Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre IV

Suite de la même preuve.

Il faut connaître, en troisième lieu, que Jésus-Christ porte dans l’Écriture les titres les plus éminents de la Divinité. Il avait été dit de Dieu : Toi seul es le Très-Haut. Zacharie appelle Jésus-Christ le Très-Haut, devant la face duquel son fils devait marcher. La majesté de Dieu était marquée dans les anciens oracles par le titre de roi de gloire ; Jésus-Christ est appelé dans l’Écriture du Nouveau Testament le Seigneur de gloire : « ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de gloire » (1 Corinthiens 2.8). Dieu avait été appelé le Saint, c’est-à-dire le Saint par excellence, par la bouche des prophètes : c’est le trois fois saint d’Esaïe ; Tu es le seul Saint (Apocalypse 15.4). Jésus-Christ est appelé par les auteurs sacrés le Saint et le Véritable, comme il est nommé le Rédempteur, le Sauveur, le Prince ou le Roi des Rois, et le Seigneur des Seigneurs, le premier et le dernier, celui qui est vivant aux siècles des siècles, etc., qui sont tous les titres de l’Être suprême.

Il faut ajouter à cela que Jésus-Christ, selon les idées de cette Écriture, est un avec Dieu, égal avec Dieu, le même que Dieu. Un avec Dieu ; car Jésus-Christ nous le fait assez clairement entendre lorsqu’il nous dit : Moi et le Père sommes un. Et il ne faut pas nous objecter ici qu’il est incertain s’il s’agit en cet endroit d’une unité de nature, ou d’une unité de concorde, ou même que l’unité de concorde semble avoir plutôt lieu ici que l’unité de nature, parce que Jésus-Christ nous exhorte ailleurs à être un avec lui, comme il est un avec son Père : de sorte que, comme nous ne sommes un avec Jésus-Christ, que d’une unité de concorde et de consentement, et point du tout d’une unité d’essence et de nature, nous pouvons conclure que Jésus-Christ n’est point un avec son Père d’une unité de nature, mais d’une unité de concorde. Cette difficulté n’ôte rien de la force de notre preuve ; car comme lorsque Jésus-Christ nous exhorte à être parfait comme notre Père qui est aux cieux est parfait, nous n’entendons pas ses paroles à la rigueur, et ne croyons point que Jésus-Christ nous ordonne d’être aussi parfaits que Dieu, mais seulement de prendre la sainteté de Dieu pour le modèle de nos actions, et de l’imiter autant que cela se peut, et que nous en sommes capables : ainsi, lorsque Jésus-Christ nous ordonne d’être un avec lui, comme il est un avec son Père, il ne prétend pas nous dire que notre communion avec lui doit être aussi forte et de la même nature que son unité avec son Père, car cela n’est point possible et la pensée en serait extravagante : il veut dire seulement que son unité avec le Père doit être comme le modèle de la communion que nous devons avoir avec lui, mais un modèle de ressemblance, et non pas un modèle d’identité, s’il est permis de parler ainsi. Au reste, quel que soit le sens de ces paroles : Soyez un, comme moi et le Père sommes un, il est toujours raisonnable de penser que lorsqu’en saint Jean, chap. 10, Jésus-Christ dit : Moi et le Père sommes un, il l’entend d’une unité d’essence ou de nature. Car ayant protesté dans les versets précédents, que ses brebis ne périront jamais, et que nul ne les ravira de sa main, il ajoute : Moi et le Père sommes un, pour confirmer cette pensée, c’est-à-dire évidemment : Nous sommes un d’une unité de puissance. Or, qui dit que deux sont un d’une unité de puissance, dit aussi par nécessité qu’il sont un d’une unité d’essence et de nature. Un homme ordinaire peut être un avec Dieu d’une unité de consentement ; il n’a qu’à se soumettre aux ordres de sa providence : mais il ne sera point pour cela en état ni en droit de dire : Ceux-ci ou ceux-là ne périront jamais. Nul ne les ravira de ma main. Car moi et le Père sommes un. Ce langage serait insensé, parce qu’il signifie naturellement une unité d’essence et de vertu qui ne convient en aucune sorte à cet homme dont nous parlons. Mais ce qui nous ôte toutes sortes de doutes sur ce sujet, est que cette expression est soutenue par mille autres expressions qui l’expliquent.

Je mets en ce rang l’égalité avec Dieu que l’Écriture attribue à Jésus-Christ. Je veux que dans ces paroles : II n’a point réputé à rapine d’être égal à Dieu,a cette expression, il n’a point réputé à rapine, soit obscure ou équivoque : il est toujours vrai que l’Écriture attribue à Jésus-Christ une espèce d’égalité avec son Père ; et quelle que soit cette égalité, elle nous montre invinciblement que Jésus-Christ est un avec son Père, non simplement d’une unité de consentement, car pour être un avec Dieu de cette espèce d’unité, il n’est pas nécessaire d’être égal à lui, mais d’une unité d’essence et de nature ; car autrement, l’oracle de Dieu parlant par les prophètes subsiste toujours : Qui est semblable à moi ? Tout ce qu’on dit sur ce sujet pour prévenir cette preuve, ne sert de rien. On dit que c’est là une égalité figurée et hyperbolique. Mais a-t-on bien remarqué qu’encore que les écrivains sacrés emploient quelquefois l’hyperbole, ce n’est jamais lorsque cette figure peut intéresser la gloire de Dieu, en faisant un indigne parallèle du Créateur avec la créature ? Quelques-uns ont dit que Jésus-Christ était égal avec Dieu, parce que Dieu le Père l’avait élevé jusqu’à son égalité. Mais on ne sait ce qu’on dit quand on parle de la sorte. Il implique contradiction que Dieu élève quelqu’un à son égalité, parce qu’il ne peut élever quelqu’un sans qu’il lui soit supérieur ; et que d’ailleurs, la gloire que le Dieu souverain a d’être le Dieu souverain, est incommunicable à quiconque n’est point d’une même essence avec lui. Au reste, il est extrêmement important de remarquer que ces idées, un avec Dieu, égal avec Dieu, être le propre Fils de Dieu, et être Dieu, sont à peu près les mêmes dans le style de l’Écriture, et c’est pourquoi rien ne nous empêche de les expliquer les unes par les autres. Car quand Jésus-Christ dit devant les Juifs que lui et le Père sont un, les Juifs prennent des pierres et veulent le lapider. Et lorsque le Sauveur du monde leur demande la cause de ce mauvais traitement, il répondent : Nous ne te lapidons point pour quelque bonne œuvre, mais parce que toi étant homme tu te fais Dieu. Vous voyez bien qu’ils prennent pour une même chose être un avec le Père et être Dieu. Il est bon aussi de remarquer qu’ils n’accusent point Jésus-Christ de se dire le Fils de Dieu dans un sens figuré. Ils n’auraient pas tant fait de bruit, s’il ne se fût agi que d’un homme qui se disait Fils de Dieu par métaphore et par adoption. Car ils prétendraient l’être eux-mêmes dans ce sens. Nous avons, disaient-ils, un père qui est Dieu. Ils entendaient sans doute autre chose que cela, lorsqu’ils disaient : Nous avons une loi et selon cette loi il doit mourir, car il s’est fait Fils de Dieu. Ils s’expliquent aussi, et accusent Jésus-Christ de se faire égal et semblable à Dieu. Et en effet, l’idée naturelle de fils propre, de fils unique de fils par nature, emporte une espèce d’égalité qui est une égalité d’essence et de nature, et l’on ne peut concevoir que Jésus-Christ soit engendré proprement du Père éternel, sans concevoir que le Père éternel lui communique sa substance, comme dans les générations ordinaires et proprement dites, un père communique sa vie et sa substance à son fils. Or, Dieu communique toute sa substance, ou une partie de sa substance. Il ne communique pas à Jésus-Christ une partie de sa substance, puisque la substance de Dieu est indivisible.

a – Ancienne manière de traduire Philippiens 2.6, que l’on trouve dans la Bible Martin, par exemple. (ThéoTEX)

Il faut donc qu’il la lui communique toute entière, et qu’ainsi le Fils soit d’une même essence ou d’une même substance que le Père. On me dira que ces idées sont littérales : j’en conviens, et on ne dispute pas ici de la chose en elle-même, mais de la pensée que pouvaient avoir les Juifs lorsqu’ils entendaient Jésus-Christ qui se disait le propre et le véritable Fils de Dieu. Je dis qu’il ne faut pas s’étonner que, prenant ses paroles dans un sens littéral, ils crussent entendre que Jésus-Christ se faisait égal et semblable à Dieu : mais ce qui montre qu’ils ne se trompaient point dans la pensée qu’ils avaient en cela, c’est que Jésus-Christ ne se met point en peine de les désabuser, et l’Évangéliste ne supplée point en cela au silence de Jésus-Christ, comme lorsqu’il dit au sujet du Temple : qu’il parlait du temple de son corps, et au sujet des disciples qui croyaient que Jean ne mourrait pas, trompés par le mauvais sens qu’ils donnaient aux paroles du Fils de Dieu. L’Évangéliste ne dit rien pour nous faire voir que les Juifs prenaient les paroles de Jésus-Christ dans un mauvais sens ; et cependant ce silence engagerait dans l’impiété et dans l’idolâtrie.

Il est vrai qu’on nous objecte ici que Jésus-Christ semble répondre à cette objection, et lever cette difficulté, lorsqu’il dit aux Juifs, que puisque leur loi donnait aux hommes le titre de dieux, ils ne devaient pas être surpris qu’il prît la qualité de Fils de Dieu, lui que le Père avait sanctifié. Car, premièrement, nos adversaires eux-mêmes sont contraints d’avouer que Jésus-Christ ne s’explique pas entièrement par cette réponse. Ils demeurent d’accord que Jésus-Christ est Dieu dans un sens plus éminent que ceux desquels il a été dit : Vous êtes dieux, mais vous mourrez comme des hommes ; et si l’on voulait prouver que Jésus-Christ n’est le Fils de Dieu que dans le même sens que ceux-là ont été appelés dieux, nos adversaires s’opposeraient les premiers à cette conclusion. D’ailleurs, il est bon de savoir que Jésus-Christ répond en trois manières à ceux qui lui parlent. Il répond à leurs paroles, à leurs pensées, ou à leurs besoins. Nous en pouvons donner des exemples tirés de la matière dont il s’agit ici. Il répond à leurs paroles lorsqu’il satisfait aux demandes qu’on lui fait, et qu’il répond, par exemple, à cette question : Es-tu le Fils de Dieu ? Je le suis. Il répond à leurs pensées, comme lorsqu’il répond à celui qui lui avait dit : Maître qui est bon, etc. Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a qu’un bon, à savoir, Dieu. Car comme Jésus-Christ sait » ce qui se passe dans le cœur de celui qui l’interroge, il voit bien que cet homme le prend seulement pour un rabbin, pour un docteur de la loi, et c’est sous cette idée qu’il ne veut point être traité de bon. Car d’ailleurs, étant connu pour ce qu’il est, il ne trouvera point mauvais qu’on le traite de bon, puisqu’il se donne lui-même cette qualité lorsqu’il nous dit : Apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de cœur, et vous trouverez du repos dans vos âmes. Enfin, il répond aux besoins de ceux qui lui parlent, lorsque voyant les Juifs qui l’accusaient de blasphème parce qu’il s’était dit le Fils de Dieu, c’est-à-dire comme ils l’entendaient, le Fils propre de Dieu, ou comme ils s’expliquent eux-mêmes, égal et semblable à lui ; il ne répond point directement à leurs paroles, ni même à leurs pensées ; il ne leur dit point qu’ils se trompent dans le sens qu’ils donnent à ses paroles ; il ne leur déclare point s’il est ou s’il n’est pas égal et semblable à Pieu ; mais il répond à leurs besoins, et en quelque sorte à leurs dispositions. Vous êtes scandalisés, veut-il dire, de ce que je me suis dit le Fils de Dieu. Si c’est le mot qui vous choque, vous devez savoir que de simples hommes sont nommés dieux dans votre loi. Si c’est la chose, vous devez considérer que c’est moi que le Père a sanctifié ; et puisque vous lisez les prophètes, vous devez savoir qui est ce Fils que le Père sanctifie. Il y a en ceci un sage ménagement de Jésus-Christ, qui sait bien que son heure n’est pas encore venue pour souffrir la mort, et qui ne répond point par cette raison directement aux paroles de ses ennemis, en leur disant : Il est vrai, je suis semblable à Dieu, sachant bien que cette réponse les aurait remplis de fureur. Mais que fait-il ? Il voit qu’ils affectent de faire paraître du zèle et de la jalousie pour la loi de Moïse ; il les renvoie à cette loi. Et lorsqu’ils disent : Nous avons une loi, et selon cette loi, cet homme doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu ; il répond : Allez consulter votre loi, et vous saurez que celui que le Père a sanctifié, mérite d’être appelé le Fils de Dieu, mieux que ceux qui ont été appelés dieux dans votre loi.

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