Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre VI

Que la religion chrétienne ne peut être distinguée de la superstition, ni de la fiction, ni même de la magie, si Jésus-Christ n’est pas Dieu béni éternellement.

Il n’est rien de si aisé, après cela, que de justifier de la religion chrétienne ce que nous avons déjà fait voir de la religion judaïque ; c’est que si l’on suppose le principe de nos adversaires véritable, elle ne peut passer que pour une idolâtrie et pour une superstition, une comédie et une farce destinée à jouer Dieu et à tromper les hommes, et un commerce avec quelque esprit de ténèbres qui aura autorisé l’impiété et le blasphème : idées extravagantes et pleines d’horreur.

Je dis que la religion chrétienne serait une véritable idolâtrie. Car en quoi consiste l’idolâtrie, si ce n’est à confondre la créature avec le Créateur ? Et qu’est-ce que confondre la créature avec le Créateur, si ce n’est revêtir celle-là de la gloire la plus propre et la plus essentielle de celui-ci ?

Hérode a été idolâtre pour avoir seulement permis qu’on s’écriât, voix de Dieu, etc., par un certain emportement d’admiration, qui n’empêchait pas qu’en effet on ne le prit bien pour un homme. Ceux qui jetaient un grain d’encens devant l’idole étaient coupables d’idolâtrie, encore qu’ils le fissent à regret. On ne pouvait jurer par la tête de l’empereur sans être coupable de ce même crime, bien qu’aucun ne s’imaginât que l’empereur fût un Dieu pour cela. Ç’aurait été le comble de l’idolâtrie de lui donner le nom de Dieu, et de lui déférer des honneurs divins, comme firent les Romains en quelques occasions. D’où vient cela ? c’est que l’idolâtrie ne consiste pas seulement à donner à la créature tout ce qu’on donne au Créateur, mais simplement à lui donner quelque chose de ce qui est propre à ce dernier. Or, ici les écrivains sacrés n’attribuent pas seulement à Jésus-Christ une partie de ce qui convient au Dieu souverain, mais ils s’accordent à lui attribuer tous les caractères les plus propres et les plus essentiels de sa gloire la plus incommunicable. Ils lui attribuent les ouvrages, et les plus grands ouvrages de Dieu, sa puissance, sa sagesse, sa bonté, son éternité, etc., ses titres, ses noms, sa gloire : et quel moyen de confondre mieux la créature avec le Créateur ?

On ne répondra point quand on dira qu’encore que les écrivains du Nouveau Testament parlent de Jésus-Christ comme d’une personne qui participe en quelque sorte à la gloire de la Divinité, il suffit que Jésus-Christ nous déclare qu’il est moindre que son Père, pour ne pouvoir pas être raisonnablement accusé d’avoir voulu se confondre avec lui. Cela est entièrement faux. Un homme qui aime avec excès l’or et l’argent, dit pendant toute sa vie que Dieu est le souverain bien, et qu’il vaut mieux que les richesses, sans laisser pour cela de, préférer les richesses à Dieu, et de devoir pour cette raison être appelé idolâtre. Un homme qui se ferait adorer en s’attribuant tous les noms et tous les titres de Dieu, ne laisserait point d’être idolâtre, encore qu’il reconnût que Dieu est plus, grand que lui. Ou, pour choisir une comparaison qui soit plus de l’usage ordinaire, un homme qui s’attribuerait sans façon tous les ouvrages du roi, qui prendrait tous ses titres, qui se dirait d’ailleurs le vrai roi, le grand roi, le souverain, le seigneur dans l’État à qui tout obéit, etc., qui se ferait traiter de majesté, et exigerait des hommages qu’on n’aurait jamais rendus qu’au monarque, serait coupable assurément du crime de lèse-majesté, quand bien il lui serait arrivé de dire une fois que le roi est plus grand que lui.

Et cela nous conduit à penser que, dans cette hypothèse, la religion ne serait pas seulement une idolâtrie, mais une comédie ou une farce impie destinée à jouer Dieu, et à tromper les hommes. Car, en effet, on peut dire (j’ai horreur de ce blasphème) que Jésus-Christ paraîtrait dans l’Église à peu près comme un comédien sur le théâtre, qui prend tous les noms et tous les titres d’un monarque, qui s’en attribue les ouvrages, et qui en exige les hommages, sans pourtant qu’il soit en effet ce qu’il paraît être aux yeux des spectateurs. Il y aurait pourtant cette différence entre l’un et l’autre : c’est qu’au lieu que quand on joue les pièces de théâtre pour divertir le public, un comédien qui joue le rôle de prince et de souverain, ne prétend pas que le jeu devienne une réalité, ni que les spectateurs lui rendent des hommages après la représentation, ni même qu’ils soient en effet persuadés qu’il est roi pendant que la pièce dure : que s’il le prétendait, il serait par là même digne du dernier supplice. Ici, au contraire, on trouverait une espèce de farce ou de comédie, ou un simple homme se dirait Dieu, le vrai Dieu, le grand Dieu, le Dieu fort, et serait adoré en cette qualité sans l’être véritablement, sans qu’il y eût aucun jeu de la part des hommes, qui le confondraient sérieusement avec le Créateur, et le diraient égal au Père, et Dieu sur toutes choses béni éternellement, étant tous séduits par les apôtres qui seraient les premiers auteurs de cette dangereuse et criminelle fiction.

Il est certain que la religion se change en comédie dans les hypothèses de nos adversaires. Vous y trouvez un Dieu représentatif, un enfer imaginaire (car où est l’enfer, si les âmes des méchants s’anéantissent, comme c’est leur sentiment) ; une satisfaction qui n’est qu’en apparence, un sacrifice métaphorique, des menaces illusoires, etc. Mais cette considération n’est point de ce lieu.

Que si l’on dit ici que les miracles que Jésus-Christ a faits sont de vrais miracles, et non pas des merveilles artificielles, comme celles qui accompagnent les représentations de théâtre, on ne nous ôtera cette première pensée que pour nous en donner une beaucoup plus horrible.

En effet, quels sont ces miracles qui sont opérés par un homme qui aurait entrepris de se placer sur le trône de la divinité ? Si Jésus-Christ est un impie et un sacrilège, comme il l’est sans doute s’il usurpe la gloire de Dieu, on ne trouve plus en lui ni humilité, ni justice, ni véritable charité, ni zèle, ni piété. Toutes ces vertus s’effacent et s’éclipsent par cette supposition, et l’on doit mettre en leur place l’orgueil, l’injustice, le sacrilège, l’impiété, la séduction. Or, comme les miracles accompagnés de sainteté sont le caractère de l’Esprit de Dieu, les miracles autorisant l’impiété ne peuvent être regardés que comme l’ouvrage de l’Esprit des ténèbres.

On dira peut-être ici que les miracles de Jésus-Christ paraissent divins par leur propre caractère, parce qu’il paraît qu’ils sont élevés au-dessus de la puissance de toutes les créatures ; mais cela ne satisfera point. Jésus-Christ n’a rien fait de plus grand que de ressusciter les morts. Cependant ce miracle séparé de sa sainteté ne sera pas capable de nous persuader qu’il eût une vocation céleste ; et lorsque nous nous souvenons que la Pythonisse fait sortir Samuel de son tombeau, et le fait paraître devant Saül par le commerce qu’elle avait avec l’Esprit des ténèbres, nous ne croirons pas que la résurrection d’un mort suffit pour nous convaincre par ses propres caractères, et pour vaincre le scandale que nous donnerait l’impiété d’un homme qui usurperait la gloire de Dieu. Mais ne salissons pas davantage le papier de ces suppositions si horribles. Nous en avons assez dit pour faire voir dans quels effroyables abîmes nous conduit le principe de nos adversaires ; et rien, à mon avis, n’est plus évident désormais que l’étroite et essentielle union qui est entre la vérité de la religion chrétienne et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, qui est d’une même essence avec son Père. C’est le grand principe que nous avions dessein de prouver. Mais il ne suffit point d’avoir établi la doctrine, il faut répondre aux objections qu’on nous fait contre elle, et c’est à quoi nous destinons la sixième et dernière section, qui sera un peu plus étendue que les précédentes.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant