Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre V

Où l’on continue de montrer que Jésus-Christ s’est revêtu des caractères de la gloire du Dieu souverain.

Je ne sais si on nous permettra ici une digression : mais elle paraît nécessaire. On ne peut trouver rien de plus opposé que l’état des Juifs qui accusaient Jésus-Christ de blasphème, et celui des Juifs qui applaudissaient à Hérode, en lui disant : Voix de Dieu, et non point d’homme. Cela étant, il faut de nécessité, quand on justifie les uns, condamner les autres. Les premiers ne veulent point que Jésus-Christ se fasse Dieu parce qu’il est homme. Les autres ne veulent point qu’Hérode parle comme un homme ; ils lui attribuent une voix de Dieu. Si le ciel condamne l’impiété de ceux-ci jusqu’à punir exemplairement Hérode pour n’avoir point rejeté leurs applaudissements pleins de blasphème, il semble qu’il doit nécessairement approuver le langage que ceux-là tiennent lorsqu’ils ne peuvent souffrir que Jésus-Christ, étant homme, se fasse égal et semblable à Dieu ; et s’ils se trompent en prenant ses paroles dans un mauvais sens, Jésus-Christ doit les redresser, en leur donnant l’explication véritable des termes dont il se sert. Que si Jésus-Christ ne veut point les redresser à cause d’eux-mêmes, du moins l’a-t-il dû faire pour l’amour de nous, et pour ne laisser point à ceux qui liraient son Évangile cette opinion impie, qu’il s’égalait au Dieu souverain. Et s’il n’a pas voulu s’expliquer plus clairement, ses disciples ont dû marquer nettement le sens de ses paroles lorsqu’ils les ont rapportées.

Mais tant s’en faut que cela soit. Les disciples du Seigneur qui savent ces choses, puisque c’est d’eux que nous les avons apprises, et qui n’ignorent point que Jésus-Christ a été condamné, accusé d’avoir voulu abolir la loi de Moïse, et d’avoir blasphémé contre la majesté souveraine de Dieu, en se faisant égal et semblable à Dieu, le justifient au premier égard, et ne nous laissent aucun doute là-dessus, en nous marquant distinctement en quel sens Jésus-Christ a aboli la loi, et en quel sens il l’a accomplie. Mais pour le dernier, non seulement ils ne le justifient point du crime d’impiété, mais il semble qu’ils n’écrivent ensuite que pour confirmer cette accusation. Car, sachant ce qui se passe, ils lui donnent après sa résurrection des titres qu’il n’a jamais pris pendant sa vie. N’est-ce pas, en effet, autoriser le reproche des Juifs, que de prononcer comme fait saint Paul, que Jésus-Christ n’a point réputé à rapine d’être égal à son Père ?

Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’à l’égalité avec Dieu ils ajoutent l’identité avec Dieu, s’il est permis de parler ainsi, en disant de Jésus-Christ tant de choses qui n’avaient été dites que du Dieu souverain, et qui ne peuvent être appliquées à aucun autre sans autant d’extravagance que d’impiété, comme cela a été déjà remarqué.

Mais afin que nous n’en puissions point douter il faut remarquer que les apôtres le nomment Dieu après tant de raisons invincibles de s’abstenir de l’appeler ainsi. En cela, dit saint Jean, nous avons connu la charité de Dieu, c’est qu’il a mis son âme pour nous. Le nom de Dieu ne suffisait point, il a fallu le relever par des épithètes qui ne conviennent qu’au Dieu souverain. Il est donc appelé le vrai Dieu, le grand Dieu, le Très-Haut, Dieu sur toutes choses, le Seigneur (c’est l’expression par laquelle les Septante rendent les plus augustes noms de Dieu), le Seigneur de gloire, notre Seigneur et notre Dieu, le Seigneur, le Dieu des Israélites, le Roi des rois, et le Seigneur des seigneurs ; celui qui était, qui est, et qui est à venir. Et voilà par quels titres les apôtres détruisent le soupçon, plutôt l’accusation formelle et solennelle dressée contre lui à la face de tout l’univers, d’avoir voulu s’égaler au Dieu souverain.

Pour le nom de Seigneur, on convient qu’on le donne à Jésus-Christ, et on demeure d’accord qu’il n’y a que Dieu le Père qui le porte avec lui dans le style des écrivains sacrés. Ainsi, voilà incontestablement un nom qui n’était donné qu’à l’Être souverain, donné à Jésus-Christ. Je dis Seigneur, sans rien ajouter ; ce qui signifie le Seigneur par excellence.

Mon Seigneur et mon Dieu, est un titre que Thomas lui donne après sa résurrection ; et il ne faut point dire avec nos adversaires, que lorsque Thomas parle ainsi il s’adresse au Père éternel par une espèce d’apostrophe. On voit par l’Évangile qu’il parle à Jésus-Christ ; car le texte porte ces propres mots : Il répondit et lui dit, mon Seigneur et mon Dieu ; et le pronom que nous traduisons par lui, se rapporte sans difficulté à Jésus-Christ qui lui avait parlé, et à qui Thomas répondit.

Le Seigneur de gloire peut-être considéré comme expression parallèle à celle-là. Le Roi de gloire est dans le style des prophètes un titre appartenant au Dieu souverain. Le Seigneur de gloire, et le Roi de gloire, ne sont que la même expression : cependant c’est par ce titre que les apôtres caractérisent Jésus-Christ : S’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de gloire, etc. A quoi il faut ajouter le titre de Roi des rois, et Seigneur des seigneurs (Apocalypse 19.16), que Jésus-Christ nous est représenté ayant sur sa cuisse. Ce roi, ou ce Seigneur de gloire, c’est le Très-Haut, ou le Souverain dont parle Zacharie. Tu marcheras devant la face du Souverain ; et celui devant la face duquel Jean-Baptiste a marché, c’est Jésus-Christ.

Cela nous montre aussi que Jésus-Christ est appelé le Dieu des Israélites dans l’Écriture. Car Zacharie continue ainsi sa prophétie : Et il convertira plusieurs des enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu, et il marchera devant lui (c’est-à-dire devant le Seigneur leur Dieu) en l’esprit et en la vertu d’Elie. Celui devant lequel Jean-Baptiste devait marcher n’est donc pas seulement appelé le Dieu Très-Haut, il est nommé encore le Seigneur leur Dieu, ou le Dieu des Israélites. Car c’est de celui-ci qu’il s’agissait.

Jésus-Christ est appelé le vrai Dieu. Mais nous savons, dit saint Jean, que le Fils de Dieu est venu, et nous a donné entendement pour connaître celui qui est le véritable ; et nous sommes au véritable, à savoir, en son Fils Jésus-Christ. Il est le vrai Dieu et la vie éternelle. Nous ne réfutons point l’interprétation de ceux qui rapportent ces paroles : Il est le vrai Dieu, au Père, et non pas au Fils, parce que nous l’avons assez réfutée en rapportant les paroles du texte.

Il est nommé le grand Dieu par saint Paul écrivant à Tite. Car, dit-il, la grâce de Dieu salutaire à tous les hommes est apparue, nous enseignant qu’en renonçant à l’infidélité et aux convoitises mondaines, nous vivions en ce présent siècle sobrement, justement et religieusement, attendant la bienheureuse espérance et l’apparition de la gloire du grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ. L’article qui est mis devant le grand Dieu, et qui convient au Sauveur, est dans l’original une marque certaine que ces deux termes s’entendent de la même personne, et que c’est Jésus-Christ qui est appelé Sauveur et grand Dieu tout ensemble. Car l’épithète de grand tombe sur le terme de Sauveur, aussi bien que sur celui de Dieu ; ce qui fait que l’article grec (τοῦ μεγάλου Θεοῦ καὶ σωτῆρος, Tite 2.13) est mis devant l’épithète de grand, et non pas devant celui de Dieu, et qui répond à une petite objection de grammaire que nos adversaires font à cet égard.

Jésus-Christ est appelé Dieu sur toutes choses, béni éternellement. Car, dit saint Paul, je souhaiterais moi-même être séparé de Christ pour mes frères, qui sont mes parents selon la chair, lesquels sont Israélites, auxquels est l’adoption et la gloire, et les alliances, et l’ordonnance de la Loi, et le service divin, et les promesses ; desquels sont les Pères, et desquels Christ est descendu selon la chair ; lequel est Dieu sur toutes choses, béni éternellement. Il est aisé de connaître la furieuse passion qu’on a eu d’éviter la force du passage, puisqu’on a bien osé soutenir que ces paroles, lequel est Dieu sur toutes choses, béni éternellement, se rapportaient à Dieu le Père, quoiqu’il n’en soit pas même fait mention dans les versets précédents, qui font le commencement de ce chapitre qui commence ainsi : Je dis vérité en Christ, etc., et qu’il soit évident que Christ est le nom auquel se rapporte le pronom lequel.

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