Traité de la vérité de la religion chrétienne

4. Quatrième tableau de la religion chrétienne, ou la pureté de sa fin.

Si les effets de la religion chrétienne répondent à ses caractères, on peut dire que sa fin répond parfaitement bien à ses effets ; étant visible qu’il n’y en eut jamais de si désintéressée, de si pure, de si extraordinaire et de si parfaite.

On ne peut s’empêcher de voir que la religion chrétienne se propose de mortifier les passions, et de rétablir les principes de droiture que la corruption avait comme étouffés.

Ce n’est pas là le dessein du démon, que l’on conçoit comme un esprit ennemi des hommes ; ni celui de la chair et du sang, qui ne tendent qu’à se satisfaire ; ni celui de la nature, qui se laisse gagner facilement, intéressé par les plaisirs que le vice lui fait espérer ; ni celui de la politique, qui va à réprimer les crimes extérieurs seulement autant qu’ils violent l’ordre de la société, et qui regarde avec beaucoup d’indifférence les crimes de l’esprit qui ne se produisent point au dehors. Ce n’est point le but de la raison, qui se laisse corrompre par la cupidité, ni même celui de l’orgueil, qui est beaucoup plus mortifié que toutes les autres passions par cette doctrine inconnue à la chair, et insupportable à la nature. Qui est-ce qui prend un si puissant intérêt à ôter à l’orgueil ses illusions, sa gloire, ses perfections chimériques, ses préférences, son hypocrisie, ses affectations, l’anéantissant par la vue de Dieu ; à l’amour-propre son injustice ; à la chair ses plaisirs illicites ; et à toutes les passions leur dérèglement ? Quel est ce dessein ? Dans quels cœurs cette pensée de sanctifier le genre humain monta-t-elle jamais ?

Nous ne nous trompons point, en donnant cette fin à la religion chrétienne : il est certain qu’elle n’enferme ni exhortation, ni précepte, ni promesse, ni menace, ni histoire, ni prophéties, qui ne tendent à ce but. L’Écriture n’est point un livre rempli de spéculations ou de recherches curieuses. On apportait les livres de cette nature aux apôtres pour les brûler. Ceux-ci ne répondent autre chose à ceux qui leur disent : Hommes frères, que ferons-nous ? si ce n’est, Amendez-vous. Ils déclarent que le but de l’Évangile est d’affranchir les hommes de leurs péchés ; leur exemple nous montre la même chose. Car, quelle autre vue peuvent avoir des gens qui renoncent à tout, et qui souffrent tout, pour persuader aux hommes qu’ils doivent renoncer au siècle présent ? Au reste, s’ils parlent ou s’ils écrivent, ils ne se dissipent point par des contestations et des disputes, qui sont le fruit ordinaire de la vanité des hommes ; ils vont au but, ils s’attachent à l’essentiel. Tout est pratique, tout se rapporte aux mœurs dans leurs discours et dans leurs écrits ; méprisant les paroles attrayantes de la sagesse humaine, ils cherchent seulement l’édification. Je vous écris ces choses, disent-ils, afin que vous ne péchiez point. Et que leur importe-t-il, s’ils sont tels que l’incrédulité se l’imagine, que nous péchions ou que nous ne péchions point ? Quel tort cela pouvait-il faire au fils d’un charpentier, que les pharisiens fussent des hypocrites, qu’ils déshonorassent la divinité par leurs traditions, qu’il y eût des tables de changeurs dans le parvis du temple ? Que lui importait-il que les pécheurs se repentissent, ou ne se repentissent pas ; que les hommes fussent miséricordieux, ou qu’ils se contentassent d’offrir des sacrifices ; que la meurtrière des prophètes connût ou ne connût point ce qui était de son devoir ? Et quel principe pouvait lui arracher ces larmes qu’il donne à la désolation prochaine de Jérusalem ? Preuves sensibles et efficaces que son salut lui tenait au cœur. Qu’aurait-il importé à quelques pauvres abusés, que les gentils connussent ou ne connussent point le vrai Dieu ; à de faux témoins, que les hommes ne fussent ni fourbes ni menteurs ; à des gens haïs et détestés, que les hommes s’aimassent les uns les autres ; à des victimes de la haine publique, que leurs ennemis se réconciliassent avec Dieu ; à des affligés, que les autres sentissent une divine consolation, et une paix de Dieu qui surmonte tout entendement ? Qui croira que ces hommes aient voulu être méchants pour nous rendre gens de bien ; tromper tout le genre humain, pour faire de la fidélité une loi sacrée et inviolable ; devenir les ennemis de leur nation, pour nous rendre charitables envers tout le monde, et que par la plus signalée de toutes les impostures, et le plus grand de tous les crimes, on se proposât d’établir une religion qui va à sanctifier le genre humain ?

Ce serait une chose bien étrange, que des gens aussi méchants et aussi fourbes que l’incrédulité doit s’imaginer les apôtres, pussent avoir seulement la pensée de sanctifier les autres. Ce serait une chose bien plus étonnante, que cette pensée s’affermit dans leur esprit, et qu’elle devînt un dessein formé de tout hasarder et de tout perdre pour en venir à bout. Ce serait un prodige que ce dessein fût suivi de l’exécution ; mais ce serait le dernier des prodiges, qu’il y eût une suite de personnes qui eussent persévéré dans cet état et dans cette disposition contre leur intérêt, et malgré toutes les rigueurs de la persécution. Jamais, sans doute, imposture n’eut une telle fin, ni un tel succès ; car jusqu’ici l’amour-propre s’est servi de l’imposture et du mensonge pour faire réussir ses propres passions aux dépens de la justice et de la charité qui est due au prochain : mais l’on n’a point vu encore et l’on ne verra jamais que la charité se serve du mensonge et de l’imposture pour faire réussir les desseins favorables qu’elle a pour le prochain, aux dépens de tous ses intérêts et de toutes ses passions. Vouloir insister là-dessus, c’est donner de la lumière au soleil.

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