ai été plus impressionné par les réunions d’Aberaman et d’Aberdare que par celle de Liverpool. Le local est bien grand à Liverpool et l’assemblée bien considérable pour que puisse se réaliser d’une manière permanente cette union et cette fusion des individualités qui fait de la foule une famille et qui a donné lieu ou prétexte aux théories réalistes de la foule ; — 2° que j’ai été plus impressionné au point de vue religieux par Dan Roberts que par Evan. Evan, au point de vue de la force psychique et parapsychique, est évidemment très supérieur. Mais il est si étrange, si déconcertant, si inquiétant. Chez Dan Roberts et les Misses qui l’accompagnent, il y a plus de simplicité, de sérénité. Enfin il ne faut pas juger Evan Roberts sur une réunion. Mais je comprends qu’il provoque des admirations passionnées, presque un culte, d’une part — et, d’autre part, qu’il soulève les critiques les plus vives et les plus hostiles. Il me faudra retourner l’entendre et le voir après-demain. Mon opinion incertaine a besoin de se fixer. »

Le dimanche, Evan Roberts se repose. J’aurais pu essayer d’aller assister à quelque culte gallois, à quelque école du dimanche galloise. Mais une autre « attraction » l’emporte. Comment ne pas profiter de l’occasion pour aller entendre le fameux romancier Ian Maclaren, de son vrai nom le Dr Watson, qui prêche justement deux fois, matin et soir, dans son église de Sefton Park ? Ce qui m’encourage d’autant plus à m’y rendre, c’est que le Dr Watson a déjà donné sa démission de pasteur et a à moitié pris sa retraite. Il n’attend, pour se retirer tout à fait, que d’avoir un remplaçant digne de son église et capable de lui succéder. Qui sait si, dans toute mon existence, j’aurai de nouveau la chance de l’entendre prêcher ?… J’entre dans la confortable et coquette église quelques minutes avant le début du culte et obtiens, en ma qualité d’étranger, une très bonne place, ce que j’apprécie d’autant plus que le diacre m’a dit en confidence : « Vous savez, le Dr n’a pas la voix très forte. C’est une tout autre atmosphère, à coup sûr, que celle du Réveil gallois. L’assistant, tout jeune homme, fait d’abord un petit sermon pour la jeunesse, ce que les Anglais appellent parfois une sermonette. Il dit : « La religion ne consiste pas dans le sentiment, elle consiste dans l’obéissance. Les sentiments sont la matière brute avec laquelle l’obéissance est faite. Et la réflexion ne manque pas de justesse et de profondeur. Puis le Dr Watson fait un sermon très remarquable sur Nicodème. Il étudie les diverses circonstances où les récits évangéliques nous montrent Nicodème parlant ou agissant. — Nicodème va de nuit vers Jésus. Il ne faut pas l’accuser de manquer de courage. Non. Mais Nicodème est le type du savant (scholar). Le savant, le lettré, n’aime pas la foule ; il n’appartient pas à l’espèce psychologique des gens qui n’ont qu’à entendre un revivaliste parler deux ou trois minutes pour se convertir et monter sur l’estrade rendre publiquement leur témoignage. Nicodème veut poser des questions, réfléchir, juger, et il ne se sent pas enclin à dire tout haut et devant tous ce qu’il a dans le cœur. Voilà pourquoi il va trouver Jésus, non pas dans le jour, alors qu’il est entouré d’une foule de gens qui causent avec lui et l’interviewent, mais dans la nuit, alors qu’il pourra être seul avec lui (ceci par parenthèse, m’a rappelé tout à fait mes observations sur Dan Roberts et Miss Jones, etc.. et l’absence chez eux de tout désir d’avoir des entretiens particuliers et confidentiels avec leurs visiteurs. Et Dan Roberts lui-même ne semblait guère éprouver le besoin de se préparer dans la solitude et la prière secrète à sa réunion du soir. Non. C’est dans la foule que ces excellents gallois vibrent et sont émus, c’est dans la foule que l’inspiration leur vient, que le travail de la cure d’âmes et des conversions se fait. Le Dr Watson a raison, c’est le contraire du tempérament scholar). Le Dr Watson dit encore : Nous ne devons pas condamner le tempérament populaire, sous prétexte qu’il manque de bon goût, etc. Mais nous ne devons pas davantage condamner le tempérament du scholar, parce qu’il n’est pas disposé à monter sur une estrade pour donner son témoignage. — Dans toute cette partie de la prédication, les allusions au Réveil gallois étaient transparentes, mais pleines de nuances, de tact, de mesure. C’était véritablement très remarquable.

[Mr Stead prétend qu’à la première visite faite par Torrey à Liverpool, Ian Maclaren se tint un peu à l’écart, mais à la seconde visite il fut plus amical. Lorsque le Lord Maire, qui était un paroissien du Dr Watson, a reçu officiellement Torrey, le Dr Watson a été un des invités les plus remarqués ; et dans le banquet donné à cette occasion, il s’est déclaré le père d’un article anonyme publié récemment par le Liverpool Daily Post and Mercury, où, tout en disant que son point de vue théologique n’était pas le même que celui de Torrey, l’auteur faisait de grands éloges de la Mission.]

Le Dr Watson dépeint ensuite Nicodème dans le Sanhédrin. Nicodème ne se met pas, au milieu de ses pairs, à rendre son a témoignage à la façon d’un salutiste ou d’un revivaliste gallois. Non. « Cela me choquerait, s’il l’avait fait », dit l’orateur. Nicodème défend Jésus, mais il le défend au point de vue de la loi : « Notre loi condamne-t-elle un homme avant qu’on l’entende et qu’on sache ce qu’il a fait ? » Et la remarque de Nicodème arrive avec un tel à propos et remet si bien à leur place les Sanhédristes qui venaient de clamer : « Cette foule qui ne connaît pas la loi, ce sont des maudits » — que les Sanhédristes furieux lui crient : « Es-tu aussi Galiléen ? »… Nicodème n’a pas manqué de courage, il s’est conduit en scholar.

Enfin, ajoute le Dr Watson, quand l’heure où la foule crie, chante, beugle, est là, le Dimanche des Rameaux, Nicodème est absent ; mais quand il n’y a plus de foule et quand il y a du danger, Nicodème est là ; il vient pour ensevelir Jésus…

C’était bien, en somme, la prédication… d’un scholar que cette prédication du Dr Watson, — une belle prédication, suggestive, pleine d’idées, nuancée, admirablement bien, dite. L’atmosphère intellectuelle, comme je le remarquai dès le début, est tout autre qu’au Réveil gallois ou qu’à la Mission Torrey. Dans cette Eglise, je me sens intellectuellement tout à fait à l’aise, parmi mes semblables. Ici il y a pâture pour la pensée autant que pour le cœur et la conscience. Ici je respire en entendant parler avec amour et vénération de l’homme Jésus de Nazareth, un peu trop oublié chez Torrey et même dans les réunions galloises… Mais il ne faut pas être étroit (one-sided). Il y a bien des façons de s’édifier et d’édifier, — et de convertir comme de se convertir. Le Réveil gallois, la Mission Torrey peuvent ne pas convenir à tous les tempéraments, mais la prédication d’Ian Maclaren aussi. Ces divers chrétiens réussissent auprès des auditeurs qu’ils ont en vue. Assurément il ne suffit pas de réussir, il faut mériter de réussir. Aussi n’hésiterai-je pas à dire qu’il y a dans la Mission Torrey, peut-être même dans le Réveil gallois, certaines choses que j’ai de la peine à approuver entièrement. Mais il y en a d’autres que je puis juger inapplicables telles quelles ailleurs et très applicables, très heureuses chez les Anglais ou les Gallois, puisque ça réussit et puisque en soi ça n’est pas positivement mauvais et condamnable.

Le dimanche soir, je retourne entendre le Dr Watson. C’est un très beau sermon sur le jugement dernier. Il repousse tout jugement qui ne serait pas lié organiquement avec la vie que chacun mène ici-bas et avec le jugement que la conscience est en train d’exercer en chacun. Chacun aura ce pour quoi il aura travaillé. Celui qui aura travaillé pour le péché aura ce à quoi il a consacré sa vie ici-bas. « Je ne suis pas sûr qu’il en soit affligé. » (I am not sure he will be sorry for it.) Ian Maclaren repousse fortement l’idée que l’on sera sauvé ou condamné à cause de son credo. La Bible ne dit jamais cela. On sera jugé d’après sa conduite, d’après son caractère : Il cite le mot d’une vieille dame très orthodoxe, obligée de reconnaître que tel était bien l’enseignement de la Bible : « Je sens une profonde sympathie pour cette vieille dame qui me dit une fois qu’elle pensait qu’elle était fâchée de devoir constater que la Bible était souvent si imprudente, si inconsidérée (so unguarded) dans ses déclarations. »

En sortant de ce sermon qui n’eût contenté ni le Dr Torrey ni son célèbre converti Quenton Ashlyn, j’entends des gens qui discutent la prédication. Une dame dit à un monsieur : « Eh bien ! il a dit qu’il n’y avait pas d’enfer ! » Le monsieur n’est pas tout à fait de cet avis : « Non, il a dit… » mais je n’ai pas le droit de m’arrêter à écouter, je suis obligé de circuler et je manque la suite…

Sur ma route, je reste un petit moment à écouter des orateurs en plein air qui pérorent devant la Lime Street Station. Mais il fait froid. Il souffle un vent très vif. Je suis fatigué. Et ces réunions, d’ailleurs, sont très semblables à celles que j’ai si souvent fréquentées jadis à Hyde Park, à Londresb. Je rentre. La dame de l’hôtel me dit que ces réunions eu plein air ont lieu régulièrement tous les dimanches jusqu’à onze heures du soir, même en hiver…

b – Voir mon article sur l’Evangélisation en Angleterre et la prédication en plein air. (Revue du christianisme pratique, 3e année, 1889-90, p. 566-598).

Le lundi après-midi, nous prenons avec M. X… le bateau à Liverpool pour nous rendre à Birkenhead, situé en face de Liverpool, de l’autre côté du bras très large de la Mersey. C’est à Birkenhead qu’Evan Roberts doit tenir sa dernière réunion avant sa retraite. Nous débarquons vers 4 heures et nous partons immédiatement à la recherche de la chapelle wesleyenne de Brunswick. Nous sommes bientôt fixés par la vue des gens qui sont déjà à faire queue dans la rue. Quoique nous ayons des billets, ou parce que nous avons des billets, il nous faut faire queue nous aussi pendant plus d’une heure. Il fait un froid glacial. De temps en temps il tombe quelques gouttes. Mais un vent violent emporte les nuages. Derrière nous, dans la file, un homme interpelle un de ses amis de la file parallèle et lui crie : « Ohé ! là-bas, vous avez de la chance vous, vous avez un billet bleu, un billet de première classe, un billet de converti. Nous au-très, ici, nous n’avons que des billets jaunes, des billets d’inconvertis. Effectivement, on fait entrer les billets bleus les premiers et nous restons encore à croquer le marmot sous la surveillance placide des policemen. Un homme, derrière moi, hasarde quelques critiques sur Evan Roberts : il est vertement rabroué par ses voisins. Une dame, devant moi, s’écrie : « On gèle ici ! Chantons pour nous réchauffer ! » Et elle entonne un cantique que l’on chante avec elle. Enfin, vers 6 heures moins un quart, les portes s’ouvrent, et c’est une gigantesque poussée. Nous courons aussi vite que nous pouvons, X… et moi ; nous sommes obligés de nous contenter de l’espace libre entre les bancs en haut à la galerie. Mais nous réussissons à attraper des chaises qui se trouvent, je ne sais comment, à proximité et nous les installons, tant bien que mal, sur les marches d’escaliers. Nous sommes assis confortablement. Par malheur, au bout d’un moment, un laïque, debout devant l’orgue, se met à nous interpeller à voix haute, X… et moi, et nous somme de faire disparaître nos chaises : « C’est contraire à la loi, il faut que tous les corridors soient libres, sans obstacles, en cas d’accident. — Est-ce que nous sommes obligés de partir ? — Non, non, vous pouvez rester ; vous pouvez vous asseoir par terre, vous pouvez vous mettre à genoux, vous tenir debout, vous pouvez même sauter en l’air, si cela vous fait plaisir (you may jump), mais les chaises sont interdites. Nous nous levons et nous lui tendons nos chaises qui, circulant de main en main, parviennent jusqu’à lui et sont par lui remisées en lieu sûr. Nous nous asseyons par terre en attendant la réunion. Ça manque un peu de moelleux. Quand le meeting commencera, nous nous tiendrons debout et nous y verrons très bien, car nous sommes tout près et au-dessus de la chaire : nous ne perdrons pas un seul des mouvements d’Evan Roberts. C’est égal, on est plus à cheval ici sur les règlements de police que dans le Sud. A Aberdare, à Aberaman, les diacres et anciens eux-mêmes allaient chercher des bancs dans la sacristie et les installaient en long dans les corridors, obstruant de propos délibéré toutes les avenues, et emprisonnant l’assistance…

Dans la galerie en face de nous de l’autre côté du temple nous voyons circuler une théière, avec des tasses, qui arrive et s’installe devant une bande de dames. Le rebord destiné aux livres d’hymnes sert de table. La fumée du thé bien chaud s’élève en spirale devant nos yeux, pleins de convoitise. Mais c’est presque comme dans la parabole de Lazare et du mauvais riche : il y a un grand abîme entre nous. Heureusement qu’instruits par l’expérience nous avons apporté avec nous un sac en papier plein de biscuits. Nous procédons au petit repas. Un peu plus tard le Gallois voisin de X… lui fait part de sa propre provision de biscuits, que X… partage généreusement avec moi.

Le meeting commence ; il est certainement moins chaud, moins enthousiaste que ceux du Sud, d’Aberaman et d’Aberdare, et même que celui de samedi soir à Liverpool. Peu ou point de hwyl, relativement peu de prières simultanées. Quelquefois des silences entre les prières et les cantiques. Le flot court d’une manière moins continue ; il s’interrompt quelquefois. Cela permet à Evan Roberts de parler. Il prend une part active, très active, à la réunion — plus que je ne l’ai jamais vu faire à Dan Roberts ou à Sidney Evans. Il est moins agité, moins nerveux que samedi et n’a plus ces gestes extraordinaires d’hypnotiseur. Mais il a toujours la même autorité de geste et de regard, la même façon de scruter le fond et le tréfonds des gens d’un coup d’œil perçant, de remuer la tête quand il trouve que ça ne va pas. Je l’aime mieux en somme ce soir que samedi dernier. Est-ce que le repos d’hier dimanche l’aurait déjà un peu détendu et calmé ? Au milieu de son allocution, Evan Roberts est interrompu par un tout petit enfant qui pleure et crie dans la galerie et que sa mère a toutes les peines du monde à calmer. Habituellement, quand pareille chose se produit dans les réunions galloises — et elle se produit souvent, vu qu’il y a toujours dans ces réunions un bon nombre de mamans avec leurs bébés — l’assemblée se met à chanter, couvrant les cris de l’enfant et elle chante jusqu’à ce que l’enfant se soit tu. Ce soir, on ne chante pas. Evan Roberts dit avec un sourire, en levant les yeux vers la galerie : « Ne vous inquiétez pas des enfants. Oh ! si nous étions tous comme eux! » L’enfant crie de nouveau. La mère se décide à sortir. Pendant qu’elle sort, Evan Roberts s’écrie : « C’est peut-être un sermon pour quelqu’un. Ce doit être sûrement une leçon pour quelqu’un. Apprenons la leçon… » Et il se met à parler sur les larmes et les cris de Jésus en face de la mort, sur les larmes et les cris que les pécheurs doivent répandre et pousser sur le péché…

A un moment de la réunion, pendant que le Rév. Williams interroge le meeting, je vois Evan Roberts se laisser tomber sur le siège qui est à sa gauche, la figure crispée, et se tordre comme s’il éprouvait une vive douleur. Mais cela ne dure pas. Au bout de quelques instants, il se redresse, et reprend son attitude première, joyeuse et gaie.

Les deux demoiselles revivalistes prient en anglais. La sœur de Roberts fait une allocution en anglais. De temps à autre, à travers les fenêtres ouvertes, nous entendons des chants. Malgré la réunion supplémentaire organisée dans une chapelle voisine, une foule est restée là dehors autour de la chapelle, cherchant « à attraper quelque chose du feu à travers les fenêtres ouvertes ». Il y a un vrai meeting dans la rue. Parfois on discerne des fragments de prière : « O Seigneur… O Arglwydd ! » Une fois la foule extérieure chante le Dyma Gariad (sur l’air de l’« hymne en bouteille ») avec tant de force que le cantique traverse les fenêtres, envahit la chapelle, et les deux foules, l’intérieure et l’extérieure, s’unissent dans le chant du même cantique. Pendant que le meeting est mis à l’épreuve, Evan Roberts tantôt invite les pécheurs à la repentance, tantôt exhorte l’assemblée à prier, tantôt insiste sur les dangers de l’ajournement et sur le jugement à venir. « Il y a un frère ici, dit une voix au milieu de la chapelle, qui dit qu’il ne sent pas assez, et qu’il a souvent senti davantage. — C’est là le danger, dit Evan Roberts. Il en viendra à sentir de moins en moins. Il faut qu’il vienne maintenant. » Miss Annie Davies chante alors le beau cantique « Dim ond Jesu », et lorsque résonne la dernière note, la voix, du milieu de la chapelle, annonce : « Le frère a cédé, et parce qu’il a cédé, un autre a cédé aussi. — Il y en a deux ici, dit une autre voix, qui croient en Christ, mais ils ont peur de venir, redoutant de pécher de nouveau demain. — Est-ce qu’ils ne croient pas à la puissance de Jésus ? demande Evan Roberts. Leur place est dans l’Eglise. »

Ainsi finit, dans la paix et la joie, la dernière réunion de la mission de Liverpool qui a compté des jours si orageux. Au moment où l’on va se séparer, après la bénédiction prononcée par le Rév. John Williams, quelqu’un entonne le cantique anglais : « Jusqu’à ce que nous nous rencontrions de nouveau (Till we meet) ». Toute l’assemblée se joint au chant, tandis qu’Evan Roberts debout dans la chaire a la figure illuminée et rayonnante de joie. On annonce 44 conversions — ce qui porte à 750 environ le nombre des conversions obtenues par la mission de Liverpool. Et l’assemblée se disperse.

A notre retour de Birkenhead, à 11 heures du soir, nous sommes escortés par un Gallois qui a été notre voisin à la chapelle. Il revient avec nous à Liverpool. Très aimablement il nous paie le voyage de Birkenhead à Liverpool en bateau.

J’avais lu, dans divers journaux, que parfois il y avait eu des réunions de prières et d’appels tenues dans les gares, sur les quais, en attendant le départ des trains, ou même dans les trains entre les stations. J’ai eu le privilège, ce lundi soir, d’assister a une réunion de ce genre, d’un caractère tout aussi original. Sur le bateau, en effet, le vent souffle avec force, la nuit est froide, nous entrons, pour nous mettre à l’abri, dans le salon. A peine le bateau se met-il en mouvement, qu’un ecclésiastique anglican, un parson, qui vient comme nous du meeting, se lève et entame très simplement une petite allocution. Il fait l’éloge et prend la défense d’Evan Roberts. Il le défend contre « la frénésie du diable et la furie de ses critiques ». C’est un homme de Dieu. Le monde ne peut comprendre ce qui est spirituel. L’ecclésiastique anglican déclare que, quant à lui, il est sauvé et qu’il ne serait pas un pasteur (a parson) s’il n’était pas un homme sauvé. Il raconte qu’il était jadis dans le commerce et que, s’il en est sorti pour devenir pasteur, c’est parce qu’il s’est converti. Il exhorte les passagers à se convertir : « Pendant que nous sommes encore sur le bateau, et avant que nous abordions à Liverpool, s’il y a ici quelqu’un d’inconverti, il peut se donner à Dieu et accepter Christ. Oui, il peut accepter Christ ce soir, tout de suite, dans l’instant qui suffit à l’hélice du bateau pour faire un seul tour. Oh ! acceptez Christ tout de suite, Christ qui est un merveilleux Sauveur et qui donne un merveilleux salut. » Puis il s’écrie : « Plusieurs d’entre vous, je crois, viennent comme moi de la réunion d’Evan Roberts. Eh bien ! faisons comme à la réunion ! Ayons nous aussi notre petit témoignage ! » Et il invite ceux qui sont chrétiens à lever la main, ce que nous faisons, X… et moi ainsi que le Gallois qui nous accompagne. Un grand nombre lèvent aussi la main. Ceux qui ne bougent pas n’ont l’air ni surpris, ni choqués, ni ennuyés. Ils regardent et écoutent avec calme, avec politesse, avec courtoisie. L’ecclésiastique se met ensuite à prier. La prière finie, il recommence à parler, à exhorter, jusqu’à ce que tout à coup le bateau s’arrête. C’est Liverpool. Le Gallois se lève et nous présente à l’ecclésiastique comme deux gentlemen venus de France pour voir le Réveil, et plusieurs jeunes gens s’approchent et s’empressent amicalement pour nous serrer la main et causer quelques instants avec nous. Puis on se disperse et chacun s’en va de son côté dans la nuit.

Rentré à mon hôtel, je donne à mon hôtesse quelques détails sur la réunion de Birkenhead. Je ne réussis pas à lui faire partager mon enthousiasme. Quand je lui raconte qu’Evan Roberts a parlé gallois tout le temps, elle s’écrie : « Comme c’est stupide (silly) de sa part ! J’ai beau lui expliquer que les trois-quarts des auditeurs étaient Gallois, qu’Evan Roberts s’estime envoyé d’abord aux brebis perdues de langue galloise… Je ne réussis pas à la convaincre. Et sa fille, qui collabore à la préparation de mon souper tardif, me déclare tout net : « Je ne crois pas en Evan Roberts ! »

Le lendemain, 18, Evan Roberts partait pour un repos prolongé.

C’est ici sans doute le moment de nous poser cette question : Comment la faculté prophétique, divinatrice d’Evan Roberts peut-elle bien s’exercer ? Il va de soi qu’il est difficile de répondre à une telle question autrement que par des conjectures et même peut-être des conjectures assez vagues.

On doit chercher tout d’abord à tirer autant de parti que possible des explications les plus simples, à leur faire rendre leur maximun. J’ai déjà signalé l’habitude qu’avait Evan Roberts et que le Western Mail signale, à la date du 30 décembre, d’observer attentivement les figures des assistants, de juger de leurs dispositions « par leurs visages », comme lui-même, Evan Roberts, l’a déclaré à la même époque. Il faut ajouter que si Evan Roberts possède une grande aptitude native à l’observation de ses semblables, cette aptitude a dû s’épanouir, se développer par l’exercice. Au début, sans, doute, Evan Roberts a dû observer avec effort volontaire d’attention. Mais par là-même il s’est exercé et habitué à observer, et, en même temps que son observation devenait plus aiguë, plus pénétrante, elle devenait aussi plus instinctive : de volontaire qu’elle était à l’origine, elle devenait peu à peu automatique en quelque sorte. Dans ces ordres de faitsc, l’habitude d’observer certains indices et l’habileté à en tirer des conclusions justes peuvent, de volontaires et réfléchies, devenir peu à peu instinctives, automatiques, et en même temps augmenter de précision et d’exactitude. Et il me semble qu’on peut très bien s’expliquer qu’Evan Roberts ne s’étant pas rendu compte de cette évolution rapide qui s’accomplissait en lui, et se trouvant tout à coup en présence d’un instinct très fort et très sûr, ait vu, dans cette manifestation du subconscient, ce qu’il voit dans toutes les manifestations intenses du subconscient : le Saint-Esprit agissant et parlant miraculeusement.

c – Cf. la façon dont le Dr Laurent s’y est pris pour s’entraîner à la lecture de pensées par le contact de la main (Journal de psychologie normale et pathologique, nov.-décembre 1905), p. 486-487.

Cette voie d’explication n’est pas la seule. Il y en a encore d’autres — et nous ne sommes pas obligés de choisir, car bien des causes convergentes peuvent avoir concouru dans Evan Roberts pour porter chez lui à ce degré si extraordinaire le don de lecture des pensées. Il peut arriver aux résultats qu’il obtient par bien des méthodes, tantôt successives, tantôt simultanées. En bien des cas, ce n’est pas la vue qui lui a servi. Voici, par exemple, la façon dont nous est décrite, dans les brochures du Western Mail, la prédiction des conversions faites par Evan Roberts le 1er février. Après une prédiction réalisée et un chant exécuté : « bientôt, nous est-il dit, son attitude prend un aspect sérieux. Il ensevelit sa figure dans ses mains et se plonge évidemment dans la prière ; tout à coup il interrompt le chant de nouveau en déclarant qu’une autre âme s’est décidée pour Christ. » Ce n’est donc pas en explorant du regard l’assemblée qu’il a pu être instruit. De même, le 19 février, il accuse quelques personnes de s’être moquées pendant les prières. Et au cours de ses reproches, il prononce cette phrase caractéristique : « Je n’ai vu personne, car mes yeux étaient fermés, mais l’Esprit a vud. »

d – Toujours la même certitude inébranlable, absolue, dans l’attribution au Saint-Esprit de ce qui lui vient du sous-sol de sa conscience.

[On peut, — car si Evan Roberts se distingue de tous les Gallois par le développement extraordinaire de sa puissance télépathique, il n’est pas le seul Gallois à jouir d’une semblable puissance, — on peut rapprocher de ces faits le trait suivant : A une réunion tenue à Holy-head en juin, un aveugle se leva dans la foule, et faisant allusion d’une manière touchante à sa cécité, il s’écria : « Seigneur, quoique je sois aveugle, je puis voir ta gloire, et hélas ! je puis voir aussi que ton serviteur qui est parmi nous sent que ce meeting est dur, et que plusieurs cœurs sont endurcis. » Et Evan Roberts a confirmé immédiatement cette assertion, en se levant et en disant : « Il y en a ici des centaines qui refusent de se courber ou de céder à l’influence divine. »]

Comment alors Evan Roberts procède-t-il ? Quand ce n’est pas la vue, c’est l’ouïe qui entre en jeu. Evan Roberts a la perception du langage extérieur trop éloigné ou trop bas pour être perçu par les personnes ordinaires. Que l’on se reporte aux récits des réunions de Liverpool. On y verra Evan Roberts révélant la présence des « cinq brebis noires », dont quelques-unes ont critiqué ensemble, à voix basse, le Réveil. On y verra Evan Roberts révélant la présence d’un ministre qui grommelle d’être obligé de lever la main trop souvent, et lorsqu’on demande à Evan Roberts si ce ministre a pensé cela intérieurement ou s’il l’a dit à un voisin, il réplique, — ce qui se trouve vérifié, — qu’il y a eu échange de paroles. Or, le ministre et son voisin étaient trop éloignés de la chaire pour qu’il eût été matériellement possible à Evan Roberts de les entendre chuchoter par les moyens ordinaires d’audition. Il y a là de l’hyperacousie, phénomène bien connu des psychologues.

[Cf. L. Laurent. Art. cité, p. 493 : il est évident que cette description ne peut s’appliquer telle quelle à Evan Roberts, puisque enfin il n’a pas été endormi par un magnétiseur et qu’il perçoit les paroles de gens quelconques. Mais l’auto-hypnotisation produit souvent des effets tout à fait analogues à ceux que produit l’hétéro-hypnotisation. Et nous nous rappelons la lettre du Dr Bodie, le mesmériste, qui déclare qu’Evan Roberts s’hypnotise lui-même en chaire et explique ainsi ses silences prolongés dans les réunions. Bien qu’il y ait de très grandes différences entre le cas du sujet du Dr Laurent et le cas d’Evan Roberts, il y a cependant assez d’analogies pour qu’on soit autorisé à supposer que les révélations sensationnelles d’Evan Roberts sont susceptibles d’une explication psychologique naturelle cherchée dans cette voie.]

Et il faut toujours ajouter que, pour l’hyperacousie comme pour l’acuité de l’observation visuelle, le subconscient entrant en jeu, Evan Roberts, en vertu de sa mentalité, se trouve comme inévitablement conduit à tout attribuer, avec une entière bonne foi et une entière conviction, à l’influence immédiate du Saint-Esprit.

Mais il est des cas où l’hyperacousie elle-même ne suffit pas. Ou du moins il faut alors admettre que l’hyperacousie prend des proportions véritablement télépathiquese. On serait tenté de croire que, dans certaines conditions et circonstances, il peut se faire qu’Evan Roberts acquière la perception du langage intérieur par lequel la pensée s’exprime en plusieurs d’entre nous. On sait que, en plusieurs d’entre nous, la pensée se développe au moyen d’une sorte de parole intérieure qui va son train incessamment, se dévide sans arrêt, et ne cesse que lorsqu’on est empoigné par un orateur dont la parole extérieure se substitue à notre parole intérieure. Un psychologue de grand talent, M. Victor Egger, a étudié fort bien ce phénomène de la parole-intérieure dans un livre devenu quasi-classique. Il n’a eu que le tort de généraliser à l’excès. Le phénomène de la parole intérieure n’est pas aussi universel qu’il l’avait cru. Il y a plusieurs types psychologiques différents. Ce qui me porte à croire à quelque mode supranormal possédé par Evan Roberts de percevoir la parole intérieure chez autrui, ce sont des déclarations comme celle-ci, dont la sincérité ne peut faire doute pour qui a étudié Evan Roberts : Dès le 16 décembre, à une époque où les dons parapsychiques commençaient à s’éveiller en lui, mais où il ne les utilisait pas encore dans les réunions, il a raconté le fait suivant : « Je sais quand des personnes prient pour moi dans des lieux éloignés. Je puis les entendre. Il y a quelque temps, je causais avec le père de Sidney Evans. Dans le cours de la conversation, je pouvais entendre une femme qui priait pour moi dans une autre ville. Il n’y avait pas à s’y tromper. — C’est bien là, semble-t-il, de la télépathie authentique, de la télépathie, « cette façon de télégraphie sans fil ou d’induction à distance entre les organismes ou les subconsciences d’individus hors de la portée réciproque de leurs sens ordinaires. » (Flournoy). Evan Roberts perçoit donc télépathiquement le « langage intérieur », et peut-être cela explique-t-il comment il devine si bien si l’individu dont il lit et révèle les pensées est anglais ou gallois : il perçoit la langue de l’individu. Il serait intéressant de savoir s’il est capable d’interpréter ce qui se passe dans, l’âme d’un étranger, français, allemand, dont il ne connaît pas du tout la langue, dont il ne peut, par suite, comprendre le langage ni extérieur ni intérieur. Il serait aussi intéressant de savoir si la perception du langage intérieur est le seul moyen dont il puisse user pour sa divination prophétique. A coup sûr, cette divination est limitée ; elle ne s’exerce pas toujours, ni sur tous. Est-elle réellement limitée, sinon en totalité, du moins en partie et surtout, par le langage intérieur ? Serait-il peut-être capable, à l’occasion, de percevoir mentalement les images visuelles présentes à la pensée de tels ou tels membres de la réunion qui pensent surtout avec des images visuelles ?… Cela serait assez difficile à étudier. Il faudrait être anglais ou même gallois, et, par-dessus le marché, être un Pierre Janet ou un Flournoy, et rester là longtemps, très longtemps auprès d’Evan Roberts, afin de pouvoir le questionner et le requestionner. Encore n’est-il pas sûr que ce dernier se prêtât de bonne grâce à cet examen ; il est assez probable qu’il ne répondrait pas très volontiers à des questions où il sentirait une curiosité scientifique. Il va sans dire que je n’ai pu, pour mon compte, songer seulement à entreprendre sur lui une telle étude, car à Liverpool, avec toute l’excitation qui y régnait, l’opposition que Roberts avait soulevée, la curiosité, la masse des gens qui désiraient parler à Roberts, ou tout au moins l’approcher, le voir, il n’y avait pas à espérer causer avec Roberts longuement et calmement.

e – Cf. les observations du Dr Laurent sur la transmission de la pensée à courte distance, sans contact (art. cité. p. 489-490) : encore ici il faudrait faire subir des corrections considérables à ces remarques pour les appliquer au cas d’Evan Roberts. Mais on peut se demander s’il n’y a pas là un système d’explication qui pourrait être employé, avec des modifications et des additions, pour rendre compte des transmissions de pensée à longue distance.

Un ou deux traits sont encore à noter. D’après les paroles d’Evan Roberts lui-même, comme d’après le témoignage de ses amis, la prière joue un grand rôle dans la lecture de pensées d’Evan Roberts. C’est pendant qu’il est en prière, soit simplement en prière pour le salut des âmes, soit en prière spéciale pour obtenir des « révélations de l’Esprit », — c’est alors que les indications prophétiques lui arrivent, émergeant de la pénombre du subconscient. Et c’est ce qui le confirme dans la pensée que ce sont bien effectivement des révélations miraculeuses de l’Esprit. Il serait pourtant très possible, sans nier pour cela le moins du monde la possibilité et la réalité de l’exaucement, l’efficacité extérieure et objective de la prière, de croire que dans l’espèce il s’agit d’un effet purement psychologique et humain. Psychologiquement, la prière est tantôt un moyen de remplir et de charger le subconscient et ainsi de préparer de futures et dramatiques explosions, tantôt un moyen de déclencher le subconscient en état de tension et de provoquer une explosion subite, par l’abandon que le moi officiel consent et réalise de lui-même, par le silence et le vide qui se font dans le champ de la conscience. En outre la prière pour les autres est un puissant moyen de resserrer les liens de solidarité avec les autres, d’entrer avec eux dans un rapport qui peut devenir quasi-somnambulique, d’établir avec eux une sorte de courant télépathique : c’est ce qu’on pourrait mettre en lumière par d’innombrables exemples empruntés à tous les temps et à tous les pays.

Les critiques d’Evan Roberts, par exemple le Rév. Price, ont relevé la bizarrerie des procédés d’Evan Roberts qui, après avoir déclaré qu’il y a dans la réunion des choses troubles, des obstacles, après avoir sommé les coupables de se dénoncer ou de partir, après avoir interdit de chanter, etc. — au bout de quelques instants, sans que personne se soit dénoncé, sans que personne soit parti, change sans motif d’attitude, devient souriant, joyeux, exhorte à chanter avec entrain… Que signifient ces simagrées ? demandent les critiques d’Evan Roberts. Elles s’expliquent très bien psychologiquement, répliquerai-je : c’est que, pour une raison ou pour une autre, l’espèce de pression affective qui s’exerçait sur l’âme d’Evan Roberts a cessé. Il ne ressent plus d’influence télépathique. Il n’est plus « attiré », comme il dit lui-même. Et soulagé, délivré, il redevient joyeux ; car il ne fait que traduire extérieurement et qu’exprimer en paroles les impressions qu’il ressent.

Le 18 avril, comme nous l’avons dit, Evan Roberts partait pour un repos prolongé, et il était permis de se demander avec anxiété ce qui allait advenir du Réveil après la période extraordinaire de Liverpool et après la retraite d’Evan Roberts.

Les amis d’Evan Roberts avaient certes toute raison de protester contre l’explication aussi aisée qu’absurde des excentricités d’Evan Roberts donnée par quelques-uns de ses adversaires : il joue un rôle ! Lui, un charlatan ! A coup sûr, cette explication ne rend pas compte des faits. Quelque chose de plus qu’une mystification était requis pour transformer les districts miniers du sud du Pays de Galles. Et qu’aurait-il à gagner à une mystification ? Il est indifférent à l’argent, et a donné tout ce qu’il a reçu. La mystification ne lui est nullement indispensable pour gagner de la réputation ou pour produire de l’effet. Souvent la réunion a été déjà un glorieux succès lorsque les dispositions sombres l’envahissent. Mais enfin ces dispositions sombres, toutes sincères qu’elles sont, n’en constituent pas moins un danger. Ses amis protestent qu’il n’y faut voir qu’un accident sans importance, une particularité qui n’est pas essentielle à son œuvre. Plusieurs ne cachent pas qu’ils souhaiteraient qu’Evan Roberts pût maîtriser ses sombres dispositions (his dark moods). Ils concluent en disant : Evan Roberts est un prophète. Un prophète doit être pris tel qu’il est. Il est engendré ou baptisé, certainement pas fabriqué (made), et le monde ne peut qu’attendre l’apparition de l’élu, pour le rejeter à ses risques et périls, s’il le rejette. — Qu’Evan Roberts pense être un prophète et se conduise comme un prophète, spécialement lorsqu’il « délivre ses messages » en leur attribuant une autorité divine, il n’y a pas à en douter. Mais on se souvient de la parole si sage et si profonde de saint Paul sur les prophètes : « Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. » (1 Corinthiens 14.32.)

Comme représentant d’une position intermédiaire entre, amis et ennemis, je citerai un article paru dans le South Wales Daily Post dès le 17 avril, c’est-à-dire le jour même de la dernière réunion d’Evan Roberts à Liverpool : L’auteur de l’article ne craint pas de déclarer que le Réveil en tant que période d’excitation est « une chose du passé ». « Le Réveil religieux a dépensé sa force, à en juger par toutes les indications visibles. Il soutient que, malgré ses excellents résultats et le bien final qu’il est permis d’en espérer, « il est impossible de résister à cette conclusion que le Réveil a échoué à réaliser les attentes qu’il avait provoquées. » Il rappelle comment, au début du Réveil, on comparait le mouvement religieux actuel aux mouvements de Wesley, de Christmas Evans, des géants du Réveil méthodiste, et comment on élevait le Réveil d’Evan Roberts bien au-dessus de l’Armée du Salut. Et il trouve que maintenant il faut déchanter…

« Comme ce Réveil se montre essentiellement personnel dans son origine et sa direction, on est tenté de se demander quelle aurait été son histoire, la période de sa durée, la largeur et la permanence de son influence, si la principale figure avait été différente, en tempérament, capacité et caractère, d’Evan Roberts ? Est-ce que le Réveil aurait été possible sans lui ? Est-ce que son cours et sa nature seraient restés les mêmes, si Evan Roberts était resté ce qu’il était aux premiers jours, lorsqu’il se montrait à un public sympathique comme un modeste jeune homme sans prétentions, enflammé par un grand désir de répandre la foi chrétienne dans sa simplicité et sa réalité et de ramener tous ceux qu’il pouvait atteindre à reconnaître la vérité du christianisme ?

Le Roberts d’avril 1905, continue l’article, n’est plus le Roberts de décembre 1904. Il y a eu développement, transformation, qui ont réagi sur le Réveil, arrêtant sa diffusion, limitant son influence, lui portant des coups mortels. L’ancien Evan Roberts était la simplicité en personne… Sa force résidait dans sa simplicité, dans son union avec la commune humanité… »

Le journal donne à entendre que l’Evan Roberts d’avril 1905 n’est plus tout à fait la même chose. C’est que de grands périls l’ont entouré incessamment.

« En un jour il s’est trouvé fameux, de cette renommée que les journaux peuvent accorder aujourd’hui ; les reporters l’ont cherché ; chacune de ses paroles a été notée, chacun de ses mouvements observé ; des théologiens ont fait retentir ses louanges ; des foules se sont pressées pour l’entendre, et il a été enveloppé dans une atmosphère où il a vu sa propre figure projetée comme celle d’une personnalité extraordinaire et presque divine. Il fallait un esprit robuste et un tempérament calme pour résister à cette pression extérieure qui croissait avec chaque succès nouveau. — Nous sommes un peuple émotif, et les congrégations à sa portée étaient prêtes, au figuré, à se prosterner devant lui… Est-il surprenant qu’il se soit développé rapidement et dans une ligne déplorée par ses meilleurs amis ? Rappelez-vous qu’il a une nature celte émotive ; son esprit est extrêmement tendu ; pendant des mois il s’est mû dans un milieu d’adoration directe et implicite de lui-même ; il a été encouragé, par l’avidité avec laquelle chaque suggestion de pouvoir surnaturel a été saluée, à abandonner la maîtrise d’un instinct profondément implanté dans la nature humaine — un instinct néanmoins irrationnel. Et le résultat peut être vu dans la semaine de silence, lorsque, comme le prophète voilé de Khorassan, il s’est retiré du monde, dans les messages cryptiques, plus ou moins incohérents, dans les violentes émotions publiquement manifestées, dans la fréquente pose comme lecteur de pensée, comme révélateur direct de la volonté divine — des amis zélés, mais peu judicieux inclinant son esprit toujours plus dans cette direction antinaturelle par la recherche avide de toutes les preuves capables de justifier ses prétentions implicites à posséder des pouvoirs supérieurs aux facultés mortelles.

Et ainsi la fin est venue, ou s’approche rapidement. La voix de la critique se fait entendre ; l’extravagance produit sa réaction inévitable. Une force avec de grandes possibilités pour le bien a été étouffée, supprimée par une popularité fatale — par la faiblesse humaine pour le culte des héros. Le Réveil peut continuer encore plus ou moins longtemps, et les revivalistes peuvent tenir des services et attirer des foules, mais l’étincelle vitale qui rendait le Réveil réel et élevant, si elle n’est pas éteinte, est près de s’éteindre. Car la figure centrale a échoué à rester fidèle à son premier moi ; elle a cédé à la tentation de poser pour être plus qu’humaine, et par là elle a faussé compagnie aux hommes. L’anneau qui le liait à eux et rendait leur lot semblable au sien a été rompu. »

Peut-être l’auteur de cet article s’est-il un peu trop pressé d’enterrer le Réveil. Voici ce que, pour mon compte, j’écrivais en juin dernier :

« Evan Roberts doit être maintenant ressorti de sa retraite pour reprendre sa carrière de revivaliste. Que va-t-il advenir de lui ? Pour qu’il puisse continuer d’exercer une influence efficace et bénie, pour qu’il puisse réveiller le Nord comme il a réveillé le Sud, il faut d’abord que sa santé physique soit assez rétablie pour qu’il puisse supporter l’énorme tension nerveuse de ces réunions répétées. Il faut ensuite que cette tension nerveuse ne le fasse pas verser de plus en plus dans l’usage excessif de ses dons prophétiques et télépathiques. S’il se laissait aller à suivre cette voie, il courrait le risque d’en venir à un point où il compromettrait le Réveil gallois et pourrait lui nuire sérieusement, non seulement d’une manière directe, mais aussi d’une manière indirecte par l’influence que son exemple pourrait avoir sur les autres revivalistes. Déjàf cette influence s’est fait sentir sur Sidney Evans. Que la fatigue et la tension nerveuse, mettant Sidney Evans dans un état physique et mental analogue à celui d’Evan Roberts, le prédisposent à la contagion, c’est probable. Mais il y a à coup sûr la suggestion de l’exemple. Ainsi Sidney Evans cherche à exercer, dans un sens pessimiste, le don prophétique de lecture de pensée. Cela est visible dans le récit d’une réunion à laquelle assistait M. Parker et qu’il a décrite dans l’Evangéliste (7 avril) :

f – Antérieurement même aux faits relatifs à Sidney Evans, le Rév. Peter Price, dans son fameux article (Double Revival in Wales), avait signalé les « imitateurs d’Evan Roberts qui reproduisaient tantôt quelques-unes de ses paroles favorites, tantôt ses contorsions corporelles, ses soupirs, etc. (31 janvier 1905.)

Sidney Evans est convaincu que l’Esprit est contristé. Il y a dans l’assemblée des chrétiens qui ne s’accordent pas ; il y a des rivalités, des jalousies. Ces chrétiens empêchent les âmes de se convertir ; il faut qu’ils sortent. On invite donc ces chrétiens à se retirer, et quelques centaines s’en vont. Cependant d’autres rentrent et le bas de la chapelle est encore rempli. Sidney Evans insiste encore sur la nécessité de mettre de côté tout sentiment de rancune et d’animosité, puis il demande à tous ceux qui sont en paix avec leur prochain de se lever. Personne ne reste assis. Pendant quelques minutes il scrute l’assemblée, cherchant à lire sur les visages les sentiments des cœurs ; puis il se déclare satisfait.

On reconnaît la marque Evan Roberts. La voici encore : Dans une réunion à Bridgend le lundi 8 mai, une jeune femme ayant prié pour demander à Dieu, de pardonner à tous ceux qui sont venus pour critiquer, une autre jeune femme fait un semblable appel ardent à la pitié, et pendant plus d’un quart d’heure après avoir fini sa prière, on l’entend encore gémir : « Oh ! aie pitié ! aie pitié ! » Sidney Evans, dominé par l’émotion, serre convulsivement la Bible sur son visage, et joint ses larmes aux larmes de la jeune femme. D’ardentes prières se mêlent et se succèdent. Le revivaliste fait une tentative pour parler, mais à peine a-t-il pro-nonce quelques mots qu’il est obligé de s’arrêter, saisi par un paroxysme de douleur (he breaks down in a paroxysm of grief). Un peu plus tard, il réussit à se lever et à s’écrier : « Il y a ici un Judas. C’est un Anglais. Il y a ici un Judas. C’est la raison de toutes ces larmes. C’est l’un des plus terribles messages que j’aie jamais donnés. — « Il est dans la galerie », crie un ministre. — « Oui », réplique Sidney Evans, « et il est un membre d’Eglise. » — « Je ne puis pas garder le silence, s’écrie un pasteur ; c’est le meeting le plus terrible auquel j’aie jamais assisté. Il y a ici quelqu’un auquel un appel est adressé pour la dernière fois… » Lorsque le meeting est mis à l’épreuve, « un fait remarquable se passe, dit le Revival number, qui semble confirmer la déclaration de Sidney Evans : un homme reste assis qui a été jadis membre d’Eglise pendant cinq ans. Le revivaliste loue son honnêteté… — L’imitation d’Evan Roberts à la fois par Sidney Evans et par quelques pasteurs et même la foule est sensible. Mais ce n’est pas tout. Le même numéro du Revival number nous apprend que MM. Sidney Evans et Jenkins étaient attendus à Porthcawl, mais ils n’ont pas paru, Mr Sidney Evans déclarant qu’il n’avait pas de message pour Porthcawl. Dans la soirée, il téléphone à celui qui devait être son hôte à Porthcawl : « Veillez et priez. Soyez en paix, car je suis votre Dieu. » Il se confine dans sa chambre à Bridgend. Et le Revival number nous apprend que Sidney Evans a désappointé de la même manière d’autres localités : Pyle, Penarth, Dinas, Powis, Cadoxton, Barry. Le silence, l’absence de message, le refus d’aller là où l’on est attendu, tout cela c’est encore de l’Evan Roberts et pas du meilleur. — Si Evan Roberts persistait dans ces façons d’agir étranges et y entraînait ses imitateurs, le Réveil gallois courrait grand risque d’être arrêté, compromis, gâté, et peut-être de mal finir. Que si, au contraire, la santé physique lui étant revenue et la maîtrise de soi-même avec, il redevient l’Evan Roberts des premiers temps, ou du moins n’use de ses facultés parapsychiques qu’avec discrétion, il peut être encore l’instrument d’un puissant Réveil au au Nord du Pays de Galles, comme aussi parmi les Gallois de Londres, où on lui prête l’intention d’aller en septembre, qui sait ? peut-être même parmi nos compatriotes bretons dont la langue ressemble tellement au gallois qu’un Gallois et un Breton se comprennent très aisément : on m’a assuré à Liverpool qu’Evan Roberts songeait à une mission en Bretagne. Qu’en sera-t-il de tous ces projets ? Nous ne savons. Il reste qu’Evan Roberts mérite toute la reconnaissance des chrétiens pour le bien qu’il a fait dans le passé et tous leurs vœux pour le bien qu’il est susceptible de faire dans l’avenir ; et qu’il mérite toute l’attention des psychologues pour la rare efflorescence de facultés extraordinaires qu’il présente. Sa psychologie ne sera pas moins intéressante à étudier dans l’avenir qu’elle l’a été dans le passé. »

Evan Roberts, en quittant Liverpool, s’est retiré dans le Nord du Pays de Galles, près de Bettwyscoed, à Capel Curig, presque sous l’ombre du fameux Snowdon. Pour la première fois depuis des mois, il prend un repos réel et prolongé. Il va à bicyclette, rame sur le lac, grimpe, sur les montagnes, fait l’ascension du Snowdon, se promène en voiture et refuse de voir les visiteurs. Il exprime le désir d’entendre de la bonne prédication, n’ayant pu assister à un sermon depuis des mois, et se rend pour cela à Festiniog. Il participe à la Sainte-Cène dont il ne s’était pas approché depuis le début du Réveil. On lui demande de collaborer à la distribution du « sacrement » à la congrégation ; il refuse humblement en disant : « C’est une fonction trop sacrée pour que je m’en acquitte. » Il est bien vrai que pendant son repos, Evan Roberts ne réussit pas à prendre sur soi de ne pas assister et participer de temps à autre à quelque réunion, mais c’est accidentel, imprévu, inattendu. En somme, il s’abstient et il se repose. Et après s’être reposé à Capel Curig, il continue de se reposer dans l’île d’Anglesey, terre élue des Druides et des Bardes, fertile en cultures, douce de climat, qui fut longtemps le centre de la vie galloise et qui rappelle par des noms et des ruines l’indépendance galloise.

Ces quelques semaines de repos prises par le revivaliste, après les mois de terrible tension du Réveil, lui font le plus grand bien au physique et au mental. On ne peut dire qu’elles fassent autant de bien au Réveil lui-même.

Le Revival number dit à deux reprises qu’il serait vain de contester que la retraite d’Evan Roberts dans la solitude a amené une diminution dans l’intensité du « feu » revivaliste. Dans tous les cas, cette retraite a amené dans la presse une diminution très marquée d’intérêt pour le Réveil. Les réunions de Liverpool avaient fourni de l’excellente copie au point de vue journaliste. Il y a eu disette après cela, et même lorsqu’Evan Roberts a repris son activité revivaliste à Anglesey, la presse n’a plus montré le même empressement et la même avidité à publier en détail le procès-verbal de ses réunions. Ce n’est peut-être pas un mal au point de vue religieux, dans les intérêts du Réveil lui-même. Si ailleurs nous avons relevé les heureux effets de la publicité donnée au Réveil par les journaux, il est bien permis de se demander pourtant si, à côté des heureux effets, il n’y en a pas eu de fâcheux, et si, en particulier, cette publicité n’a pas pu contribuer parfois à pousser Evan Roberts et les revivalistes dans la voie des excentricités, dans la recherche des choses sensationnelles. Cependant une nouvelle espèce de réunion s’organise : les réunions en plein air. Notamment, le dimanche matin, les mineurs de différentes usines se réunissent en bien des endroits de bonne heure, sur le sommet de quelque colline et finissent leur meeting juste à temps pour que chacun puisse ensuite se rendre à sa propre chapelle pour le service régulier.

En juin, Evan Roberts sort de son repos pour commencer dans l’île d’Anglesey une superbe tournée de réunions : c’est de nouveau, semble-t-il, l’Evan Roberts des premiers jours, tout à l’allégresse et à l’amour, très sobre de manifestations déconcertantes, il ne dénonce plus, n’attaque plus, n’exerce plus son don de lecture de pensée, n’a plus de paroxysmes d’angoisse. Il est joyeux, il est calme.

« L’occultisme qui avait tendu à mettre en péril et à remplir d’amertume quelques-uns des meetings de Liverpool, dit le Rév. Elvet Lewis, a été absent ; il y a eu un retour à la simplicité et à la fraîcheur de ses premiers jours revivalistes. » (British Weekly, 15 juin.)

Un correspondant du Christian World (29 juin 1905) dont l’article a été reproduit par l’Evangéliste et par le Journal religieux de Neuchâtel, a suivi pendant toute une semaine les services spéciaux qu’Evan Roberts a tenus à Anglesey ; il a étudié soigneusement les rapports d’une mission de quinze jours qui avait précédé cette semaine, et il déclare :

« Je n’ai découvert aucune prétention à un pouvoir surnaturel quelconque, aucune manifestation de ce qui a été décrit comme la faculté de lire dans les pensées, ni aucune tendance malsaine. Evan Roberts lui-même n’a fait ou dit autre chose que ce que tout pasteur sérieux aurait pu dire dans les mêmes circonstances, à la seule exception de la réunion de Llangefni. Ce n’est qu’à un moment de notre conversation que je l’entendis parler d’une expérience que beaucoup de chrétiens n’ont pas faite :

« J’ai été miraculeusement soutenu, dit-il ; souvent, le matin, je me sentais trop faible pour penser à me lever. Me rappelant cependant le travail qui m’attendait, je demandais la force nécessaire et je faisais alors l’expérience d’une sensation remarquable : c’est comme si une force était répandue sur ma tête et de là découlait en un torrent de vie nouvelle à travers tout mon corps ; je me levais alors un homme nouveau, la lassitude avait disparu et je me sentais aussi capable de travailler que si je recommençais après une période prolongée de repos. »

Dans une réunion publique, il donna à entendre, plutôt qu’il ne dit, qu’il avait été pendant la journée en lutte réelle avec l’ennemi de l’humanité. A ces deux exceptions près, je ne puis rien me rappeler qui pourrait frapper comme extraordinaire quiconque est familier avec les services religieux gallois. Evan Roberts est dans une disposition d’esprit particulièrement joyeuse et porte sur son visage le sourire heureux qui caractérisait les premières semaines de sa mission, mais qu’on n’y avait vu que rarement depuis quelques moisg. »

g – Je dois dire, toutefois, qu’il semble lui arriver encore d’éprouver des agonies, des convulsions, et qu’il continue à refuser : de temps à autre de se rendre là où il est attendu, sous prétexte que l’Esprit le lui défend.

Quoique le comté ne soit pas habité par une population très dense, Evan Roberts attire d’immenses foules, et sa tournée ressemble à une marche royale. Partout où il va, éclate le même empressement, la même excitation intense et soutenue qu’au Sud du Pays de Galles. Les foules s’assemblent si nombreuses qu’Evan Roberts est obligé de sortir des chapelles et de tenir ses réunions en plein air. — C’est pendant cette Mission que tombe l’anniversaire de son jour de naissance : il a maintenant 27 ans.

Mais voilà que dans le courant de juin, un journal religieux de Londres, le Christian World, met en circulation le bruit qu’Evan Roberts est fiancé avec Miss Annie Davies. Les amis d’Evan Roberts considèrent ce bruit comme « un autre tour du diable » qui cherche par là à gêner Evan Roberts et Miss Annie Davies et à troubler leur collaboration dans la Mission d’Anglesey. Les représentants de divers journaux s’abattent aussitôt sur les parents d’Evan Roberts, à Loughor, sur Evan Roberts lui-même, sur Miss Davies enfin, pour savoir ce qu’il faut penser de cette rumeur qui défraie toutes les conversations. Partout le démenti est formel. Miss Annie Davies fait cette réplique que le Revival number déclare admirer énormément et que pour notre part nous trouvons assez curieuse dans son ascétisme : « Les gens ne savent pas combien Evan Roberts est près de Dieu. S’ils le savaient, ils ne diraient pas de pareilles choses. » Donc, quand on est très près de Dieu, il est impossible qu’on songe à se marier ! Et le Revival number ajoute : « Il est rassurant de penser qu’Evan Roberts et Miss Davies sont décidés à ne pas permettre à cette invention stupide de les affecter un brin. C’est la meilleure manière de tuer le canard : continuer leur œuvre, comme si on n’avait rien dit. Il est sûr qu’il y a là de quoi ennuyer les deux revivalistes. Et par exemple ils devaient être assez gênés à Llandudno, lorsque des petits vendeurs de journaux criaient à leurs oreilles : « Prochain mariage d’Evan Roberts », ou lorsque leurs yeux s’accrochaient à ces mots écrits en grosses capitales sur les annonces de réclame placées un peu partout parles journaux. Les amis d’Evan Roberts insistent pour que le nombre des jeunes couples de sexe différent qui parcourent ensemble le pays soit réduit (c’est ce que demande explicitement le Rév. Elvet Lewis (British Weekly, 15 juin).

Est-ce le résultat de ces bruits de fiançailles ? Est-ce la fatigue produite par la Mission d’Anglesey ? Est-ce autre chose ?… Toujours est-il que, la Mission d’Anglesey terminée, Evan Roberts se retire de nouveau à l’écart, n’apparaissant qu’accidentellement dans les réunions, et quand il y apparaît, cherchant modestement à se tenir à l’arrière-plan.

On signale sa présence au Collège théologique de Bala où il prononce une très belle allocution qui produit une impression profonde (5 juillet). J’y recueille quelques données autobiographiques qui pourront compléter ce que j’ai déjà dit des expériences religieuses d’Evan Roberts dans le chapitre sur les débuts du Réveil : « C’est par le moyen de l’oraison dominicale que j’ai reçu les plus grandes influences que j’aie jamais ressenties. Il y a huit ans, nous étions une société de cinq personnes au sommet d’une montagne, et les paroles : Que ton règne vienne ! se présentèrent à mon esprit avec une telle puissance que je sentis une sorte de sainte frayeur planer sur la cime où nous étions réunis. — Dans cette même allocution, Evan Roberts raconte que le diable lui a dit une fois : « Tu es indigne d’être dans cette grande œuvre ; tu ferais mieux de l’abandonner. » Pendant un certain temps, continue-t-il, je n’ai su que faire, car j’ignorais qui me parlait. Mais il ne me fallut pas longtemps pour découvrir que c’était le diable, car je me souvins qu’un bon maître n’épouvante jamais ses serviteurs… Plus vous vous élèverez dans la vie spirituelle, plus le combat sera dur, et plus il sera difficile de discerner la différence entre la voix du diable et la voix de Dieu. C’est ma difficulté maintenant. S’il y a une règle pour connaître cette différence, jusqu’à aujourd’hui je ne l’ai pas découverte. Le diable est capable de rendre sa voix très semblable parfois à celle de Dieu. » Voix du diable, voix de Dieu, ce sont là pour Roberts les deux seuls termes de l’alternative. Il ne s’aperçoit pas qu’il y en a un troisième possible : voix de l’homme, non de l’homme officiel, mais de l’homme subconscient. — Il poursuit : « Il y a eu une époque où j’avais économisé de l’argent, et j’ai longtemps refusé de l’abandonner à l’appel de l’Esprit. J’avais sacrifié tout à Dieu, excepté une chose, l’argent que j’avais mis de côté sur les gages que j’avais gagnés quand j’étais ouvrier. Mais j’ai obtenu à la fin de la force pour obéir aussi dans cette chose, et oh ! quelle joie !… »

Ces lignes nous aident à comprendre les paroles prononcées par Evan Roberts dans son entretien avec les jeunes filles de New-Quay (voir notre chapitre III : Antécédents et débuts du Réveil) : « Je n’ai qu’à attendre le feu. J’ai construit l’autel ; j’ai empilé le bois et préparé le sacrifice ; je n’ai plus qu’à attendre le feu. » Ce rapprochement est tellement exact qu’Evan Roberts le fait lui-même dans son allocution de Bala : « L’autel doit avoir été préparé, le bois mis dessus, et le sacrifice sur le bois, avant que vienne le feu. » L’Esprit ne récompense pas l’homme indolent… Il ne couronne pas ce qui est pauvre ou bon, mais ce qui est le meilleur. Nous devons faire de notre mieux avant d’attendre la couronne de la satisfaction de Dieu… » — Enfin je détache encore de cette allocution de Bala le détail suivant : « Lorsque je suis allé à l’école, à Newcastle-Emlyn, j’étais tellement troublé dans mon esprit que je ne savais que faire. Je ne pouvais pas composer de nouveaux sermons, et je ne pouvais pas prêcher les anciens, parce qu’il y avait trop peu de Christ dans ces derniers. Ces mots nous confirment dans la pensée que les expériences de Loughor étaient des expériences religieuses et mystiques en général, plus encore que des expériences spécifiquement chrétiennes.

[J’en trouve une nouvelle confirmation dans ce trait qui m’a frappé en relisant les brochures du Western Mail : Le 16 décembre, dans une allocution à Hafod, Evan Roberts a raconté comment le Réveil l’a atteint. Il a dit qu’un soir, tandis qu’il était à Loughor, il marchait, allant de chez lui au bureau de poste, lorsque sur son chemin il dépassa une bohémienne qui le salua par ces mots : « Bonsoir, Monsieur ! » Le mot : Monsieur, lui alla droit au cœur, et il se demanda pourquoi, en réponse à cette salutation bienveillante, il n’avait pas dit : « Bonsoir, Madame ! » A partir de ce moment, il sentit que son cœur était plein de l’amour divin, et qu’il pouvait aimer tout le monde, sans distinction de couleur, de credo ou de nationalité. Le monde était changé pour lui maintenant.]

Après Bala, on signale encore la présence d’Evan Roberts à Llandrindod Wells, où se tient, au mois d’août, une convention dirigée par les chefs de la convention de Keswick et où le Rév. Meyer proclame la fusion, pour le plus grand profit des deux, du Réveil gallois et du mouvement de Keswick. Mais Evan Roberts y est plutôt auditeur qu’orateur.

M. Paul Passy, au mois de septembre, rencontre Evan Roberts, et, dans une lettre particulière, veut bien me raconter ainsi cette entrevue :

« Evan était à Llandrindod pendant mon séjour. Il se reposait surtout, mais recommençait à prendre part aux réunions. Pensant qu il n’aimerait pas être dérangé, je ne voulais pas y aller ; mais son ami et secrétaire Mardy Davies m’a vivement pressé de ne pas quitter le pays sans le voir. Je me suis donc rendu à Llandrindod avec Charles Sainton. Nous sommes tombés aussi mal que possible, à 10 heures du soir, au moment où Evan, qui sortait d’une réunion, était attendu pour souper. Malgré ça, il a été charmant, répondant clairement et posément à toutes nos questions, nous retenant plusieurs fois quand nous voulions partir, et priant chaudement avec nous pour le réveil de la France. Il m’a fait une impression de haute spiritualité, mais en même temps de beaucoup de bon sens, de naturel et de simplicité ; rien qui ressemble à une exaltation maladive, encore moins à de la pose. Le lendemain matin, j’ai appris qu’il était allé se promener avec un autre jeune homme, inconverti, mais qui trouvait beaucoup de plaisir dans la société d’un homme si aimable et si enjoué. C’est le 13 septembre que j’ai vu Evan Roberts, et le 14 j’ai quitté le Pays de Galles. »

Depuis cette entrevue d’Evan Roberts avec M. Passy, je perds presque les traces d’Evan Roberts, sauf quelques rapides et fugitives apparitions çà ou là.

Ce n’est que le mercredi 15 novembre qu’il a quitté sa demeure avec l’intention arrêtée de recommencer une tournée revivaliste. Il a visité Pontycymmer, où il a eu, paraît-il, un peu de peine, mais où il a pourtant bientôt réussi à rallumer « le feu ». Il comptait rester dans la région jusqu’à la fin du mois, puis passer le mois de décembre et une partie de janvier dans le comté de Carnarvon, et se rendre ensuite dans le comté de Merioneth… « Si j’ai fait quelque chose l’année dernière, a-t-il dit un soir à Pontycymmer, cette année davantage encore sera accompli ! » Nous allons voir ce qui est venu de nouveau arrêter son élan.

C’est dans le courant de sa tournée missionnaire à Anglesey qu’Evan Roberts s’est rencontré pour la première fois avec le fameux membre du Parlement, devenu depuis ministre, Mr Lloyd George. Désireux de faire la connaissance de Lloyd George et de l’entendre parler, Evan Roberts s’échappa un jour incognito et se rendit à Carnarvon où Lloyd George devait présider un meeting de révolte contre la loi scolaire (Education revolt convention). Mais la nouvelle de la venue de Roberts s’ébruita si bien qu’une grande foule vint l’attendre à la gare et le conduisit triomphalement chez le Lord Maire. Là, Evan Roberts et Lloyd George se rencontrèrent et Lloyd George supplia Evan Roberts de ne pas se rendre à la convention : autrement « elle se changerait instantanément en réunion de Réveil ». Evan Roberts se soumit.

La politique a rendu au Réveil sa politesse. Le parti libéral ayant convoqué une convention nationale à Carnarvon, le 28 décembre, pour déterminer la politique galloise dans le nouveau Parlement, le président du Conseil de l’Eglise libre galloise télégraphia à Mr Lloyd George que la date choisie coïncidait avec une Mission d’Evan Roberts dans la ville. Lloyd George répliqua qu’à aucun prix il ne voulait entrer en conflit avec la Mission d’Evan Roberts, qu’il considérait comme bien plus importante que n’importe quelle convention politique, et qu’il prenait des mesures, avec la pleine approbation du président du parti gallois, pour ajourner la réunion jusqu’à la semaine suivante.

Le Réveil a immédiatement rendu à la politique sa courtoisie. Après délibération entre le revivaliste et le bureau du Comité de la Mission centrale, — Comité qui s’était constitué pour organiser les tournées d’Evan Roberts, — il a été décidé qu’Evan Roberts allait suspendre la Mission qu’il comptait présider dans le Carnarvonshire et qu’il romprait tous les engagements auxquels il avait consenti — et ce, afin de ne pas nuire à la campagne électorale, dont la date ne pouvait naturellement pas être changée. Une lettre envoyée aux églises non conformistes à travers tout le pays annonçait que le Réveil était provisoirement arrêté, mais qu’il reprendrait quand la campagne électorale serait finie. Seulement, disait la lettre, la tournée qui avait été organisée est si prolongée et il reste encore tant de places à visiter, qu’Evan Roberts sent que la tension est trop grande pour qu’il puisse physiquement la supporter, à moins qu’on ne lui accorde des intervalles de repos plus grands qu’on ne l’avait d’abord arrangé. Evan Roberts désire aussi faire de plus longs séjours dans les centres visités et espère que ce désir sera pris en considération quand on fera des arrangements pour reprendre la tournée missionnaire (British Weekly, 4 janvier). Il paraît, ce que la lettre ne dit pas, qu’Evan Roberts a laissé voir qu’il était médiocrement satisfait de l’organisation du Comité de la Mission centrale. Il ne veut pas se laisser lier d’une manière si définie au papier ; il préfère sa première méthode — qui consistait à arranger ses voyages au jour le jour, suivant les demandes des localités, l’état de sa santé, et ces impulsions intérieures qu’il regarde comme sacrées (11 janvier, British Weekly).

Le Réveil a eu une indiscutable influence sur la campagne électorale : l’agitation politique et l’émotion religieuse s’y sont fondues et soudées d’une admirable et originale façon. Ceux qui se rappellent le tumulte et l’ivrognerie des élections dans le milieu du siècle dernier sauront apprécier le contraste. Dans telles villes ou tels villages du Pays de Galles, de grandes foules attendaient l’aube du jour en chantant des cantiques du Réveil : on raconte qu’une foule agitée et excitée fut calmée par une mélodie sacrée que quelqu’un avait entonnée au bon moment. Un grand nombre de ceux qui auraient pu jadis être achetés « n’étaient plus sur le marché », cette fois : le Réveil les avait changés. Un homme auquel on demandait de voter pour les conservateurs et qu’on cherchait à convaincre par le genre d’argument, c’est-à-dire de corruption, qui réussissait jadis, a répliqué : « Non, non, je vote avec la chapelle, cette fois ». Et Lloyd George, dont la majorité à Carnarvon s’était élevée jadis de 67 à 196, puis à 300 voix, a vu soudain — grâce au Réveil — sa majorité sauter de 300 à 1224 ! Encore un trait de l’alliance bien galloise de la vie politique et de la vie religieuse !

Mais une fois les élections terminées, le Réveil a-t-il réellement repris, comme on l’avait annoncé ?

Depuis janvier, Evan Roberts ne semble pas avoir recommencé ses tournées missionnaires ; du moins les journaux n’ont plus parlé de lui. La seule trace de son existence qui me soit tombée sous les yeux consiste dans un entrefilet du British Weekly (22 mars) qui signale sa présence à Gloucester : Evan Roberts y a assisté à deux services, mais n’a pas parlé. Le lendemain, il a visité les curiosités de la ville, entre autres la cathédrale, où il s’est assis à l’orgue pour jouer la mélodie Sandonh.

h – Celle sur laquelle on chante le cantique de Newman (n° 9 du recueil de l’Etoile : Un seul pas à la fois).

Il n’y a pas à dire, on est un peu déçu par la conduite d’Evan Roberts depuis la mission d’Anglesey, lorsqu’on prend en considération le nombre de localités qu’il n’a jamais visitées et qui attendaient impatiemment sa venue, et l’on se demande, sans vouloir préjuger l’avenir, si sa carrière de revivaliste n’a pas été sérieusement compromise :

1° Par la fatigue résultant des six mois de Réveil à jet continu ;

2° Par l’emploi peu judicieux des facultés télépathiques, qui a accru cette fatigue ;

3° Par toutes les excentricités de sa conduite à Liverpooli.

i – M. Elvet Lewis, grand admirateur et du Réveil gallois et d’Evan Roberts, avouait, le 7 décembre dernier, qu’Evan Roberts avait plutôt nui aux bonnes relations mutuelles des communautés galloises à Liverpool, et que les conversions de Liverpool s’étaient trouvées, à l’épreuve, les moins profondes et les moins durables de toutes celles qui se sont produites pendant tout le cours du Réveil.

4° Par les bruits relatifs aux fiançailles d’Evan Roberts avec Annie Davies, — bruits que ses pérégrinations répétées avec les jeunes filles revivalistes et sa prédilection visible pour Annie Davies étaient assez propres à faire naître à la longue.

On dirait, — ce n’est à coup sûr qu’une impression, et qui peut être erronée, — on dirait qu’après Liverpool, Evan Roberts était épuisé ; qu’il s’est un peu refait dans le repos de Capel Curig, assez pour présider la mission d’Anglesey, mais que cette mission triomphale, — dont le succès a peut-être été dû plus encore au souvenir de ce qu’Evan Roberts avait été jadis qu’à l’influence de ce qu’il était actuellement, — a été comme le dernier éclat d’une flamme sur le point de s’éteindre. Puisse cette impression se trouver entièrement démentie par les faits ! Nul ne s’en réjouira plus que nous.

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