Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre VI

Cinquième preuve, prise de l’application qu’on fait à Jésus-Christ des oracles de l’Ancien Testament qui marquent les caractères de la gloire de Dieu.

Mais voici qui achève de convaincre notre esprit, et de nous montrer en quel sens et de quelle manière les Juifs ont pu prendre les expressions des disciples de Jésus-Christ, qui tâchaient de faire un Dieu de leur maître ; c’est qu’ils n’ont pas fait difficulté de lui appliquer les oracles de l’Ancien Testament qui marquent les caractères les plus essentiels de sa gloire. Nous en avons déjà apporté plusieurs exemples que nous examinerons dans la suite dans le détail ; et nos adversaires eux-mêmes n’en disconviennent pas entièrement, puisqu’ils prétendent que ces oracles sont appliqués à Jésus-Christ par accommodation ou par allusion.

Or, il est étrange, il est tout à fait surprenant que les disciples osent faire de telles applications à Jésus-Christ, si Jésus-Christ n’est pas le vrai Dieu et le Dieu souverain.

Quand ils n’auraient été instruits que dans l’école de la nature, cela suffirait pour leur apprendre à ne pas faire à une créature l’application de choses qui ont été dites du Créateur exclusivement aux créatures, tels que sont ces oracles de l’Ancien Testament.

Car on n’a jamais vu que les hommes en aient usé de la sorte, sans avoir été suspects ou soupçonnés d’impiété et de profanation. Je sais bien que les païens n’ont pas été fort scrupuleux à cet égard ; car ils ne manquaient jamais d’abaisser Dieu, et d’élever les créatures en les revêtant de la gloire de Dieu ; et c’est là en quoi consiste principalement l’excès prodigieux de leur superstition ; mais l’exemple des païens ne doit pas être beaucoup considéré.

Que si vous regardez les disciples de Jésus-Christ comme ayant été instruits dans l’école des prophètes, on ne les soupçonnera jamais d’un tel égarement : car y a-t-il rien qui égale la circonspection des prophètes à cet égard ? Ils sont dans une appréhension continuelle que l’on ne confonde le Créateur avec la créature ; dans cette juste crainte, ils n’ont garde d’appliquer à celle-ci les caractères les plus essentiels de la gloire de celui-là.

Au reste, les descriptions que les apôtres font de Jésus-Christ, ne sont pas assurément plus sacrées que celles que les prophètes avaient faites du Dieu souverain. Comme donc on n’oserait appliquer à un autre les descriptions de Jésus-Christ, il semble que la même raison doit nous empêcher d’appliquer à Jésus-Christ les descriptions du Dieu souverain.

On accuserait justement d’impiété un homme qui traiterait quelque apôtre, saint Pierre, par exemple, de Fils unique de Dieu, qui le nommerait l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, notre Roi, notre Prophète, notre Sacrificateur, Sacrificateur éternel selon l’ordre de Melchisédec, le Prince de paix, le Père de l’Éternité, Emmanuel, Dieu avec nous, Jésus ou Sauveur, Christ ou l’oint de Dieu, la Parole éternelle, le Sauveur du monde, le Saint des Saints, le Roi des siècles, l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin, le lion de la tribu de David, le Fils de Dieu, son Fils unique, son propre Fils.

On ne pourrait souffrir qu’un homme dit de saint Pierre qu’il a racheté l’Église par son sang, qu’il nous a sauvés, qu’il nous a rachetés, qu’il a fait l’expiation de nos péchés, qu’il les a portés sur la croix, qu’il n’y a maintenant nulle condamnation pour ceux qui sont en saint Pierre, et qui ne vivent point selon la chair, mais selon l’esprit ; que Pierre habite dans nos cœurs par la foi ; qu’il n’y a point d’autre nom que le sien par lequel il nous faille être sauvés ; que par son sang il a rompu la paroi mitoyenne, et nous a approchés de Dieu lorsque nous étions loin ; qu’il nous a, été fait de par Dieu justice, sagesse, sanctification et rédemption ; qu’il a été fait malédiction pour nous, afin que nous fussions justice de Dieu en lui ; que par son sang nous avons accès au trône de Dieu ; que par sa mort il a détruit celui qui avait l’empire de la mort, à savoir, le diable.

N’est-il pas vrai que vous regarderiez un homme qui parlerait ainsi de saint Pierre, comme un impie et comme un blasphémateur ? Cet homme aurait beau vous dire avec cela, que saint Pierre est moindre que Jésus-Christ, cela ne vous satisferait pas ; et vous auriez raison de lui reprocher que cet aveu le condamne et le couvre de confusion, puisque en cela il se contredit ouvertement, et devient impie après avoir confessé la vérité.

On aurait beau l’excuser en disant que l’application qu’il fait des caractères et des attributs principaux de Jésus-Christ à saint Pierre, n’est faite que par allusion, par accommodation, et par une application imparfaite et hyperbolique qu’il ne faut point presser à la rigueur ; vous répondriez avez raison que si c’est une allusion, c’est une allusion impie ; si c’est une accommodation, une accommodation profane ; et si c’est une application, une application pleine de blasphème, et que les allusions, les accommodations ou les applications, quelles qu’elles soient, ne peuvent manquer de porter ce nom, lorsqu’elles font naturellement la même impression.

Mais si vous regardez comme un blasphème l’application que quelqu’un ferait des caractères et des attributs principaux de Jésus-Christ à un grand apôtre comme saint Pierre, il faut demeurer d’accord que c’est un plus grand blasphème encore de faire à Jésus-Christ l’application des caractères et des attributs de l’Être souverain, s’il est vrai que Jésus-Christ ne soit pas d’une même essence avec lui.

Ce sera donc, dans cette supposition, une exécrable impiété de dire qu’il a fondé la terre, et que les cieux sont l’ouvrage de ses mains ; qu’il sonde les reins, et qu’il est le scrutateur des cieux ; qu’il est le Seigneur, l’Éternel, Jéhova ; aimant la justice, et haïssant l’iniquité ; le Dieu qui vient apportant la récompense et le salut, le Dieu béni, le Dieu qui est entre les chérubins au sanctuaire comme en Sina, le Dieu de notre salut, le souverain, le Seigneur qui étend les cieux, et qui fonde la terre, et qui forme l’esprit de l’homme en lui ; le Seigneur vers lequel doivent regarder les bouts de la terre, et devant lequel tout genou doit se ployer, et auquel toute langue doit donner louanges ; celui qui appelle les générations dès le commencement ; le Seigneur, le roi d’Israël, son Rédempteur ; le Dieu des armées, notre crainte et notre épouvantement. Car on ne peut nier que les apôtres ne donnent tous ces titres à Jésus-Christ, lorsqu’ils disent que c’est Jésus-Christ qui est décrit dans ces oracles, ou que c’est de Jésus-Christ que les prophètes ont voulu parler dans ces magnifiques descriptions.

En vérité, si la disproportion qui est entre Jésus-Christ et saint Pierre est grande, celle qui est entre Jésus-Christ et le Dieu souverain est plus grande encore dans le principe de nos adversaires, puisque celle-là est bornée, et que celle-ci est infinie ; et par conséquent, si l’on ne peut, sans blasphème, attribuer à saint Pierre les caractères les plus essentiels de la gloire de Jésus-Christ, on ne peut, sans un blasphème infiniment plus grand encore, appliquer à Jésus-Christ les caractères les plus essentiels et les plus incommunicables de la gloire de Dieu.

Cela paraîtra plus évident encore, si nous faisons une seconde supposition ; c’est que cet homme qui ferait de telles applications à saint Pierre, sût qu’on a déjà agité cette question dans des occasions célèbres, si saint Pierre est égal à Jésus-Christ, et qu’il prévit que cette erreur deviendrait générale dans le monde, et que pendant plusieurs siècles on confondrait saint Pierre avec Jésus-Christ, le Sauveur et le Rédempteur du genre humain. Je dis qu’en ce cas-là un tel homme est coupable d’une prodigieuse impiété, d’oser faire à saint Pierre des applications des caractères de Jésus-Christ, qui doivent être d’une si dangereuse et si funeste conséquence.

Il n’y a rien de si facile que d’appliquer tout cela aux apôtres : ceux-ci ne pouvaient ignorer que la question, si Jésus-Christ était égal et semblable à Dieu, avait été déjà agitée, et même que c’est sous le prétexte de ce prétendu blasphème que les Juifs avaient persécuté Jésus-Christ. Ils n’ignoraient point, eux qui prévoyaient qu’il s’élèverait de faux docteurs aux derniers temps, et qui en caractérisaient la doctrine, que les chrétiens tomberaient dans cette erreur, de confondre Jésus-. Christ avec le Dieu souverain. Comment donc, avec cette double connaissance, les apôtres ont-ils pu, sans une impiété manifeste, appliquer à Jésus-Christ les oracles de l’Ancien Testament, qui expriment la gloire du Dieu souverain, et surtout, ce qui est infiniment remarquable, ces oracles qui expriment la gloire du Dieu souverain exclusivement à celle de ses créatures ?

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