Traité de la vérité de la religion chrétienne

3. Troisième tableau de la religion chrétienne, que l’on considère dans ses effets.

On peut distinguer quatre espèces de sociétés, dans lesquelles il nous est permis de reconnaître l’efficace de la religion : la société de la nature, celle de la politique, celle du vice, et celle de la religion.

La société de la nature est innocente et légitime, mais elle n’est point à l’épreuve des passions. Les hommes demeurent unis lorsqu’il s’agit de choses indifférentes, mais la cupidité les divise bientôt. Cette société avait besoin d’être réparée. La société de la corruption est essentiellement criminelle ; il fallait détruire l’intérêt et les passions qui la forment ; celle de la politique est violée par les procès, les dissensions et les guerres que les passions font naître ; il était nécessaire de la soutenir, en établissant des principes de fidélité qui ne pussent être violés. La société de la religion devait être la plus parfaite de toutes, comme soutenant les autres ; elle devait être à l’épreuve de tous les accidents et de toutes les révolutions, et assembler des personnes que la distance des temps et des lieux et l’éloignement des intérêts auraient éternellement divisées.

La religion chrétienne rétablit la société de la nature, car en unissant les hommes si étroitement par la charité, elle confirme cet amour naturel que nous appelons humanité ; elle détruit la société de l’intérêt et celle de l’ambition, parce qu’elle anéantit toutes ces passions, qui étaient de faux principes d’union et d’intelligence ; elle confirme la société civile, nous ordonnant d’obéir à nos supérieurs, et nous enseignant de rendre à César ce qui est César, et à Dieu ce qui est à Dieu ; enfin, elle établit une société qui ramène l’égalité naturelle ; et au lieu que jusqu’à Jésus-Christ on n’avait vu dans le monde qu’une société de personnes extérieurement unies par les liens des lois civiles, du gouvernement et des degrés de proximité, mais intérieurement divisées par leurs passions, Jésus-Christ nous fait voir une société de personnes extérieurement divisées par la distance des temps et des lieux, et par l’éloignement des conditions, mais intérieurement unies par les liens d’une même foi, d’une même espérance, d’une même charité.

Ce ne sont point là des idées et des spéculations. Outre que la religion chrétienne se rapporte visiblement tout entière à ce dessein de former un peuple saint, pur et consacré à Dieu ; outre que les apôtres nous marquent que c’est là le but de leurs prédications, s’adressant dans leurs épîtres à ceux qui sont appelés à être saints, à l’Israël selon l’esprit, et déclarant sur le sujet des apostats, qu’ils sortent du milieu d’eux parce qu’ils n’étaient point d’entre eux ; outre que Jésus-Christ fait en toutes occasions la même distinction, refusant de reconnaître pour ses disciples ceux qui sont possédés par le monde, et caractérisant ainsi ceux qu’il reconnaît pour siens : Mes brebis entendent ma voix. Ils ne sont point du monde, et c’est pourquoi le monde les a en haine. Outre tout cela, dis-je, nous avons la consolation de pouvoir montrer une société d’hommes saints, qui ne plie point sous les puissances, qui a résisté aux efforts de la persécution, et renoncé aux appas du monde pour s’attacher à la croix de Jésus-Christ ; victorieuse des tentations, surmontant les vices, trompant les efforts des tyrans ; composée d’hommes mortels, sans pouvoir être anéantie par la mort ; soumise aux lois de la nature, et animée de mouvements surnaturels ; conversant dans le monde, et méprisant le monde ; répandue en divers siècles, et gardant une parfaite unité de sentiments ; toujours attaquée par les passions, et toujours au-dessus de leurs efforts ; croissant par ses défaites, et se rétablissant par ses propres ruines. Il faudrait n’avoir jamais lu l’histoire de l’Église pour ignorer toutes ces vérités, ou s’aveugler soi-même pour méconnaître l’efficace de la religion dans ces admirables effets.

C’est proprement dans cette société de saints, ou dans l’église, qu’il faut chercher les fruits de la religion ; c’est là que s’accomplissent ces anciens oracles, qui nous promettaient de nous faire voir la brebis paissant avec l’ours, et le léopard avec l’agneau, etc. Mais comme l’arche de Dieu ne pouvait se trouver au milieu même de ses ennemis, sans y opérer des merveilles qui se faisaient sentir même des infidèles, aussi l’Église ne saurait être dans le monde sans y produire des effets remarquables, que les incrédules mêmes ne pourront entièrement contester.

Qu’ils nous apprennent, en effet, pourquoi les oracles du paganisme se sont tus à point nommé, lorsque les apôtres ont annoncé les mystères du christianisme, et comment le son de ces hommes, étant allé jusqu’au bout de l’univers, a imposé un éternel silence à des oracles qui avaient si longtemps parlé, et a mis les auteurs païens, comme Plutarque et quelques autres, dans la nécessité de rechercher la cause de ce silence si inopiné et si surprenant ; car d’objecter, comme fait Julien, que les oracles se sont tus aussi parmi les Juifs et parmi les chrétiens, c’est ce qui ne fait rien pour leur défense. Nos prophètes avaient annoncé que le don de la prophétie serait aboli ; mais où est-ce que les oracles païens avaient prédit leur propre silence. L’accomplissement de nos prophéties étant une preuve toujours subsistante de la vérité de notre religion, nous tient lieu d’oracles perpétuels ; mais où est l’accomplissement des prophéties qui confirment la religion païenne ?

On ne peut nier encore que cette abondance de révélation qui a donné à tant de peuples superstitieux et idolâtres la connaissance du vrai Dieu, ne soit un effet bien admirable de notre religion, qui remplit le monde de sagesse par la folie de la prédication, donne aux serviteurs et aux servantes des idées plus nobles et plus saines de la divinité, que n’ont eu les philosophes les plus éclairés, et cela lorsqu’elle leur propose une doctrine qui paraît à la chair un objet de scandale et d’horreur.

On ne saurait contester à la religion chrétienne l’avantage d’avoir aboli les sacrifices où l’on offrait le sang des hommes. On ne doutera point que cette cruelle superstition ne se fût bien répandue, si l’on considère que l’Écriture sainte reproche aux Juifs d’avoir sacrifié leurs enfants à Moloc, et que Jules César nous apprend que c’était une ancienne coutume des Gaulois d’immoler à leurs dieux des victimes humaines.

J’avoue que les Romains avaient déjà renoncé à ces barbares superstitions, mais je ne sais s’ils n’en avaient point conservé quelques restes dans ces spectacles qu’ils donnaient au public, lorsqu’ils se divertissaient à voir couler le sang de leurs gladiateurs qui s’entretuaient pour les divertir ; sacrifice d’autant plus impie, qu’il était offert au plaisir des hommes, et non pas à ce qu’on regardait comme des dieux. Qui est-ce qui a aboli ces divertissements sanglants, si ce n’est la religion chrétienne ?

On est justement surpris lorsque l’on considère avec quelle licence ce vice abominable qu’on punit par le feu, avait régné dans le monde. On a de l’horreur lorsque l’on voit que l’amour des deux sexes semblait être également commun, que les anciens auteurs parlent sans scrupule de cette espèce de débauche dont les nôtres n’osent souiller le papier. Socrate nous est représenté, par quelques-uns, amoureux d’Alcibiade ; et Trajan, dont le panégyrique a mérité qu’on y travaillât pendant trente ans, s’est flétri par cette monstrueuse luxure : ce qui fait assez voir la justice du reproche de saint Paul, qui dit que d’autant que les païens n’avaient tenu compte de glorifier Dieu comme il appartenait, Dieu les avait aussi livrés à leurs convoitises infâmes. C’est beaucoup que la religion chrétienne ait aboli en partie, et tellement flétri cette espèce de débauche, qu’on regarde ceux qui s’en trouvent capables comme des monstres exécrables.

L’humilité et la charité, ces deux vertus si nécessaires et si essentielles, étaient si profondément ignorées, que les noms mêmes n’en étaient pas connus dans le monde païen. A qui devons-nous la connaissance et l’estime de ces deux vertus si excellentes, si ce n’est à la religion que nous professons ? Enfin c’est elle qui a rendu à la créature le nom de créature, et à Dieu le nom de Dieu ; qui a ôté au vice le nom de la vertu, et à la vertu le nom du vice ; qui a rétabli la raison dans ses droits, éclairé la conscience, mortifié les passions déréglées, et confondu la cupidité. Reconnaissez la divinité du christianisme à ces effets divins.

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